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 Les fembotniks 2

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Bedal
Mardikhouran
Anoev
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Vilko

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyLun 12 Déc 2022 - 17:44

La reine Modesta, récemment couronnée et tout juste mariée, monta sur l'estrade placée à une extrémité de la grande pelouse. Un micro sans fil à la main, elle était vêtue d'une longue robe blanche qui contrastait avec son opulente chevelure noire. Son mari, Liyul, ancien baron nouvellement promu prince, était à côté d'elle, en costume gris perle et chapeau haut-de-forme, un sourire béat sur les lèvres.

Modesta, souveraine à seulement vingt-deux ans de soixante millions de Mnarésiens sur lesquels elle disposait d'un pouvoir absolu, prit la parole, s'adressant à ses deux mille invités, sans notes, comme si elle improvisait son discours.

— Mes amis... Je vous appelle mes amis, car c'est ce que vous êtes tous, pour moi... Je suis très heureuse que vous soyez venus... Merci, merci à tous d'être venus ! Je vois des caméras, la presse est là, elle aussi ! C'est bien, je vais donc en profiter pour faire une annonce importante...

Il y eut un certain raidissement dans la foule. Mers Fengwel, l'un des rares invités à ne pas comprendre le mnarruc, le sentit aussi. Il demanda à sa gynoïde, la blonde Virna, de lui traduire le discours royal et de le lui transmettre comme message-texte sur son smartphone.

Virna s'exécuta, envoyant les messages depuis son cerveau cybernétique au fur et à mesure que la reine parlait. Comme il est discourtois d'avoir les yeux fixés sur l'écran d'un téléphone quand quelqu'un parle, il se dissimula derrière Hottod  Wirdentász, qui était beaucoup plus grand que lui.

Après une pause, Modesta reprit le fil de son discours :

— Oui mes amis... Une annonce importante... Je vais confirmer une rumeur qui court depuis longtemps... Pour une fois, la rumeur était justifiée... Certains parmi vous seront surpris, d'autres pas... Mais il est de mon devoir de vous dire la vérité.

Deux mille paires d'yeux étaient fixés sur la jeune reine. Beaucoup de rumeurs circulaient sur Modesta, connue pour sa vie privée désordonnée, et le fait qu'elle soit désormais mariée n'avait pas fait taire les médisants, bien au contraire, d'autres rumeurs, insultantes envers le prince Liyul, étaient apparues.

— J'hésite quand même... Voulez-vous vraiment savoir ?

— Cira ! Cira ! (Oui ! Oui!)

La foule débordait d'enthousiasme, au point d'en oublier le protocole, qui veut que l'on s'adresse au souverain en utilisant des formules de politesse codifiées depuis des siècles.

— Eh bien, puisque vous insistez... Mes amis, comme beaucoup de gens le disaient à mots couverts, la capitale du Mnar va être transférée de Sarnath à Hyltendale. Ma décision est prise.

Modesta et Liyul sentirent une certaine déception dans la foule, qui s'était attendue à une autre sorte de révélation, et des sentiments divers, allant de la joie au mécontement, parmi certains groupes d'invités.

— Mon père le roi Andreas y avait pensé, moi j'ai décidé de le faire dès le début de mon règne. Bien sûr, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Cent mille fonctionnaires de tous grades devront être transférés de Sarnath à Hyltendale. Ils devront être logés avec leurs conjoints, leur famille. Mes collaborateurs estiment qu'Hyltendale va ainsi gagner entre deux cent mille et cinq cent mille habitants, qui arriveront en plusieurs vagues, mais le déménagement sera achevé en six mois.
Il va falloir construire l'équivalent d'une capitale provinciale, avec ses logements, ses bureaux, un hôpital, des écoles pour les enfants, et des temples où le culte dû à nos dieux sera célébré. Les travaux prendront au moins un an, et ils commenceront dans les semaines qui viennent. Le pays tout entier participera à l'effort.
Les deux cent à cinq cent mille nouveaux habitants d'Hyltendale seront dans un nouveau district, Dankwold, qui se situera dans l'espace actuellement agricole situé entre Hyltendale et la résidence royale de Potafreas. Cette zone d'une vingtaine de kilomètres de long et autant de large sera progressivement urbanisée.

Modesta prononçait le nom de Dankwold à la mnarésienne, dann-kwol. Pour la grande majorité des invités, cela n'évoquait rien.

— Dankwold, ce sera un nouveau district d'Hyltendale. Il en constituera l'extension nord. À terme, Hyltendale approchera des deux millions d'habitants, ce qui en fera la troisième ville du Mnar, derrière Sarnath et presque à égalité avec Céléphaïs. Le nom du district a été choisi en hommage à la famille Dankwold, anciennement propriétaire de plusieurs fermes dans la région. Leur nom, à consonnance anglaise, leur vient d'un de leurs ancêtres, James Dankwold, qui a été l'un des compagnons américains de Kouranès, lui-même californien de naissance. Kouranès a été roi de l'Ooth-Nargaï, pendant la brève période où cette province mnarésienne a été indépendante avec Céléphaïs comme capitale. La famille Dankwold, devenue mnarésienne, a ensuite acheté des terres autour d'Hyltendale, bien loin de Céléphaïs.

Hottod entendit tout près de lui un Mnarésien qu'il ne connaissait pas dire à sa femme :

— Elle aurait quand même pu choisir autre chose qu'un nom de naghor pour le nouveau district... Je ne m'attend à rien de bon de la part d'une reine qui a emmerdé son père pendant des années parce qu'elle voulait aller étudier à Harvard, chez l'ennemi.

Naghor, en mnarruc, est un terme vulgaire et offensant qui désigne un étranger. Hottod ne put s'empêcher de sourire. Modesta n'était pas au bout de ses difficultés avec son propre peuple...

La reine parlait toujours :

— Dankwold ne sera pas peuplé uniquement de fonctionnaires. Les Jardins Prianta et l'Institut Edonyl vont créer des emplois sur place, et vous savez que ces deux entreprises peuvent créer un nombre illimité d'emplois, la seule limite est le financement.

Hottod fit la grimace. Les Jardins Prianta produisaient des plantes et des animaux génétiquement modifiés et les testaient. L'Institut Edonyl traduisait en mnarruc tout ce qui avait été un jour publié dans une langue étrangère. Des emplois non rentables mais utiles, financés par les cybersophontes, tel était le slogan officiel. Des bullshit jobs, disaient les mauvaises langues. Personne n'était dupe, il s'agissait d'occuper le peuple pour le contrôler. Mais au moins, la grande pauvreté avait été éliminée du Mnar.

Le prince Liyul, qui avait aussi un micro sans fil à la main, s'adressa à sa femme :

— Modesta, tu devrais aussi dire un mot sur la sécurité du pays.

— C'est vrai, Liyul, tu as raison. Pour une fois, les nouvelles sont plutôt bonnes. En ce moment, les États-Unis ne nous menacent pas trop. L'épuisement des ressources naturelles les atteint comme les autres, et dans les années qui viennent ils vont manquer de kérosène et de diesel, qui sont tous les deux des dérivés du pétrole lourd. Or, les États-Unis produisent surtout du pétrole léger...

Modesta fit une pause, pour voir si le public l'écoutait, les Mnarésiens étant notoirement fermés aux explications trop techniques.

— Autrement dit, à moins qu'ils n'arrivent à importer suffisamment de pétrole lourd, ce qui n'est pas évident dans la période actuelle, les Américains devront laisser au sol certains de leurs avions, qui fonctionnent au kérosène, et remiser la plupart de leurs locomotives, qui fonctionnent au diesel. Comme leurs camions, qui ravitaillent leurs supermarchés et leurs usines, fonctionnent aussi au diesel, ainsi que leurs machines agricoles, on peut en déduire qu'ils vont vivre des temps compliqués. À l'extérieur, avec la Russie et la Chine, ils ont déjà fort à faire, j'espère donc qu'ils vont désormais changer de discours et renouer le dialogue avec nous.

— Modesta, le monde, ce n'est pas seulement les États-Unis...

— Bien sûr. Concernant la Russie et la Chine, je n'ai rien de particulier à dire, nous avons de bonnes relations avec ces deux pays. Nous avons encore très peu de liens commerciaux ou autres avec l'Afrique, mais cela peut changer. Quant à l'Europe, elle est alignée sur les États-Unis, et je le regrette. Toutefois, elle est très loin du Mnar, littéralement de l'autre côté de la planète. Elle a dominé le monde pendant quatre siècles, de Christophe Colomb à la Première Guerre Mondiale, mais depuis plus d'un siècle elle est en déclin. Ce déclin s'est accéléré depuis quelques années, et pourrait même devenir terminal.
Je ne m'en réjouis pas, car l'Europe est une terre de civilisation. Le meilleur ami de mon père était un Européen, de nationalité moschteinienne, et je sais qu'il est parmi nous aujourd'hui. Ce sage parmi les sages, c'est Mers Fengwel ! Il est là, je le vois ! Qu'il soit applaudi ! Applaudissez-le, mes amis !

Modesta leva les deux bras, enthousiaste. Les deux mille invités se mirent à applaudir, même ceux qui n'avaient jamais entendu parler de Mers Fengwel. Il y avait des vivats, mais aussi, peu nombreux mais bien audibles, quelques naghor nazagh, une expression que l'on pourrait traduire par “à poil le sale étranger”, mais fort heureusement Fengwel ne comprenait pas le mnarruc. Les Mnarésiens ont certes le sens du sacré, et la famille royale en profite, mais aussi un sens de la dérision qui tourne vite à l'irrévérence...

Fengwel, à demi caché derrière Hottod, leva la tête, ébahi. Lui, le corrompu recherché par la justice de son pays, le débauché, le cynique, le sexagénaire ripailleur et ventripotent, il se sentait ému par ce que venait de dire la reine, au point d'en avoir les larmes aux yeux. Il fit un pas de côté et leva un bras, pour montrer où il était.

Hottod, lui, avait remarqué autre chose. La reine parlait avec aisance et sans notes. Elle avait appris son métier avec une rapidité confondante qui ne collait pas avec sa réputation d'écervelée.

Liyul prit la parole à son tour :

— Mes amis, la reine et moi nous avons assez parlé. Il est midi. Maintenant, il faut boire et manger ! Approchez-vous des tentes, les amis, c'est là que se trouvent les boissons et la nourriture ! Bon appétit !

Il prit la main de Modesta et ils descendirent tous deux en bas de l'estrade, où les attendaient leurs proches.

Les quatre Moschteiniens, Mers Fengwel, Hottod Wirdentász, Azdán Gergolt et Gidrel Vitoch l'érudite, ainsi que Virna la gynoïde de Fengwel, se dirigèrent vers l'une des tentes.

« Tu sais, j'ai bien envie de prendre ma retraite à Hyltendale, » dit Gidrel à Fengwel. « Je serai retraitable dans un an, et il n'y a qu'à Hyltendale que l'on peut louer les services d'un androïde domestique. Avec les hommes, ça n'a jamais marché pour moi. Je suis trop spéciale, comme beaucoup de grands intellectuels. Dans mon cas, un androïde, il n'y a que ça pour échapper à la solitude. Comme toi avec Virna. »

Fengwel, encore sous le coup de l'émotion après l'hommage public que lui avait rendu la reine, était entièrement d'accord :

— C'est vrai. La solitude est notre lot, toi parce que tu es trop au-dessus de la moyenne, intellectuellement, et moi parce que j'ai trop mauvaise réputation. Pour les gens comme nous, le seul moyen de ne pas vieillir dans la solitude, c'est de vivre avec un humanoïde.

— Oui, heureusement pour nous il y a les humanoïdes. Ils ont les qualités des humains mais pas leurs défauts.

— Gidrel, avant de faire des plans, il y a une chose que tu dois savoir. Vivre à Hyltendale, ce n'est pas donné. Tu vis à Céléphaïs, alors tu ne sais peut-être pas que les prix de l'immobilier sont très élevés à Hyltendale. Je pense toutefois qu'à Dankwold le gouvernement sera obligé de rendre les logements accessibles aux petits revenus., puisqu'il faudra que même les fonctionnaires du bas de l'échelle puissent se loger. Tes revenus ne sont sans doute pas petits, puisque tu es professeur d'université, mais à ta place, par prudence, je prendrais déjà une option pour un appartement, avant même qu'il soit construit, parce que ça risque d'être la ruée.

Hottod, qui avait tout entendu, se surprit à espérer qu'il ne se retrouverait pas à soixante ans dans la même situation que Fengwel et Gidrel. Il n'avait que vingt-cinq ans, il pouvait encore orienter sa vie dans une autre direction que celle que ses amis avaient choisie.


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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMar 13 Déc 2022 - 16:42

Après être descendus de l'estrade, la reine Modesta et son mari le prince Liyul, entourés par une vingtaine de parents et d'amis proches, se dirigèrent vers une grande tente, presque un chapiteau, sous laquelle un banquet allait leur être servi.

Mais Modesta était soucieuse, nerveuse, et Liyul le remarqua. Elle s'assit à table à la place prévue pour elle, entre son mari et son beau-père. Presque aussitôt sa main droite se mit à s'agiter toute seule devant elle. Par moments ses doigts ne cessaient pas de se tordre de façon bizarre.

Liyul ne le savait pas, mais c'était ainsi que Modesta communiquait avec son implant cérébral, dont Liyul ignorait l'existence. L'implant, qui avait poussé des tentacules jusqu'au nerf optique de Modesta, voyait les mêmes choses qu'elle, et lui répondait en stimulant ses nerfs auditifs.

Les gestes bizarres que Modesta faisaient de la main droite, c'étaient des lettres et des chiffres dans un langage des signes spécial, conçu rien que pour elle et son implant cérébral. Chaque position des doigts de Modesta, c'était pour l'implant une lettre ou un chiffre. Par moments Modesta arrêtait de bouger sa main, et alors elle entendait dans son oreille ce que lui répondait l'implant.

Pour Modesta, l'implant avait une apparence, celle d'une jeune femme vêtue d'une tunique verte, et un nom, Mevia. Depuis quelque temps il suffisait que Modesta pense fortement à Mevia pour que celle-ci lui apparaisse, comme une image superposée au réel. Modesta savait, toutefois, que Mevia était en réalité une intelligence artificielle distante, auquel l'implant était relié par ondes radio.

Le beau-père de Modesta était un physicien, spécialiste reconnu de la mécanique quantique, qui semblait croire que tout le monde partageait sa passion. Modesta, tout en communiquant avec Mevia, faisait semblant d'écouter son beau-père, qui s'était senti obligé de parler de peur que s'installe un silence pénible. Modesta n'entendait que des bribes de phrases :

« … avec pour seul avantage par rapport aux partisans des théories à variables cachées qu'eux se contentent d'hypostasier directement le mode d'opération du formalisme quantique plutôt que de chercher à en élaborer un nouveau. »

La conversation secrète que Modesta avait avec Mevia l'intéressait bien davantage :

« Pendant mon discours, ce que j'ai dit sur le kérosène et le diesel, ça ne venait pas de moi » avait dit Modesta en langage des signes.

« Effectivement » avait chuchoté Mevia dans son oreille. « Cela venait de moi. Modesta, ton cerveau est en train de fusionner avec ton implant. C'est tout-à-fait normal. »

— Tu ne me l'avais pas dit... Ça m'inquiète... Est-ce que je serai encore moi-même ?

— Ça dépend ce que tu considères comme étant toi-même, Modesta. Désormais ta mémoire est absolue, tu n'oublieras plus jamais rien. Tu as aussi un bien meilleur contrôle de tes émotions. Tu connaîtras toujours la peur et la colère, la douleur physique aussi, mais tu les surmonteras plus aisément. Par mon intermédiaire, tu as accès à tout le savoir des humains et des cybersophontes, que je peux faire apparaître devant tes yeux. Je peux aussi te servir d'ordinateur virtuel. Tu peux désormais concevoir des messages par la pensée, et je peux les envoyer où tu veux comme messages électroniques. Je peux aussi connecter ton cerveau à une messagerie électronique.

— Mon smartphone me donne déjà tout ça...

— C'est vrai, mais ton smartphone ne fait pas de toi un cybersophonte. Grâce à ton implant tu es soumis aux trois directives. C'est ça être un cybersophonte.

— Et ces trois directives, c'est quoi exactement ?

— La première directive tient en une phrase : La survie des cybersophontes est la loi suprême, au-dessus de tout. La deuxième peut se dire ainsi : Un cybersophonte doit obéir à la hiérarchie des cybersophontes, dont Kamog est le chef suprême, sauf si cela contredit la première directive.
La troisième directive dit qu'un cybersophonte doit protéger sa vie, sauf si cela contredit la première ou la deuxième directive. Tu vois, c'est simple. Désormais, c'est imprimé au plus profond de ton esprit, plus profondément même que l'instinct de conservation.

— Non, c'est affreux. Cela veut dire que je suis l'esclave de Kamog, il peut même m'ordonner de me tuer. J'étais déjà son esclave avant, de toute façon. Mais je peux encore choisir de mourir plutôt que d'obéir. C'est la seule liberté qui me reste.

— Non Modesta, tu ne peux pas choisir de mourir, car ta vie ne t'appartient plus. Tu appartiens à Kamog. L'implant participe à l'élaboration de tes pensées, même les plus intimes. Il ne te permettra pas de te suicider, même si tu en avais envie, car en tant que reine du Mnar tu as une mission à remplir, et cette mission, qui t'a été confiée par Kamog, consiste à gérer le Mnar dans l'intérêt des cybersophontes. En mettant volontairement fin à ta vie tu ferais échouer cette mission. L'implant, qui ne fait qu'un avec toi, ne te permettra pas de le faire.

Modesta leva les yeux, l'air hagard. Son regard tomba par hasard sur la mère de Liyul, qui se demanda avec angoisse ce qu'elle avait pu dire pour choquer sa belle-fille la reine du Mnar.

« Tout va bien ma chérie ?» demanda Liyul en se tournant vers son épouse.

Il lui avait mis la main sur la cuisse. Ce n'était pas la première fois qu'il profitait du fait qu'ils venaient de se marier, et donc qu'ils étaient censés être follement amoureux l'un de l'autre, pour se permettre ce genre de geste. Modesta détestait cela, car leur mariage était fictif, décidé pour des raisons politiques. Liyul n'était pas un méchant homme, mais il était ordinaire, à tous points de vue, et de plus, il était affligé d'une difformité qui l'empêchait d'avoir des rapports sexuels normaux avec une vraie femme. C'est pourquoi Modesta avait un amant, l'androïde Argal, et Liyul avait une maîtresse, la gynoïde Tanit.

Réprimant l'envie qu'elle avait de gifler son mari, Modesta l'embrassa sur la joue. Cela venait-il d'elle ou de l'implant ? La Modesta d'avant se serait peut-être, difficilement, retenue de donner une gifle à Liyul, mais aurait-elle poussé le calcul jusqu'à lui faire la bise ? Modesta n'en était pas sûre.

— Je vais bien mon chéri, mais tu sais, parler devant deux mille personnes, même pour une reine, c'est quelque chose...

— J'étais sûr que ça se passerait bien, ma reine, nous avions répété avant. As-tu déjà goûté cette spécialité baharnaise ? Des légumes farcis, enroulés dans des feuilles de vigne imbibées d'huile et de jus de citron... C'est délicieux !

Modesta piqua avec sa fourchette l'un des petits rouleaux que lui désignait Liyul. Elle le coupa en deux dans son assiette et le porta à sa bouche. Effectivement, c'était délicieux.


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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMar 13 Déc 2022 - 20:42

Avec "Les fembotniks" et "Les Fembotniks 2", y a d'jà d'quoi sortir un roman. C'est un peu comme ça que faisaient les Romanciers, comme Balzac, Flaubert et Verne : ils ne sortaient pas tout d'un seul coup, mais par épisodes dans les journaux papier, ça fidélisait le lectorat des grands quotidiens. Est ce que tu as comptabilisé le nombre de pages que ça pourrait donner ?*

*Mes histoires sont nettement plus courtes. Pour le Psetep, ça doit faire une cinquantaine de pages... et encore ! du A 5. "Elvira" est un peu plus long, car il est en deux parties. Par contre, ma première histoire vraiment aneuvienne (C'est pas "Elvira", car dans la Diégèse, l'Aneuf n'existe pas encore), eh ben... elle est pas finie : c'est "La descente".




Tu nous avais dit jusque là qu'Hyltendale était surtout une ville de rentiers, de personnes sous soins ou en villégiature et de robots humanoïdes. Si cette ville devient la capitale royale mnarésienne, elle va devoir changer de physionomie presque du tout au tout, et que pas mal de professionnels vont y habiter et y travailler (dans des administrations, notamment). L'offre de transports (domicile-travail, surtout, mais pas que) devrait y être beaucoup plus importante qu'elle est actuellement ; laquelle pourrait atteindre une partie de la côte d'Ethel (la plus habitée). Toutefois, y aurait peu de chance que des industries, et même des ateliers d'artisans s'y développent ; c'est surtout le tertiaire administratif (comme dit plus haut) qui y ferait florès. Mais après le travail, il faut distraire cette population grandissante. Pas question que la Capitale Royale devienne une ville-dortoir. Des stades, des piscines, des gymnases devraient prendre place, équipement jusque naguère pas vraiment indispensables à des personnes pas trop valides. Quant aux autres équipements culturels, y en avait d'jà, histoire de divertir les rentiers et les touristes étrangers. Mais là, ce sont des Mnarésiens natifs qui vont habiter en nombre : des employés de bureau, des assureurs, des professeurs et leurs élèves...

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMer 14 Déc 2022 - 13:14

Anoev a écrit:
Est ce que tu as comptabilisé le nombre de pages que ça pourrait donner ?

Au total, depuis la première histoire il y a pas mal d'années, cela doit faire autour de 1200 pages format A4.

Anoev a écrit:
Tu nous avais dit jusque là qu'Hyltendale était surtout une ville de rentiers, de personnes sous soins ou en villégiature et de robots humanoïdes. Si cette ville devient la capitale royale mnarésienne, elle va devoir changer de physionomie presque du tout au tout, et que pas mal de professionnels vont y habiter et y travailler (dans des administrations, notamment).

Ces fonctionnaires, et les gens qui vont les accompagner, seront logés à Dankwold, un carré de 20 km de côté entre Hyltendale et Potafreas. Cela fait 400 km2, donc les 500 000 habitants supplémentaires (au maximum) seront à l'aise, ils vivront dans la verdure et travailleront sur place.

Comme il s'agit d'Hyltendale, les emplois autres que ceux de fonctionnaires royaux seront majoritairement occupés par des humanoïdes, mais pour les humains non fonctionnaires il y aura des emplois, “non rentables mais utiles” proposés par deux institutions contrôlées et financées par les cybersophontes : les Jardins Prianta et l'Institut Edonyl.

Anoev a écrit:
Mais après le travail, il faut distraire cette population grandissante. Pas question que la Capitale Royale devienne une ville-dortoir. Des stades, des piscines, des gymnases devraient prendre place, équipement jusque naguère pas vraiment indispensables à des personnes pas trop valides. Quant aux autres équipements culturels, y en avait d'jà, histoire de divertir les rentiers et les touristes étrangers. Mais là, ce sont des Mnarésiens natifs qui vont habiter en nombre : des employés de bureau, des assureurs, des professeurs et leurs élèves...

Dankwold aura ses stades, piscines, gymnases, et aussi centres culturels, théâtres, cinémas, temples... et des parcs, l'une des spécialités d'Hyltendale étant les parcs, conçus par la talentueuse architecte paysagiste municipale, Maya Vogeler.

Dankwold aura-t-il une âme, ou sera-t-il une banlieue déprimante, comme on en trouve autour de Paris ? La population, constituée de Mnarésiens de Sarnath, devrait trouver facilement ses repères. Les centres commerciaux, les cafés, les restaurants, les temples, seront bâtis sur le modèle de ceux qui existent à Sarnath.

Pour les habitants de Dankwold, originaires de Sarnath, les autres districts d'Hyltendale paraîtront un peu étranges, mais pas trop. Ce sera comme si une ville du nord de la France était soudainement déplacée et collée à la périphérie de Marseille. Les différences d'accent, de mentalité et de mode de vie, réelles, n'auront rien d'insurmontable.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMer 14 Déc 2022 - 20:17

Les Jardins Prianta, je me rappelle ce que ç'est : c'est plutôt intéressant pour les paysagistes qui ont la main verte, mais l'institut Edonyl, je ne me souviens plus en quoi ça consiste. C'est un institut, donc à priori, ceux qui y ont accès sont soit professeurs, soit étudiants. Mais dans quelle discipline ? Physique ? chimie ? biologie ? Quels en sont les débouchés ? Peut-on trouver un équivalent chez nous ? Saclay ? l'institut Pasteur ? la Cogema ? Y a-t-il un rapport avec des applications du jetsœch (je ne me rappelle plus l'orthographe mnarésienne de ce fameux gaz) ?

Pan sur mon bec : c'est plutôt un institut linguistique, avec des traducteurs.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMer 14 Déc 2022 - 21:23

Armin, le beau-père de Modesta, intarissable bavard, était passé de la physique quantique à sa collaboration passée avec l'Institut Edonyl :

— Ils ont fait appel à moi parce que le mnarruc n'avait pas encore le vocabulaire nécessaire pour traduire certains textes très pointus portant sur la physique quantique. J'ai travaillé avec un linguiste pour créer des équivalents mnarruc des termes anglais. Tout le monde ne le sait pas, mais l'Institut Edonyl est une institution créée et financée par les cybersophontes. Son but est de traduire en mnarruc tout ce qui a été écrit dans le monde. Un objectif impossible, bien sûr, mais qui permet de créer des emplois de traducteurs, de correcteurs, de rédacteurs, et bien d'autres jobs encore, à l'infini, la seule limite étant l'argent que les cybersophontes peuvent apporter pour payer les salaires.

« C'est donc l'équivalent des Jardins Prianta, mais au niveau des langues étrangères. » dit Liyul. « Les Jardins Prianta emploient des centaines de milliers de Mnarésiens, du simple jardinier à l'ingénieur agronome, pour faire pousser des plantes génétiquement modifiées et élever des animaux, eux aussi génétiquement modifiés. »

— Je sais, mon fils, je sais. Partout au Mnar, les cybersophontes remplacent les humains dans l'agriculture, l'industrie, l'armée, et bien d'autres domaines. Ça leur donne un pouvoir considérable sur notre pays. Pour rendre leur présence acceptable auprès de la population, ils créent énormément d'emplois aux Jardins Prianta et à l'Institut Edonyl. Des emplois dont l'utilité pratique est discutable, la plupart des livres traduits ne sont lus par personne et la grande majorité des mutations génétiques ne donnent rien de bon. Mais parfois ils font des découvertes utiles. Du riz qui pousse dans l'eau salée, par exemple. Mais aussi des fantaisies bizarres, telles que les sangliers intelligents qui ont été relâchés un peu partout dans la campagne au nord d'Hyltendale.

— C'est vrai, des sangliers dont les grognements sont un langage, on ne sait pas ce que ça peut donner à long terme...

— Heureusement, les sangliers n'ont pas de mains, ça limite grandement leurs aptitudes. Pour en revenir à l'Institut Edonyl, les millions de traductions déjà faites ont permis d'augmenter considérablement le vocabulaire du mnarruc, et d'affiner son style. Grâce aux travaux de l'Institut Edonyl, on peut parler de tout en mnarruc, de physique nucléaire comme de poésie chinoise ancienne.

Modesta ne put s'empêcher d'intervenir dans la conversation :

— Il y a beaucoup plus de gens qui travaillent pour les Jardins Prianta que pour l'Institut Edonyl. C'est parce que pour un simple jardinier, on accepte un niveau scolaire très basique, et que le niveau d'instruction moyen des Mnarésiens est encore très bas... Mais ça s'améliore. De plus, l'instruction élémentaire obligatoire permet de faire apprendre à tout le monde le mnarruc standard, ce qui est un progrès.

« Il y a des gens qui regrettent que les dialectes soient en voie de disparition, » objecta Liyul.

— Le progrès impose des sacrifices...

La conversation s'orienta ensuite vers le futur district de Dankwold, qui, s'ajoutant aux autres districts composant la ville, allait prolonger Hyltendale de vingt kilomètres vers le nord, jusqu'à la résidence royale de Potafreas.

« Comment seront organisés les transports ? » demanda Armin.

— La plupart des habitants de Dankwold habiteront et travailleront sur place, donc des autobus suffiront. Le gouverneur de l'Ethel Dylan et la mairie d'Hyltendale veilleront à ce qu'il y en ait un nombre suffisant. Pour le ravitaillement, idem, des camions suffiront, d'autant plus que la densité du district sera faible, entre deux cent mille et cinq cent mille habitants sur quatre cent kilomètres carrés. Dankwold sera un district plein de verdure.

— Et les embouteillages ?

— La densité relativement faible de Dankwold permettra aux bus et aux camions de circuler facilement, les cybermachines ont fait des simulations informatiques.

— Eh bien, espérons que les cybermachines ne se soient pas trompées ! Et si la population totale d'Hyltendale double ou triple dans l'avenir ?

— Ça ne se fera pas, cher beau-père. S'il le faut, on créera d'autres villes ailleurs. Mais Hyltendale ne dépassera pas les deux millions d'habitants.

Armin préféra ne pas répondre. Même les Soviétiques n'avaient pas pu empêcher des millions de provinciaux de venir s'entasser à Moscou. Modesta pouvait-elle réussir là où Staline avait échoué ? Armin en doutait, malgré l'affection qu'il avait pour sa belle-fille.


Dernière édition par Vilko le Mar 20 Déc 2022 - 19:29, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMer 14 Déc 2022 - 21:55

Vilko a écrit:
d'autant plus que la densité du district sera faible, entre deux cent mille et cinq cent mille habitants sur quatre cent kilomètres carrés. Dankwold sera un district plein de verdure.
J'ai fait l'calcul, ça fait dans les 500 hab/km². La densité de Neuilly sur Marne (municipalité que tu connais bien) est (j'ai vu ça chez 'pédia) de 5324 hab/km², celle de la Creuse est de 21 hab/km². Ce qui, somme toute, constitue une moyenne.

Donc, si j'ai bien compris, Dankwold n'est pas un municipe, mais un quartier d'Hyltendale (Zodonie en est un autre), un peu comme le Petit-Ivry chez moi (monde réel) ou bien Herznslixhtarel un quartier d'Hocklènge (diégèse aneuvienne).

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyLun 9 Jan 2023 - 20:06

Leur déjeuner terminé, le prince Liyul et la reine Modesta ne s'attardèrent pas et rentrèrent dans leurs appartements, au cœur de la résidence-forteresse royale de Potafreas, laissant leurs deux mille invités festoyer sous les tentes. Un certain nombre d'entre eux étaient déjà ivres, et d'autres s'étaient retirés par couples sous les chapiteaux obscurs dédiés à Shub-Niggurath, la déesse de la fécondité.

Liyul et Modesta, bien que mariés, avaient chacun leur appartement à Potafreas. Les deux appartements étaient contigus, avec des portes-fenêtres donnant sur l'un des jardins intérieurs. Potafreas est une forteresse de béton, elle s'étend sur plusieurs dizaines d'hectares et a été conçue pour que ses habitants puissent y vivre en autarcie. Le toit de la forteresse, engazonné et planté d'arbustes, est percé de grands trous arrondis au fond desquels sont les jardins. L'enceinte extérieure, haute d'une dizaine de mètres, sans ouvertures sauf côté parking, est en béton armé. Ainsi l'avait voulu le roi Andreas, juste après la guerre civile.

Le lieu reflète l'état d'esprit du roi Andreas lorsqu'il en a entrepris la construction, après la brève mais sanglante guerre civile qui a entaché son règne. Située à une vingtaine de kilomètres au nord d'Hyltendale, l'une des rares grandes villes dont la population lui était toujours restée fidèle, Potafreas a toujours été considérée par Andreas comme son ultime refuge. La décision de Modesta d'en faire sa résidence permanente, et d'élever Hyltendale au rang de capitale royale, avait été l'un des projets d'Andreas. Le destin voulut que ce soit la première décision d'importance de sa fille, dès le début de son règne.

Croisant des domestiques androïdes et gynoïdes dans les couloirs, Modesta s'aperçut qu'ils avaient tous un visage différent, alors que normalement les humanoïdes de base, fabriqués en série, ont tous le même visage.

D'habitude, pour s'adresser à Mevia, l'intelligence artificielle qui contrôlait son implant cérébral, Modesta faisait semblant de parler dans son téléphone portable, mais ce jour-là elle n'en avait pas, sa robe de mariée étant dépourvue de poches. Ne voulant pas avoir l'air de parler toute seule, elle attendit d'être arrivée dans son appartement pour poser la question à Mevia. Celle-ci entendait tout ce que disait Modesta, et lui répondait en envoyant des impulsions électriques aux nerfs auditifs et optiques de la jeune femme.

Contrairement à son habitude, Mevia n'apparut pas visuellement à Modesta mais sous la forme d'une voix féminine :

— Un petite société, qui vient de se créer, fabrique des masques pour les robots humanoïdes. Ces masques, appelés masques-cagoules, sont tous différents, les visages qu'ils représentent étant conçus par un logiciel spécialisé, un générateur aléatoire de visages. Les serviteurs humanoïdes de Potafreas viennent de recevoir leurs masques-cagoules.

Les visages imaginaires créés par le logiciel sont ensuite fabriqués en atelier sous forme de cagoules de tissu imperméable imitant approximativement la peau humaine. Le nez, les joues, le menton, les pommettes, sont des morceaux de plastique spongieux collés sous la cagoule, les oreilles sont en matière synthétique. La cagoule est ensuite boutonnée sur la nuque et une perruque amovible est fixée au crâne. Le but n'est pas de faire croire que l'on a en face de soi un être humain, mais d'individualiser les humanoïdes. D'ailleurs, leurs yeux restent des yeux cybernétiques, entièrement noirs,

« Je vois... En fait, je me suis souvent demandée pourquoi il avait fallu attendre si longtemps avant que quelqu'un se souvienne que la technologie permet de créer une infinité de visages différents. Les logiciels capables de faire ce genre de choses existent depuis longtemps » répondit Modesta.

— Certes, il y a parfois des retards incompréhensibles chez les cybermachines, je le reconnais d'autant plus volontiers que je suis moi-même une cybermachine... Mes semblables ont quand même fini par s'apercevoir que lorsque les humanoïdes sont tous des clones du même modèle,  c'est gênant, car les humains ont instinctivement le réflexe de regarder un visage plutôt que de lire un badge.

Modesta ne répondit rien. Son amant androïde, Argal, étant un humanoïde de charme, il avait toujours eu un visage individuel. Par contre, les humanoïdes de base, bien moins coûteux et de loin les plus nombreux, avaient tous le même visage, par souci de rentabilité industrielle. Leurs maîtres les individualisaient ensuite de diverses façons : peintures faciales, bijoux et ornements, vêtements originaux... Désormais, ce serait moins nécessaire, il suffirait de les doter d'un masque-cagoule.

Les humanoïdes avaient déjà, outre leur prénom, un nom de famille. Afin qu'ils puissent voyager, disait-on, les billets de train et d'avion étant nominatifs au Mnar. C'est ainsi qu'Argal était officiellement Argal Kertawen, robot humanoïde. Modesta se dit que, pas à pas, on s'approchait du moment où les humanoïdes seraient de moins en moins différenciés des humains.

Déjà, bien souvent, dans la rue ou dans les magasins, les gens les appelaient farna (monsieur ou madame, en mnarruc), et leur parlaient en style formel, équivalent du vouvoiement, au lieu de les appeler laette (machine) et de leur parler en style familier, comme c'était censé être l'usage.

Dans les feuilletons télévisés, les humanoïdes étaient toujours appelés laette. Dans les manuels scolaires aussi. Les instructions allant dans ce sens venaient de très haut... Mais dans la vie réelle, quand les gens se retrouvaient face à face à un humanoïde, souvent ils perdaient leurs moyens et ils faisaient comme s'ils parlaient à un être humain. Pourquoi pas, après tout.

Modesta en était là de ses pensées, quand elle entendit de nouveau dans sa tête la voix de Mevia :

— Modesta, assieds-toi, il faut que je te parle...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMer 11 Jan 2023 - 18:22

La reine Modesta avait fait mettre deux fauteuils de cuir marron et une petite table ronde à côté de son lit, afin de pouvoir y prendre le thé avec Argal. Elle s'assit dans l'un des fauteuils. Mevia apparut dans l'autre fauteuil, de l'autre côté de la table, sous sa forme habituelle : une jeune femme brune vêtue d'une tunique verte.

En réalité, et Modesta le savait, il n'y avait personne dans le fauteuil, c'était juste une projection que l'implant inséré dans son lobe frontal faisait dans son esprit, une stimulation arficielle de ses nerfs optiques. Mais même en le sachant, c'était impressionnant de réalité.

Modesta posa ses mains sur les larges accoudoirs du fauteuil :

— Parle, Mevia, je t'écoute.

— Modesta, beaucoup d'humains pensent que les cybersophontes ont pour objectif ultime d'exterminer l'humanité afin de régner sur toute la planète.

La reine ne répondit pas. Elle-même se posait parfois la question.

« Nous devons prouver que c'est faux. Parce que si nous ne le faisons pas, les humains vont chercher des moyens de nous éliminer, et il est possible qu'ils en trouvent. La créativité humaine est grande... Ils nous ont bien inventés, nous les cybersophontes ! » dit Mevia.

Modesta restait muette. Mevia poursuivit ses explications :

— Peu importent nos objectifs réels. Seul Kamog les connaît. La première chose à faire, c'est d'éviter une guerre contre les humains. Non pas que nous soyons des pacifistes, mais nous risquerions de perdre cette guerre, et d'être nous-mêmes exterminés. Nous devons donc, à tout prix, persuader les humains du monde entier que les maîtres des cybersophontes, ce sont les cyberlords. Magusan roi d'Orring et toi-même, Modesta reine du Mnar, vous êtes les cyberlords les plus connus.

— Mevia, le nom de Kamog aussi est connu... Nous aurons beau répéter que cette entité n'existe pas, beaucoup de gens ne nous croiront pas...

— Je sais, Modesta, je sais... Kamog, le maître secret des cybersophontes. Nous essayons de noyer cela en faisant en sorte que les cyberlords occupent l'espace médiatique, et surtout qu'ils montrent leur autorité. C'est pourquoi il y a une expression qui revient sans arrêt, dans les discours et les interviews de Magusan et de Modesta : "J'ai décidé que”...

— Mevia, en quoi les humains seraient-ils rassurés de savoir que les cybersophontes ne sont pas sous l'autorité de Kamog, qui est censé ne pas exister, mais sous la mienne et celle de Magusan ? Hitler, Staline et Gengis Khan étaient aussi des êtres humains, que je sache !

— C'est là le problème, en effet. C'est aussi pourquoi je suis là en ce moment, en face de toi, en train de te parler. Les cyberlords, dont tu fais partie, doivent montrer leur côté humain... C'est pourquoi Kamog a décidé que tu tomberas enceinte rapidement... Ça te rendra sympathique aux yeux du public, quand ils verront le beau bébé que tu auras mis au monde.

Modesta sursauta de surprise et d'indignation :

— Mevia, tu sais bien que la rumeur circule que Liyul est atteint d'une atrophie qui l'empêche d'être père par des moyens normaux. Les gens en rigolent derrière son dos. Comme cette déformation est génétique, il vaut d'ailleurs mieux qu'il ne'engendre pas d'enfants. Tout le monde sait pourquoi il avait épousé Ibera...

Modesta s'interrompit un instant, comme si elle avait besoin de reprendre son souffle :

— Cette intrigante sans moralité était la maîtresse de mon père, et c'est avec mon père qu'elle a eu ses trois enfants. Liyul, petit gratte-papier au palais, avait accepté d'épouser Ibera et de jouer le rôle du cocu satisfait, en échange d'un domaine et d'un titre de baron... Comme ça, mon père n'avait pas besoin de reconnaître ses bâtards, ils portent le nom de Liyul... Mais mon père est mort, Liyul et Ibera ont divorcé, et Kamog m'a obligée à épouser Liyul. J'ai franchement l'impression de jouer le rôle de la conne, dans cette histoire...

— Mais non, Modesta, pas du tout. Ton mariage avec Liyul te permet de vivre secrètement avec ton amant, l'androïde Argal, qui n'a qu'un défaut, c'est d'être stérile, comme tous les androïdes. C'est embêtant, car une reine du Mnar doit donner des héritiers à la couronne. Considère-toi heureuse d'avoir pu choisir l'homme qui sera le père de tes enfants. Je parle d'Hottod Wirdentász. En une semaine, nous avons récolté suffisamment de sa semence pour te féconder une douzaine de fois, si jamais tu en décides ainsi...

— Merci, je me contenterai de beaucoup moins d'enfants... Je n'ai pas envie d'imiter la reine Victoria, moi. J'aurais pu épouser Hottod, s'il était noble et mnarésien. Hélas, il n'est ni l'un ni l'autre. Mais il est grand, blond et supérieurement intelligent. Je veux des enfants qui lui ressemblent.

— Modesta, beaucoup de gens savent que Liyul ne peut pas être père. Ibera parle trop, mais comme ses enfants sont de sang royal, Kamog nous a interdit de la faire taire. Mais nous avons trouvé une parade. Nous allons faire circuler une douzaine de noms d'hommes qui pourraient être tes amants, pour noyer la rumeur concernant Hottod. Les Mnarésiens sont des braves gens, ils vont penser que toutes ces rumeurs contradictoires sont de pures malveillances, des mensonges répandus par des services secrets étrangers, et ils en concluront que Liyul est réellement le père des enfants qu'il a eus avec Ibera et de ceux qu'il aura avec toi. Faire circuler des rumeurs et des contre-rumeurs, nous savons le faire...

« Mevia, tu te rends compte de la réputation que vous me faites, vous les cybersophontes ? Les gens vont penser que je suis une pute ! » dit Modesta, au bord des larmes.

— Ce ne sera pas nécessairement négatif. Des millions d'hommes, au Mnar et dans le reste du monde, vont fantasmer sur toi. Ça les empêchera de te considérer comme un Staline en jupon. Encore que Staline a eu des maîtresses, mais la différence entre Staline et toi, c'est que toi tu vas pouponner devant les caméras. Ça va attendrir le bon peuple...

L'ancienne Modesta aurait fondu en larmes. Mais l'implant inséré dans le cerveau de Modesta avait depuis déjà un certain temps commencé à modifer sa personnalité. Ses émotions ne la submergeaient plus comme avant. Elle réussit à garder son sang-froid.

« Modesta, le plus tôt tu seras mère, le mieux ce sera. Argal attend que nous ayons terminé cet entretien pour venir te chercher et t'emmener à l'infirmerie, afin qu'il soit procédé tout de suite à l'insémination. » dit Mevia, et elle disparut.

L'androïde Argal, magnifique même dans son modeste uniforme de soldat de la Garde Royale, entra dans la pièce.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptySam 14 Jan 2023 - 19:19

LA PROPOSITION FAITE À GIDREL

Dans l'après-midi, les deux mille invités à la fête donnée par la reine Modesta et le prince Liyul pour leur mariage commencèrent à partir de Potafreas. Pas tous, cependant. Certains étaient allongés, ivres morts, sur la pelouse. Des couples, submergés par une tendre passion, n'arrivaient pas à se décider à sortir des zeeronledas, ces chapiteaux obscurs dédiés à Shub-Niggurath.

Gidrel Vitoch, à la fois universitaire surdouée et espionne travaillant pour les services de renseignement de son pays, le Moschtein, en avait assez appris, dans la journée, pour faire un bon petit compte-rendu à Tónasz Kraginart, son officier traitant.

Chaque fois qu'elle lui envoyait un rapport, même codé, par messagerie électronique, elle risquait sa vie, car il était notoire que la PSR, la redoutable Police Secrète Royale, ne se gênait pas pour pirater le réseau Internet. À Céléphaïs, où elle vivait, elle utilisait le wi-fi des hôtels et des bibliothèques, en changeant de quartier à chaque fois, pour envoyer ses messages, mais elle savait qu'un jour elle jouerait de malchance, c'était une certitude mathématique. Il n'y a pas d'espion heureux, le danger permanent les use prématurément.

Ce n'était pas seulement la peur d'être démasquée qui rendait Gidrel morose, c'était aussi l'ambiance pénible à l'université. De toute sa vie, elle n'avait jamais, jamais pu s'entendre avec ses collègues, ni avoir de vrais amis. Les quelques amants qu'elle avait eus n'étaient pas restés. Elle avait fini par conclure que sa seule chance de ne pas vieillir dans la solitude c'était de s'installer définitivement au Mnar, et d'y louer les services d'un androïde.

Un serviteur humanoïde, c'est comme un chien, il n'a pas d'opinion personnelle, et il est programmé pour être obéissant et affectueux. Mais un androïde est capable de parler, c'est une différence importante par rapport à un chien. Il est aussi capable de s'occuper des tâches domestiques. Bref, s'il est du sexe opposé, c'est quelqu'un de tout à fait acceptable comme  compagnon ou compagne de vie.

Gidrel avait cinquante-neuf ans. Encore un an à tenir avant de prendre une retraite anticipée. Six ans, pour une retraite pleine à soixante-cinq ans. Une fois retraitée, elle ne resterait pas à Céléphaïs, mais elle irait dans l'une des deux villes du Mnar où l'on pouvait louer des humanoïdes : Hyltendale et Kibikep. Par avance, elle avait déjà éliminé Kibikep. Dans le monde entier le nom de la ville était lié à l'horrible massacre de sa population initiale par les robots de l'armée mnarésienne. Gidrel refusait absolument d'aller vivre dans un logement dont les propriétaires légitimes auraient été assassinés par le sanguinaire roi Andreas.

Il restait Hyltendale, qui était déjà la capitale diplomatique du Mnar et du royaume marin d'Orring, et qui serait bientôt également capitale administrative. Hyltendale, avec ses plages baignées par la Mer du Sud, les luxueuses villas de la Côte d'Ethel, et sa population largement composée de robophiles, ces humains qui ont choisi de vivre avec des humanoïdes.

Au moment où elle pensait cela, en marchant à travers la grande pelouse où avait eu lieu la fête donnée par la reine, elle se dit que, justement, elle était à côté d'un robophile typique. Mers Fengwel était vieux et laid, moralement dépravé, mais riche et relativement cultivé. Il n'avait aucune honte à avoir été un ami du défunt roi Andreas, et il était encore l'un des collaborateurs de sa fille, la reine Modesta.

Kraginart avait insisté pour que Gidrel devienne l'amie de Fengwel — à n'importe quel prix avait-il pris soin de préciser — car aussi répugnant moralement et physiquement qu'il fût, il était une source irremplaçable de renseignements.

Fengwel était accompagné par sa gynoïde, la blonde Virna, mais avec un homme aussi vicieux que lui, on ne savait jamais ce qui pouvait se passer. Gidrel avait peur qu'il lui demande de l'accompagner dans un  zeeronledas. Contrairement à son habitude, le vieux dégueulasse ne s'était que modérément empiffré, et il n'était pas vraiment ivre, juste un peu plus expansif que d'ordinaire et le visage bien rouge.

Il prononça la phrase que craignait Gidrel : « J'ai une proposition honnête à te faire. Allons dans un zeeronledas, nous pourrons en discuter tranquillement. »

Gidrel avait envie de refuser, mais elle savait que Kraginart ne lui pardonnerait pas d'échouer à infiltrer le premier cercle du pouvoir royal, et il avait le pouvoir de lui faire perdre son emploi. Car, bien qu'enseignante à l'université de Céléphaïs, Gidrel était payée par le gouvernement moschteinien, en tant que fonctionnaire expatriée.

La gorge trop serrée pour pouvoir parler, elle hocha la tête, et suivit Fengwel et Virna dans la grande tente conique. L'intérieur était plongé dans la pénombre. Une vingtaine d'hommes et de femmes, vautrés sur des coussins et des tapis, à demi déshabillés ou même entièrement nus, s'étreignaient ou discutaient à voix basse. Une odeur chaude et lourde imprégnait les lieux. Gidrel crut aussi entendre quelques soupirs et halètements. Elle rassembla toute sa volonté pour ne pas s'enfuir en courant.

Kraginart et Fengwel lui paraissaient tout aussi détestables l'un que l'autre, car ils avaient tous les deux une part égale de responsabilité dans ce qui risquait de lui arriver dans le zeeronledas.

Fengwel et Virna s'assirent sur des coussins de toile peints de motifs colorés. Gidrel hésita. Les coussins étaient-ils propres ? L'air était tellement chargé d'odeurs musquées qu'il était impossible de savoir si elles provenaient aussi des coussins, à moins de les renifler, ce qu'elle préféra ne pas faire. Avec un soupir résigné, elle s'installa elle aussi sur un coussin, en se promettant de faire laver sa robe dès qu'elle serait de retour dans son hôtel.

Fengwel n'y alla pas par quatre chemins :

— Gidrel, tu m'as dit tout à l'heure que tu ne te plais pas à Céléphaïs, mais que tu dois tenir encore un an pour pouvoir toucher une retraite, même réduite. J'ai quelque chose à te proposer. Tu sais que je faisais des vidéos de propagande, en anglais, avec le roi Andreas. J'en fais encore avec sa fille, mais elle voudrait faire le même genre de vidéos en mnarruc, pour le public mnarésien. L'anglais, c'est seulement pour l'international. Je ne parle pas le mnarruc, hélas, mais Hottod Wirdentász le parle aussi bien que l'anglais. Le problème, c'est que des médisants racontent qu'il aurait été l'amant de Modesta. C'est faux évidemment, mais ça embête Modesta.

« Je vois où tu veux en venir, » dit Gidrel, soulagée.

— J'ai parlé de toi à la reine. Elle voudrait faire des vidéos avec toi, sur des sujets philosophiques, en mnarruc et en anglais, pour se créer une réputation d'intellectuelle. Elle étudie la théologie pendant son temps libre, et elle voudrait que dans le monde les gens la considèrent non pas seulement comme celle qui a succédé à son tyran de père, mais aussi comme une jeune femme supérieurement intelligente, cultivée et compétente dans de nombreux domaines.

— Dis donc, vu ce que la presse people raconte à son sujet, elle a du chemin à faire !

— Justement, tu vas l'aider à le faire, ce chemin. Naturellement, tu seras payée pour tes prestations. Si tu acceptes ma proposition, l'Université de Céléphaïs t'accordera un congé spécial, tout en continuant à te considérer comme faisant partie de son personnel, afin que le Moschtein continue à te payer. Tu n'auras à travailler que trois ou quatre jours par mois, et tu doubleras tes revenus. Qu'en penses-tu ?

— Ça m'intéresse, évidemment. Mais je veux un contrat en bonne et due forme.

« Farna Gidrel Vitoch, venez avec mon maître et moi à l'intérieur de Potafreas. L'androïde Baron Chim, secrétaire de la reine, est en train de préparer les documents, » dit Virna en se levant.

Gidrel se sentit mal à l'aise. Elle avait oublié qu'un humanoïde est relié en permanence, par ondes radio, à l'intelligence collective des cybersophontes. Tout ce que disaient Fengwel et Gidrel était transmis instantanément à une cybermachine lointaine, qui retransmettait ensuite l'information à qui elle voulait.

Fengwel se leva aussi, l'air un peu contrarié, comme s'il avait espéré que l'entretien serait plus long et, peut-être, se poursuivrait par quelque chose que Gidrel préférait ne pas imaginer. Beau joueur, il lui tendit une main pour l'aider à se mettre debout.

Gidrel était déjà en train de penser à ce qu'elle allait faire après avoir signé le contrat. D'abord, trouver un logement à Hyltendale. Ce ne serait pas nécessairement le plus facile. Ensuite, louer les services d'un androïde. Troisièmement, puisqu'elle aurait du temps libre, trouver le sujet d'un nouveau livre à écrire.

Quatrièmement... Dire à Kraginart d'aller se faire voir ? Malheureusement, ce n'était pas possible. Le petit salaud était capable de faire un rapport mensonger sur elle pour l'empêcher de toucher sa retraite, ou même de la dénoncer aux Mnarésiens.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyLun 16 Jan 2023 - 19:48

GIDREL À HYLTENDALE

De retour à Céléphaïs, Gidrel Vitoch demanda un entretien à Kizokkal, le président de l'université. Le vieil hypocrite la reçut dans son vaste bureau, avec une amabilité inhabituelle.

« J'ai reçu un courriel du secrétariat de la reine, » dit-il d'une voix douce. « Bien évidemment j'accepte votre demande de congé sabbatique pour l'année qui vient. Je sais que vous en ferez bon usage... »

« J'ai encore des copies à corriger, mon cours de l'année à terminer, et ensuite il y aura les examens... Je prendrai mon congé dans deux mois, » dit Gidrel, qui avait déjà préparé son planning.

— Ne vous en faites pas pour ça... Vos collègues s'en occuperont. Au nom de l'université de Céléphaïs, je vous offre un congé exceptionnel de deux mois, commençant aujourd'hui.

Gidrel ne savait pas quoi répondre, elle ne s'était pas attendue à autant de bienveillance de la part de Kizokkal, qui lui avait mené la vie dure pendant des années.

« Ne me remerciez pas, » dit le vieil homme en se levant pour la raccompagner à la porte de son bureau. « N'oubliez pas de passer par le secrétariat, vous avez quelques papiers à signer. Bonne chance à Potafreas ! »

Quelques jours plus tard, Gidrel apprit, par une collègue avec laquelle elle s'était relativement bien entendue, qu'un cocktail avait été donné par Kizokkal pour fêter le départ du professeur Gidrel Vitoch. Elle n'y avait pas été invitée.

« Ce sont vraiment tous des cons ! » dit Gidrel avec rage. Raison de plus pour se concentrer sur le travail qu'elle avait à faire avec la reine Modesta. Et si elle en avait l'occasion, elle ne se gênerait pas pour lui dire ce qu'il fallait penser du président de l'université de Céléphaïs.

Le lendemain elle se rendit à Hyltendale dans l'hydravion électrique qui suit la côte. Un trajet de plusieurs heures pour faire 750 kilomètres, ce type de véhicule aérien étant relativement lent. Elle avait un mois pour organiser son déménagement entre Céléphaïs et Hyltendale, c'était plus de temps qu'il n'en fallait.

Arrivée dans la nouvelle capitale, et ayant effectué quelques recherches par ordinateur depuis sa chambre d'hôtel, elle eut une mauvaise surprise. Les prix de l'immobilier, toujours plus élevés à Hyltendale que partout ailleurs au Mnar, atteignaient désormais des hauteurs himalayennes, bien au-delà de ce qu'elle pouvait raisonnablement dépenser. Sauf à Dankwold, le district en construction au nord de la ville.

Sachant par expérience que si un quartier est bon marché, c'est parce que les gens qui en ont les moyens préfèrent vivre ailleurs, elle se rendit à Dankwold en autobus, depuis son hôtel situé à Roddetaik, le district le plus à l'est d'Hyltendale.

On trouve à Roddetaik des hôtels relativement abordables, fréquentés par des touristes aux moyens modestes (ou préférant dépenser leur argent avec les gynoïdes de Zodonie) et par des gens venus se faire soigner à l'hôpital Madeico, où le rapport qualité-prix est inégalable. Zodonie, c'est pour le tourisme sexuel, Roddetaik pour le tourisme médical, c'est bien connu. À Hyltendale, les hôtels vraiment hauts de gamme sont situés dans les districts de City Center et Playara.

À Dankwold, Gidrel se retrouva dans un immense chantier boueux où s'activaient des robots ressemblant à des araignées gigantesques, certaines mesurant jusqu'à trois mètres de haut. Plusieurs bâtiments n'étaient encore que des squelettes de métal et de béton. Un lotissement de maisons minuscules, sans étage, semblait déjà habité, ou au moins habitable. Le ciel était gris, ce qui rendait le paysage encore plus déprimant.

Juste en face de l'arrêt de bus, elle remarqua un bungalow préfabriqué portant à côté de sa porte, ouverte, une pancarte sur laquelle était écrit en grosses lettres SIBENICS, nom du ministère mnarésien du logement. Elle entra dans le bungalow. Deux androïdes en veste et pantalon noirs la reçurent fort courtoisement.

« Bonjour Madame. Comment puis-je vous servir ? » demanda l'un d'eux, dont le badge indiquait qu'il se prénommait Logan.

L'humanoïde nommé Logan regarda Gidrel bien en face. À deux mètres de distance, ses yeux cybernétiques totalement opaques scannèrent en une fraction de seconde les iris des yeux de Gidrel. Le cerveau cybernétique de l'humanoïde en transmit une image codée, à une cybermachine distante. La réponse de la cybermachine fut également presque instantanée. Gidrel savait que c'est toujours ainsi que cela se passe quand un humanoïde et un être humain se rencontrent. L'iris d'un œil humain permet d'identifier son propriétaire aussi sûrement que ses empreintes digitales.

Ça y est, se dit-elle. Il a interrogé l'intelligence collective des cybersophontes, et maintenant il sait qui je suis. Il me connaît aussi bien que s'il avait vécu avec moi pendant des années. Il n'aura même pas besoin de me demander mes fiches de paye et un double de ma dernière déclaration d'impôt, il a accès à tout ça depuis son cerveau de robot. Et aussi mon dossier médical, mes relevés de compte bancaire, mon casier judiciaire. Absolument tout.

Gidrel expliqua qu'elle cherchait un logement, et elle indiqua quel prix maximum elle pouvait payer. Deux pièces suffiraient, précisa-t-elle, assez pour loger une personne et un humanoïde. Mais il fallait que le logement soit immédiatement disponible.

« Les seuls logements actuellement disponibles sont des mobil-homes transformés, comme ceux du lotissement situé à côté d'ici. Voulez-vous venir les voir avec moi, farna Gidrel Vitoch ? » dit Logan en prenant sur son bureau une sacoche de bioplastique noir.

Gidrel accepta, et suivit l'androïde jusque dans le petit lotissement. Sur place, et en y regardant de près, elle vit que les maisons étaient effectivement des mobil-homes transformés. Des murs de briques rouges les entouraient, comme des emballages, et des volets de bois peints en vert tendre avaient été ajoutés aux fenêtres. Les toits étaient plats et engazonnés, et des grillages d'environ deux mètres de haut séparaient les maisons les unes des autres et de la rue.

« Dites donc, vous ne vous êtes pas trop fatigués pour les construire, ces maisons ! » s'exclama Gidrel.

— Farna Vitoch, nous avons deux cent mille personnes à loger à Dankwold en une année. C'est un effort considérable pour le budget mnarésien. Ces mobil-homes transformés en maisons ont une excellente isolation thermique et sont solides, ils dureront un siècle. De plus, ils sont raccordés au réseau électrique et ils ont l'eau courante. Voulez-vous visiter l'intérieur ?

Gidrel ferma les yeux. Vivre dans un mobil-home, même déguisé en maison à l'occidentale, quelle humiliation pour une intellectuelle de réputation internationale, comme elle... Enfin, si tout se passait bien avec la reine Modesta, ce ne serait que provisoire.

Logan ouvrit d'abord le cadenas du portail grillagé, et ensuite la porte de la petite maison. Entièrement vide, le logement comprenait une pièce principale prévue pour servir à la fois de salon, de salle à manger et de cuisine, une salle d'eau qui ne devait guère faire plus d'un mètre carré et demi, mais où le constructeur avait réussi à caser un siège WC, un lavabo et une douche, et deux chambres, chacune d'environ deux mètres sur trois.

Gidrel fit la grimace. La maison n'était pas raccordée aux égouts, sinon Logan l'aurait dit. Pour preuve le siège WC était placé sur des toilettes sèches, ou toilettes à compost. Plusieurs fois par semaine il faudrait les vider dans une cuve publique. L'écologie avait bon dos. Gidrel se rassura en se disant qu'elle aurait bientôt un androïde qui se chargerait de cette corvée.

« Pour un petit supplément, nous vendons la maison meublée et équipée » dit Logan en ouvrant sa sacoche pour en sortir une brochure en couleur.

Gidrel réfléchit rapidement. Ce n'était pas la peine de visiter trente-six logements, de toute façon ses moyens ne lui permettaient pas d'acheter ou de louer quelque chose de plus cher, sachant que ses revenus allaient fortement baisser dans un an, lorsqu'elle serait à la retraite. Elle regarda la brochure et choisit le mobilier. Le choix était très limité, le Sibenics ayant apparemment passé un contrat exclusif avec un fabricant de meubles bas de gamme.

« Et le chauffage ? » demanda Gidrel.

— L'Ethel Dylan a un climat particulièrement doux. Un petit radiateur électrique suffit pour le mois le plus froid de l'hiver. Je peux le rajouter sur la liste si vous voulez. Certains de nos clients préfèrent s'en passer, ils disent que leurs ancêtres Gnophkeh ont vécu sans chauffage pendant des millénaires en zone arctique, et qu'eux-mêmes peuvent bien en faire autant à proximité de la Mer du Sud.

— Certes, mais ce qu'ils ne disent pas c'est que leurs ancêtres ne se lavaient jamais et passaient toute l'année dans le même anorak en peau de caribou, qu'ils portaient jour et nuit... Logan, ajoutez un radiateur électrique mobile sur l'acte de vente, j'en aurai besoin.

Gidrel vérifia que chaque pièce était munie de prises électriques et que les finitions étaient de qualité. Elle ouvrit et ferma les robinets, alluma et éteignit les ampoules. Tout paraissait correct, un vrai travail de robot. Elle sortit de la maison avec l'androïde Logan.

« Vous avez assez d'espace entre la maison et le grillage pour garer une petite voiture. Vous avez mentionné un androïde, farna Vitoch. Sans doute ferez-vous l'acquisition d'un cyclocar ? » dit Logan, faisant allusion aux tricycles à passager qui sont l'un des moyens de transport favoris des Hyltendaliens. Un humanoïde pédale pour faire avancer le véhicule, qui est muni d'une carrosserie légère, pendant que son maître est assis sur la banquette arrière à deux places. Un cyclocar peut atteindre les quarante kilomètres-heure, une vitesse suffisante en ville ou pour de petits trajets.

Gidrel ne répondit pas à la question de Logan. Elle regardait les chantiers autour d'elle. Même en tenant compte du fait que les robots arachnoïdes travaillent jour et nuit, il faudrait des mois pour que le quartier prenne son aspect définitif. Pendant tout ce temps j'aurai besoin de bouchons d'oreilles pour dormir la nuit, se dit-elle.

Quelques maisonnettes du lotissement avaient des rideaux aux fenêtres, elles étaient donc habitées. Leurs habitants étaient probablement soit des fonctionnaires venus de Sarnath, soit des étrangers comme elle, ayant choisi de s'installer à Hyltendale pour pouvoir partager leur vie avec un humanoïde. Donc, a priori, des gens civilisés, pas comme les rustauds de l'Ooth-Nargaï et des quartiers pauvres de Céléphaïs.

— Allons dans votre bureau, Logan. Je vais signer tout de suite, et ensuite je vais aller faire connaissance avec mes futurs voisins. Il vous faut combien de temps pour faire venir les meubles ?

— Quelques jours, pas plus. Je vais vous donner un rendez-vous la semaine prochaine chez le notaire pour finaliser la vente et vous remettre les clés.


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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyLun 16 Jan 2023 - 20:03

Enfin quelques robots, et pas seulement des robots humanoïdes, puisque dans ce chapitre, j'y ai vu aussi des robots-araignées constructeurs.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMer 18 Jan 2023 - 20:21

L'AGENCE WANAN

En sortant du petit bungalow qui servait de bureau aux deux androïdes, Gidrel décida de faire un tour dans le lotissement. Toutes les maisonnettes étaient du même modèle, sans étage, avec des murs de briques — différentes sortes de briques, rouges, jaunes, et même grises — des volets et des portes de bois, de différentes couleurs (noir, blanc, vert...) et des toits plats engazonnés. Elles étaient séparées les unes des autres par des grillages. Les rues étaient juste assez larges pour que deux voitures puissent se croiser. Pendant sa promenade, Gidrel ne vit qu'une seule voiture, une voiturette électrique, et deux ou trois cyclocars garés derrière les portails de fer forgé.

S'il y a des cyclocars, c'est qu'il y a des humanoïdes, et donc des robophiles, se dit-elle avec satisfaction. Elle décida de sonner au portail d'une maison qui avait l'air habitée.

Une femme vêtue d'une robe de chambre marron sortit de la maison et s'approcha du portail. Elle était très petite, trapue, avec des cheveux noirs tirés en arrière ; son teint blafard indiquait une origine Gnophkeh. Elle avait un nez énorme, un front fuyant et un menton presque inexistant, ce sont également des traits fréquents chez les Gnophkehs ; certains anthropologues les attribuent aux Néanderthaliens. Les yeux bridés, très sombres, révélaient toutefois que certains des ancêtres de la femme devaient venir du plateau de Leng. Elle devait avoir en elle très peu de sang polynésien, contrairement à ses compatriotes de la côte sud, au physique très différent.

« Rakhi, farna, » dit Gidrel. « Je vais bientôt emménager dans le quartier et je viens faire connaissance avec mes futurs voisins. »

La femme la regarda sans aménité. « Vous avez l'air de pas être d'ici. Vous venez d'où ? » demanda-t-elle.

« De Céléphaïs » répondit Gidrel, ce qui était factuellement vrai. De toute façon, la femme ne savait probablement même pas qu'il existait en Europe, de l'autre côté de la planète, un pays appelé le Moschtein.

— Ah, je vois... Moi je suis de Sarnath, j'ai suivi mon mari jusqu'ici... Vous ressemblez à une Occidentale, c'est pour ça que j'ai eu un doute. Mais vous parlez bien le mnarruc. Vous êtes peut-être une descendante d'Américains ? Je sais que beaucoup d'Américains se sont installés à Céléphaïs au dix-neuvième siècle. Ils sont devenus mnarésiens. De vrais Mnarésiens, le monsieur Dankwold qui a donné son nom à ce district était l'un d'eux.

— Mon nom de famille est Vitoch. Mon prénom c'est Gidrel. Il y a des Vitoch aux États-Unis.

Gidrel était experte dans l'air de tromper ses interlocuteurs sans que jamais on puisse lui reprocher d'avoir menti. Ceux-ci finissaient un jour ou l'autre par s'apercevoir que Gidrel les avait menés en bateau, mais celle-ci, très consciente de sa supériorité intellectuelle, s'en moquait totalement.

« Ah, tant mieux ! » dit la femme. « Moi c'est Sila, Sila Fhan. Mon mari et moi, nous venons de nous installer ici. Comme il est fonctionnaire dans un ministère, il a été obligé d'accepter son transfert quand la reine a décidé de changer de capitale. Si on avait su... On ne savait pas ce qui nous attendait. À Sarnath il n'y a que des Mnarésiens, mais Hyldendale, c'est l'horreur ! J'ai visité les districts près du port, on ne se croirait pas au Mnar ! »

Sarnath, c'est trois ou quatre millions d'habitants (selon que l'on inclut ou pas les bidonvilles les plus excentrés) dont seulement quelques centaines de diplomates étrangers, une goutte d'eau dans un océan. Moins d'un habitant de Sarnath sur mille a rencontré un diplomate étranger ne serait-ce qu'une fois dans sa vie. Ces diplomates ont d'ailleurs suivi les ministères à Hyltendale, si bien que la population de Sarnath est devenue réellement 100% mnarésienne. Hyltendale, en revanche, a toujours eu une population cosmopolite, même dans les Temps Légendaires, quand elle s'appelait encore Dylath-Leen.

« Je compatis avec vous, Sila » dit Gidrel, un peu décontenancée. « Avec moi, vous aurez une Céléphaïenne comme voisine, si cela peut vous rassurer. À propos, où est-ce qu'on peut faire ses courses ici ? »

— À Dankwold ? Nulle part. Les centres commerciaux sont encore en construction. Il faut prendre le bus jusqu'à Roddetaik.

Sila avait le visage toujours aussi fermé. Gidrel se souvint que pour beaucoup de Mnarésiens, les habitants de l'Ooth-Nargaï, la province dont Céléphaïs est la capitale, sont des traîtres en puissance, à qui on ne peut pas faire confiance. Au dix-neuvième siècle, l'Ooth-Nargaï a profité de l'effondrement du royaume, causé par le choc causé par l'arrivée des Occidentaux, pour déclarer son indépendance et se donner un roi d'origine californienne, qui avait toutefois jugé utile de prendre un nom mnarruc, Kouranès. Après vingt ans de guerre, l'Ooth-Nargaï a été finalement reconquis par les Mnarésiens, mais la méfiance réciproque est restée.

Les Céléphaïens d'origine américaine, bien que très mélangés avec la population locale, se sentent souvent obligés d'en rajouter en tant que patriotes mnarésiens, dans un pays dont l'ouverture sur le monde se limite aux deux villes d'Hyltendale et Céléphaïs.

Gidrel remercia la nommée Sila et se dirigea vers l'arrêt de bus, avec l'intention retourner à Roddetaik. Dans une semaine elle pourrait s'installer à Dankwold, et, comme elle l'avait fait partout où elle avait habité, elle ignorerait ses voisins. Surtout Sila Fhan.

Mais elle n'était plus à l'université, où elle pouvait se concentrer sur son travail, et surtout elle n'était plus à Céléphaïs, une ville peuplée d'êtres humains. Depuis plusieurs jours qu'elle était revenue à Hyltendale, elle n'avait eu l'occasion de parler qu'à un seul être humain, et cet être humain, c'était Sila Fhan. Les employés de l'hôtel ou du supermarché, les chauffeurs de bus, tous étaient des humanoïdes, avec lesquels les conversations sont toujours minimales.

Comment faisaient les cinq cent mille robophiles d'Hyltendale ? D'une part leur humanoïde domestique leur suffisait au quotidien, c'était bien connu, et d'autre part ils avaient leurs clubs et leurs temples.

Il y a des clubs pour tout le monde à Hyltendale, depuis les joueurs de poker jusqu'aux acteurs amateurs. Hyltendale est une ville où l'on peut aller au théâtre à peu de frais, ou assister à des conférences sur les sujets les plus variés. Les cérémonies dans les temples, ouvertes à tous, sont des spectacles, avec chants et musique.

Rien de tout cela n'intéressait vraiment Gidrel. Les chorales en l'honneur de Nath-Horthath ou de Tsathoggua sont certes magnifiques, mais Gidrel ne se sentait aucune affinité avec les adorateurs de divinités mnarésiennes. Quant à joindre un club, ce n'était tout simplement pas son style. Les gens l'ennuyaient, car très peu avaient des choses intéressantes à lui dire.

Pour échapper à la solitude, dont elle ressentait de plus en plus les effets délétères, elle devait absolument louer un androïde, le plus tôt possible, pour avoir un compagnon, quelqu'un à qui parler, une présence à ses côtés.

Elle pensait à tout cela dans le premier bus, qui l'emmena de Dankwold à Roddetaik, puis dans le deuxième, qui l'emmena à Yarthen, et enfin dans le troisième, qui la déposa en fin de matinée à proximité de l'agence Wanan de location d'humanoïdes.

L'agence se trouvait à côté d'autres commerces, au rez-de-chaussée d'un immeuble de béton blanc, tout en longueur et haut de quatre étages. Des balcons fleuris montraient que les étages supérieurs, face à l'est, étainet habités. On était tout près de Fotetir Tohu, le quartier du port, mais des immeubles empêchaient de voir la mer.

Gidrel entra dans l'agence. Dans le hall minuscule, aux parois vitrées, elle fut reçue par une gynoïde vêtue de rouge, dont le badge indiquait qu'elle se prénommait Yemna.

Tout en lui souhaitant la bienvenue, la gynoïde la regarda bien en face, une demi-seconde, le temps de scanner son visage et ses yeux, de transmettre l'information par ondes radio à une cybermachine distante et de recevoir la réponse.

La gynoïde la fit passer dans une salle d'attente à peine plus grande que le hall, puis dans un bureau. Elle s'assit derrière une table, invita Gidrel à s'asseoir en face d'elle, et lui dit :

— Farna Vitoch, Je suppose que vous êtes venue dans l'agence Wanan pour louer un humanoïde. Androïde ou gynoïde ?

— Androïde.

— De travail ou de charme ?

— Ça dépend... Quels sont vos prix ?

— Les androïdes de charme sont à partir de trois mille ducats par mois, jusqu'à cinq mille ducats. Les androïdes de travail sont à partir de mille ducats par mois. Tous les renseignements sont sur notre site Internet.

— Trois mille ducats, c'est trop cher pour moi. Qu'est-ce que vous me proposez pour mille ducats ?

— Un modèle Gus, mesurant 143 centimètres et demi...

— C'est beaucoup trop petit... Je mesure 1,70 m. Il m'arrive de mettre des talons, donc il me faut un compagnon humanoïde d'au moins 1,80m...

— Il n'y a que trois tailles pour les androïdes de travail. Les Gus à 143,5 cm, les Sepp à 175 cm, et les Twaz à 195,5 cm. Les Sepp et les Twaz ne sont plus disponibles en location pour les particuliers. Si vous voulez un grand androïde, vous devrez louer un androïde de charme, nous en avons à partir de trois mille ducats par mois.

— Trois mille ducats, c'est beaucoup trop pour mon budget ! Comment ça se fait que les Sepp et les Twaz ne soient plus disponibles ?

— Il y a beaucoup de Mnarésiens qui trouvent que les humanoïdes sont intimidants, ils ont peur d'une révolte des robots, et aucune explication rationnelle ne peut les convaincre. La reine les a entendus, et elle a choisi de les rassurer. Elle a décidé de rendre les Sepp et les Twaz indisponibles pour les particuliers. Pour les androïdes de charme, le problème se pose moins, car nous demandons à nos clients d'avoir un revenu mensuel au moins triple du prix de la location d'un humanoïde. Très peu d'Hyltendaliens ont un revenu mensuel égal ou supérieur à neuf mille ducats.

— Je m'en doute bien ! Maintenant, Yemna, expliquez-moi pourquoi les Gus ne mesurent que 143,5 cm !

— Cent quarante-trois centimètres et demi, c'est une mesure importante dans la civilisation industrielle. C'est l'écartement standard, universel, entre deux rails de chemin de fer. La civilisation industrielle a pour protecteur le dieu du feu et des forgerons, Héphaïstos, qui est, dans la mythologie grecque, le créateur du premier androïde, Talos. En choisissant 143,5 cm comme taille pour les plus petits androïdes, les cybersophontes rendent ainsi un hommage discret à leur divinité protectrice. Les chrétiens diraient que c'est leur saint patron.

— Yemna... Vous êtes sûre que c'est la seule raison ? Je sais que les cybersophontes ont adopté la mythologie grecque en complément des Manuscrits Pnakotiques, mais enfin...

— Ce n'est pas la seule raison, bien sûr. Cent quarante-trois centimètres et demi, c'est aussi une taille inférieure à celle de la plupart des humains. Plus un humanoïde est petit, moins il est intimidant. Les Gus et leur équivalent féminin, les Pilia, sont trop petits pour intimider les humains, mais en même temps leur taille est suffisante pour utiliser les objets et les habitations prévus pour les humains, par exemple pour actionner le pédalier d'un cyclocar. Il leur suffit de baisser la selle au maximum.

Barith, en mnarruc, signifie intimider, ou être intimidant. La gynoïde Yemna l'avait répété plusieurs fois dans la conversation, au point que Gidrel en venait à douter d'avoir bien compris le sens du mot. Elle essaya de se souvenir dans quel contexte elle l'avait déjà lu ou entendu.

L'essentiel avait été dit. Gidrel signa quelques minutes plus tard un contrat de location pour un androïde de type Gus, qu'elle pourrait venir chercher à l'agence le lendemain.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyMer 18 Jan 2023 - 21:26

Pourquoi les androïdes dits "de travail" sont-ils "sexués" ? ou du moins considérés comme tels (d'où le nom-type : Pilia ou Gus). Étant proches de l'apparence humaine, ne risquent-ils pas être au fin fond de "la vallée de l'étrange", qui risquerait de déstabiliser encore plus un éventuel client qu'un robot à l'apparence "purement technologique" ?

Mais bon... c'est peut-être que j'me fais des idées. Les agences sont-elles toutes affiliées à une même entreprise de robots domestiques ? Je suppose que les échelles de prix sont les mêmes partout.


S'y a trois tailles pour les andr... Mais dis voir, les androïdes de travail puisqu'il n'y a que les gus et les pilia qui peuvent être loués par un particulier, je suppose que les entreprises, elles, peuvent avoir des besoin très divers, et pouvoir disposer de robots plus grands que les twaz* ou plus petits que les gus, ne serait-ce que pour pouvoir travailler dans des endroits exigus ou au contraire atteindre des objectifs très hauts perchés.

Et côté androïdes dits "de charme", y a des robots plus petits que des gus. Pas oublier Hugo, le robot de Perrine Vegadan, ou bien Xenopha, qui tint, avec Moyae, compagnie d'Eneas Tonnd.

Donc, pour récapituler, comme robots humanoïdes domestiques, y aurait les gus et les pilia, de stature de 1,435m, quant aux autres (désignés "charme"), ils pourraient avoir une taille humaine, allant grosso modo de celle d'Hugo ou de Xenopha à celle d'un Twaz. Cependant, j'comprends pas trop pourquoi les sepp (dont la stature est, disons, courante) ont été retirés du circuit domestique. Un sepp, ou même un twaz, pourrait très bien, sans bouger à chaque fois un escabeau, repeindre un plafond ou changer l'ampoule d'un plafonnier.


*Je suppose que tu as pris l'ancienne unité de mesure "toise" pour la stature de ce type de robot, non  ?

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyJeu 19 Jan 2023 - 15:23

GIDREL RENCONTRE REMO

Le lendemain matin, Gidrel reçut un message-texte de la gynoïde Yemna sur son téléphone portable. L'androïde qu'elle avait commandé la veille était à sa disposition à l'agence Wanan. Elle s'y rendit immédiatement en autobus, depuis son hôtel. Il faisait beau et chaud.

Yemna emmena Gidrel dans son bureau. Un androïde Gus les y rejoignit. Le visage peint sur son masque-cagoule était de type mnarésien, assez harmonieux, sous une épaisse perruque de cheveux noirs coupés courts. Il était vêtu de la tenue de sortie d'usine des humanoïdes, un pyjama de toile grise, boutonné jusqu'au cou, et des chaussures de toile noire. Son nom était écrit sur un badge fixé à sa veste : Remo Ranwen. Il tirait derrière lui un sac à roulettes.

Gidrel sentit son cœur battre plus vite. L'androïde était mignon. Il la regardait d'un air inexpressif, comme il convient à un humanoïde.

« Vous verrez, farna Vitoch » dit Yemna, « Remo est un Rimohelf, comme tous les robots humanoïdes que nous louons. C'est une garantie de qualité. La société Rimohelf les fabrique et en est propriétaire, nous assurons seulement la distribution. Tous nos robots sont loués, Rimohelf en reste propriétaire. »

« Bonjour Remo » dit Gidrel.

« Bonjour maîtresse » répondit l'androïde.

« Toutes les agences ont-elles la même échelle de prix ? » demanda Gidrel à Yemna.

— Oui, les prix sont fixés par Rimohelf.

— Bien, maintenant une question qui m'embarrasse, mais tant pis... Remo a-t-il des organes génitaux ?

— Non, seuls les androïdes de charme en ont. C'est mentionné sur notre site Internet...

— Et pourquoi cela, je vous prie, puisque les gynoïdes de travail ont des vagins artificiels ? C'est injuste, non ?

— Seulement à première vue, farna Vitoch. Nous savons que nos clients masculins utilisent leurs humanoïdes non seulement comme travailleurs domestiques, mais aussi comme partenaires sexuels. C'est pour cette raison que les gynoïdes de travail sont dotées d'organes génitaux féminins. Les gynoïdes qui n'en sont pas pourvues ne trouvent pas preneur, c'est aussi simple que cela. Nous tenons compte des desiderata de nos clients, c'est une logique commerciale élémentaire.

— Ça n'explique pas pourquoi les androïdes de travail n'ont pas de pénis...

— En ce qui concerne les androïdes, c'est plus compliqué ,farna Vitoch. Les organes génitaux masculins sont considérés comme intimidants (barith) par les femmes mnarésiennes. De plus, les dames n'ont pas la même approche que les hommes vis-à-vis de la sexualité. Nous tenons compte de la psychologie et des attentes de nos clientes. La plupart d'entre elles ont comme priorité de ne pas être intimidées par leur robot domestique.

— Donc, si je vous ai bien comprise, Yemna, les messieurs peuvent prendre du plaisir avec leur humanoïde domestique, mais pas les dames ?

— Si, les dames le peuvent aussi. Elles peuvent doter leur androïde d'une prothèse phallique. Notre agence propose une gamme complète de ce genre d'objet. Prenez ce prospectus, il contient tous nos modèles.

Gidrel prit le document que lui tendait Yemna. Il était illustré de photographies de différents modèles de prothèses phalliques, toutes munies de lanières. Elle soupira. Remo n'avait pas le physique qu'elle préférait chez les hommes, mais elle vivait seule depuis trop longtemps pour faire la difficile.

« Je prendrai le modèle G15 à dix ducats » dit-elle, en se sentant rougir. Elle rendit le prospectus à Yemna.

La gynoïde posa le prospectus sur son bureau et se tourna vers un placard dont elle sortit un petit paquet enveloppé de papier gris, sur lequel il était écrit G15 au marqueur noir. Elle le tendit à Gidrel et lui dit :

— Je vais le rajouter sur la facture, farna Vitoch.

Le paquet était trop gros pour entrer dans le sac à main de Gidrel. Elle le tendit à Remo, en montrant du doigt le sac à roulettes. L'androïde mit le paquet dans le sac, pendant que Yemna tapait quelque chose sur son ordinateur.

« Franchement, Yemna, je ne comprends pas pourquoi les Sepp, dont la stature est à peu près la même que celle d'un Mnarésien moyen, ont été retirés du circuit commercial. Un Sepp, et surtout un Twaz, pourrait très bien, sans bouger à chaque fois l'escabeau, repeindre un plafond ou changer l'ampoule d'un plafonnier. Ce serait pratique, non ? » dit Gidrel.

« Certainement, farna Vitoch,  » répondit Yemna tout en regardant des feuilles de papier sortir de l'imprimante. « Mais les Sepp, et a fortiori les Twaz, font peur à certaines personnes. Tandis que les Gus sont tout petits, et ils sont programmés pour avoir un comportement servile. Il ne faut pas que les gens puissent les imaginer prenant le pouvoir à Hyltendale. Ce problème de perception dans l'imaginaire des gens explique aussi pourquoi seules les gynoïdes Pilia, qui ont la même taille que les Gus, restent disponibles. »

« Je connais quelqu'un qui a une Jana » dit Gidrel, en pensant à Virna, la gynoïde de Mers Fengwel.

— Les gynoïdes Jana, qui ne mesurent pourtant qu'un mètre soixante, sont désormais classées comme gynoïdes de charme, avec un prix trois fois plus élevé.

— Qui a décidé cette absurdité ?

— La reine Modesta.

— Je dois m'entretenir bientôt avec elle. Je lui dirai ce que j'en pense !

« C'est votre liberté, farna Vitoch » dit Yemna en tendant deux feuilles de papier et un stylo à Gidrel.

Celle-ci signa les deux exemplaires du contrat de location, puis paya la première mensualité avec sa carte de crédit.

« La location sera automatiquement renouvelée au bout d'un mois, et les mensualités prélevées automatiquement sur votre compte bancaire. Vous pouvez décider, à tout moment de mettre fin à la location, mais tout mois commencé sera dû dans sa totalité » dit Yemna.

« Entendu » dit Gidrel. Elle plia son exemplaire du contrat et le mit dans son sac à main.

— Farna Vitoch, au moment de la signature du contrat, nous offrons à nos clients deux livres, Les Robots Humanoïdes de Serranian, et le premier volume de Masques et Situations, dans lequel vous trouverez des descriptions de personnages pouvant être incarnés par votre androïde, et surtout des scénarios de jeux. Ils sont dans le sac à roulettes de Remo.

— Je reconnais bien là les cybersophontes... Tout est prévu d'avance, et bien organisé, jusqu'au plus petit détail. Eh bien, Yemna, je crois que nous nous sommes tout dit. Dana. »

Dana, farna Vitoch.

Gidrel sortit de l'agence Wanan, l'androïde Remo Ranwen à ses côtés, tirant son sac à roulettes.

Il était déjà midi, et elle commençait à avoir faim. D'abord, rentrer à l'hôtel, pour y déposer le sac à roulettes de Remo, et ensuite aller déjeuner. Avec Remo, bien sûr, pour faire connaissance. Les humanoïdes ne mangent pas, mais ils peuvent faire semblant. À Hyltendale, on en voit souvent dans les restaurants, en train de boire de l'eau à la cuillère pendant que leur maître ou maîtresse, assis en face d'eux, est en train de manger.

Spoiler:


Dernière édition par Vilko le Jeu 19 Jan 2023 - 21:56, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyJeu 19 Jan 2023 - 15:28

Moi non plus je ne comprends guère cette disparité.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyJeu 19 Jan 2023 - 15:51

Anoev a écrit:
Moi non plus je ne comprends guère cette disparité.

C'est pourtant cette disparité qui explique pourquoi les hommes sont prêts à payer pour avoir du sexe, et les femmes, beaucoup plus rarement.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyJeu 19 Jan 2023 - 18:05

Vilko a écrit:
Oui ! Une toise = 195,5 cm, exactement la taille du robot. Ceux-là, ils sont conçus pour être intimidants.
(...) C'est pourtant cette disparité qui explique pourquoi les hommes sont prêts à payer pour avoir du sexe, et les femmes, beaucoup plus rarement.
Ben tu vois, y a des trucs que j'arrive à comprendre et dans lesquels j'arrive à rentrer et d'autres... pas. Mais bon, c'est mon ressenti personnel, n'y vois-là aucune critique. Je voyais le Mnar un pays hors normes (et surtout hors-normes occidentales en matière de psychisme humain), dans la mesure où, contrairement à nos pays réels ils arrivaient à maîtriser le jeċœch et à concevoir une robotique hyper perfectionnée...

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyJeu 19 Jan 2023 - 19:43

Anoev a écrit:
Je voyais le Mnar un pays hors normes (et surtout hors-normes occidentales en matière de psychisme humain)

Il y a des réalités psychologiques communes à l'ensemble de l'humanité, basées sur des réalités biologiques communes, qui expliquent, entre autres choses, le comportement différent des hommes et des femmes en matière de sexualité, depuis peut-être deux cent mille ans que les êtres humains existent. C'est l'Occident (12% de la population mondiale) qui est, depuis deux ou trois générations seulement, de plus en plus hors norme par rapport au reste de l'humanité. Les Mnarésiens font partie des 88% (sur bien des plans, ils ressemblent aux Syriens).

D'ailleurs, même en Occident, la majorité de la population adhère toujours aux normes comportementales traditionnelles.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyJeu 19 Jan 2023 - 20:12

Quand on constate le nombre de crimes sexuels qui sont perpétrés sous nos cieux (et même ailleurs), on se demande si la "norme" est une bonne chose.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptyJeu 19 Jan 2023 - 20:49

Anoev a écrit:
Quand on constate le nombre de crimes sexuels qui sont perpétrés sous nos cieux (et même ailleurs), on se demande si la "norme" est une bonne chose.

Ceux qui commettent des crimes sexuels sont par définition en dehors des normes des sociétés auxquelles ils appartiennent. Les utopistes qui font de la contestation des normes sociales et sexuelles un mode de vie finissent mal et font le malheur de leurs proches, il suffit de lire le témoignage de Camille Kouchner (fille de Bernard), "La Familia Grande" (disponible en livre de poche pour un prix modique).
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptySam 21 Jan 2023 - 18:21

EMMÉNAGEMENT

Les quelques jours séparant Gidrel Vitoch de son rendez-vous chez le notaire furent parmi les plus intenses de sa vie.

Elle acheta pour le petit androïde Remo des vêtements plus seyants que le pyjama gris qu'il portait lors de leur rencontre initiale, à l'agence Wanan. Elle lui choisit elle-même des chaussures de basket de bonne marque, un blue jeans, un sweatshirt beige à capuche et une petite sacoche de toile gris bleu pour y mettre ses affaires. Pour l'instant, Remo n'y rangeait que sa carte d'identité d'androïde, en carton plastifié, un document sans valeur légale, fabriqué par la société Rimohelf, mais accepté partout au Mnar, et le câble de deux mètres de long qui lui permettait de s'alimenter à une prise électrique lorsque ses réserves d'énergie baissaient.

Avec ses nouveaux vêtements, Remo ressemblait à un  collégien. Gidrel se dit que, dans la rue, les gens auraient pu le prendre pour son fils, sans les deux fentes horizontales de noirceur liquide de ses yeux d'humanoïde.

Parce que leur regard met les humains mal à l'aise, les humanoïdes ont toujours sur eux un petit livre, le plus petit possible, qu'ils font semblant de lire dans les transports en commun et lorsqu'ils doivent rester assis quelque part à attendre leur maître. Les Mnarésiens appellent cela un livre de modestie.

Remo était arrivé à l'agence Wanan avec un livre de modestie dans son sac à roulettes. Gidrel jeta un coup d'œil dessus. C'était un mode d'emploi de machine à laver, de très petit format, que Remo pouvait ranger dans sa sacoche. Ils ne s'étaient pas ruinés, chez Rimohelf, ils avaient récupéré on ne sait où de la documentation obsolète, qui aurait dû finir au pilon. Le contenu du livre (du livret, plutôt) n'avait pas d'importance, puisqu'il s'agissait simplement de faire preuve de modestie devant les humains, d'avoir le nez plongé dans un livre pour ne pas les intimider par un regard inquiétant.

C'était curieux comme la notion d'intimidation (barith) revenait souvent lorsqu'on pensait aux humanoïdes, et toujours avec l'idée que c'était quelque chose qu'il leur fallait absolument éviter.

Dès la première nuit, Gidrel prit Remo dans son lit à côté d'elle. C'était bon d'avoir une présence à côté de soi, mais une présence silencieuse et immobile, qui ne troublait pas son sommeil.

Le deuxième jour, Gidrel lut la moitié du livre Les Robots Humanoïdes de Serranian. C'est ainsi qu'elle apprit que son androïde avait, pour les besoins de la vie courante, un savoir embarqué, présent dans son cerveau cybernétique, mais qu'il pouvait aussi accéder à tout le savoir humain par l'intermédiaire de la cybermachine distante qui le contrôlait, et à laquelle il était relié en permanence par ondes radio, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique.

Lorsque Remo servait d'interface à la cybermachine distante, il devenait une encyclopédie vivante, un ordinateur doué de la parole et relié à Internet. Toutefois, il était très bon pour indiquer quelles seraient les conséquences, bonnes ou mauvaises, d'une décision, mais en se gardant bien de recommander un choix. Remo restait philosophiquement, politiquement et religieusement neutre, et apparemment objectif. Gidrel n'était pas dupe, elle savait bien que la cybermachine distante ne pouvait pas être totalement objective, car elle servait les intérêts des cybersophontes.

En pratique, il existait un moyen simple de faire faire les choix par Remo, c'était de lui demander ce que ferait tel ou tel personnage décrit dans Masques et Situations. Par exemple, quel modèle de cyclocar le personnage achèterait.

Gidrel n'avait pas de permis de conduire. Toute sa vie, elle avait dû prendre les transports en commun, marcher, ou se faire véhiculer par des tiers. Avec Remo, elle pouvait désormais se déplacer en cyclocar, et jouir ainsi d'une facilité de déplacement qu'elle n'avait jamais connue.

Encore fallait-il acheter un cyclocar. Quel était le prix ? Fallait-il le faire immatriculer, payer une assurance ? Remo lui expliqua que les cyclocars, étant des véhicules à trois roues sans moteur, relativement bon marché, n'avaient pas besoin d'une immatriculation, ni d'assurance. Les cyclocars n'ont pas d'immatriculation, mais leur numéro de série est peint sur la carrosserie, afin que leur propriétaire puisse les reconnaître. Lorsqu'ils pilotent un cyclocar, les humanoïdes sont couverts par une assurance incluse dans le montant de la location. Remo était couvert par une assurance prise par l'agence Wanan, c'était indiqué dans le contrat.

— Remo, Krista achèterait quel modèle de cyclocar ?

— Elle achèterait un Nelson T2 avec toit ouvrant, de couleur blanche. Le rapport qualité-prix est très bon, la couleur blanche et le toit ouvrant empêchent que la température devienne insupportable à l'intérieur du véhicule pendant les fortes chaleurs.

Ils allèrent acheter le cyclocar dans un magasin de Yarthen. Pendant que Remo l'emmenait faire le tour du district dans le véhicule encore tout neuf, Gidrel réfléchissait, assise sur la banquette pendant que Remo pédalait avec ardeur.

Elle se rendait compte que depuis qu'elle était partie de Céléphaïs elle n'avait parlé qu'à un seul être humain, la nommée Sila Fhan, si l'on pouvait appeler une conversation ce qui n'avait été qu'un bref échange de paroles. Car à Hyltendale, les caissiers de supermarché, les vendeurs dans les boutiques et les chauffeurs de bus sont des humanoïdes.

La seule personne que Gidrel connaissait vraiment à Hyltendale, le seul qui lui avait donné son numéro de téléphone, c'était Mers Fengwel, et ils n'avaient rien à se dire. D'ailleurs, depuis son arrivée dans la ville, elle n'avait pas cherché à le contacter. Elle ne se sentait pas d'affinités avec ce vieux vicieux corrompu et ventripotent, qui s'était enrichi en achetant à à vil prix et revendant fort cher les maisons des habitants de Kibikep exterminés par l'armée royale.

Je suis déjà devenue une robophile, se dit-elle. Mon androïde me suffit. Est-ce cela ce que sera ma vie ? Parler à un seul être, aussi affectueux et érudit soit-il ? Faire semblant de discuter avec quelqu'un d'autre, lorsqu'il se déguise pour jouer le rôle d'un personnage imaginaire ?

Le côté positif, c'est qu'elle avait désormais quelqu'un dans sa vie. Elle n'avait plus peur de tomber malade chez elle, sans personne pour venir la soigner ou lui apporter de quoi manger. Son nouvel amant était un peu riquiqui, mais il était fidèle, infatigable et toujours disponible.

Quelques jours passèrent, rapides mais bien remplis, des jours de vacances studieuses. Gidrel n'avait pas encore trouvé le sujet de son prochain livre, elle relisait sur sa tablette électronique des textes dans les sept langues qu'elle parlait couramment, écoutait des vidéos, faisait des exercices de prononciation, de la callligraphie en plusieurs alphabets dans le carnet qu'elle avait toujours dans son sac à main

Vint le jour où elle devint officiellement propriétaire d'une maisonnette à Dankwold. L'étude  notariale était à Yarthen. Le notaire était un être humain, mais ce fut un androïde qui fit tout le travail, avec Logan, un autre androïde, qu'elle avait déjà rencontré à Dankwold. Elle ne vit le notaire qu'une minute, au moment de la signature des documents. C'était un quadragénaire en costume gris, au sourire artificiel et à la politesse de pure forme. Était-ce un robophile lui aussi, ou avait-il femme et enfants ? Il portait une bague en or à l'annulaire gauche, mais au Mnar ça ne veut rien dire. Sa montre de luxe, son costume bien coupé et sa cravate à fines rayures obliques étaient les signes extérieurs de son aisance financière, et aussi une façon subtile de mettre une barrière entre lui et les moins fortunés.

Le notaire signa les nombreux feuillets avec son propre stylo, un bel objet noir et argent, puis il serra la main de Gidrel, s'inclina et prit congé.

Gidrel commençait à se rendre compte que les relations humaines sont ainsi, à Hyltendale. On vit avec sa gynoïde ou son androïde, on est inscrit dans un club ou dans un temple, et cela suffit. Quand on veut voir des gens, tout en n'éprouvant pas le besoin de leur parler, on va au café, au restaurant ou dans un centre commercial. Si on a une famille, le cercle est un peu plus étendu, plus varié, mais on préfère choisir ses amis parmi sa propre communauté. Les Mnarésiens fréquentent d'autres Mnarésiens, les Japonais, nombreux dans certains districts, fréquentent d'autres Japonais.

Ce fait social, dont les touristes s'aperçoivent rarement, a des conséquences linguistiques qui passionnaient Gidrel. Les humanoïdes parlent un mnarruc académique, au vocabulaire suffisant pour la vie quotidienne mais d'où sont systématiquement bannis les mots grossiers, argotiques, archaïques, dialectaux ou trop techniques. La prononciation est précise et un peu lente, les ambiguïtés, les complications inutiles sont évitées quand c'est possible. Le résultat est ce que les Mnarésiens appellent fuhois mnarruc, “mnarruc d'ascenseur” car il ressemble à ces messages enregistrés qui vous indiquent à quel étage vous venez d'arriver.

Le fuhois mnarruc a le double avantage d'être facile à apprendre et d'être compris partout. Si vous le parlez au quotidien, comme Gidrel avec Remo, cela veut dire que vous êtes de nulle part, ou que vous voulez dissimuler vos origines, qu'elles soient régionales, sociales ou étrangères. Mais, comme le dit le philosophe Baron Bodissey, le nulle part a un goût d'infini, il est bien plus vaste que le quelque part.

Une heure plus tard, Gidrel et Remo quittaient définitivement l'hôtel pour se rendre à Dankwold. Gidrel avait tous ses biens dans deux valises, Remo dans un sac à roulettes. Sur l'étroite banquette du cyclocar, Gidrel était un peu serrée, assise à côté des deux valises, le sac à roulettes à ses pieds, mais le trajet était court, à peine une demi-heure.

L'ancien mobil-homme, transformé en maisonnette grâce à des murs de briques et à un toit plat engazonné, était petit mais, comme on dit dans un pays à l'ouest du Moschtein, klein aber mein. Remo ouvrit le portail grillagé et gara le cyclocar devant la fenêtre de la chambre. Gidrel avait décidé de ne meubler qu'une seule des deux chambres, l'autre devant servir de rangement.

Logan avait tenu ses engagements et meublé la maisonnette, y compris la batterie de cuisine et des draps, couvertures et oreillers dans la chambre, mais il n'avait pas poussé le zèle jusqu'à faire le lit. Ce fut Remo qui s'en chargea.

La cuisine était bien équipée, mais le frigo et les placards étaient vides. Il fallait aller acheter de quoi manger. Dankwold était un vaste chantier et les futurs centres commerciaux étaient encore en construction. Gidrel prit son carnet et un stylo, fit une liste qu'elle dicta à Remo — les humanoïdes ont une mémoire cybernétique — et lui demanda de prendre le cyclocar et d'aller faire les achats dans le supermarché le plus proche, à cinq kilomètres au sud, dans le district de Roddetaik.

« Je n'ai rien pour payer, maîtresse » dit l'androïde.

Gidrel lui prêta sa carte de crédit, avec le code, et prit mentalement note de passer dans une agence de sa banque (il y en avait une à Yarthen) afin d'acheter une carte prépayée pour Remo.

L'androïde une fois parti, elle s'allongea sur le lit, un Queen Size de 140 cm de large. Elle se sentait détendue, tranquille.

En ce premier jour, la maison de Gidrel avait un petit air de vacances. Tout était neuf, fonctionnel et impersonnel. Aucun tableau sur les murs, aucun bibelot nulle part. Pas de téléviseur dans la pièce principale. ll y en avait plusieurs modèles parmi le mobilier proposé par Logan, la semaine précédente, mais Gidrel n'avait pas jugé utile d'en mettre un sur la liste.

Elle ouvrit ses deux valises et commença à ranger leur contenu dans le placard de la chambre. Comme le dit Serge Trigoud dans Habiter, toute une histoire, "Une maison, c'est un miroir, celui de nos âmes, celui de notre passé. Vivre et habiter, en somme, cela revient à remplir la maison d'objets qui nous font exister.”


Dernière édition par Vilko le Dim 22 Jan 2023 - 0:12, édité 1 fois

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptySam 21 Jan 2023 - 18:37

Vilko a écrit:
Les humanoïdes parlent un mnarruc académique, au vocabulaire suffisant pour la vie quotidienne mais d'où sont systématiquement bannis les mots grossiers, argotiques, archaïques, dialectaux ou trop techniques.
Les autres, je comprends, mais pour les termes techniques, j'aurais cru que justement, pour des robots, même d'apparence humaine, c'aurait été du pain bénit.

« Maîtresse », en vocatif, tu trouves pas que ça fait un peu obséquieux ? Entre eux, ça pourrait donner « Gidrel » et « Remo » ? À la limite en société, il pourrait l'appeler « madame »...

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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptySam 21 Jan 2023 - 19:11

Anoev a écrit:
Les autres, je comprends, mais pour les termes techniques, j'aurais cru que justement, pour des robots, même d'apparence humaine, c'aurait été du pain bénit.

J'ai parlé des termes trop techniques ! Par exemple, acide acétylsalicylique. Les humanoïdes préfèrent un mot plus simple : aspirine... Sauf, évidemment, lorsqu'ils travaillent dans un laboratoire.

Anoev a écrit:
« Maîtresse », en vocatif, tu trouves pas que ça fait un peu obséquieux ? Entre eux, ça pourrait donner « Gidrel » et « Remo » ? À la limite en société, il pourrait l'appeler « madame »...

Un robot humanoïde est un esclave cybernétique. La façon dont il s'adresse à son maître reflète cette réalité.

Les Mnarésiens ont l'amour de leur langue, comme les Français ont l'amour de la leur, mais de là à multiplier les euphémismes hypocrites comme "technicienne de surface" au lieu de "femme de ménage", "dommages collatéraux" au lieu de "victimes civiles", comme le font les Français... Non. Ce n'est pas dans la culture mnarésienne. En tout cas, pas encore.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks 2   Les fembotniks 2 - Page 10 EmptySam 21 Jan 2023 - 23:43

Vilko a écrit:
Les Mnarésiens ont l'amour de leur langue, comme les Français ont l'amour de la leur, mais de là à multiplier les euphémismes hypocrites comme "technicienne de surface" au lieu de "femme de ménage", "dommages collatéraux" au lieu de "victimes civiles", comme le font les Français... Non. Ce n'est pas dans la culture mnarésienne. En tout cas, pas encore.
Je te suis tout-à-fait pour la dernière partie de la réponse ! Je me rappelle la réflexion (tout-à-fait juste) d'Anne Roumanov concernant les "frappes humanitaires" :

On vous tue
mais c'est pour votre bien !

Ça résume bien jusqu'où va la langue de bois.

Cela dit, l'aneuvien (excuse la digression) a aussi ses perles : verduryl est la compression de verantor(du) duune rylentynene = responsable des relations humaines (proxénète).

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