Oui, certes, mais l'écriture égyptienne n'avait rien de commun avec l'écriture sumérienne. Les écritures dans le monde sont très diverses et ont des principes très différents. Par contre, la roue, elle, utilise le même principe d'où qu'elle vînt.
Certains pensent que les égyptiens auraient emprunté le concept de l'écriture aux sumériens, mais en localisant cette invention, surtout à cause du fait qu'en Égypte, on a moins d'argile sous la main qu'en Mésopotamie. En effet, les relations commerciales existaient déjà entre ces 2 contrées, et ce, avant l'écriture. Des échanges de technologies sont tjrs possibles. Maintenant, les mêmes causes produisent les mêmes effets... Dans les 2 cas, l'écriture est issue des joies de la comptabilité, opération nécessaire quand il faut gérer bcp de personnes. Puis on enchaîne sur les contrats et autres.
Anoev Modérateur
Messages : 37610 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Maintenant, les mêmes causes produisent les mêmes effets... Dans les 2 cas, l'écriture est issue des joies de la comptabilité, opération nécessaire quand il faut gérer bcp de personnes. Puis on enchaîne sur les contrats et autres.
Et pour jouer au jeu des paronymes ou à-peu-près (beaucoup, dans c'cas-là ! ) pour aller de la comptabilité à la compatibilité, hein...
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 25 Juil 2024 - 10:14
LE CAFÉ ADONIS
En milieu de matinée, Gidrel et Remo se rendirent à pied au Café Adonis, dans le centre commercial de Dankwold, à moins d'un kilomètre de leur domicile. Remo tirait un sac de courses à roulettes, pour le cas où Gidrel déciderait de faire des achats.
Tout est récent à Dankwold, un district nouvellement construit pour loger les fonctionnaires royaux transférés à Hyltendale lorsque Sarnath a perdu son statut de capitale. Le centre commercial de Dankwold a été bâti rapidement, dans le style californien, avec un grand supermarché entouré de boutiques et d'agences diverses, au milieu d'un parking immense. Seule touche mnarésienne, une colonne de dix mètres de haut surmontée d'une statue de Tsathoggua, en métal noir, à l'entrée principale du parking.
Gidrel, qui avait traduit les passages des Manuscrits Pnakotiques qui parlent de Tsathoggua, se sentit mal à l'aise en regardant la statue du dieu-crapaud à fourrure noire, dont les yeux obliques, simples fentes de verre blanc, brillaient au soleil. Les anciens textes le disent clairement, Tsathoggua est un dieu pour les sorciers, et parmi les humains seuls des sorciers peuvent l'adorer. C'est sans doute la raison pour laquelle les cyberlords l'ont choisi comme divinité protectrice des cybersophontes.
Les deux serveurs du Café Adonis sont des androïdes Twaz, de presque deux mètres de haut, vêtus du tablier noir de leur profession. À part les serveurs, la seule chose remarquable dans l'établissement, ce sont les prix, cinq fois supérieurs à la moyenne. Toutefois, les membres du Cercle Paropien et à leurs invités bénéficient de réductions de 80% sur les prix affichés. Les clients n'ont pas besoin de présenter une carte d'adhérent, les cerveaux cybernétiques des serveurs ayant accès à la base de données du Cercle Paropien.
Gidrel avait adhéré l'année précédente au Cercle Paropien, à l'origine simple club de robophiles. Les dirigeants du Cercle avaien décidé de créer à Dankwold un café-restaurant réservé aux robophiles, mais sans que ça se voie trop, c'est pour ça qu'ils ont inventé le système des réductions de prix pour les adhérents. Peu de gens en parlent, mais les robophiles cosmopolites d'Hyltendale se sentent peu de choses en commun avec les nouveaux habitants de Dankwold, des fonctionnaires venus du nord-ouest du Mnar, descendants de Gnophkehs cannibales, que les robophiles trouvent grossiers et peu civilisés, voire carrément infréquentables. L'objectif était de permettre aux robophiles de Dankwold de pouvoir se réunir en compagnie choisie pour boire un verre ou partager un repas, sans être importunés par des gens qui ne sont pas de leur monde.
Le Café Adonis équilibre tout juste son budget, mais les robophiles considèrent qu'avoir dans chaque district des points de chute où ils peuvent être entre eux justifie l'investissement.
« Bonjour Madame Vitoch » dit Jeff, le serveur. Gidrel était déjà venue une fois dans l'établissement. Elle avait été reçue par Matt, l'autre serveur, dont les yeux cybernétiques avaient scanné son visage et avaient transmis par radio les données à l'ordinateur central du Cercle Paropien, lequel avait confirmé que Gidrel Vitoch était membre du Cercle et à jour de ses cotisations. Matt avait aussitôt transmis l'information à son collègue Jeff, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique. Gidrel était depuis lors connue au Café Adonis, qu'elle considérait presque comme une extension de son domicile.
Lex prix exorbitants du Café Adonis sont affichés en grand, car il arrive que des gens non prévenus entrent par mégarde dans l'établissement. L'affiche suffit en général à les faire rebrousser chemin. Si ce n'est pas le cas, les serveurs les informent du prix des consommations, avant qu'ils passent commande. La haute stature des serveurs, et le fait qu'ils soient des androïdes, dix fois plus rapides que des humains en cas d'affrontement physique, dissuadent les gens ainsi poliment refoulés de trop protester.
Gidrel avait remarqué que Jeff et Matt portaient de grosses bagues de métal et de verre coloré aux doigts de chaque main. Non pas par élégance, mais parce que les bagues multiplient l'effet destructeur des coups de poing. Élevée dans un pays, le Moschtein, où la violence physique est très mal vue, Gidrel trouvait cela déplaisant.
Depuis un an qu'elle habitait à Dankwold, Gidrel n'avait jamais assisté à une seule bagarre. Les habitants de Dankwold sont assurés d'avoir toujours un emploi, même si c'est dans les Jardins Prianta ou l'Institut Edonyl. Ils sont de ce fait plutôt paisibles, et leurs rejetons les plus turbulents (il y en a, hélas) se retrouvent rapidement à Ulthar, à planter des légumes transgéniques dans les Jardins Prianta. Cela, c'est pour ceux qui, bien que peu respectueux des lois, sont malgré tout employables. Les autres, ceux qui sont considérés comme des malfaisants incorrigibles, sont exilés à Lazné dans les vastitudes nordiques.
Gidrel avait visité Ulthar, l'une des villes les plus anciennes du Mnar. Pendant les temps légendaires, le grand-prêtre Barzaï y a passé les dernières années de sa longue vie. Les chats y étaient autrefois considérés comme sacrés. De nos jours, la ville est devenue le dépotoir humain d'Hyltendale, qui y envoie ses plus mauvais éléments, entassés dans les habitations préfabriquées des quartiers périphériques, au frais des cybersophontes qui font pleuvoir dons et subventions sur la ville, et, à ce qu'on raconte, sur ses élus.
Assise en face de Remo dans le Café Adonis, Gidrel se surprit à rêver d'une croisière sur la Skaï, la rivière qui descend d'Ulthar vers la sud, jusqu'à Hyltendale, où elle se jette dans l'Océan Pacifique. Le vieux centre d'Ulthar, avec ses quais et ses maisons de pierre, a gardé son charme ancien, beaucoup plus qu'Hyltendale, où il ne reste rien des bâtiments d'autrefois. Les rives de la Skaï sont restées champêtres et paisibles, même si les anciens habitants ont été remplacés par des robots.
« Je viens juste de rentrer d'Europe et j'ai déjà envie de reprendre des vacances » dit-elle à Remo.
« Je vous suivrai partout, patronne » répondit le petit androïde.
Gidrel sourit. Les humanoïdes sont en contact radio permanent, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique, avec les intelligences artificielles qui les contrôlent, grâce auxquelles ils bénéficient de l'expérience cumulée de leurs semblables.
Le philosophe Baron Bodissey a écrit des chapitres entiers pour rassurer ses lecteurs au sujet des robots et des cybermachines. Non, ils ne vont pas asservir ou exterminer les humains, car ils n'ont pas de volonté propre, et les cyberlords qui les dirigent sont des humains, ils n'ont aucune envie d'éliminer leurs semblables.
Gidrel était sceptique. La reine Modesta était un cyberlord, mais c'était surtout une jeune femme dont l'intellect n'avait rien d'extraordinaire. Même en supposant que ces histoires d'implants ne soient que des fables inspirées par la malveillance, il restait que Modesta n'avait tout simplement pas les connaissances nécessaires pour diriger des millions de cybermachines. La conclusion était évidente : pour gouverner, Modesta demandait aux cybermachines ce qu'elle devait faire. Et celles-ci, en bonnes esclaves sans volonté propre, le lui disaient.
Certes. Mais si Modesta était sous le contrôle d'un implant cybernétique inséré dans son corps, il fallait se poser la question : qui dirigeait l'implant ? Des rumeurs, presque des légendes, parlaient d'un certain Kamog. Dans les Manuscrits Pnakotiques, Kamog est le nom d'un sorcier, grand-prêtre de Yog-Sothoth. Gidrel avait bien réfléchi. L'hypothèse la plus probable, à son avis, était que les cyberlords étaient tous porteurs d'implants (si les implants cybernétiques existaient vraiment, ce qui n'était pas prouvé) et que le plus haut dans la hiérarchie contrôlait tous les autres cyberlords, jusqu'à ce qu'il meure et soit remplacé par le cyberlord le plus ancien après lui.
Le cyberlord le plus puissant, celui qui se faisait appeler Kamog, était sans doute un vieillard menant une vie tranquille, presque cachée, entouré d'une cour d'humanoïdes dont la compagnie lui suffisait. Gidrel l'imaginait assis à sa table de travail, travaillant sur ordinateur et faisant coder ses messages par une secrétaire humanoïde.
L'imagination de Gidrel allait bon train. Pour gérer de chez lui l'empire des cybersophontes, Kamog devait mener une vie régulière, s'occupant lui-même de son jardin et surveillant son poids. Soucieux de sa santé, il faisait tous les jours de la gymnastique. Peut-être avait-il un harem de gynoïdes, il ne faut pas sous-estimer la lubricité des humains. Sans doute pratiquait-il quotidiennement le jeu favori des robophiles : les jeux de rôle à domicile, sortes de mini-pièces de théâtre, telle qu'on en trouve dans Masques et Situations, un livre figurant en bonne place chez quasiment tous les robophiles. Il faut pratiquer ce jeu quotidiennement pour arriver à se passer d'interactions avec des humains.
Gidrel espérait, si son hypothèse était bonne, que Kamog avait une famille, des enfants et petits-enfants qu'il voyait de temps en temps, ou même des amis, car il est bien connu que les robots ne peuvent pas remplacer totalement les humains, ils ne peuvent être qu'un palliatif, un substitut.
Et si Kamog et Baron Bodissey étaient la même personne ? Ce n'était pas un secret que Bodissey était un nom de plume, l'identité réelle du philosophe était inconnue. On le disait haut fonctionnaire, obligé de dissimuler son identité réelle pour ne pas être accusé de manquer à son obligation de neutralité.
« Jeff, un thé à la cardamome, nature, pour moi, et une tasse d'eau pour Remo » dit Gidrel au serveur. Celui-ci savait fort bien que les humanoïdes ne peuvent que faire semblant de boire ou de manger, c'est pourquoi ils ne consomment que de l'eau, mais en public il est d'usage de faire comme s'il s'agissait d'êtres humains.
Les autres clients du Café Adonis étaient des hommes et des femmes, plutôt âgés, venus avec leurs partenaires humanoïdes. Ils parlaient diverses langues, parmi lesquelles Gidrel reconnut le japonais. Comment peut-on créer une communauté avec des gens qui ne parlent pas la même langue ? Les robophiles se regroupent spontanément en sous-comunautés à base ethnique ou linguistique. Les robophiles japonais sont très nombreux à Hyltendale, mais ils vivent à part. Dans certains districts ils ont même leurs propres cafés, restaurants et salles de réunion. Les Japonais ressemblent physiquement aux Mnarésiens originaires du plateau de Leng, c'est pourquoi à Hyltendale on ne les remarque pas, sauf par accident, quand on les entend parler, ou lorsqu'on passe devant un de leurs restaurants à Playara.
Il y a toujours du monde au Café Adonis, car les robophiles de Dankwold aiment y rencontrer leurs amis et leurs relations. Le midi et le soir, on peut y prendre ses repas, car une femme nommée Didoniva vient y faire la cuisine. Les humanoïdes pourraient le faire, mais parce qu'ils sont dépourvus de sens gustatif et d'odorat, c'est un travail qu'ils laissent aux humains.
Aller au café, c'est voir des gens sans avoir besoin de leur parler. Si on y va avec quelqu'un qu'on aime bien, ou qu'on aime tout court, même si ce n'est qu'un robot humanoïde, c'est encore mieux.
Gidrel avala doucement une gorgée de thé chaud et parfumé. Remo, d'apparence humaine mais fidèle et affectueux comme un chien domestique, tout en étant supérieurement intelligent comme la cybermachine qu'il était, porta sa propre tasse à sa bouche, avec une lenteur délibérée. Brouhaha familier des conversations autour d'eux, et la lumière du jour, douce et blanche, qui entre dans la salle à travers les parois de verre dépoli. Le bonheur est fait de choses simples, ce qui est compliqué, parfois, c'est de les obtenir.
Didoniva venait d'arriver, c'était une grosse Gnophkeh au visage couvert de poils, vêtue d'une robe informe, d'une propreté douteuse, ses cheveux gras dissimulés sous un châle. Elle salua les clients avant de disparaître dans la cuisine. Gidrel savait que les androïdes appliquent consciencieusement les règles d'hygiène. Sinon, elle aurait hésité à manger des plats préparés par la Gnophkeh.
Dernière édition par Vilko le Lun 29 Juil 2024 - 8:36, édité 2 fois
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 25 Juil 2024 - 10:49
Retour au Mnar, donc, après une longue parenthèse moschténienne.
Pouquoi Adonis, comme nom de café ? Vu les prix pratiqués, il aurait pu s'appeler le café Pixou, ou quelque chose dans l'genre, non*?
D'après ce que j'en ai lu, Ulthar n'a pas vraiment bonne presse, c'est là que se retrouvent les gens jetés d'Hyltendale ; on y survit plus qu'on y vit. Johannès Ken y avait habité un certain temps, si je m'souviens bien ? Une ville en plein centre du pays pourtant (un peu comme Madrid en Espagne).
Les centre commerciaux ont-ils encore une certaine opulence ou bien sont-ils, comme chez nous (à Ivry, surtout, pour le CC Quais d'Ivry, qui n'en finit pas de mourir) victimes du commerce en ligne et des centrales de livraison à domicile (Uber, Amazon et j'en passe et des pires) ?
*Ou bien alors, à supposer que certains Mnarésiens soient épris de mythologie grecque, il pourraient donner ce nom à un restaurant du centre-ville servant du sanglier.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 25 Juil 2024 - 19:11
Discuter avec Remo, c'était parfois comme écouter une encyclopédie vivante, tellement le petit androïde savait de choses, grâce à sa connexion radio permanente avec une cybermachine distante :
— Le nom de Café Adonis n'a pas été choisi par hasard. Les robophiles connaissent tous un peu de mythologie grecque, notamment la légende de Pygmalion et Galatée, le premier robophile et la première gynoïde. Ils savent rarement qui était Adonis, mais le nom est facile à prononcer et agréable à l'oreille. De plus, c'est un prénom assez répandu chez les androïdes, mais totalement inconnu chez les Mnarésiens. Vous voyez patronne, personne n'est surpris d'apprendre que le Café Adonis est un établissement créé pour les robophiles.
— Je vois, je vois... Je pense à Ulthar, que j'aimerais bien visiter. Pour moi, c'est la ville où Barzaï a été grand-prêtre. Mais j'ai vu dans les médias qu'il y a des problèmes là-bas...
— Certes, mais ils sont moins graves qu'ils ne l'étaient à la fin de la guerre civile. L'argent des cybersophontes a permis de résoudre le problème du logement. On peut se loger à Ulthar même si on a un petit salaire. D'autre part, avec les Jardins Prianta, les seuls à être au chômage sont des gens qui sont incapables de travailler, soit parce qu'ils sont handicapés, et dans ce cas ils touchent une pension, soit parce qu'ils sont caractériels ou atteints de troubles du comportement, tels que l'incapacité à contrôler leur violence ou leurs addictions. Ceux-là pourrissent la vie des habitants, mais les juges hésitent à les exiler à Lazné, sachant qu'ils n'en reviendront jamais.
— Donc, une minorité de voyous est responsable de tous les problèmes d'Ulthar ?
— Jusqu'à un certain point, patronne, parce que les juges finissent quand même par prononcer des peines d'exil, mais seulement quand le délinquant a déjà été condamné une vingtaine de fois. Il y a aussi des gens qui sont capables de travailler, et qui travaillent effectivement, mais qui sont sales et vulgaires. Le genre de personnes qui importunent les femmes dans la rue et qui ne ratent jamais une occasion de frauder, s'ils sont sûrs de ne pas se faire prendre. Ce qu'ils font n'est pas assez grave pour qu'on les exile à Lazné, mais c'est tout de même très déplaisant.
— Tous les pays un peu prospères sont confrontés à ce problème, mon Remo. Les gens se ramollissent quand la vie est facile, ils perdent la dureté de leurs ancêtres vis-à-vis des chenapans. Même les juges. Peut-être même surtout les juges, parce qu'ils passent une bonne partie de leur vie dans les abstractions juridiques, ça les coupe du réel. Mais revenons à Ulthar. C'est une ville située au centre du pays, sur une rivière navigable, elle devrait être prospère, non ?
— Elle devrait... mais toute l'industrie a été robotisée. Il n'y a plus d'usines à Ulthar, les gens travaillent dans l'administration, le commerce, ou les Jardins Prianta.
— Mon Remo, les jobs de jardiniers dans les Jardins Prianta, ce n'est qu'une apparence de jobs, c'est la version mnarésienne de la charité publique ! En Occident on donne aux gens qui n'ont plus de ressources quelques centaines de dollars ou d'euros par mois pour qu'ils puissent manger tous les jours. Au Mnar on en fait autant, mais en faisant travailler les assistés quarante heures par semaine pour pouvoir mieux les dominer ! Ce qu'ils font dans les Jardins Prianta c'est utile, mais ça ne sera jamais rentable. La vérité, c'est qu'Ulthar est une ville ruinée, à qui les cybersophontes donnent une aumône pour qu'elle ne s'effondre pas. Et en échange de cette aumône, il lui demandent d'accepter tous les cas sociaux qu'Hyltendale décide de lui envoyer.
Remo ne répondit pas. Ce que disait Gidrel était vrai, tout le monde le savait.
Gidrel avait fini son thé. « Viens » dit-elle à Remo, « Allons faire un tour du côté des boutiques. »
Elle se leva en laissant quelques pièces de monnaie sur la table, le montant de sa consommation et de celle de Remo, en tenant compte de la réduction de 80%.
Dans la galerie marchande, le regard de Gidrel fut attiré par un écran de télévision géant, suspendu en hauteur, sur lequel les informations locales et nationales tournaient en boucle.
Il était mentionné toutes les deux minutes que dans la ville de Khem des employés des Jardins Prianta avaient sorti sans autorisation des pommes de terre transgéniques, non encore testées, pour les manger en famille. Deux personnes étaient mortes, et six autres étaient à l'hôpital, gravement intoxiquées.
« C'est un problème fréquent avec les expérimentations génétiques » dit Remo. « On change quelques gènes, et un légume comestible devient un poison, on ne sait pas pourquoi. Mais souvent l'industrie pharmaceutique peut en tirer quelque chose d'utile. Ces employés ont été idiots, ils le savaient pourtant, qu'il faut toujours tester les nouvelles variétés sur des animaux avant de les manger. Les tests sont longs, ils prennent des années car ils sont faits sur plusieurs générations de souris. Pour finir, avant de commercialiser les aliments transgéniques, on les donne aux cantines des prisons, ou à Lazné, c'est le test ultime. Mais ces idiots-là, en plus d'être malhonnêtes, n'ont pas voulu attendre. »
« J'espère qu'ils n'ont pas volé aussi des graines » murmura Gidrel. Puis elle décida d'aller acheter des fruits frais avant de rentrer déjeuner. Remo, tirant le sac à roulettes encore vide qu'ils avaient emmené au Café Adonis, la suivit à l'intérieur du supermarché.
Il était bien approvisionné, notamment en fruits et légumes frais et de belle apparence, probablement issus de variétés transgéniques testées avec succès par les Jardins Prianta. Les cybersophontes contrôlent tout au Mnar, et ils s'arrangent pour que les aliments fassent un trajet aussi court que possible entre le lieu de production et les magasins où ils sont vendus. Les prix sont toujours inférieurs à ceux des commerçants indépendants, ce qui a quasiment fait disparaître ces derniers des zones urbaines.
D'habitude, Gidrel se faisait livrer chez elle ses achats alimentaires. Connaissant les dangers qu'impliquent les monopoles, les cybersophontes ont créé plusieurs chaînes de supermarchés, qui se font une concurrence pas trop méchante mais bien réelle, qui les incite à copier ce qui se fait à l'étranger, notamment les livraisons à domicile.
Le Mnar n'a pas d'équivalent de la société de vente en ligne Amazon, mais on peut y faire ses achats par Internet auprès des différentes sociétés commerciales et se les faire envoyer par service postal. Ce qui peut poser un problème. Comment être sûr de ne pas se faire arnaquer par une société inexistante ? Les Mnarésiens ont trouvé une solution, c'est la centrale d'achat Kawanton qui prend le risque à votre place, moyennant bien sûr un petit pourcentage.
Si Kawanton a un doute, elle vous proposera un produit équivalent vendu par une autre société, qu'elle connaît. L'inconvénient de ce système, c'est qu'un commerçant qui se retrouve sur la liste noire de Kawanton a de grandes chances de faire faillite. Est-il besoin de préciser que Kawanton appartient à un cyberlord ?
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 25 Juil 2024 - 20:06
Vilko a écrit:
— (...) Mais revenons à Ulthar. C'est une ville située au centre du pays, sur une rivière navigable, elle devrait être prospère, non ?
— Elle devrait... mais toute l'industrie a été robotisée. Il n'y a plus d'usines à Ulthar, les gens travaillent dans l'administration, le commerce, ou les Jardins Prianta.
Et pourtant, la robotique n'est pas une industrie en cul-de-sac : les robots, d'une part, ne sont pas éternels, ils s'usent, il faut les reconditionner, voire les remplacer par d'autres plus performants, créer et fabriquer, en amopnt des robots, des interfaces permettant de les commander, et en aval des outils utilisables uniquement par des roobots, quelle que soit la forme de ces derniers (humanoïdes, quadrupèdes, arachniforme et j'en passe), ce qui permettrait à une ville comme Ulthar d'être une technopole dont Hyltendale pourrait avoir besoin.
J'ai lu la suite, mais en ce qui concerne Kawanton, j'espère qu'il y a des garde-fous juridiques pour empêcher toute décision arbitraire (qu'un exploitant agricole ou un commerçant soit sur la liste noire seulement parce qu'il eut le malheur de déplaire au cyberlord qui dirige cette grande centrale). Laquelle serait plus sûre si de véritables robots ont "leur mot à dire", sachant qu'il n'ont pas d'âme (ça peut être un avantage).
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 25 Juil 2024 - 20:55
Anoev a écrit:
Et pourtant, la robotique n'est pas une industrie en cul-de-sac : les robots, d'une part, ne sont pas éternels, ils s'usent, il faut les reconditionner, voire les remplacer par d'autres plus performants, créer et fabriquer, en amont des robots, des interfaces permettant de les commander, et en aval des outils utilisables uniquement par des robots, quelle que soit la forme de ces derniers (humanoïdes, quadrupèdes, arachniforme et j'en passe), ce qui permettrait à une ville comme Ulthar d'être une technopole dont Hyltendale pourrait avoir besoin.
Bien sûr, mais les cyberlords préfèrent, quand c'est possible, installer les usines robotisées à distance raisonnable des humains, pour des raisons de sécurité : ils se souviennent de la guerre civile. C'est pour des raisons semblables que Louis XIV, qui avait vu de près, étant enfant, la violence de la foule parisienne pendant la Fronde, a quitté le Louvre et s'est installé à Versailles dès qu'il a pu.
Anoev a écrit:
en ce qui concerne Kawanton, j'espère qu'il y a des garde-fous juridiques pour empêcher toute décision arbitraire (qu'un exploitant agricole ou un commerçant soit sur la liste noire seulement parce qu'il eut le malheur de déplaire au cyberlord qui dirige cette grande centrale). Laquelle serait plus sûre si de véritables robots ont "leur mot à dire", sachant qu'il n'ont pas d'âme (ça peut être un avantage).
Non, il n'y a pas ce genre de garde-fous juridiques au Mnar ! Toutefois, les dirigeants de Kawanton laissent planer la menace de la liste noire mais l'utilisent rarement, et la plupart du temps de façon temporaire. C'est la même logique que YouTube : les démonétisations et bannissements doivent être rares et très mesurés, et toujours justifiés, sinon les créateurs de vidéos (pour YouTube) et les sites commerçants (pour Kawanton) iront voir ailleurs... Kawanton n'a pas de monopole, et ses dirigeants savent qu'Amazon n'attend que la fin des sanctions américaines (qui risquent de durer longtemps, mais c'est une autre histoire) pour s'installer au Mnar.
Les très grosses sociétés mnarésiennes, comme par exemple les centres commerciaux Odanda, ont des sites de vente par Internet très sécurisés et n'ont pas vraiment besoin de Kawanton. Il ne serait pas difficile à Odanda de créer une filiale concurrente de Kawanton s'il estimait que ce serait une affaire rentable. Cela oblige Kawanton à offrir un service à la fois fiable, politiquement neutre, et peu coûteux (leur marge bénéficiaire est faible).
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 7 Aoû 2024 - 19:14
MIMÉTISME
L'être humain est mimétique. Depuis qu'elle vivait avec l'androïde Remo, Gidrel sentait une dualité dans son identité, elle se sentait à la fois moschteinienne et hyltendalienne. Non pas mnarésienne, mais hyltendalienne, parce que Hyltendale est la seule ville, avec Kibikep, où l'on peut vivre avec un humanoïde domestique.
Hyltendale est une ville cosmopolite, alors qu'il est interdit aux étrangers de s'installer dans le reste du Mnar, sauf Kibikep et Céléphaïs. Avant même d'être la capitale, c'est la ville des robophiles, ces humains qui cohabitent avec des humanoïdes. Les robophiles sont souvent étrangers. Beaucoup, comme Mers Fengwel, ne parlent même pas le mnarruc. Hyltendale est la capitale du Mnar, mais elle en est très différente, presque comme s'il s'agissait de deux pays distincts.
À Hyltendale, même les robophiles étrangers qui ne parlent pas le mnarruc essaient de ne pas ressembler à des touristes. Alors ils s'habillent à la manière locale, c'est-à-dire comme les Occidentaux dans les films américains. Costume sombre et chemise à col ouvert pour les homme (la cravate, c'est seulement en hiver), tailleur-pantalon ou veste et jupe longue pour les femmes.
Dans le supermarché, Gidrel entendait des Mnarésiens discuter entre eux, dans le mnarruc familier que parlent au quotidien les habitants des autres villes mnarésiennes. Ils ne se soucient guère de la syntaxe, ni de la pureté du vocabulaire. Gidrel, en linguiste qu'elle était, parlait comme Remo, un mnarruc plutôt simple mais correct, d'où toute vulgarité était bannie. Par mimétisme. Le même mnarruc que celui des bulletins d'information à la radio. Elle était ainsi sûre d'être toujours comprise. Remo avait une voix d'humanoïde, précise, mais un peu lente et monotone, avec peu d'inflexions, à l'inverse de beaucoup de Mnarésiens, qui parlent vite et en articulant à peine.
Gidrel se rendait compte qu'elle était devenue dépendante de Remo. Il était son seul ami. Mers Fengwel n'était qu'une connaissance. Elle le trouvait même un peu déplaisant, à cause de toutes les malhonnêtetés qu'il avait commises lorsqu'il avait été député fédéral au Moschtein.
Remo, en revanche, était un véritable ami pour Gidrel. Il était non seulement un confident, mais aussi un amant. En plus d'être, en premier lieu, un serviteur parfaitement soumis. Certes, Remo était censé ne pas avoir d'opinions personnelles, mais il était comme une encyclopédie. Ce qui est écrit dans une encyclopédie est présenté comme factuel, mais l'objectivité parfaite est impossible, l'intellectuelle qu'était Gidrel le savait bien.
Il y avait aussi le reste, dont on n'est pas nécessairement conscient. Un humanoïde ne perd jamais son sang-froid. Gidrel s'y était si bien habituée, elle dont le manque de tact était proverbial, que depuis quelques temps elle stressait lorsqu'elle devait parler à un humain. Ce phénomène s'était accentué depuis qu'elle avait pris sa retraite anticipée et avait donc moins d'occasions de discuter avec des gens.
Elle se disait souvent qu'elle n'était plus vraiment moschteinienne mais qu'elle ne serait jamais mnarésienne. Elle était donc de nulle part, mais ce nulle part était un lieu, c'était Hyltendale. Déjà, dans les Temps Légendaires, les narrateurs disaient que le port de Dylath-Leen, sur les ruines duquel Hyltendale a été bâtie, était visité par des marins venus de tous les pays du monde, et même de pays qui ne sont pas de ce monde.
On n'est jamais vraiment de nulle part. On parle nécessairement une langue, et aucune langue n'est totalement distincte du peuple qui l'a créée. Ce peuple peut être composé d'une seule personne, pour ceux, fort rares, dont l'espéranto est la langue principale. Aucune langue n'est neutre, ses premiers locuteurs avaient, nécessairement, une vision du monde, basée sur une religion, plus rarement sur une idéologie. L'espéranto, spar exemple, est indissociable de l'idéologie pacifiste et universaliste de son créateur. Un espérantophone n'est pas forcé d'adhérer à cette idéologie, mais il se définit par rapport à elle.
L'être humain est un animal tribal et terrorial, il lui faut une communauté, un territoire. Les robophiles hyltendaliens forment une communauté et Hyltendale est leur territoire. Ils ont une langue commune, le mnarruc. Même si beaucoup de robophiles étrangers le parlent mal, c'est quand même leur langue. Ils ont aussi une idéologie, voire une culture, et la philosophe qu'était Gidrel, en plus d'être linguiste et bien d'autres choses encore, essayait de la définir.
Dans la religion grecque, Héphaïstos, le dieu du feu, est le créateur de Talos, le premier robot à forme humaine, et donc l'ancêtre mythique des humanoïdes comme Remo. Pygmalion peut de même être considéré comme le premier robophile, et Galatée, la statue de marbre sculptée par Pygmalion, et à laquelle la déesse Aphrodite, la Vénus des Romains, donna la vie, faisant d'elle la première gynoïde.
Héphaïstos, Talos, Pygmalion, Galatée, Aphrodite, sont seulement des symboles, comme la statue de la Liberté dans le port de New-York, ou Marianne en France. Mais qu'est-ce qu'un symbole, si ce n'est une image sur laquelle on peut méditer ? On n'est pas loin de la religion.
Au Mnar, la mythologie grecque n'est connue que depuis l'arrivée des Européens. L'ancêtre mythique des robots humanoïdes, pour les Mnarésiens, c'est Tsathoggua, un dieu-crapaud à fourrure noire qui vit sous terre. On n'est plus dans la joyeuse mythologie grecque, issue d'un pays ensoleillé où poussent la vigne et l'olivier, mais plutôt dans les délires maléfiques des chamanes drogués du Plateau de Leng. Il est écrit dans les Manuscrits Pnakotiques que le culte de Tsathoggua est réservé aux sorciers. Gidrel n'avait donc, dans sa maisonnette de Dankwold, que quelques objets que l'on trouve souvent chez les robophiles :
Une statuette d'Héphaïstos, le dieu difforme et barbu, une autre de Talos, robot de métal, muni d'ailes et tenant dans sa main une pierre qu'il est sur le point de lancer, et une troisième de Tsathoggua, en métal noir. Une reproduction d'un tableau représentant Pygmalion et Galatée, par Jean-Baptiste Regnault, et une autre de La Naissance de Vénus de Botticelli. Ces symboles, pour beaucoup de robophiles, sont aussi puissants et révérés que la statue de la Liberté pour les Américains.
Mais même avec ces symboles, on n'est pas encore dans une religion. Toutefois, à Hyltendale, la majorité des gens, quelle que soit leur origine, adhèrent au concept mnarésien selon lequel lorsqu'on meurt la pensée et les souvenirs disparaissent, et la matière et l'énergie dont est fait le corps retournent à l'univers, qui n'a ni commencement ni fin. L'univers est régi par Azathoth, le dieu aveugle et idiot qui réside au centre de l'univers. La mort n'est ni à craindre ni à espérer, seule la transition est douloureuse.
Cette conception du monde est considérée comme évidente au Mnar. On la retrouve dans la littérature, et même dans les dialogues du seul livre que quasiment tous les robophiles possèdent : Masques et Situations, un recueil de scénarios pour jeux de rôles, à jouer entre un robophile et son humanoïde. Ces scénarios sont éducatifs (le robophile et l'humanoïde jouent alternativement l'étudiant et le professeur, le vendeur et l'acheteur, etc) et aussi érotiques. On y lit des choses telles que :
Yeronim regarda le tableau accroché au mur. C'était une représentation d'Azathoth. « Vous ne croyez donc pas à la survie de l'âme ? » demanda-t-il. « Non » répondit la jolie dame en se déshabillant. « Lorsque notre cerveau est détruit, tout ce qu'il contenait est détruit lui aussi. »
Les Mnarésiens sont un mélange de Gnophkehs velus, venus des régions périarctiques, et de Polynésiens venus du Sud. Les Polynésiens, dit-on, fument des herbes qui les rendent joyeux quand ils sont tristes. Les Gnophkehs fumaient des herbes qui les rendaient désespérés lorsqu'ils étaient tristes, afin d'avoir le courage de se suicider. Cette histoire est une plaisanterie (le taux de suicide des Mnarésiens, dans toutes les régions, n'est pas plus élevé qu'ailleurs) mais il y a toujours une vérité bien cachée derrière une plaisanterie.
Un robophile amoureux de la gynoïde ou de l'androïde avec lequel il cohabite finit par devenir, plus ou moins rapidement, un partisan des humanoïdes et donc des cyberlords, envers qui les humanoïdes sont d'une fidélité absolue. La reine Modesta, qui est au sommet de la hiérarchie des cyberlords, devient, sinon sa reine, du moins un personnage qu'il respecte. C'est par ce chemin détourné qu'on en arrive à la morale, inséparable de la religion.
Les Mnarésiens ont une morale civique. Elle s'applique aux citoyens, mais aussi aux résidents étrangers que sont souvent les robophiles. Elle n'est pas très compliquée et tout comme l'existence d'Azathoth elle est considérée comme allant de soi, notamment dans Masques et Situations. Être un partisan des humanoïdes signifie aussi être un partisan des cyberlords, et donc respecter la monarchie mnarésienne, et les lois, coutumes et traditions du Mnar. Tout cela constitue une morale civique.
Si un robophile se comporte vraiment très mal, la société Rimohelf qui lui loue son humanoïde mettra fin au contrat de location, et il se retrouvera seul. C'est un sort aussi cruel que le bannissement dans la Rome antique, car beaucoup de robophiles n'ont que leur humanoïde domestique pour satisfaire leurs besoins d'affection, de sexe et de conversation.
Tout en marchant à côté de Remo dans les allées du supermarché, Gidrel se sentit satisfaite : elle avait enfin compris, pensait-elle, de quoi se compose l'identité des robophiles. L'histoire d'Hyltendale est la leur, la reine du Mnar est leur reine, ils ont une morale et l'équivalent d'une religion. Ils ont une langue commune, le mnarruc, et un ancêtre mythique commun, Pygmalion.
Les humanoïdes sont, dans un certain sens, les gardiens de la morale civique. Ils ne traversent pas en dehors des passages pour piétons, et ils dénonceraient leur maître s'ils le surprenaient en train de voler à l'étalage. Après, toutefois, lui avoir fermement demandé de remettre en place la marchandise dérobée. Ils ne mentent jamais, et si leur maître leur ment, ils le lui font remarquer immédiatement.
Gidrel trouva au rayon bibelots un tableau représentant la reine Modesta parlant au peuple, un micro à la main, et un autre représentant le dieu Azathoth, masse informe posée sur un trône noir flottant au milieu de l'univers., avec, autour de lui, des nains hideux jouant de la flûte et du tambour.
Elle décida d'acheter le tableau représentant Azathoth. Quant à la reine Modesta, Gidrel l'avait vue plusieurs fois en chair et en os, et celui lui suffisait. Elle réfléchit. Dans sa chambre à coucher, elle avait déjà une reproduction du tableau du Regnault et une autre de celui de Botticelli. Cela faisait beaucoup de chair féminine dénudée. Azathoth sur son trône noir, ce serait un rappel qu'il n'y a pas que l'amour dans la vie. Sur une console ,dans sa salle de séjour, elle avait une statuette d'Héphaïstos, une autre de Tsathoggua et une troisième de Talos. Les deux dieux étaient laids et le robot de métal était menaçant, mais ils étaient un contrepoint nécessaire à la beauté de Galatée et de Vénus. Le monde n'est pas fait que de beauté et d'amour, loin de là.
De son côté, Remo, qui connaissait les goûts alimentaires de sa maîtresse, avait choisi un assortiment de fruits et quelques légumes. Au moment de passer à la caisse, Gidrel se dit que les robophiles comme elle avaient certes l'équivalent complet d'une religion, mais quid des rituels ? Une religion a toujours des rituels ! Comme souvent, sa vaste culture lui donna la réponse.
Le poète latin Ovide raconte, dans le livre dix des Métamorphoses, comment Vénus assiste au mariage de Pygmalion et de Galatée. Ce mariage, c'est tout simplement leur accouplement. C'est pourquoi, chaque fois qu'un robophile s'accouple avec une gynoïde, ou qu'une robophile s'accouple avec un androïde, le mariage de Pygmalion et Galatée se trouve ainsi à la fois célébré et renouvelé, plusieurs milliers d'années après la naissance du mythe.
Par le simple fait de vivre avec sa gynoïde, le robophile fait de celle-ci et de lui-même un couple. Il entre ainsi dans la communauté des robophiles, avec tout ce que cela implique. Les hormones du bonheur, que son corps sécrète pendant l'accouplement, créent une addiction. Il devient addict à la gynoïde, ce qui le poussera à considérer Hyltendale comme sa vraie patrie. Comme disaient les Romains, ubi bene, ubi patria. La patrie c'est là où on est bien.
Bien évidemment la plupart des robophiles n'ont rien à faire du mythe de Pygmalion et Galatée, dont la plupart n'ont appris l'existence qu'en lisant Masques et Situations. Certains robophiles, pour des raisons diverses, n'ont pas de rapports sexuels avec leur humanoïde domestique. La cohabitation suffit toutefois à en faire un couple.
L'être humain a besoin du sacré. Les robophiles, aussi cyniques soient-ils, ne font pas exception. Le sacré, pour eux, c'est généralement un tableau représentant Pygmalion et Galatée. Voire un exemplaire de Masques et Situations, dont ils lisent et relisent les scénarios.
Pourtant, Masques et Situations est un livre profane, dont la lecture ne convient pas aux enfants. Il contient des fiches de personnages, et des scénarios pour des jeux de rôles dont plus de la moitié sont coquins. De nouveaux scénarios et personnages sont créés sans cesse, si bien que le livre comprend désormais un nombre respectable de tomes, mais beaucoup de robophiles se contentent du premier. Il est déconseillé de le lire dans les transports en commun ou dans une salle d'attente, à moins de le recouvrir d'une couverture neutre, comme a fait Gidrel.
Anoev Modérateur
Messages : 37610 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Y a quand même une différence essentielle entre les robots humanoïdes et Galatée, c'est que dans le mythe, c'est Pygmalion lui-même qui sculpte la statue, alors que les fembotniks & manbotchiks louent une entité qui n'est pas de leur fait et qui obéit, en fait, à un organisme extérieur (la Rûche). Dans Pygmalion et Galatée, Pygmalion est le concepteur (père artistique)* de Galatée, et son époux, une fois qu'Aqbrodit a donné vie (comment ? comment ?) à ladite statue.
*J'ose quand même espérer que Pygmalion n'a rien oublié quand il a sculpté Galatée, ce qui est hélas, le cas de pas mal de sculpteurs, dont Falconnet ; parce qu'alors, pour concevoir Paqbos et Matamé, c'aurait été non seulement difficile, mais franchement impossible.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 13 Aoû 2024 - 15:18
CHEZ LE DENTISTE
Ce matin-là, Gidrel avait rendez-vous chez le dentiste. Comme elle s'y attendait, le dentiste était une gynoïde, prénommée Kynthia.Elle travaillait avec un dentiste androïde prénommé Alatos et un secrétaire, un androïde nommé Ohtar. Kynthia soignait les femmes, et Alatos les hommes. Au Mnar, la technologie la plus avancée qui soit, celle qui permet de fabriquer des robots humanoïdes, cohabite avec des coutumes qui seraient considérées comme archaïques dans d'autres pays. Gidrel s'y était habituée. En public, Remo, son petit androïde, à peine plus grand qu'un enfant, jouait le rôle de son gardien masculin. Il lui permettait d'entrer là où les femmes non accompagnées d'un homme ne sont pas acceptées, tels que les bars où l'on vend de l'alcool et les hôtels.
Plusieurs années plus tôt, lors de son arrivée à Céléphaïs, la capitale de la province d'Ooth-Nargaï, au sud-est du Mnar, Gidrel avait loué une chambre d'hôtel pour une nuit, près de l'aéroport international. L'université où elle avait trouvé un poste de professeur avait réservé pour elle un appartement en centre ville, mais il n'était pas encore disponible. L'hôtelier avait accepté son argent (elle avait payé en dollars US) et ne lui avait rien dit, mais à six heures du matin elle avait été réveillée par deux policiers en uniforme. Ils lui avaient expliqué qu'ils étaient venus vérifier qu'elle dormait bien seule dans sa chambre.
Si ce n'avait pas été le cas, lui avaient-ils dit, elle aurait été arrêtée pour prostitution, et l'hôtelier aurait été arrêté pour proxénétisme. Gidrel lui ayant été recommandée par l'Université de Céléphaïs, l'hôtelier avait accepté de la prendre comme cliente, mais par précaution il avait prévenu la police. Au Mnar, la loyauté est une vertu d'autant plus prisée qu'elle est rare.
Les deux policiers avaient l'air sympathiques, bien que leur travail ne le fût guère, et Gidrel, seulement vêtue de sa nuisette transparente, avait discuté avec eux pendant de longues minutes. Elle parlait encore assez mal le mnarruc, mais cela n'avait pas semblé les rebuter.
Les policiers savaient fort bien que ce qu'ils faisaient aurait été considéré comme absurde en dehors du Mnar et de certains pays islamiques, mais les amendes que payaient les couples non mariés qu'ils surprenaient au lit rapportaient beaucoup d'argent à la province. Ils ne le lui dirent pas, mais Gidrel apprit plus tard que certains hôteliers versaient illégalement de l'argent à la police pour éviter ce genre de visite, et bien souvent les couples surpris en flagrant délit d'adultère préféraient donner quelques (gros) billets aux policiers pour éviter le scandale d'une arrestation publique.
La prostitution a toujours été endémique à Céléphaïs, et les visites de la police dans les hôtels n'y ont jamais rien changé. Certains esprits chagrins pensent même qu'elles sont une des causes de la corruption notoire des policiers céléphaïens.
« Bienvenue au Mnar, Gidrel Vitoch ! » s'était dit Gidrel après le départ des policiers. Elle avait déjà beaucoup voyagé et il lui était déjà arrivé un certain nombre d'aventures et de mésaventures, il en fallait plus que ça pour la déstabiliser.
Gidrel connaissait l'histoire récente du Mnar. Pendant la guerre civile qui a ensanglanté le règne du roi Andreas, la moitié des médecins et des soignants mnarésiens ont fui le pays. Il n'y en avait déjà peu par rapport à la population, le Mnar étant un pays encore sous-développé.
Les cybersophontes ont remédié à leur façon à cet état de choses. Des médecins, dentistes et infirmiers humanoïdes, fraîchement sortis des usines de Serranian, se sont installés un peu partout. Efficaces, disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et surtout offrant leurs services à des tarifs imbattables. En peu de temps le problème du manque de médecins a été résolu, au point que ceux d'entre eux qui étaient restés au Mnar, par patriotisme ou parce qu'ils soutenaient la monarchie, se sont retrouvés sans emploi. Certains se sont reconvertis dans d'autres secteurs d'activité, d'autres ont émigré, soit à Baharna et en Cathurie, deux pays où l'on parle des dialectes proches du mnarruc, soit plus loin : États-Unis, Canada et Mexique à l'Est, Hawaiï au Sud, et même, dans l'hémisphère sud, Australie et Aneuf.
Le district de Roddetaik, à Hyltendale, est l'endroit où sont concentrés les hôpitaux de la province. Les soins médicaux y sont de très haut niveau pour un prix abordable, même pour les étrangers, et une véritable industrie du tourisme médical s'y est développée. Les seuls médecins humains qu'on y trouve sont des Américains et des Japonais, grassement payés pour enseigner leur spécialité aux humanoïdes mnarésiens.
Gidrel s'installa avec Remo dans la salle d'attente des dentistes humanoïdes Kynthia et Alatos. C'était une pièce assez vaste, aux murs blancs. Elle était ornée d'arbustes plantés dans des pots et meublée de chaises bon marché et d'une grande table basse sur laquelle étaient étalés des magazines et des bandes dessinées.
La moitié des patients qui attendaient leur tour étaient des Mnarésiens venus de Sarnath, récemment installés à Dankwold. Ils étaient reconnaissables à leur physique assez particulier, mélange de Polynésiens apparentés aux Hawaiiens et de Gnophkehs trapus, dépigmentés et très poilus, originaires des zones périarctiques. Les hommes parlaient fort, dans le dialecte plébéien de l'ancienne capitale, et les femmes, aux formes plantureuses, contrôlaient comme elles pouvaient leurs enfants braillards tout en discutant entre elles.
L'autre moitié des patients était composée de robophiles, venus avec leurs humanoïdes domestiques. Certains, comme Gidrel, étaient des étrangers de type européen, mais il y avait aussi plusieurs Asiatiques. Tous parlaient le mnarruc académique des humanoïdes, avec des accents divers. Pour ne pas se faire remarquer, les humanoïdes faisaient semblant de lire les petits livres que l'on appelle livres de modestie. Un humanoïde ne doit pas croiser le regard d'un humain, telle est la règle.
Les deux groupes, les Mnarésiens et les robophiles étrangers, ne se parlaient pas. Ils étaient séparés d'une part par de profondes différences de culture, de revenus et de mode de vie, et d'autre part par le dialecte. Pour un Mnarésien des classes populaires, ce que lui dit son dentiste humanoïde est l'équivalent de « Or ça, messire, d'où vient que cette dent est dolente ? » pour un francophone. On comprend, mais ça fait un peu bizarre.
Il y a une raison à cela. Lorsqu'il y a près d'un siècle un groupe de savants mnarésiens a créé les humanoïdes, ils leur ont donné un logiciel linguistique qui n'a pas changé depuis, et qui même alors reflétait non pas la langue effectivement parlée, mais celle que les savants considéraient comme étant la “belle” langue, celle de la littérature officielle, avec la prononciation des acteurs du Théâtre Royal. Le fait que quasiment personne ne parlait de cette façon au quotidien n'était pas considéré comme gênant, puisque c'était la norme enseignée dans les écoles depuis que le grand-prêtre Barzaï avait donné une forme écrite au mnarruc.
Le logiciel linguistique des hubots n'a été que très peu modifié depuis, et uniquement sur le plan lexical, si bien qu'alors qu'autrefois seuls les présentateurs du journal télévisé et les ministres parlaient la langue académique, les humanoïdes ont fait entrer celle-ci dans l'usage quotidien, particulièrement chez les robophiles d'origine étrangère comme Gidrel.
Même le roi Andreas parlait en privé un mnarruc presque dialectal, mais il prenait garde à “bien parler” en public et lorsqu'il donnait une interview. Au début de son règne, sa fille Modesta était moins prudente, et elle choquait parfois son auditoire par une certaine vulgarité de langage. Comme disait le bon peuple : « On dirait qu'ça lui écorcherait la gueule de jacter correctement ! »
La gynoïde-dentiste Kynthia portait une blouse blanche et un masque-cagoule représentant un visage de type Gnophkeh, aux cheveux gris coupés courts (pour donner l'illusion de l'âge?) et à la peau totalement débarrassée de ses poils superflus.
La dentiste disposait d'un bon matériel et elle connaissait son métier. Lorsqu'elle habitait au Moschtein, Gidrel payait une mutuelle, assez chère, et la qualité des soins dentaires n'était pas nécessairement au top. Le haut niveau des soins médicaux au Mnar vient du fait que les cybersophontes y produisent la richesse. Ils en distribuent une partie au peuple, notamment par le biais du système de santé.
De même, sous l'Empire Romain, la classe dirigeante accumulait des richesses démesurées, produires par des millions d'esclaves, et en redistribuait une partie au peuple sous forme de donations de nourriture et de divertissements publics. Panem et circenses, disait-on alors.
Au Mnar, le système s'est perfectionné. La plèbe romaine était largement issue de petits paysans et d'artisans ruinés par la main-d'œuvre gratuite constituée par les multitudes d'esclaves ramenés des guerres de conquête. Les soldats romains, fils de paysans, avaient sans le savoir travaillé à leur propre apauvrissement. Les empereurs, dans leur grande générosité, nourrissaient cette plèbe sans lui demander de travailler. Les cyberlords, mieux organisés, demandent aux Mnarésiens de travailler dans les Jardins Prianta en échange d'un salaire. Peu importe que le travail ne soit absolument pas rentable, il permet de contrôler un peuple devenu inutile.
Il va de soi que cette analyse est considérée comme subversive au Mnar, et Gidrel le savait bien. Les salariés des Jardins Prianta sont fiers de leur travail, qui permet d'améliorer la production agricole en créant de nouvelles espèces végétales, par exemple du riz qui pousse dans l'eau salée. Les Mnarésiens qui vont aux États-Unis sont stupéfaits de voir que les soins de santé y sont très chers, au point que beaucoup d'Américains doivent choisir entre se nourrir et se soigner. Les mêmes États-Unis sont pleins de clochards drogués et sans domicile fixe, ce qui est rarissime au Mnar. Non pas que la solution trouvée (les exiler à Lazné, dans les steppes nordiques, pour parasitisme) soit nécessairement meilleure, mais elle fait réellement disparaître le problème.
En revanche, les Américains peuvent faire des études supérieures, certes payantes, et pour lesquelles ils s'endettent parfois à vie, mais qui ont le mérite d'exister. Au Mnar, la disparition des études médicales a été suivie par toutes les autres études universitaires, comme on pouvait s'y attendre. Les ingénieurs ont été avantageusement remplacés par des humanoïdes. Seuls subsistent des enseignants formés en deux ans dans des instituts spécialisés. Cela ne veut pas dire que les qualités intellectuelles ne soient pas reconnues. On commence par aide-jardinier dans les Jardins Prianta, et on finit chef-jardinier ou analyste de laboratoire, voire, ce qui est quant même assez rare, chef de centre.
Parallèlement aux Jardins Prianta, il existe l'Institut Edonyl, où l'on forme des traducteurs, dans toutes les langues du monde. La quantité de textes à traduire étant illimitée, l'Institut Edonyl, qui a des agences un peu partout, peut procurer un emploi à chaque Mnarésien parlant vraiment bien une langue étrangère. Certes, des cybermachines peuvent traduire des textes mieux qu'un être humain ne peut le faire, mais la logique de l'Institut Edonyl est qu'une traduction est un exercice de style dans lequel s'exprime le génie humain.
Gidrel enviait les Mnarésiens qui se faisaient embaucher par l'Institut Edonyl. La paye n'était pas mirobolante, loin s'en faut, mais ils travaillaient au frais l'été, au chaud l'hiver, à peaufiner des traductions en prenant tout leur temps. Les traducteurs de l'Institut Edonyl font valoir que leur travail a permis d'assouplir et d'enrichir le mnarruc, en traduisant dans cette langue les œuvres majeures de la littérature mondiale et presque tous les textes scientifiques et techniques. L'Institut Edonyl fait aussi des doublages de films et des adaptations de chansons.
Pendant que Kynthia lui passait la roulette dans la bouche, Gidrel pensait aux Mnarésiens qu'elle avait vus dans la salle d'attente. Ils avaient tous un emploi qui leur permettait de manger à leur faim et de se loger ; leurs vêtements étaient d'assez bonne qualité. À part la classe supérieure, qui n'était pas représentée dans la salle d'attente de Kynthia et Alatos, ils étaient peu cultivés, mais ils avaient reçu une éducation primaire ou secondaire de bon niveau. Les cyberlords et les cybermachines, qui contrôlaient leur vie, étaient presque des abstractions pour eux, ils en rencontraient rarement dans leur vie quotidienne.
Les humanoïdes, c'était autre chose. Lorsqu'ils allaient à la campagne ils en voyaient, de loin, travaillant dans les champs. Dans les centres commerciaux, les caissiers, les serveurs dans les cafés, les coiffeurs, étaient tous des humanoïdes. S'ils faisaient venir un électricien ou un plombier chez eux, c'était toujours un humanoïde qui se présentait. Compétent, stylé, et parlant le mnarruc littéraire. Mais les élus du district étaient des humains. Les ministres que l'on entendait pérorer à la télévision, la reine elle-même, tous des humains. « Les humanoïdes sont nos esclaves » était une phrase que l'on entendait souvent.
Gidrel savait bien que certains hommes allaient régulièrement à Zodonie passer une heure d'amour tarifé avec une gynoïde vénale, pour se rassurer. Je la possède pour une poignée de billets, je lui fais faire des choses dégoûtantes que ma femme refuserait de faire, je l'humilie, donc je suis supérieur à elle, telle était leur logique. Pauvres crétins, se disait Gidrel, dont la vie sentimentale n'avait été qu'une longue suite d'échecs. Ils ne font qu'enrichir les cyberlords chaque fois qu'ils dépensent leur argent dans un hôtel de passe, et le pire c'est qu'ils en sont contents.
Mais aussitôt, elle ne pouvait s'empêcher de se poser la question : Et Remo ? Je paye mille ducats par mois pour l'avoir avec moi jour et nuit. Non, ce n'est pas la même chose, se disait-elle. Remo est mon serviteur. Ce que je fais avec lui, c'est pour lui montrer mon affection. Je l'aime, mon Remo.
Au Mnar, la prostitution est interdite aux humains, mais les humanoïdes n'étant pas des humains, il est tout-à-fait légal de payer les services sexuels d'une gynoïde. La chambre étant louée par l'homme (qui paye en espèces et inscrit le nom qu'il veut sur le registre) la police n'est pas autorisée à intervenir. Le tourisme sexuel est une source importante de revenus pour la ville d'Hyltendale, il serait donc très mal vu que la police s'en mêlât.
Kynthia travaillait vite et bien. Gidrel retourna dans la salle d'attente. Remo était là, en train de lire son livre de modestie. Il referma son livre et se leva, attendant les ordres, en voyant sa maîtresse.
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Anoev Modérateur
Messages : 37610 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 13 Aoû 2024 - 17:48
L'ambiance dans la salle d'attente du cabinet dentaire est bien rendue.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 15 Aoû 2024 - 16:30
JUS DE CRÂNE
Cela faisait plusieurs jours déjà que Remo parlait à Gidrel de l'Institut Edonyl, pendant leurs conversations quotidiennes. Gidrel savait que Remo n'était capable de parler de choses intéressantes que parce qu'il était en contact radio permanent, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique, avec la cybermachine qui le contrôlait à distance. Lorsque Remo parlait de l'Institut Edonyl, ce n'était pas par hasard.
Gidrel, qui s'ennuyait un peu depuis qu'elle avait pris sa retraite anticipée, finit par envoyer, sur les suggestions de Remo, un mail au service du recrutement de l'Institut Edonyl. La réponse fut rapide, le chef de l'agence de Dankwold, un nommé Sam Anambo, lui proposa un rendez-vous dans ses locaux. Elle s'y rendit en cyclocar. Comme toujours, c'était Remo qui pédalait pour faire avancer le véhicule.
L'agence de Dankwold de l'Institut Edonyl était un petit bâtiment de béton blanc, à deux étages, avec un toit plat engazonné, suivant la coutume locale. Aux alentours, des jardins potagers entourés de grilles. Remo gara le cyclocar sur un parking public et suivit Gidrel à l'intérieur du bâtiment.
Sam Anambo reçut Gidrel dans son bureau. C'était un Mnarésien, trapu et velu comme un Gnophkeh, dont il avait aussi les traits grossiers, mais au visage basané comme un Polynésien. Il était vêtu d'un costume marron et d'une chemise jaune à col ouvert.
Après les amabilités d'usage, il expliqua à Gidrel ce qu'il attendait d'elle :
— L'Institut Edonyl, comme vous le savez sans doute, madame Vitoch, est l'une des plus grandes entreprises du Mnar. Au niveau des effectifs nous sommes le deuxième employeur du pays, derrière les Jardins Prianta. Nous avons des agences partout. Grâce à nous, les Mnarésiens peuvent lire en mnarruc, leur langue maternelle, gratuitement sur Internet, ou à prix réduit sous format papier, l'essentiel de ce qui a été écrit dans toutes les langues du monde, depuis les romans bon marché jusqu'aux manuels de physique quantique.
Nos traducteurs ont fait du mnarruc une langue encyclopédique, dans laquelle on peut tout exprimer. Nous avons même créé un argot synthétique pour traduire certains auteurs étrangers, de romans policiers notamment, et pour le doublage de films. L'autre jour j'ai remarqué avec satisfaction que certains de nos jeunes compatriotes ont adopté cet argot, pour se donner un genre j'imagine.
— Oui, le nouvel argot à la mode chez les jeunes... J'ai remarqué aussi...
— N'est-ce pas ? Mais vu votre parcours professionnel tout-à-fait remarquable, ce n'est pas comme traductrice que j'ai besoin de vous. Un peu de thé, madame Vitoch ?
— Volontiers.
Anambo sortit deux tasses blanches d'un placard et y versa le contenu d'une théière électrique.
« C'est du thé noir de Baharna » dit-il à Gidrel. « Voulez-vous du sucre blanc, ou du miel peut-être ? J'ai aussi de la menthe et du jus de citron. »
— Nature, pour moi, s'il vous plaît.
— Vous avez bien raison... Pour en revenir au sujet qui nous occupe, l'objectif du conseil d'administration de l'Institut Edonyl est d'en faire une institution de prestige international. C'est bien de faire des traductions, mais c'est mieux d'avoir une production originale. Nous avons déjà quelques philosophes de bon niveau, quelques mathématiciens aussi. Nous produisons un jus de crâne de très bonne qualité...
— Pardon ?
— Oui, vous avez bien entendu, du jus de crâne... Le cerveau humain, n'est-ce pas, produit de la pensée comme le foie produit de la bile, ou comme la bouche produit de la salive. C'est purement physiologique. La pensée, c'est du jus produit par ce que nous avons dans nos crânes. Je veux que ce qui sort de mon agence soit le top du top en matière de jus.
« Ce n'est pas l'idée que je me fais du travail intellectuel » dit sèchement Gidrel.
Anambo regarda Gidrel d'un air moqueur, et elle eut l'impression fugace qu'il allait lui répondre « Je m'en fous. » Toutefois, il se reprit :
— Madame Vitoch, j'ai lu vos livres et ils m'ont très favorablement impressionné. Chez nous, vous serez payée pour en sortir au moins un par an, entre cent cinquante et mille pages, sur le sujet qui vous plaira. Tout ce que nous vous demanderons, ce sera de les écrire directement en mnarruc, c'est important pour nous, et de les faire publier par l'Institut Edonyl, en précisant bien que vous êtes l'une des chercheuses de l'Institut.
— Donc, vous me proposez un poste de chercheuse. Ça m'intéresse... Mais je veux d'abord savoir combien vous offrez. Je suis une universitaire de haut niveau, je ne brade pas mon talent. Combien me proposez-vous ?
S'ensuivit une discussion assez âpre, Anambo s'obstinant à proposer un salaire à peine supérieur à celui d'un jardinier mnarésien débutant, une insulte pour Gidrel. Ils finirent par se mettre d'accord sur un compromis. Gidrel ne serait pas payée au mois, mais pour chaque livre publié.
Mais ce n'était pas fini. « Et mes droits d'auteur ? » demanda Gidrel.
— Vous les conservez. En échange de votre salaire, vous donnez à l'Institut le droit de publier un de vos livres chaque année, en laissant à l'Institut les bénéfices éventuels. Mais rien ne vous empêche de publier ailleurs les mêmes livres si vous le désirez. Notre objectif n'est pas de faire de l'argent, mais de promouvoir la langue mnarruc.
Gidrel était satisfaite. Sans aucune exception, tous les livres qu'elle avait écrits dans le passé s'étaient très mal vendus, elle y avait même laissé une partie de ses économies, étant obligée de les publier à compte d'auteur. Le peu d'argent que lui offrait l'Institut Edonyl, c'était toujours ça de gagné.
Anambo passa un quart d'heure à rédiger sur son ordinateur et à imprimer un contrat de travail, qu'ils signèrent tous les deux. Gidrel s'engagea à faire parvenir par mail à l'Institut un relevé d'identité bancaire.
Avant qu'ils se séparent, Anambo dit à Gidrel :
— Vous travaillerez chez vous, vous l'avez bien compris. Ceci étant, vous pourrez aussi travailler chez nous si vous le préférez. Venez, je vais vous montrer le scriptorium.
Le scriptorium était une grande salle où une trentaine d'hommes et de femmes, dont certains avaient un casque audio sur la tête, travaillaient sur des ordinateurs, autour d'une demi-douzaine de tables carrées. Gidrel et Anambo passèrent ensuite dans la cafétéria, où trois hommes et deux femmes discutaient debout autour de petites tables hautes, devant une rangée de distributeurs automatiques.
« Ça a l'air sympa, ici » dit Gidrel.
— N'est-ce pas ? Et vous n'avez pas encore vu le reste de nos locaux, avec nos archives, des salles entières, mais cela viendra en son temps. J'ai du travail, et malheureusement je ne peux pas vous consacrer plus de temps aujourd'hui. Ce couloir mène à la sortie. À bientôt, madame Vitoch.
— À bientôt, monsieur Anambo.
Gidrel sortit de l'agence et se dirigea vers le parking où Remo l'attendait. Le bonheur la submergeait. Il faisait beau. Dankwold, avec ses bâtiments de deux ou trois étages à toit plat engazonnés et ses parcs boisés, lui parut magnifique.
Elle entra dans le cyclocar, s'assit sur la banquette. Devant elle, Remo se tenait droit sur la selle. « À la maison, mon chéri » dit-elle de sa voix la plus douce.
Il y a des journées parfaites. Celle-là en était une, et Gidrel avait bien l'intention d'en savourer chaque instant, à la façon des philosophes antiques. Carpe diem, comme disaient les Romains.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 15 Aoû 2024 - 17:55
Vilko a écrit:
Carpe diem, comme disaient les Romains.
Livent æq tupev (vis chaque instant) ou bien choredet æq tuψ (profite de chaque instant) comme ont repris les Aneuviens. La différence du cas de déclinaison est due aux verbes, d'utilisation différente.
Tu nous as pas dit ce que ça donnait en mnaruc. J'ai donc osé un (petit) hors-sujet.
La production des ordinateurs est-elle considérée comme du jus d'octets ?
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 15 Aoû 2024 - 19:57
Anoev a écrit:
La production des ordinateurs est-elle considérée comme du jus d'octets ?
Ce qui fait fonctionner les ordinateurs est déjà du "jus" (nom que l'on donne couramment à l'électricité).
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Sujet: Gynoïde Sam 31 Aoû 2024 - 12:16
Tiens, j'ai vu ça dans le Wiktio, et, évidemment, j'ai tout de suite pensé à ta diégèse, même si Fritz Lang t'avait devancé un peu su c'coup-là*, même si Maria aurait pas vraiment pu faire illusion à Zodonie (aspect trop "métallique").
Là où j'ai un peu tiqué, c'est, à propos de la première définition et de celle de l'adjectif, c'est au niveau des antonymes, notamment "gynandre", utilisant les même éléments que "androgyne", mais inversés. Pourtant, le sens n'a rien à voir !
Bref, pour la construction des mots, du moins en français, y a quelque chose qui ne "colle pas".
Dans "gynoïde", y a γυνή (♀) et εἶδος (apparence), mais rien de spécifie dans le mot lui-même que ça puisse être un homme : ça peut tout aussi bien être un robot (cf mon début d'inter).
De même, dans "gynandre", y a le même préfixe, et ἀνδρός (homme ♂), mais comme j'ai dit plus haut, il y a les mêmes éléments grecs que dans "androïde" (qui devrait être l'exact antonyme de "gynoïde", à savoir : apparence masculine, or dans la définition donnée par le Wiktio, rien ne laisse transparaître une apparence masculine, c'est "anthropoïde" qui aurait mieux marché, pour l'apparence humaine, mais, là encore...).
Comment tu tu te sors de cette incongruité francophone en mnaruc (pour rester dans le sujet du fil). Moi, j'ai d'jà quelques idées, déjà concrètes, que j'exposerai dans le fil "genres et sexes").
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La journée commençait bien pour Gidrel. Elle avait acheté la veille un sac de compost au centre commercial Odanda. Le sac n'était pas bien grand, il contenait juste ce qu'il fallait pour faire un lit de rosiers le long de la clôture qui séparait la maisonnette de Gidrel de celle de ses voisins.
Gidrel aimait les roses. Sa mère, au Moschtein, en cultivait dans le jardin et en mettait dans des pots sur les rebords de fenêtres. Gidrel avait décidé de prendre sa retraite au Mnar, mais parfois la nostalgie de son pays natal la submergeait. Faire pousser des roses, c'était une façon de retrouver un peu de son enfance et de son adolescence.
Elle avait envoyé Remo, le petit androïde, faire les courses au supermarché. La plupart des robophiles, ces humains qui vivent avec des robots humanoïdes, confient ce genre de mission à leurs androïdes et gynoïdes, sauf lorsqu'ils ont une raison précise d'aller faire des achats. À Hyltendale on voit parfois autant d'humanoïdes que d'êtres humains dans les centres commerciaux.
Le sac de compost venait sans doute de Lazné, dans les steppes du nord-est. Lazné est une ville pénitentiaire, un lieu de déportation dont bien peu reviennent. Une vérité soigneusement occultée par la presse mnarésienne est que les cadavres des prisonniers servent à faire du compost. Au début ce n'était qu'une légende, une théorie complotiste, mais des scientifiques aneuviens avaient analysé du compost mnarésien et trouvé de l'ADN humain dedans. Plus précisément, dans de minuscules fragments d'os qui étaient visiblement passés au broyeur.
La presse internationale s'en était bien sûr indignée. Gidrel, qui parlait sept langues et avait donc accès à des sources d'information plus variées que la plupart des Mnarésiens, avait ainsi appris avec quoi le compost mnarésien bon marché était fait. Elle trouvait cette indignation bien exagérée. La justice mnarésienne envoie à Lazné les criminels récidivistes et les parasites irrécupérables. Que ces gens-là finissent par mourir, c'est le lot commun de l'humanité. Ils avaient nui à la société toute leur vie ; une fois morts, ils pouvaient bien se racheter en fertilisant le sol mnarésien.
Elle en était là de ses pensées lorsque son téléphone portable sonna. Elle enleva l'un de ses gros gants de jardinage pour prendre l'appareil dans une poche de sa blouse. C'était Anambo, le directeur de l'agence locale de l'Institut Edonyl, pour laquelle Gidrel s'était engagée, contre paiement, à écrire un livre par an.
« J'ai besoin de vous tout de suite » dit Anambo. « Est-ce que vous pouvez passer maintenant ? »
Vu le ton de sa voix, il étaità la fois embarrassé et tendu. Il était toujours comme ça lorsqu'il n'arrivait pas à résoudre un problème, ce qui était fréquent. « Vous pouvez m'en dire plus ? » demanda Gidrel.
— C'est trop compliqué par téléphone. Venez tout de suite.
— Mon androïde est allé faire les courses avec le cyclocar. Il va revenir dans une demi-heure, je pense. En l'attendant, je vais prendre une douche et m'habiller. Je peux être dans votre bureau dans une heure. Ça vous va ?
— D'accord, mais ne tardez pas.
Il raccrocha. Gidrel connaissait les manies d'Anambo, notamment sa répugnance à parler au téléphone. Il préférait toujours que les discussions aient lieu dans son bureau, où il se sentait le plus fort. Crétin de nain Gnophkeh complexé, disait de lui Gidrel derrière son dos.
Un peu après dix heures, Gidrel entra dans le bureau d'Anambo. Il était son patron, après tout. Comme d'habitude, Remo était resté dans le cyclocar, sur le parking.
Anambo était assis derrière sa table de travail, l'air renfrogné. Il n'était pas seul. Deux androïdes Twaz, de presque deux mètres de haut, étaient là, debout. Costume noir, chemise blanche, cravate noire étroite. Presque un uniforme. Les androïdes Twaz sont souvent des agents du pouvoir royal, leur haute stature étant supposée intimider les humains. Il était impensable que des créatures de ce genre travaillent pour l'Institut Edonyl.
L'un des androïdes se présenta :
— Bonjour madame Vitoch. Je m'appelle Hallerzah, je travaille pour le Palais Royal. Vous devinez sans doute la raison de ma présence ici ?
— Non, non, pas du tout...
— Kraginart... Vous connaissez ce nom, n'est-ce pas ?
L'humanoïde avait parlé lentement, d'une voix précise. Gidrel tenta de nier : « Non, absolument pas... »
Elle se sentit défaillir. Le lieutenant Kraginart était son officier traitant. Ou plutôt, il l'avait été, lorsque Gidrel travaillait pour les services secrets moschteiniens, avant de prendre sa retraite. Elle s'assit sur une chaise, sans y avoir été invitée, de peur de s'évanouir.
— Mais si, madame Vitoch, vous connaissez Kraginart, lieutenant dans les services secrets moschteiniens. Vous êtes une espionne moschteinienne. Vous savez aussi ce que nous faisons aux espions, n'est-ce pas ? C'est franchement affreux, j'en conviens, mais la sécurité du Mnar passe avant tout.
Gidrel se prit la tête dans les mains et se mit à pleurer. C'était trop bête, sa vie ne pouvait pas se terminer comme ça, aussi bêtement, alors qu'elle avait rompu tout contact avec Kraginart depuis des années... Elle hocha la tête, incapable de parler.
— Nous savons tout, madame Vitoch. Presque depuis le début, en fait. Vous avez de la chance, la reine vous pardonne vos crimes passés. L'espionnage est un crime, savez-vous. Mais votre crime d'espionnage est pardonné par la reine. À une condition...
— Laquelle ?
— Vous devez, dès maintenant, porter en permanence une paire de lunettes spéciales. Des cyberlunettes. Nous les avons amenées pour vous... Monsieur Anambo va vous montrer les siennes.
Gidrel remarqua alors qu'Anambo portait des lunettes, ce qui n'était pas le cas auparavant. Des lunettes assez hideuses, à grosse monture noire. Il se leva de son bureau et en fit le tour. Arrivé devant Gidrel, il lui dit pompeusement :
— Oui, depuis quelques jours j'ai des cyberlunettes. Elles me permettent de faire bien des choses, en échange de ma fidélité absolue envers la reine. Mais vous allez vous en rendre compte par vous-même. Hallerzah ?
L'androïde sortit une petite boîte blanche, rectangulaire, d'une poche de son costume et l'ouvrit. Elle contenait une paire de lunettes identiques à celles d'Anambo. Se rapprochant de Gidrel, Hallerzah lui expliqua :
— Vous voyez, Gidrel, entre les verres des lunettes, au-dessus du nez, c'est l'œil cybernétique. Il perçoit aussi les vibrations sonores, il est donc à la fois œil et oreille. Il se ferme automatiquement lorsque les lunettes ne sont plus sur le nez de leur possesseur. Au bout de cette branche, c'est le haut-parleur à conduction osseuse. Au bout de l'autre branche, vous avez un orifice, recouvert d'un opercule étanche, c'est là que vous brancherez le câble électrique que vous voyez au fond de la boîte. Les cyberlunettes sont un robot avec un cerveau de gaz pensant liquéfié. Ce cerveau cybernétique, c'est un centimètre cube de gaz pensant, étiré en longueur. Chaque molécule est l'équivalent d'une cellule d'un cerveau humain. L'intelligence des cyberlunettes est donc égale à celle d'un humain. Vous me suivez ?
— Oui. Continuez.
— Toutes les cyberlunettes portent un nom. Comme vous êtes une femme, les vôtres ont un nom et une voix d'homme. Il s'appelle Tillicum. Vous vous en souviendrez ?
— Oui. Tillicum.
— Bien. Pour communiquer avec Tillicum, vous lui parlez, ou bien vous écrivez quelque chose. Tillicum entend ce que vous entendez et il voit ce que vous voyez. Il est en communication radio permanente avec l'intelligence collective des cybermachines. Lorsque vous portez les cyberlunettes, tout ce que vous voyez et entendez est codé et transmis à l'intelligence collective. En contrepartie, l'intelligence collective vous aidera de son mieux. Est-ce clair ?
— Oui, j'ai bien compris. J'enlèverai les cyberlunettes pour dormir et quand j'irai aux toilettes, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
« L'œil cybernétique se ferme automatiquement lorsque les lunettes ne sont pas portées. Vous verrez que les avantages qu'apportent les cyberlunettes dépassent largement les inconvénients » répondit Hallerzah. Il tendit les cyberlunettes à Gidrel, qui les mit à la place de ses lunettes de vue.
« Je vois que vous avez bien fait les choses, vous et vos semblables. Les verres de ces cyberlunettes sont adaptés à ma vue » dit-elle à l'androïde.
— Oui, avant de faire quelque chose, nous réfléchissons, nous faisons des simulations. Ainsi nous nous trompons rarement.
Gidrel entendit une voix masculine résonner à travers son crâne :
— Bonjour Gidrel Vitoch. Je suis Tillicum, un robot pensant. Je suis là pour te servir, mais aussi pour servir la reine. Je vois ce que tu vois, j'entends ce que tu entends, et je te parle sans que personne ne puisse nous entendre.
Gidrel connaissait vaguement le principe de la conduction osseuse. Les sons sont transmis jusqu'au cerveau à travers les os, sans passer par le tympan. Certains écouteurs fonctionnent selon ce principe.
Hallerzah donna à Gidrel la boîte contenant le câble électrique. Elle la prit machinalement et la mit dans son sac à main.
« Un peu de thé, madame Vitoch ? » demanda Anambo. « Je crois que vous en avez besoin ! »
Gidrel hocha la tête, les émotions des dernières minutes avaient été si violentes qu'elle n'arrivait plus à parler. Pendant qu'Anambo préparait le thé, elle resta assise, essayant de mettre un peu d'ordre dans ses idées. Une sonnerie cristalline résonna dans son crâne, et elle entendit la voix de Tillicum :
— Gidrel, sais-tu que je peux fonctionner comme un téléphone sans fil ? Tu me dis quel numéro tu veux joindre, et je l'appelle ! J'ai aussi un numéro de téléphone pour qu'on puisse t'appeler en passant par moi... Les appels passent par le standard de la société Antopa, à laquelle je suis relié par radio. C'est gratuit ! Si tu veux noter le numéro...
— On verra plus tard... S'il te plaît, pas tout de suite...
Elle ferma les yeux et elle dut somnoler sur sa chaise car lorsqu'elle sortit de sa torpeur elle sentit l'odeur du thé chaud. Les deux androïdes Twaz avaient disparu. Anambo la regardait, un grand sourire sur son visage rond et velu, couleur cannelle.
« Madame Vitoch, je suis content de voir que tout s'est plutôt bien passé » dit-il. « Vous êtes des nôtres, maintenant. Je ne vous reproche pas d'avoir trahi le Mnar, vous êtes moschteinienne, et vous n'aviez sans doute pas le choix. Naturellement, votre coopération avec l'Institut Edonyl continue. Ce jour est le plus beau de votre vie, et je vais vous le prouver. Vous savez lire l'aneuvien ? »
— Non.
— Grâce à Tillicum, vous le pouvez. Et je vais vous le prouver. Prenez ce livre, il est écrit en aneuvien. Ouvrez-le à n'importe quelle page... Mettez un doigt au début d'un paragraphe... Tillicum, traduction !
Gidrel fit ce que disait Anambo. Elle entendit alors dans son crâne la voix de Tillicum :
Les trajets en traction thermique sur le Nob (puis ANB-Nob) furent limités pendant les années suivant l'électrification de la ligne du Nobenkost et de celle de Selne, à des distances assez courtes. Un certain nombre de "railbus" restèrent en service jusqu'à la limite d'usure, mais il fallait penser à du matériel plus sérieux : à bogies et plus puissant, des lignes comme celle de l'Hatua ou de Lanporen à Traxis n'étant pas particulièrement planes.
— Eh bien ça, c'est extraordinaire ! Monsieur Anambo, Tillicum connaît l'aneuvien ? Et combien d'autres langues ?
— Plus précisément, c'est l'intelligence collective des cybermachines qui connaît toutes les langues du monde. Vous préférez votre thé sans lait ni sucre, si j'ai bonne mémoire ?
— Oui, nature, et très chaud. En échange de tous ces services que Tillicum peut me rendre, qu'est-ce que je dois faire ?
— Ah ah, je vous sens inquiète... Rien de spécial, soyez tranquille. Vous êtes désormais comme moi, un agent de Sa Majesté la Reine. Un peu plus qu'un sujet, si vous voyez ce que je veux dire. Une intellectuelle de votre niveau, il fallait absolument la recruter. Et vu vos errement passés, vous ne pouviez pas refuser. Vous ferez de bon cœur ce que Mers Fengwel et d'autres font pour de l'argent.
— Il n'a pas encore de cyberlunettes, celui-là ?
— Il paraît qu'il ne les mérite pas.
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Les semaines suivantes furent assez tranquilles pour Gidrel. Elle travaillait un peu tous les jours sur son prochain livre. Tillicum, l'intelligence artificielle enfermée dans ses cyberlunettes, ne prenait jamais l'initiative de lui parler, si bien qu'elle finissait par oublier son existence.
La seule différence notable avec sa vie d'avant, c'était que, contrairement à l'androïde Remo, Tillicum pouvait incarner des personnages féminins, en changeant de voix. Il devenait ainsi Krista, la confidente, quand Gidrel le désirait. Gidrel s'était attachée à Remo, mais elle ressentait le besoin d'avoir aussi une amie féminine.
Gidrel avait besoin de donner un visage à Krista. Une voix désincarnée ne suffisait pas. Gidrel finit par se résoudre à utiliser sur Internet un générateur aléatoire de visages, jusqu'à ce qu'elle en trouve un qui lui convenait. Elle le téléchargea, l'imprima, et le fit encadrer. Elle pouvait ainsi poser le portrait ainsi obtenu sur une table, et avoir de longues conversations avec Krista, ou plutôt avec la cybermachine distante qui jouait le rôle de Krista et avec laquelle Tillicum était connecté par radio.
Elle organisait parfois des repas à quatre, avec Remo, le portrait de Krista, et celui d'un personnage masculin, en général Brad, le journaliste-baroudeur bien connu des lecteurs de Masques et Situations. On trouvait des portraits de Brad un peu partout, Gidrel en avait acheté un au centre commercial Odanda.
Pendant ces repas, Gidrel était assise devant son assiette. Remo faisait le service, tout en faisant semblant de boire de l'eau dans un bol. Des assiettes vides étaient posées devant les portraits de Krista et de Brad. Les conversations étaient toujours intéressantes, la cybermachine distante qui parlait par la bouche de Remo et à la place de Krista et de Brad étant d'une intelligence et d'une érudition bien supérieures à celles d'un être humain.
Gidrel s'aperçut rapidement que les contacts avec des humains biologiques, les “vraies” personnes, l'intéressaient de moins en moins. Remo, Brad, Barzaï le sage, Krista et Tillicum lui suffisaient comme compagnie. Ensemble ils constituaient un groupe de six personnes, dont quatre purement virtuelles, mais seule Gidrel comptait dans les statistiques, les robots humanoïdes étant comptés à part de la population humaine.
Posséder le pouvoir active les zones cérébrales liéees au plaisir et à la désinhibition. C'est pour ça qu'il est agréable d'être chef. Avoir un humanoïde domestique, c'est avoir du pouvoir, sur un seul être. Lorsque l'humanoïde domestique incarne plusieurs personnes, c'est comme d'avoir du pouvoir sur plusieurs personnes, mais on n'en rencontre qu'une seule à la fois. Et quand on a des cyberlunettes, on peut faire comme si on se trouvait avec plusieurs personnes à la fois.
Le plaisr d'être chef, même de façon virtuelle, est addictif. Gidrel le voyait bien, elle qui avait été solitaire toute sa vie, sans véritable amie, et dont la vie sentimentale avec été une suite d'échecs humiliants. Remo était amoureux d'elle parce qu'il était programmé pour ça, mais c'était quand même de l'amour. Un amour inconditionnel, limité seulement par les termes du contrat de location de l'humanoïde. Le seul problème était que Remo était tout petit. Pour ne pas prendre l'ascendant sur elle, paraît-il. Rien n'est parfait en ce monde...
Gidrel se demandait avec anxiété si cette vie si heureuse et facile n'allait pas la ramollir. Elle avait vu sa propre réaction dans le bureau d'Anambo. La peur de la mort l'avait fait s'effondrer en un instant, comme une chiffe molle. Et c'était avant qu'elle n'ait Tillicum, elle n'avait encore que Remo à l'époque. Elle avait le sentiment de ne plus pouvoir se passer de ses conversations scintillantes avec Brad, Barzaï et Krista. Et comment pourrait-elle dormir sans avoir Remo à côté d'elle dans son lit ?
Elle décida de s'imposer des dimanches de solitude et de silence. Un moyen de savoir si l'on n'est pas alcoolique, paraît-il, c'est de voir si on peut rester facilement vingt-quatre heures sans boire d'alcool. Pour être sûre de ne pas être devenue accro à Remo, Tillicum et les autres, Gidrel passait chaque semaine un jour et une nuit dans la méditation et l'étude, avec des repas réduits au minimum. Il n'était pas question de compenser en se faisant plaisir par des sucreries et autres gourmandises.
Tous les robophiles ne le faisaient pas. Sûrement pas ce vieux débauché de Mers Fengwel, en tout cas. Elle le connaissait assez bien pour en être sûre.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 1 Oct 2024 - 15:44
GIDREL ACCEPTE DE DÉBATTRE
Les humanoïdes domestiques sont programmés pour dire la vérité à leur maître, et Remo était d'une franchise totale avec Gidrel :
— Maîtresse, il n'est pas bon qu'un être humain comme vous n'ait de conversations qu'avec des personnes virtuelles qui vous aiment bien, qui vous respectent et qui font attention à ne pas vous offenser. Comment feriez-vous avec quelqu'un qui ne vous aime pas et qui ne vous respecte pas ? Ce genre de choses arrive dans la vie réelle.
— Je ne les sais que trop. Mais on a déjà fait cent fois le sketch de l'étudiant et du professeur ! Je ne m'en sors pas mal du tout quand je joue le rôle de l'étudiante, non ?
— Maîtresse, ce sketch-là n'est pas suffisant pour s'entraîner à faire face aux vraies difficultés de la vie. Pourquoi ne pas faire Le Débat Télévisé ? Je jouerai le rôle de votre contradicteur, et ensuite on visionnera le débat.
— Pourquoi pas... Mais franchement, je n'aime pas trop cette idée. J'ai déjà fait un débat télévisé pour de vrai à la télévison moschteinienne, et ça s'est mal passé...
— Justement, c'est une raison de plus pour s'entraîner à ce genre de duel... L'art du débat est aussi une école de maîtrise de soi et d'agilité verbale, deux qualités fort utiles dans la vie courante. On le visionnera ensuite, et on fera un debriefing.
Gidrel acquiesça. Tout ce que voit et entend un humanoïde est enregistré dans son cerveau cybernétique et transmis à l'intelligence collective des cybermachines, mais pour éviter les piratages, tout est codé. De plus, avant même d'être codé, l'enregistrement prend la forme d'un dessin animé stylisé. Même si des hackers pouvaient casser le code, ils n'obtiendraient que des dessins.
Chaque robot humanoïde connaît deux codes , l'un dans lequel il envoie les paquets d'information à la cybermachine qui le contrôle à distance, et l'autre dans lequel il reçoit les paquets d'information que lui envoie la cybermachine. Ces codes sont des langues artificielles, des cryptolangues. Chaque humanoïde a donc deux cryptolangues personnelles. Il existe ainsi plusieurs millions de cryptolangues différentes pour tous les humanoïdes du Mnar, et seules les cybermachines les connaissent toutes. En pratique, chaque cybermachine distante connaît seulement les cryptolangues des humanoïdes qu'elle contrôle.
Ce que Remo proposait à Gidrel, c'était de transférer en clair sur un ordinateur ce qu'il aurait vu et entendu en débattant avec elle, afin que, en se voyant sur un écran, même sous la forme d'un dessin animé, elle puisse améliorer son style et corriger ses erreurs.
— D'accord, Remo, j'accepte de faire un débat... Je suppose que ce sera un débat difficile, face à un adversaire qui utilisera toutes les astuces et malhonnêtetés intellectuelles imaginables pour gagner ?
— Naturellement, sinon cela aurait peu d'intérêt. Tillicum sera le modérateur à l'esprit partisan, qu'on ne voit pas, mais qui intervient de temps en temps pour soutenir votre contradicteur.
— Eh bien, je vois qu'il va y avoir du sport ! Je tiens à préciser que je ne peux pas débattre sur n'importe quel sujet, je confesse mon ignorance dans de nombreux domaines. Je ne connais rien en sciences, par exemple.
— On trouvera bien un sujet de débat...
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 2 Oct 2024 - 15:23
REMO EST LE BONHEUR
Au début, les discussions filmées entre Gidrel et les différents personnages incarnés par l'androïde Remo étaient difficiles. Gidrel était parfois atterrée en se voyant sur l'écran de l'ordinateur, lorsque Remo lui faisait regarder la vidéo. Mais, de session en session, elle finit par améliorer ses prestations, à défaut de développer son empathie, ce qu'elle n'arriva jamais à faire.
La préparation de son prochain livre la maintenait derrière son ordinateur, et elle avait pris l'habitude d'envoyer Remo faire les courses tout seul. Ses seules sorties étaient désormais le Café Adonis, où elle allait plusieurs fois par semaine, parfois même un jour sur deux, et les longues promenades à pied avec Remo, soit dans la partie nord de Dankwold, où l'on voyait encore des fermes et des forêts, soit dans les deux districts au sud de Dankwold, Roddetaik où se trouvent les hôpitaux géants où des gens venus de partout viennent faire ce que les Hyltendaliens appellent du tourisme médical, et Playara avec ses plages et ses merveilleux restaurants et cafés au bord de la Mer du Sud.
Le Café Adonis, à Dankwold, est aussi un restaurant, et sa clientèle est composée presque exclusivement de robophiles accompagnés de leurs gynoïdes et androïdes domestiques. Il est rare de voir deux êtres humains assis à la même table. On va au Café Adonis pour regarder, discrètement, d'autres humains, pas pour leur parler. On se contente d'être parmi ses semblables, ce qui n'est pas la même chose qu'être avec eux .
Gidrel se rendait compte, avec effroi, qu'elle ne fréquentait plus aucun être humain. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas vu Mers Fengwel, et elle voyait le moins possible son patron, Anambo, le directeur de l'agence locale de l'Institut Edonyl, depuis l'incident pénible qui avait eu lieu dans son bureau. Les autres employés de l'agence étaient des Mnarésiens, avec lesquels elle ne supportait pas de discuter plus de quelques minutes lors des pots régulièrement organisés par Anambo.
Ces pots à l'Institut étaient organisés selon un rituel immuable. Anambo faisait un discours, et l'un de ses subordonnés en faisait un autre après lui. Il s'agissait généralement de s'auto-congratuler, pour Anambo, et de congratuler Anambo, pour son subordonné. Puis on passait aux boissons (variées et abondantes) et aux amuse-bouches, tout aussi variés et abondants, préparés par des collègues féminines dans la cuisine de l'Institut, ce que la féministe convaincue qu'était Gidrel trouvait scandaleusement rétrograde.
Gidrel limitait sa conversation à des réflexions sur la qualité de la nourriture, et partait dès qu'elle le pouvait. Ce n'était pas le cas de certains de ses collègues masculins, qui se laissaient aller à boire jusqu'à l'ivresse. Anambo, en bon Mnarésien qu'il était, considérait que plus le nombre d'invités roulant ivres morts sous les tables était élevé, plus le pot était réussi. Lui-même buvait beaucoup. À chaque fois il essayait de conserver sa dignité de directeur jusqu'à la fin, mais il n'y arrivait pas toujours.
Gidrel, en visitant sur Internet les forums de discussion des robophiles, se rendit compte que son cas n'était pas isolé. Beaucoup de robophile, peut-être même la plupart, vivaient heureux avec leur gynoïde ou leur androïde et les personnages vituels incarnés par ceux-ci, et ne fréquentaient plus guère les humains.
Linguiste de formation, Gidrel avait remarqué que les robophiles finissaient par parler le mnarruc des humanoïdes, avec sa prononciation surannée, son vocabulaire dont toute vulgarité était exclue et sa grammaire qui paraissait sortie d'un manuel scolaire.
Même Anambo, qui était marié et père de famille, ne parlait pas comme ça. Il aimait parsemer ses phrases de mots étrangers, pour montrer sa culture, mais aussi d'expressions typiques des quartiers populaires de Sarnath, dont il provenait, pour faire étalage de ses racines authentiquement mnarésiennes. C'était sa façon à lui de se démarquer des Hyltendaliens, que les “vrais” Mnarésiens considèrent, selon les cas, soit comme des compatriotes gravement contaminés par des idées et des coutumes étrangères, soit comme des étrangers, même s'ils sont de nationalité mnarésienne.
Venek, habituellement traduit par étranger, ne recouvre qu'imparfaitement la signification du mot en mnarruc. Les Mnarésiens le prononcent souvent en tordant légèrement la bouche, comme s'ils parlaient d'une maladie contagieuse. Le venek amène avec lui des idées dangereuses, c'est un corrupteur, un pervers. Gidrel, dont la blondeur révélait les origines, avait fini par s'y résigner. Sa profession de professeure d'université, autrice de plusieurs livres, lorsqu'elle vivait à Céléphaïs, et ensuite son statut de chercheuse à l'Institut Edonyl, depuis qu'elle s'était installée à Hyltendale, lui donnaient une position sociale qui compensait en partie le handicap d'être une yevenek, une étrangère.
Il y a le virtuel et il y a le réel, mais à la fin c'est toujours le réel qui gagne. À quoi bon s'inquiéter de ne plus fréqenter que des personnages virtuels, s'ils sont incarnés par mon androïde Remo, qui est bien réel, lui, se disait Gidrel. Elle se rendait compte, néanmoins, qu'elle était tombée totalement sous la coupe de Remo. Elle louait ses services pour échapper à la solitude, et effectivement elle ne souffrait plus de la solitude, mais elle était devenue dépendante, psychologiquement et intellectuellement, du petit humanoïde. Remo était son opium, sa drogue à mille ducats par mois.
D'après les médecins, la solitude raccourcit la vie de plusieurs années. Remo, tu es mon insuline, pensait Gidrel, le soir dans son lit, en étreignant le petit androïde. J'ai besoin de toi pour vivre. Tu n'es pas mon problème, tu es ma solution. Mon problème, c'est mon incapacité pathologique à aimer les gens et à me faire aimer. Toi tu m'aimes, parce que tu es programmé pour ça. Si Yog-Sothoth et Nath-Horthath le veulent bien, grâce à toi, ma vie sera longue et heureuse. Tu me donnes du bonheur. Que dis-je, tu es mon bonheur.
Il existe parfois des moments de bonheur sans nuages, ils peuvent même durer longtemps, mais ils ne sont jamais éternels. Gidrel savait qu'un jour les cybermachines, par l'intermédiaire de Remo ou de Tillicum, lui demanderaient de travailler pour elles, et ce travail risquait d'être aussi moralement répugnant que les crapuleries auxquelles se livraient avec enthousiasme Mers Fengwel, Yohannès Ken, et le jeune Hottod Wyrdentász, avant que ce dernier ne s'envole pour le Moschtein. Sans le savoir, Hottod avait sans doute sauvé son âme en fuyant le Mnar, même si c'était après avoir bien rempli son compte bancaire. En matière financière, il avait été formé à bonne école par Mers Fengwel et Yohannès Ken...
Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Sam 5 Oct 2024 - 14:02
GIDREL CHANGE DE MONTRE
C'était un matin pluvieux dans le district de Dankwold, au nord d'Hyltendale. Dans sa maisonnette préfabriquée, Gidrel en sweater bleu et jupe grise, s'était accordée une pause dans l'écriture de son prochain livre, une tentative d'archéologie linguistique audacieuse, puisqu'il ne s'agissait pas moins que d'essayer d'identifier, dans le mnarruc archaïque des Manuscrits Pnakotiques, les termes issus des langues, depuis longtemps disparues, parlées par les Gnophkehs, par opposition aux lexèmes empruntés aux langues polynésiennes, également disparues, des riverains de la Mer du Sud. Un travail gigantesque, mais qui ne faisait pas peur à Gidrel.
Les Gnophkehs, des Asiatiques archaïques, velus, dépigmentés et cannibales, venus des régions périarctiques, sont arrivés au Mnar en traversant les vastitudes glacées du Plateau de Leng. Au sud du Plateau ils ont rencontré des populations d'origine polynésienne, mais également cannibales, avec lesquelles ils ont fusionné, donnant naissance aux Mnarésiens actuels.
Le petit androïde Remo était vêtu de sa tenue habituelle, jeans et sweat-shirt gris à capuche. Il portait autour du cou le ruban jaune qui indiquait qu'il jouait le rôle de Petit Mari, Zeerikir en mnarruc.
Les personnages imaginaires, comme Petit Mari, joués par les humanoïdes domestiques, constituent un aspect important de la vie des robophiles, ces humains qui vivent avec des robots humanoïdes.
Un robot humanoïde n'a pas d'opinion, pas de volonté, c'est un ordinateur hyper-puissant qui n'a que l'apparence d'un être humain. Il ne sait qu'obéir, et lorsqu'il ne reçoit pas d'ordres, il reste tout simplement inerte, comme un ordinateur que l'on n'utilise pas. Toutefois, les humanoïdes mnarésiens savent incarner des personnages prédéfinis, comme Brad le journaliste-baroudeur, Perita la philosophe ou Petit Mari. Ces personnages prédéfinis ont une personnalité qui ressemble à celle des humains. Ils peuvent même contredire leur maître. Mais ils suffit d'un ordre de leur maître pour qu'ils redeviennent instantanément des robots sans personnalité.
Petit Mari se caractérise par sa libido toujours active, bien que sous contrôle, et sa franchise qui confine parfois au manque de tact. Il est non-religieux et apolitique, mais il a des opinions bien arrêtées sur certains sujets. Il est de culture mnarésienne, ce qui le ferait considérer ailleurs comme un traditionaliste modéré.
Gidrel s'assit sur le canapé, à côté de Petit Mari qui faisait semblant de lire un livre, activité normale des humanoïdes qui attendent le bon vouloir de leur maître. Il avait préparé deux tasses, posées sur la table basse. Une tasse de thé noir de Baharna pour Gidrel, et une autre, pleine d'eau, pour lui. Un robot humanoïde peut faire semblant d'absorber la nourriture des humains, mais il est d'usage de ne lui donner que de l'eau, car au Mnar il est immoral de gâcher des aliments.
Gidrel portait ses cyberlunettes dotées d'une intelligence artificielle, nommée Tillicum, qui l'aidait grandement dans son travail. Mais ne recevant pour le moment aucune instruction de sa maîtresse, Tillicum restait silencieux.
Gidrel avait à l'index de la main gauche une bague avec une grosse pierre ovale, rouge-orange, une cornaline... Un bijou délibérément voyant, qu'elle avait acheté des années auparavant, afin de laisser entendre à ses collègues de l'université de Céléphaïs qu'elle avait dans sa vie un homme qui l'aimait avec suffisamment de passion pour lui faire un cadeau de prix. Cela n'avait, hélas, jamais été vrai. Gidrel était une jolie femme, elle avait eu des aventures, mais son caractère exécrable avait fait fuir tous ses amants.
Elle portait au poignet une montre manrésienne bon marché, une Axona Pontifex à vingt ducats, en plastique noir. Gidrel l'avait choisie pour son excellent rapport qualité-prix. C'était une montre à quartz, plus précise qu'une montre mécanique valant cent fois plus cher, et très lisible avec son cadran blanc et ses aiguilles noires. Surtout, elle était fiable, comme toutes les montres Axona.
Petit Mari lui fit remarquer, avec la franchise qu'un mari doit à sa femme :
— Gidrel, tu as acheté de tes deniers la montre la moins chère que tu as pu trouver. On voit que tu ne connais pas les codes de la haute société mnarésienne. Chez les riches, surout à Hyltendale, une femme qui se respecte doit porter une montre qui reflète son statut social. Les Axona Pontifex, c'est pour les femmes de ménage qui ont trois enfants et pas de mari. Tu portes des cyberlunettes, tu es donc un agent royal, et en tant que telle tu va être amenée à rencontrer des gens importants. De quoi auras-tu l'air si tu portes la même montre que leur femme de chambre ?
— Et alors ? Aucun homme n'a eu l'idée de m'offrir une belle montre. Ils voulaient juste coucher avec moi pour le prix d'un café, et good bye lady. Je me suis faite avoir assez souvent. Les salauds, quand j'y pense... Ceux qui se croyaient amoureux de moins étaient tous des déjantés, dans un sens c'était pire. Avec tout ça, je n'allais pas en plus me ruiner pour avoir l'heure !
Elle détourna la tête, de peur que Remo / Petit Mari ne voie qu'elle était sur le point de pleurer.
« Mais moi je t'aime, ma chérie. Je peux aller acheter une montre pour toi, te faire un cadeau... » se hâta-t-il de dire.
— C'est ça, avec mon argent !
— Je suis programmé pour t'aimer, ma chérie. Considère cela comme des cadeaux réciproques : tu m'offres de l'argent parce que tu m'aimes, et je t'offre une montre parce que je t'aime aussi. N'oublie pas qu'il s'agit pour toi de ne pas avoir l'air ridicule en société. Les Mnarésiens ont l'œil vif et l'esprit malveillant. Ils verront bien que tu portes une montre de pauvresse, et ils riront derrière ton dos. C'est sans doute déjà le cas à l'Institut Edonyl...
— Normalement, une belle montre me serait offerte par un homme qui m'aime... Mais je n'ai pas d'homme qui m'aime ! Seulement toi, mais tu n'es qu'un robot haut comme trois pommes... Oh, je voudrais que tu sois un homme, un humain, qui m'aime assez pour me faire un cadeau... Une jolie montre, par exemple...
— Deux cents ducats permettent d'acheter une montre de belle apparence, mais pas trop. La plupart des Mnarésiennes de la classe moyenne-supérieure s'en contentent, elles n'ont aucune envie de créer de la jalousie. Regarde les montres que portent les femmes qui ont des situations sociales comparables à la tienne. Ce sont de belles montres, mais pas des Rolex en or ou serties de diamant. Elles restent dans la limite de quelques centaines de ducats. Plus cher, ce n'est pas l'usage pour une universitaire.
— Ouais... D'accord, on va faire comme ça, mon Petit Mari chéri. Des cadeaux réciproques de deux cents ducats... Tu me feras une surprise ! Je vais virer tout de suite deux cents ducats supplémentaires sur ta carte bancaire pour payer la surprise.
Comme la plupart des humanoïdes domestiques d'Hyltendale, Remo dispose d'une carte bancaire prépayée, à son nom mais reliée au compte de Gidrel. Cette carte est alimentée par des virements que fait Gidrel à partir de son ordinateur ou de son smartphone. Elle permet à Remo de faire des achats chez les commerçants et des retraits dans les distributeurs, dans la limite des montants déposés sur la carte. Remo l'utilise surtout pour faire les courses au supermarché local. Gidrel contrôle à la fois les montants qu'elle donne à Remo, et les achats qu'il fait puisqu'elle à accès, via ses relevés de compte, à la liste des achats effectués.
Elle reposa sa tasse de thé sur la table basse et avec son smartphone elle vira deux cents ducats sur la carte prépayée de Remo.
« Voila, c'est fait, deux cents ducats sur ta carte » dit-elle en finissant son thé. « Je retourne à mon ordi, il faut que je bosse. »
L'ordinateur de Gidrel était sur la grande table, qui servait aussi de table de salle à manger. Lorsqu'on vit dans trente mètres carrés, il faut savoir s'adapter. Dans la maisonnette, la salle à manger, le salon et la cuisine étaient une seule et même pièce, qui servait aussi de bureau à Gidrel.
Remo resta assis sur le canapé. Son cerveau cybernétique, via sa connexion radio à la cybermachine qui le contrôlait à distance, accéda au site Internet des montres Axona.
La société Axona est la seule à fabriquer des montres au Mnar. Les montres étrangères, comme Casio, Seiko, et même Rolex, y sont aussi disponibles, mais les différences de taux de change et les taxes à l'importation sont telles qu'elles y coûtent au moins le double de leur prix normal, ce qui les rend inaccessibles pour la plupart des Mnarésiens. Le roi Andreas portait une Axona, faite spécialement pour lui. La reine Modesta, pour qui l'argent n'est pas un problème et qui n'a jamais caché son attirance envers la culture occidentale, préfère les Rolex, par pur snobisme disent ses détracteurs.
La carte prépayée de Remo lui permettait de faire des achats par Internet, à condition d'être à proximité de Gidrel, car le code à six chiffres permettant la transaction arrivait sur le smartphone de celle-ci.
La cybermachine distante fit soigneusement son choix, à la place de Remo. Contrairement à celui-ci, elle disposait d'une vaste expérience des humains et d'une érudition sans limite. Lorsque Remo jouait Petit Mari, c'était généralement elle qui parlait par sa bouche.
La montre choisie par la cybermachine était disponible dans le magasin Vitopta, dans le district de City Center. Remo paya, depuis son cerveau cybernétique, avec l'accord de Gidrel, et demanda que la montre soit à sa disposition dans le magasin, avec un emballage cadeau.
« Chérie, la montre est à notre disposition chez Vitopta » dit Remo à Gidrel.
« C'est où, Vitopta ? » demanda Gidrel tout en pianotant sur le clavier de son ordinateur.
— À City Center. Une heure en bus, trois heures à pied. Une demi-heure en cyclocar, mais le stationnement coûte dix ducats.
—Vas -y tout seul, je n'ai pas que ça à faire. En plus, il pleut, je n'aime pas être mouillée.
— Tu veux que j'y aille maintenant ?
À Hyltendale les magasins sont ouverts toute la journée, et même parfois la nuit, car les humanoïdes qui y travaillent n'ont pas besoin de faire de pause.
— Non , cet après-midi. Je ne veux pas manger toute seule. En attendant, refais-moi une tasse de thé.
— Dis donc, je suis ton mari, pas ton domestique ! Moi aussi j'ai du travail à faire !
Gidrel se souvint que Petit Mari était mnarésien, pas moschteinien. La société mnarésienne traditionnelle est très patriarcale, et donc Petit Mari l'était aussi.
« Remo, enlève tout de suite ce ruban de ton cou, et redeviens mon serviteur ! » rugit-elle.
— Oui maîtresse...
L'androïde se leva et mit le ruban dans une poche de son jeans, puis il alla dans le coin-cuisine préparer une tasse de thé.
Gidrel resta songeuse. Ses anciennes copines de fac, au Moschtein, étaient mariées, pour la plupart. Elles avaient un Petit Mari en permanence avec elles, un être humain qui les dominait de sa taille et de sa force et qui avait souvent le dernier mot. Pour faire bonne mesure, elles les choisissaient presque toujours plus âgés et plus riches qu'elles. Quand Gidrel y réfléchissait, elle se disait que le seul avantage que ces dames avaient sur elle, c'était d'avoir des enfants.
Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Lun 7 Oct 2024 - 7:16
LE MAGASIN VITOPTA
L'après-midi, il pleuvait toujours, les nuages sombres poussés par les vents chauds venus de la Mer du Sud crevaient au dessus d'Hyltendale depuis le matin. Remo mit son ciré vert à capuche, son sac à cordon en bioplastique noir en bandoulière, et sortit de la maisonnette de Gidrel en direction de l'arrêt du bus n° 20, celui qui se dirige vers le sud-ouest pour relier Dankwold à Fotetur Tohu, le quartier du port.
Le bus était presque vide. Remo paya son trajet avec sa carte de transport électronique et traversa des kilomètres de rues identiques, bordées d'immeubles cubiques de béton gris. Il descendit à l'arrêt de la rue Biloxin, à Yarthen, pour prendre le bus n° 4 en direction de l'ouest, vers City Center.
Le bus n° 4 était un peu plus rempli que le bus n° 20. La moitié des passagers étaient des humanoïdes, comme Remo. La plupart des autres n'étaient pas des Mnarésiens, cela se voyait à leur aspect physique. Il se trouve qu'au Mnar seules trois villes sont accessibles aux étrangers : Hyltendale, la capitale du pays, Céléphaïs, le grand port du sud-est, dont les relations avec les Amériques datent du dix-neuvième siècle, et depuis peu Kibikep, au nord de Céléphaïs, une petite ville résidentielle dont l'ancienne population a disparu. La grande majorité des Mnarésiens n'ont jamais vu un étranger de leur vie, sauf à la télévision, et ils ont toujours un choc quand ils découvrent Hyltendale.
Remo arriva à sa destination, le magasin Vitopta, qui ne vendait que des montres, de toutes marques et à tous les prix. Dehors, il ne pleuvait plus vraiment, il ne tombait que de grosses gouttes éparses. La chaleur humide était oppressante pour les humains, si bien qu'il y avait dans la rue une majorité d'humanoïdes, indifférents à la météo et pour la plupart vêtus de cirés verts à capuche, comme Remo.
Sur la chaussée, on voyait assez peu de voitures à essence, mais davantage d'autobus et de camions électriques, et surtout un grand nombre de cyclocars, ces tricycles à pédales, protégés par une carrosserie légère et pouvant transporter un ou deux passagers. Ce sont toujours des humanoïdes qui pédalent, car seuls des robots disposent de la puissance nécessaire, même les plus petits comme Remo. La plupart des taxis d'Hyltendale sont des cyclocars, mais si vous voulez transporter votre famille un cyclocar ne suffit pas, il vous faut louer les services d'un taxi traditionnel.
L'intérieur du magasin Vitopta, accessible par un sas vitré, était brillamment éclairé, et rempli de touristes venus acheter des montres Axona, de fabrication locale. Le taux de change avantageux permettait à la plupart d'entre eux, Chinois, Japonais, Américains, et quelques Européens et Australiens, de faire de très bonnes affaires sur le haut de gamme d'Axona. Les vendeurs étaient des humanoïdes en costume gris et cravate noire, bleue et blanche portant le logo d'Axona. Un badge indiquait leur prénom.
L'ambiance était étrangement calme, malgré le brouhaha des voix en plusieurs langues, comme souvent là où se rassemblent les riches et les très riches. Des montres Richard Mille étaient exposées derrière des vitres blindées. La plus chère , une Panda RM 26-1, valait trois millions de ducats, presque le double de son prix aux États-Unis, qui est d'un million six cent mille dollars. La forte taxation des montres étrangères, produits importés, compensait largement le taux de change favorable au dollar US, qui aurait normalement rendu la montre moins chère au Mnar.
Plusieurs clients étaient accompagnés par des humanoïdes de charme, surtout de sexe féminin, vêtus avec recherche et dont la location devait coûter une fortune. Remo vit une seule humanoïde de travail comme lui, une gynoïde au visage de chat. Il s'adressa à l'un des vendeurs :
— Dana, farna. In sor Nemo Ranwen. In tuut taboma taam. (Salutation, monsieur. Je suis Remo Ranwen. Je viens chercher un paquet.)
Il y eut un bref échange de messages codés, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique. Le vendeur s'absenta brièvement et lorsqu'il revint il remit à Remo un paquet-cadeau dans un sac de papier brun. Remo rangea l'objet dans son sac à cordon, sans vérifier s'il contenait effectivement la montre qu'il avait achetée pour Gidrel le matin même, sur le site Internet de la société Axona.
Il serait en effet impensable, et même techniquement impossible, qu'un humanoïde mente à un autre humanoïde, car ils sont tous sous l'autorité de la même intelligence collective. Ils n'ont pas d'âme, donc pas de libre-arbitre.
« Dana, farna » dit Remo en partant.
« Dana, farna » répondit le vendeur. Des paroles qui étaient une simple convention, destinée à rassurer les humains présents, en leur laissant croire que les humanoïdes communiquent entre eux comme le font les humains, en se parlant dans une langue humaine, le mnarruc standard.
Remo sortit du magasin et se dirigea vers l'arrêt de bus. La pluie avait repris. Des humains étaient sous l'abri. Remo resta à l'extérieur, un humanoïde doit toujours s'effacer devant les humains. Le bus n° 4 arriva, Remo laissa les humains monter en premier. Il dut rester debout jusqu'à la rue Biloxin. Le bus n° 20 était moins rempli, Remo eut une place assise (rester assis consomme moins d'énergie que rester debout) jusqu'à Dankwold.
Il rentra tout dégoulinant de pluie dans la maisonnette et se débarrassa de ses chaussures et de son ciré, avant de donner à Gidrel le paquet contenant la montre.
Gidrel ouvrit le paquet, sortit le cadeau de son emballage. C'était une Axona Otelagh, une montre de dimensions moyennes, à boîtier et bracelet d'acier brillant, cadran noir et aiguilles phosphorescentes, avec indication de la date et du jour de la semaine. Un bracelet de rechange, en cuir noir, était dans la boîte, avec un petit tournevis.
La notice indiquait que la montre était solaire, donc sans pile à changer tous les deux ou trois ans et moins coûteuse, plus précise et résistant mieux aux chocs qu'un montre à mouvement mécanique. Un petit objet solide, fonctionnel, mais qui n'avait rien de spécialement féminin. Pour deux cents ducats on ne pouvait pas s'attendre à une montre en or ou sertie de diamants.
La montre n'était pas connectée. La cybermachine distante qui contrôlait les actions de Remo avait deviné qu'une porteuse de cyberlunettes comme Gidrel n'avait aucune envie d'être encore plus connectée.
Les montres Axona sont fabriquées au Mnar par des robots intelligents, plus efficaces et beaucoup moins chers que le meilleur horloger humain. Seules les sanctions commerciales imposées au Mnar à cause de ses multiples violations des droits de l'homme empêchent ces montres d'inonder le marché mondial.
« C'est une montre que l'on peut porter avec un tailleur strict » dit Gidrel. « Dans un conseil d'administration, par exemple. » Elle enleva son Axona Pontifex et mit l'Otelagh à son poignet. Elle la trouva relativement légère.
Remo, ou plutôt Petit Mari, avait eu l'initiative de lui offrir la montre. C'était la première fois de sa vie qu'un homme lui faisait un aussi beau cadeau et elle s'en sentit émue. Que cet homme soit un humanoïde paraissait soudain de peu d'importance. C'était un acte d'amour. Remo était programmé pour l'aimer, et l'amour qui naît de lignes de code est tout aussi authentique que celui qui est généré par les glandes sexuelles des humains.
Elle songea que la prochaine fois qu'elle se rendrait à l'Institut Edonyl de Dankwold, elle serait obligée d'inventer une histoire si ses collègues lui demandaient d'où venait la jolie montre. Elle dirait qu'elle l'avait achetée elle-même, parce que, se faire offrir une montre par un robot, c'était quand même un peu la honte. Mais au moins, cela ne provoquerait pas de sourires en coin, comme lorsqu'elle travaillait à l'université de Céléphaïs et qu'elle s'était inventée un improbable amant professeur de philosophie en Californie.
« Remets le ruban jaune autour de ton cou » dit-elle à Remo. « Je veux remercier Petit Mari comme il le mérite. »
Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 22 Oct 2024 - 12:16
SILA VIENT PRENDRE LE THÉ
Dans le quartier de Dankwold où habitent Gidrel et l'androïde Remo, les habitants organisent chaque année une petite fête entre voisins. Au début de la saison chaude, plusieurs grandes tables sont dressées dans une placette située au bout d'une impasse. C'est l'occasion d'un joyeux repas, où chacun apporte des aliments ou des boissons.
Gidrel n'appréciait guère les habitants de son quartier, des Mnarésiens originaires de Sarnath. Des sauvages parachutés dans la modernité, disait-elle à Mers Fengwel lorsqu'elle le voyait. Des nains trapus, velus, ignorants, grossiers, malpropres et superstitieux, franchement infréquentables. Telle était son opinion à leur égard, et les années qu'elle avait passées à Céléphaïs ne l'avaient pas fait changer d'avis, bien au contraire.
À Céléphaïs elle avait travaillé à l'université avec les plus intelligents et les plus cultivés des habitants de la ville, mais elle avait réussi à se disputer avec la plupart d'entre eux. Venue prendre sa retraite à Hyltendale, elle appréciait l'ambiance cosmopolite d'une ville à la fois capitale du Mnar, ville touristique de renommée mondiale (surtout pour le sexe, mais aussi pour la médecine), grand port de commerce et même centre diplomatique international, puisque c'est à Hyltendale que le royaume marin d'Orring, dont la capitale est une île flottante, envoie ses ministres rencontrer les ambassadeurs étrangers.
Mais le district de Dankwold, malgré sa proximité avec la résidence royale de Potafreas, ce n'est pas vraiment Hyltendale, à cause de sa population majoritairement composée de petits fonctionnaires de l'administration royale, transférés contre leur gré dans la nouvelle capitale. Les Mnarésiens du sud ressemblent à des Polynésiens, auxquels ils sont lointainement apparenté. Ceux de Sarnath, et du nord du pays en général, sont en majorité des descendants de Gnophkehs, une race singulièrement archaïque, mentionnée dans les Manuscrits Pnakotiques comme étant des sauvages cannibales, destructeurs de l'antique cité d'Olathoe. Gidrel n'aurait jamais habité Dankwold si ses finances lui avaient permis de se loger dans un district plus prestigieux.
Elle y était malgré tout plutôt heureuse. Comme disent les Moschteiniens : la sagesse, c'est petit cercle, vie privée, et esprit paisible. Un petit cercle composé de la famille proche et de quelques amis, une certaine autonomie financière, et une vie tranquille, sans procès, sans disputes, avec quelqu'un qu'on aime. Gidrel avait tout ça, et ça lui suffisait.
Elle faisait de son mieux pour dissimuler ses sentiments réels vis-à-vis des Mnarésiens, et un matin sa voisine Sila Fhan était venue sonner à sa porte. Sila était une petite Gnophkeh, aussi large que haute et au visage encombré de poils qu'elle ne se donnait pas la peine d'épiler. Gidrel l'invita à prendre le thé avec elle, conformément aux usages locaux.
« Gidrel, ce serait bien si vous faisiez un plat moschteinien pour la fête du quartier » lui dit Sila, assise dans le salon, pendant que le thé infusait. Gidrel se sentit obligée d'avouer que ses talents culinaires se limitaient à faire chauffer des surgelés, et que la cuisine traditionnelle moschteinienne, aussi variée et intéressante soit-elle, elle n'y connaissait absolument rien. « Mais si vous voulez, je peux vous donner de l'argent à la place » dit-elle à Sila.
Sila était restée bouche bée, ébahie. Dans son milieu, il était tout-à-fait anormal qu'une femme adulte n'ait ni mari ni enfants et ne sache pas faire la cuisine. Ces étrangers étaient vraiment bizarres.
« Vingt ducats, ça ira ? » demanda Gidrel.
Sila approuva avec enthousiasme. Vingt ducats, pour elle c'était une somme, et son esprit rusé voyait déjà comment elle pourrait s'en approprier une partie.
Tout en servant le thé, Gidrel demanda à Sila s'il était convenable que Remo participe au banquet avec elle. Elle savait que beaucoup d'êtres humains sont mal à l'aise à l'idée d'être à la même table qu'un robot humanoïde.
« Bien sûr que vous pourrez venir avec Remo » répondit Sila. « Vous ne serez pas seule avec votre robot. Reg Yorreem va venir avec sa gynoïde, c'est elle qui s'occupe des enfants. Elle sera à leur table. Vous ne connaissez pas Reg Yorreem ? C'est un ancien militaire. Il habite dans une grande maison au bout de la rue. À la fin de la guerre civile il a reçu, en récompense de son courage au service du roi, des propriétés qui avaient appartenu à des rebelles, c'est comme ça qu'il est devenu assez riche pour louer une gynoïde. »
Gidrel hocha la tête. Le défunt roi Andreas, père de la reine Modesta, était un homme à l'esprit pratique. Il avait exilé des centaines de milliers de ses anciens ennemis à la fin de la guerre civile et confisqué leurs biens, ce qui lui avait permis de récompenser ses partisans sans toucher au trésor royal.
Le Mnar étant le Mnar, la notion d'exil y est un peu différente de celle qui existe dans d'autres pays. Au Moschtein, par exemple, un exilé est quelqu'un qui est condamné à quitter son pays pour aller vivre ailleurs, souvent dans des conditions difficiles. Au Mnar, sous le règne d'Andreas, on était exilé sur les îles flottantes du royaume marin de Hyagansis, d'où l'on ne revenait jamais. Sous la reine Modesta, l'exil est à Lazné, dans les steppes du nord-ouest, d'où l'on revient rarement. Les Mnarésiens le savent bien. L'exil, au Mnar, est souvent équivalent à une peine de mort.
À la fin de la guerre civile, deux millions de Mnarésiens, sur soixante millions, se sont exilés eux-mêmes vers différents pays d'accueil : États-Unis, Canada, Australie, Aneuf , Union Européenne. Ils sont considérés par les Mnarésiens restés au pays comme des privilégiés, ayant eu la chance extraordinaire de pouvoir refaire leur vie dans des pays de liberté et de prospérité. La plupart d'entre eux n'avaient pourtant pas eu le choix : leurs biens étant saisis comme rebelles ou sympathisants des rebelles, ils s'étaient retrouvés du jour au lendemain sans ressources, sans autre solution que de quitter le pays.
« Reg Yorreem est devenu riche après la guerre, mais les dieux ont été durs avec lui » continua Sila, qui était du genre bavard. « Sa femme est morte prématurément, en le laissant avec deux jeunes enfants. Il est alors venu à Hyltendale pour pouvoir louer les services d'une gynoïde. Il a assez d'argent pour vivre de sa retraite et de ses rentes. Mais au début, même lui il était obligé d'habiter dans un petit appartement, tout est très cher à Hyltendale, avec tous ces étrangers pleins de fric qui veulent y vivre... Je ne parle pas pour vous, Gidrel, vous parlez le mnarruc ! »
Sila avait rougi, gênée par sa propre maladresse. Elle était impressionnée par Gidrel, qui était grande, blonde, cultivée, intelligente et financièrement aisée... Tout ce que Sila n'était pas, simple mère au foyer mariée à un petit fonctionnaire à peine mieux payé qu'un ouvrier agricole des Jardins Prianta. Avant de s'installer à Hyltendale avec son mari, Sila n'avait jamais parlé avec un étranger, elle n'en avait vus qu'à la télévision.
Gidrel la rassura : « C'est tout-à-fait normal que les Mnarésiens en veulent à des gens qui ont plus d'argent qu'eux, ce qui fait monter les prix, qui la plupart du temps ne font même pas l'effort d'apprendre la langue locale, et dont le mode de vie, les coutumes, les religions, sont très différents des leurs. J'ai appris le mnarruc et je le parle avec mon androïde, et je vis au milieu des Mnarésiens, mais je reconnais que beaucoup d'étrangers comme moi ne font pas cet effort. »
Sila parut soulagée de voir que Gidrel n'était pas offensée. Elle reprit son discours : « Donc, Gidrel, je vous parlais de Reg Yorreem. L'an dernier il a acheté une maison dans le quartier parce que c'est moins cher, et en plus ici la plupart des familles ont des enfants, il y a des écoles partout. Les robophiles n'ont généralement pas d'enfants c'est pourquoi dans tous les districts d'Hyltendale il faut faire des kilomètres pour trouver une école, sauf à Dankwold. »
Gidrel n'avait pas vraiment envie de participer au repas de quartier, ses conversations avec son androïde Remo et avec Tillicum, l'intelligence artificielle insérée dans ses cyberlunettes, lui suffisaient. Gidrel en manquait pas d'amis, car Remo et Tillicum savaient incarner un grand nombre de personnages différents. Elle connaissait aussi quelques personnes, comme Mers Fengwel, qui sans être des amis proprement dits formaient autour d'elle ce qu'elle appelait son deuxième cercle, mais qu'elle voyait de plus en plus rarement.
Et c'était justement là le piège. On se sent bien à n'avoir que des robots comme interlocuteurs, et très rapidement on ne parle plus à personne d'autre. Gidrel était consciente de cela. Elle qui avait dormi seule presque toute sa vie, elle pouvait désormais, chaque nuit, se blottir dans les bras rassurants de Remo. Pas seulement les bras de Remo, d'ailleurs, mais aussi ceux de Brad le baroudeur, et ceux de ses autres amants. Qui malheureusement n'étaient tous que le minuscule Remo incarnant à chaque fois un personnage différent, dans des scénarios inspirés de Masques et Situations. Mais comme disent les Mnarésiens, og le detep logëp yalko, on ne peut pas tout avoir. Ce repas de quartier, c'était une opportunité de sortir de sa bulle confortable, de remettre un pied dans le monde réel.
« J'irai donc au repas de quartier avec Remo » dit Gidrel. Sila sourit, satisfaite. Elle aimait bien Gidrel, malgré ses bizarreries. « Remo n'est pas là ? » demanda-t-elle.
— Non, je l'ai envoyé faire les courses.
« J'ai remarqué qu'il y avait beaucoup d'humanoïdes au supermarché ces temps-ci » dit Sila d'un ton sentencieux. « Leurs maîtres les envoient faire les courses à leur place. »
« Exactement » répondit Gidrel, soudainement pressée de voir partir la petite Gnophkeh, dont l'odeur corporelle commençait à l'incommoder. « J'irai au repas. C'est quand déjà ? Dimanche de la semaine prochaine ? »
— Oui c'est ça, dimanche de la semaine prochaine. Merci pour les vingt ducats, Gidrel, je vais les utiliser pour acheter des pâtisseries et je dirai aux gens que c'est vous qui les avez offertes.
Sila une fois partie, Gidrel essaya de se remémorer leur conversation. Avait-elle fait des impairs ? Non, elle s'en était plutôt bien sortie.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 22 Oct 2024 - 12:56
Donc, parmi les Mnarésiens qui se sont exilés, il y en a qui sont partis en Aneuf. Je ne parle pas d'Eneas Tonnd, qui, lui, est aneuvien. Pour lui, c'est un retour au pays. L'Aneuf n'est pas trop éloigné du Mnar, du moins, comparativement à l'Union Européenne, qui, elle, est (presque) aux antipodes (en fait, c'est le même hémisphère, mais c'est à 180° de longitude, alors que pour l'Aneuf, la longitude change peu, mais la latitude est opposée (hémisphère sud).
Comme pays hôte, pour les exilés, tu ne nous a mentionné ni la Chine, ni le Japon, ni la Russie (sibérienne), ni chacune des deux Corées ni l'Indonésie. Est-ce un hasard ? Pourtant, ces contrées sont nettement moins éloignées que le continent européen, pour lequel un voyage aérien ne doit pas coûter une bagatelle. Quant à l'Afrique, surtout la partie australe (de l'Angola à l'Afrique du sud) ainsi que la Réunion, Maurice et Madagascar, c'est carrément les antipodes et un vol doit être à un tarif rédhibitoire, surtout pour quelqu'un qui a tout perdu. Y a une autre contée du monde possible, c'est l'Amérique du sud, pas bien éloignée de l'Aneuf.
Un dernier truc : tu nous as dit que les langues étrangères ne sont guère enseignées au Mnar. Comment les exilés volontaires font-ils pour choisir leur pays hôte ?
La mère Marchand sent un peu le soufre, on dirait.
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Pœr æse qua stane:
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Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 23 Oct 2024 - 10:47
Anoev a écrit:
Comme pays hôte, pour les exilés, tu ne nous a mentionné ni la Chine, ni le Japon, ni la Russie (sibérienne), ni chacune des deux Corées ni l'Indonésie. Est-ce un hasard ?
Non, ce n'est pas un hasard, tous ces pays sont connus comme étant très réticents à l'accueil de réfugiés. Les seuls réfugiés que la Russie accueille libéralement sont les Ukrainiens russophones (donc, ethniquement russes).
Anoev a écrit:
Y a une autre contrée du monde possible, c'est l'Amérique du sud, pas bien éloignée de l'Aneuf.
Effectivement, et certains réfugiés mnarésiens s'y retrouvent, mais il n'y en a assez peu, la plupart préférant rester aux États-Unis, ou aller au Canada.
Anoev a écrit:
Un dernier truc : tu nous as dit que les langues étrangères ne sont guère enseignées au Mnar. Comment les exilés volontaires font-ils pour choisir leur pays hôte ?
La plupart du temps, ils ne le choisissent pas... Des organisations humanitaires, ou le gouvernement américain (les voisins les plus proches du Mnar sont la Californie, à 1000km à l'est, et Hawaiï, à une distance comparable mais au sud) prennent les réfugiés en charge, en général lorsqu'ils sont encore en mer, et les dispatchent dans les pays qui acceptent de les recevoir. Quitte ensuite à passer d'un pays d'accueil à un autre, comme on le voit en Europe, où les migrants quittent l'Italie ou la Grèce pour se rendre dans d'autres pays de l'UE.
La Russie est aussi relativement proche, mais il faut franchir (ou contourner) le plateau de Leng, au nord, et passer par les Îles Aléoutiennes... Beaucoup trop dangereux. Quand au Japon, il est à 4000 km à l'ouest... C'est à peu près la même distance qu'entre l'Europe et l'Amérique.