À la demande d'Olivier, je remets ici ma comparaison entre le sambahsa et l'uropi, avec quelques corrections. J'espère que la guerre ne repartira pas...
Comparaison sambahsa-uropi
Depuis que j'ai plus de temps libre, je me suis mis à étudier le sambahsa-mundialect (abrégé en sambahsa par la suite). Vu que tant le sambahsa et l'uropi se veulent des langues basées sur les racines indo-européennes, et que je ne suis l'auteur ni de l'une ni de l'autre, j'ai pensé que mes impressionns pourraient vous intéresser.
Première impression
À première vue, le sambahsa paraît plus naturel que l'uropi, qui détonne un peu avec ses mots plutôt courts, ses accents graves, ses k et ses ʒ. Mais je suis espérantiste et je reconnais rapidement dans l'uropi une langue qui se tient. De son côté, en sambahsa, on reconnaît de-ci de-là des mots connus (comme nature, accident ou train), mais aussi une pléthore de h ou de w. Un étrange mélange de connu et d'inconnu.
Orthographe
Quand on essaie d'apprendre à lire ces langues, l'uropi est beaucoup plus facile. Comme l'espéranto, il se base sur le principe une lettre — un son. Il y a bien sûr cette lettre étrange, ʒ, et les règles de l'accentuation ne sont pas aussi simples qu'il n'y paraît, puisqu'il faut savoir identifier les suffixes. De son côté, le sambahsa a un avantage: il n'utilise que les caractères de l'alphabet latin de base. Mais son orthographe, bien que régulière, se fonde sur les orthographes des langues existantes, de manière à pouvoir intégrer des mots sans les modifier. D'où des règles comme: le u se prononce ou (j'utilise les normes du français), sauf s'il y a un e dans les deux lettres qui suivent, auquel cas il se prononce u. Le y se prononce u entre deux consonnes, mais i ou y ailleurs. Le c se prononce ts ou k, selon les lettres qui le suivent. Et ainsi de suite.
On peut l'apprendre, bien sûr, mais on se demande parfois si la facilité d'intégrer des mots intacts vaut tout cela. Par contre, quel soulagement de pouvoir reconnaître à l'écrit et à l'oral des mots tels que
geologia (prononcé djéolOdjya) ou
physologia (fuzolOdjya), au lieu du
geologij de l'uropi (guéolOguiy), du
geologio de l'espéranto (guéologuIyo) ou du
jeolojia de la lingua franca nova, par exemple. Mais on se demande aussi: si l'italien ou l'espagnol se passent très bien des ph et des y étymologiques, en a-t-on vraiment besoin en sambahsa?
De plus, le sambahsa continent des sons que certains peuples trouvent difficiles, comme le u, le eu, le th anglais ou les deux ch allemands.
Vocabulaire
La base des deux langues est constituée de racines indo-européennes, les plus fidèles possibles dans le cas du sambahsa, et fortement simplifiées dans le cas de l'uropi. Là, le choix est esthétique et à chacun de déterminer sa préférence. Quelques exemples: chien = kun/kwaun; avoir besoin de: nudo/naudhe; dos: ruk/regv; naître: geno/gnahe; jaune: ʒel/gehlb; année: jar/yar; pomme: apel/apel; nouveau: novi/nov; vieux: veti/veut ou vetus. Bien sûr, il y a plein de mots qui ne se basent pas sur les mêmes racines, comme ville: pol/urb, blanc: bij/albh, ou prison: karsia/prison. Et un vieux est
seni en uropi mais un
geront en sambahsa. Mais il me semble que le sambahsa a ici l'air plus archaïque et difficile que l'uropi.
Il n'y a bien sûr pas que des mots d'origine indo-européenne. Les deux langues empruntent semblablement au vocabulaire international, mais le sambahsa respecte davantage l'apparence des mots utilisés:
bureau plutôt que
burò,
president plutôt que
prisedan,
systeme plutôt que
sistèm,
theatre plutôt que
teatra, taxi plutôt que
taksì. Bien sûr, pour qui apprend la langue, cela peut sembler rassurant à première vue, mais je me demande jusqu'à quel point cette non-assimilation des mots étrangers ne constitue pas à la longue un handicap.
Contrairement à l'uropi, le sambahsa a fait une bonne place aux mots d'origine autre, aux mots arabes, turcs, chinois —
de l'Islande au Japon, lit-on dans le wiki. Par exemple, les mots voyager et voyage se disent
safer, de l'arabe (c'est la racine du mot safari). Et, comme c'est un mot arabe, et toujours dans cet esprit de respect des emprunts, le mot voyageur se forme avec le préfixe arabe mu- comme dans musulman ou moudjahidine: on dit
mussafer. Doit-on vraiment porter le respect jusque-là?
En fait, si le sambahsa se veut une langue auxiliaire (ce qu'il n'est pas vraiment, en tout cas n'était pas vraiment au départ, si j'ai bien compris), il est possible qu'il puisse mieux séduire des non-Européens en intégrant dans son vocabulaire et jusque dans ses règles de dérivation des mots et des structures arabes ou chinoises (poitrine se dit
xiongbu en sambahsa, et
prest en uropi). Même si c'est de manière marginale. À moins que ces miettes ne soient vues comme une insulte. Par ailleurs — et c'est peut-être mes 30 années d'espérantisme qui dépassent — j'ai de la difficulté à croire qu'une langue construite puisse rester simple et attrayante en se refusant des règles simples quant à son vocabulaire ou à la création de mots. Or, le sambahsa reprend plus ou moins les mots tels qu'ils ont été créés dans les langues dont il s'inspire, avec donc une pléthore désordonnée de préfixes et de suffixes, plutôt que de choisir, comme l'uropi ou l'espéranto, une nombre plus restreint de racines puis de les intégrer dans un système plus cohérent. En fait, on reconnaît davantage la structure du mot uropi
prisedan que du mot sambahsa
president, même si ce dernier est directement compréhensible:
prisedan vient de
pri, premier, et du participe présent du verbe
sedo, s'asseoir: celui qui s'assoit en premier.
Malgré son plus jeune âge, le sambahsa compte déjà plus de mots que l'uropi: autour de 12.000, alors que le plus grand vocabulaire uropi, qui était publié sur feu son wiki, en comptait autour de 9.000. C'est une richesse incontestable, certes, même si son apprentissage représenterait un effort de mémoire certain, d'autant plus que les familles de mots sont plus claires et plus étendues en uropi qu'en sambahsa. Cette dernière langue comporte aussi plusieurs synonymes provenant de substrats différents (forêt peut se traduire par
forest, lays ou
sylve, mais on doit aussi noter que forêt pluviale est
yurlin, forêt vierge,
orlays, bois (petite forêt),
bosc, forêt en montagne,
ghiri, forêt d'altitude,
mischko, forêt mixte,
perkuin, forêt de conifères,
pusinos...). Étourdissant. Même l'espéranto n'offre pas tant de mots différents, il me semble.
Par contre, je dois aussi souligner que le sambahsa résout certains manques que j'avais relevés dans le vocabulaire de l'uropi. Par exemple, je trouve le choix des prépositions de l'uropi plutôt limité: on utilise
ki pour traduire les deux sens d'
avec (accompagnement et outil); en sambahsa, c'est
con et
med, et il y a même un
samt au sens plus figuré; la conjonction
te pour
que dans
je veux que... et dans
plus grand que... (sambahsa:
od et
quem). En uropi, la seule manière de dire
plus est
maj, que ce soit
plus grand, un plus deux ou
le plus facile. En sambahsa, le comparatif se fait avec le suffixe
(t)er ou le mot
meis, les mathématiques, avec
plus, le superlatif, avec
-st (en uropi:
-es, pour certains adjectifs) ou
meist. L'uropi n'a qu'un seul mot pour
non et
ne...pas,
ne (placé
après le verbe, ce qui m'a toujours déplu), alors que le sambahsa répond avec
no, nie avec
ne (
avant le verbe) et interdit avec
mae...
Grammaire
Ici, le sambahsa frappe un grand coup... dont certains ne se relèveront peut-être jamais. À ce que je sache, cette langue est la seule langue construite dont la grammaire rappelle celle des langues naturelles. Elle est plus simple, bien entendu, mais le seul fait que ses tableaux de déclinaisons (eh oui!) m'aient rappelé ceux du latin est en soi troublant.
De son côté, l'uropi a une grammaire simple et concise, un petit peu moins systématique et claire que celle de l'espéranto, mais presque tout aussi simple. Que veux-je dire par moins systématique? Un exemple. Les trois temps de base de l'espéranto se forment par trois suffixes similaires, qui différent par leur voyelle, voyelles qui sont reprises avec le même sens dans les trois participes actifs et les trois participes passifs. En uropi, rien de tel: le présent n'a aucun suffixe, le passé est formé par un suffixe (accentué, qui plus est), le futur, par un préverbe, et il n'y a que deux participes, en -an et en -en. Moins systématique mais tout aussi simple.
En sambahsa... la grammaire est aussi à peu près régulière (il y a quand même trois verbes totalement irréguliers: être, avoir et savoir) mais beaucoup plus complexe. Les pronoms personnels (qui jouent aussi le rôle d'articles définis... ouf!) se déclinent sur quatre cas, deux nombres (re-ouf! pas de duel) et... quatre genres. Bien entendu, ces déclinaisons sont synthétiques, ce qui veut dire qu'on ne peut pas découper les pronoms pour un trouver un marqueur de genre, un marqueur de cas et un marqueur de nombre. Malgré une certaine systématisation, on doit apprendre 32 formes. Heureusement, les mêmes terminaisons (enfin, presque) sont reprises pour les relatifs et les démonstratifs.
Les noms et les adjectifs aussi peuvent se décliner, au choix, ce qui veut dire qu'on doit apprendre 32 autres terminaisons, pas les mêmes que pour les pronoms — enfin, parfois les mêmes.
Bien entendu, ces déclinaisons ne sont pas là par sadisme ou par simple respect des formes de l'indo-européen antique (qui était bien pire, évidemment). Elles permettent une expression plus rapide: on n'a plus besoin de préposition pour le datif ou le génitif, et on peut changer l'ordre des mots dans la phrase tout en maintenant claire la fonction de chaque mot. Et le fait que seuls les articles/pronoms se déclinent de manière obligatoire permet là aussi de respecter la forme originale des mots empruntés.
Il est à noter que l'uropi conserve un reste de déclinaison: on y retrouve en effet un génitif. Et malgré toutes les justifications que l'auteur de la langue y apporte, on se demande parfois pourquoi il n'a pas achevé cette simplification de la grammaire.
Quant aux verbes sambahsa, c'est presque pire. Outre les trois verbes irréguliers — bien sûr, l'uropi ne compte aucun verbe irrégulier — on a plusieurs conjugaisons, identifiables selon la racine des verbes. De nombreux verbes subiront une transformation vocalique (
spehco, je regarde, fait
spohcim, j'ai regardé) ou consonantique (
surprindo, je surprends, devient
surprisim, j'ai surpris) systématiques. Bien entendu, toutes ces transformations ressemblent tout à fait à celles qui ont cours dans les vraies langues indo-européennes modernes (comme le montre l'exemple du verbe surprendre), mais leur utilité me semble douteuse. C'est là que l'aspect langue reconstruite du sambahsa paraît peut-être le plus.
Par contre, la douzaine de terminaisons pour les différentes personnes, au présent et au passé (il y en a plus de 12: on a parfois des choix, tantôt libres, tantôt dictés par la forme du verbe) est vraiment utile à la concision, regroupant en une seule syllabe, et parfois une seule lettre, la personne et le temps. (Il existe aussi des formes pour le futur et le conditionnel, des temps composés et divers préfixes et suffixes pour exprimer d'autres nuances, mais le présent et le passé constituent les deux temps de base.) Là aussi, le sambahsa s'éloigne de la tendance analytique de la plupart des langues construites. Là où l'uropi a besoin de trois syllabes:
i vizì, j'ai dit, le sambahsa se contente du mot
visim.
Par ailleurs, cela permet aussi au sambahsa de ne mettre les pronoms sujets que pour l'emphase, comme en latin ou en espagnol.
Io visim veut dire
moi, j'ai vu. Le pronom moi, le mot le plus important dans toutes les langues,
a d'ailleurs deux formes, une forme forte,
ego, et une forme faible,
io.
Tout compte fait, la grammaire du sambahsa est incontestablement plus difficile que celle de l'uropi, ce qui lui confère parfois un peu plus de concision et une apparence plus naturaliste. Cela peut plaire à certains, et elle pourrait même constituer une introduction à la grammaire des langues indo-européennes pour Asiatiques ou Africains (ou Hongrois, Finnois...) mais je reste convaincu qu'une grammaire simple possède des atouts indéniables. Peut-être là encore mon travers espérantiste...
Sexisme
L'uropi n'a pas de genre grammatical, mais la plupart des mots féminins dérivent de leur contrepartie masculine (kuzin, kuzina) et le pronom singulier doit être féminin
ou masculin (ou neutre, mais ce n'est que pour les choses ou les animaux). Le sambahsa, pour sa part, s'extrayant pour une fois de la grammaire indo-européenne, a introduit pour ses pronoms-articles (et pour la déclinaison libre des noms et adjectifs) un genre indéterminé, utilisé pour un homme ou une femme, ou un regroupement d'hommes et de femmes.
Par contre, les noms paraissent encore marqués par le passé sexiste des langues sources. Ami/amie sera prient/prientin, serveur/serveuse, kellner/kellnerin, comme en allemand ou en espéranto. Acteur/actrice, actor/actrice... On peut cependant féminiser un mot en lui ajoutant la finale a des déclinaisons libres (mais il faut alors décliner, avec u à l'accusatif, i au datif et ias au génitif), ou encore attribuer le genre indéterminé de la même manière (mais, au datif, ce sera i à tous les genres).
Diffusion
Finalement, la chose qui différencie peut-être le plus les deux langues n'est nullement linguistique mais tient avant tout à la façon dont les deux langues sont publicisées. Il semble que les principaux uropistes parlent sans cesse
de leur langue, en vantant les principes fondateurs et les caractéristiques en couleurs et en gros caractères, et réagissant avec vigueur contre tout ce qui semble s'apparenter à une critique. On les croit participer à une guerre. Par contre , si on veut apprendre la langue, on ne trouve nulle part sur le net de grammaire ou de dictionnaire complets. L'auteur du sambahsa, quant à lui, se contente, à ce que je vois, de mentionner çà et là l'existence de sa langue en fournissant un lien vers un wiki. Un wiki simple, sans couleur ou image, ni même lien entre les pages, mais avec tous les mots, toute la grammaire, une méthode et des traductions, et même quelques erreurs, corrigées dès qu'elles sont détectées... Et puis il traduit, sous-titre des films... Il fait vivre sa langue.
À bon vin point d'enseigne, disait-on autrefois. J'aime bien ce proverbe. Au point de vue linguistique, l'uropi me semble plus simple et meilleur (bien que perfectible). Mais je crois qu'il sera plus facile et plus amusant d'apprendre et d'utiliser le sambahsa, et que cette langue aura plus rapidement un petit cercle de locuteurs.