Le pirahã est une langue amazonienne très particulière, parlée par quelques centaines de personnes dans des hameaux situés sur les rives du fleuve Maaci, un affluent de l'Amazone au milieu de la jungle. Le pirahã n'a qu'un seul verbe pour "voir" et "savoir", et un seul verbe pour "dire" et "penser":
Hi obaaaxai kahai kaisai
Il voit/sait vraiment comme faire des flèches.
C'est un peu la même chose dans certaines locutions du français :
Je vois ce que tu veux dire = Je sais/comprends ce que tu penses (et que tu essayes d'exprimer).
Par ailleurs, toujours en pirahã :
Hi gai-sai Batio ao'aopaxai
Il a dit que Martins est en colère.
"Sai" est un suffixe qui transforme un verbe en nom. Littéralement, la phrase peut s'analyser ainsi :
Ma parole (est) : "Martins est un colère."
Le dibadien est issu d'une langue amérindienne, le chinook, et les cyborgs (qui ont créé le dibadien, au départ comme un code à usage interne) ont envie de se distinguer de l'usage commun.
Le dibadien standard a un verbe pour "voir" (nanich), un autre pour "savoir" (këmtëk) - qui signifie aussi "comprendre" (il existe aussi le verbe patitap, qui signifie uniquement "comprendre") - un verbe pour "dire" (wawa) et un verbe pour "penser" (ukhach).
Par ailleurs, une phrase comme "Il a dit que Martin est en colère" se traduit ainsi :
Ya chi wawa phëng Maltin soleks
(Lui récemment dire que Martin être-en-colère)
Ça, c'est le dibadien standard, les cinq mille mots de la langue courante que chaque immigrant apprend dans le "Eikanem ye Tlatayetgo", le recueil de nouvelles de 400 pages qui comprend l'essentiel de la langue et de la culture dibadiennes.
Les cyborgs ont développé un autre usage, qu'ils utilisent uniquement entre eux, un dialecte interne :
Nanich signifie à la fois voir, savoir et comprendre.
Wawa signifie à la fois dire, penser, et vouloir dire.
"Il a dit que Martin est en colère" se dira :
Ya chi wawayet sis Maltin soleks
Littéralement : "son récent fait-de-dire : Martin être-en-colère"
Sis est une conjonction qui n'a pas d'équivalent précis en français. C'et l'équivalent du signe de ponctuation [:].
Pour un dibadien ordinaire, non-cyborg, une phrase comme "Ya chi wawayet sis Maltin soleks" a l'air bizarrre, mais elle est tout-à-fait compréhensible, et conforme aux règles de grammaire. Mais c'est le genre d'expression qu'on ne trouve pas dans le "Eikanem ye Tlatayetgo". Comme si, en français, quelqu'un disait "Sa parole récente est que Martin est en colère" et "Il ne voit pas ses paroles" (au lieu de : "Il ne sait pas ce qu'il dit / veut dire.")
Les choses se compliquent, comme toujours à Dibadi, parce que les cyborgs font de leur mieux pour être invisible au sein de la population. Ils occupent toutefois certaines fonctions : interprètes (ils sont les seuls à pouvoir étudier des langues étrangères), médecins, cadres supérieurs, dirigeants politiques. Il n'a pas échappé à la sagacité de l'homme de la rue que les gens instruits parlaient souvent d'une drôle de façon. D'où les moqueries, mais aussi, parfois, l'imitation.
Il en reste des expressions toutes faites, passées dans le langage courant comme "Wik ya nanich ya wawayet" (Il ne voit pas ses paroles) au lieu de "Wik ya këmtëk iszta ya wawa" (Il ne sait pas ce qu'il dit). La première expression est sentie comme plus "classe", plus "cool" que la deuxième...
Mais le style "amazonien" du dibadien parlé par les cyborgs est restreint aux conversations privées. Pour les discours publics, et à l'écrit, les cyborgs utilisent toujours le dibadien standard.