La lettre de Sofia est un peu bizarre. Pas le contenu qui au fond, est assez justifié, si on se met à sa place. Mais elle commence par "mon cher" et elle termine par "crève connard", ce qui est assez contradictoire, quand même. À moins que les Romanais aient un certain sens de l'humour.
Tout le monde a connu des gens qui commençaient un courrier en ayant décidé de rester poli, mais qui, l'émotion montant à mesure qu'ils écrivaient, se laissaient aller en fin de lettre à dire sans prendre de gants ce qu'ils pensaient vraiment...
Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
En mettant "cher" entre guillemets, on reste poli, mais on énonce clairement que l'affection (voire même l'estime) qu'on peut trouver dans cher n'y est pas. Il en serait d'ailleurs de même dans une lettre commençant par « cher (coûteux) "ami" » à l'adresse d'un "ami" qui s'est révélé être un escroc dont on a été victime.
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Messages : 6732 Date d'inscription : 28/02/2010 Localisation : France - Nord
@Anoev : quand on commence une lettre, on ne sait pas tjrs comment on la finit, même si on croit en avoir une bonne idée. On peut se laisser porter par le flot des sentiments +/- contradictoires. Comme écrit, elle avoue un penchant pour son ex, penchant qui a été détruit par ce qu'elle a pu savoir ensuite. Si elle n'avait pas su, elle serait sans doute tjrs avec lui. Et puis de l'amour à la haine, il n'y a souvent qu'un seul pas.
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Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Oui mais bon... une lettre, c'est pas comme un SMS ou un coup d'fil : on peut se relire (ne serait-ce que pour vérifier les ftes fe frappzes ou d'ortograf), alors, dans la foulée...
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Messages : 6732 Date d'inscription : 28/02/2010 Localisation : France - Nord
Oui mais bon... une lettre, c'est pas comme un SMS ou un coup d'fil : on peut se relire (ne serait-ce que pour vérifier les ftes fe frappzes ou d'ortograf), alors, dans la foulée...
Tu remarqueras qu'il y a eu une progression dans cette lettre. De plus, si son ex est un sale type ignoble qui finira par le payer, pourquoi se casser le crâne à réécrire la lettre ? Elle s'est déversée, elle a dit ce qu'elle avait à dire, et basta
Et puis, c'est juste une fiction
Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Bien sûr, t'en fais pas. Je suis ni critique littéraire (y manqu'rait p'us qu'ça) ni membre d'un comité de censure aux ordres d'un quelconque commissaire politique (y manqu'rait p'us qu'ça, itou). J'avais commis l'erreur d'avoir fait l'impasse sur la personnalité de Sofia. Main'nant, vu comme ça...
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Messages : 6732 Date d'inscription : 28/02/2010 Localisation : France - Nord
Bien sûr, t'en fais pas. Je suis ni critique littéraire (y manqu'rait p'us qu'ça) ni membre d'un comité de censure aux ordres d'un quelconque commissaire politique (y manqu'rait p'us qu'ça, itou). J'avais commis l'erreur d'avoir fait l'impasse sur la personnalité de Sofia. Main'nant, vu comme ça...
Wokiste, va
Il faut essayer de "juger" en fonction des personnes et du contexte du lieu et du moment, et non pas par rapport à nous, même si parfois ça nous dérange.
"C'est pas grave, ce n'est qu'une femme" est une phrase qui a résonné bien des fois lors de certaines périodes. On peut aisément remplacer le mot "femme" par un autre... Je ne dis pas qu'il faut cautionner, je dis qu'il convient de se mettre dans le bain d'alors.
Un homme tué, c'est un meurtre. Un soldat tué, c'est juste une peccadille. Staline a dit de "belles" choses sur le sujet...
Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
À propos de tuer, j'ai cette citation de Jean Rostand :
On tue un homme : on est un assassin ; on en tue des millions : on est un conquérant ; on les tue tous ; on est (un) Dieu.
Sinon, dans le cas qui nous intéresse, il faut se rappeler, comme tu me l'a si justement rappelé, qu'il s'agit (d'un personnage) de fiction.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 15 Sep 2022 - 21:04
Tu nous avais écrit que les dialectes mnarucs étaient très différents, au point d'entraver l'intercompréhension de deux Mnarésiens qui ne sont pas de la même région et qui donc, pour se comprendre, doivent parler le mnaruc académique.
Que donnerait cette phrase :
J'ai laissé ma gynoïde en charge* chez moi.
en mnaruc académique à Sarnath à Hyltendale à Ulthar à Celephais à Parg à Yeurs (autres cités ou régions) ?
*En charge électrique.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 15 Sep 2022 - 22:08
Anoev a écrit:
J'ai laissé ma gynoïde en charge* chez moi.
En mnarruc académique :
Ge in gilber vi in yefemu tuo elektrik ko in.
Littéralement : Je suis sorti et ma gynoïde boit de l'électricité chez moi.
Le mnarruc courant est une langue minimaliste, qui se contente de peu de mots. Le sens premier de tuo est “boire” mais par analogie on l'utilise pour parler d'un appareil électrique que l'on recharge en électricité, ou d'une voiture dont on fait le plein d'essence. Cela n'empêche pas le mnarruc d'avoir un vocabulaire technique, scientifique et littéraire très développé, qui fait aussi partie de la langue académique.
Le mnarruc a aussi un grand nombre d'argots, jargons, patois et dialectes, d'usage purement local ou restreint à une catégorie sociale, et qui de ce fait ne font pas partie de la langue académique. Seul le mnarruc courant, langue de la vie de tous les jours, est connu de l'ensemble des locuteurs de la langue, même de ceux qui parlent un dialecte au quotidien.
Quant aux dialectes, au nombre d'une soixantaine, soit environ un par province, je ne les ai pas développés.
Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 15 Sep 2022 - 22:56
Vilko a écrit:
Littéralement : Je suis sorti et ma gynoïde boit de l'électricité chez moi.
Bien trouvé, ça, il est vrai que, même si ce n'est pas dans une bouteille (comme de l'eau ou un gaz), l'électricité est considéré comme un fluide, comme les deux composants cités ci-avant. J'y aurais pas pensé.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 6 Oct 2022 - 19:03
Quelques semaines plus tard, un matin, Hottod apprit en lisant les informations sur son smartphone que le roi Andreas était mort, après avoir passé plus d'un an dans le coma. Se sentant peu concerné par cet événement, auquel tout le monde s'attendait, il se rendit comme d'habitude à son travail.
Les maisons et les appartements qu'il avait achetés à Kibikep pour le compte de son employeur, la société Wolfensun, se vendaient bien, et chaque vente lui rapportait une commission, ainsi qu'à son patron, Yohannès Ken. Il avait désormais les moyens de s'offrir les services d'une gynoïde haut de gamme pour remplacer Sofia, repartie aux Îles Romanes, mais il n'avait pas encore fait son choix.
Il reçut dans la matinée un appel téléphonique de Mers Fengwel, son compatriote moschteinien : ils étaient tous les deux invités à se rendre à Sarnath, la capitale du pays, pour les obsèques du roi, afin d'y intervenir en tant qu'amis étrangers.
Le soir-même, Fengwel, Hottod et Virna la gynoïde de Fengwel, prirent le train pour Sarnath, où ils arrivèrent aux alentours de minuit. Une voiture du palais royal, avec un chauffeur androïde, les emmena au palais où deux chambres leur furent attribuées.
Le lendemain matin à huit heures un androïde en tenue blanche et noire de domestique les conduisit à travers un dédale de couloirs et d'escaliers jusqu'à une petite salle à manger. La gynoïde Wagaba les y attendait, vêtue de son habituelle tenue de servante, et pendant qu'ils prenaient leur petit-déjeuner elle leur expliqua quels seraient leurs rôles respectifs :
— Mers Fengwel, vous étiez un ami personnel du roi. Malheureusement, vous ne parlez pas le mnarruc, et il serait inconvenant que les sonorités d'une langue étrangère résonnent sous le dôme sacré du Grand Temple de Nath-Horthath. Les dieux du Mnar en seraient offensés. C'est donc Hottod Wirdentász qui lira un discours dans le temple, et vous serez debout à côté de lui. Nous n'aimons pas laisser trop de place à l'improvisation ici, c'est pourquoi je vais vous donner, à chacun, une feuille de papier sur laquelle il est écrit, par ordre chronologique, ce qu'il fera le jour des obsèques. Pour vous, Monsieur Wirdentász, voici en plus le texte de votre discours.
Mers et Hottod prirent les documents que Wagaba leur tendait.
« Nous sommes jeudi, les obsèques auront lieu samedi matin. Vous avez donc deux jours pour vous préparer et faire du tourisme à Sarnath. En cas de problème, téléphonez-moi, mon numéro est écrit sur les feuillets » conclut la gynoïde.
Le samedi matin, Mers et Hottod se retrouvèrent dans le Grand Temple de Nath-Horthath, gigantesque coupole si haute que parfois de la brume se forme sous sa voûte. Une lumière grise tombait des ouvertures, toutes placées en hauteur.
Le corps d'Andreas n'était pas là, la cérémonie ayant pour but d'apaiser son âme en rassemblant sa famille et ses amis (ou prétendus tels) afin que leurs éloges et leurs témoignages d'affection empêchent le défunt de revenir tourmenter les vivants sous forme de fantôme.
La religion mnarésienne avait d'ailleurs fait des progrès sur ce plan, un siècle plus tôt les âmes des rois défunts étaient apaisées par des sacrifices humains. Cette coutume pittoresque a disparu avec l'abolition de l'esclavage, sauf pour les malheureux qui, jusqu'à une date récente, avaient la malchance d'être condamnés à mort au moment du décès d'un roi.
Pendant qu'avec Fengwel il attendait son tour de passer à la tribune, Hottod eut le temps d'admirer les lieux. Construit vers la fin du dix-neuvième siècle, à l'époque de la reine Mehimi, arrière-grand-mère du roi Andreas, le dôme est en béton armé, technologie révolutionnaire qui venait alors d'être importée d'Occident. Les seuls ornements intérieurs sont des statues des dieux-démons mnarésiens, de toutes tailles, en divers matériaux, placés sur le pourtour. Certaines des statues sont monochromes, d'autres sont peintes de couleurs vives. Le dôme est conçu pour abriter deux mille spectateurs, assis sur des chaises de bois blanc d'un modèle unique, introuvable ailleurs.
La princesse Modesta, qui serait couronnée reine un mois plus tard, était assise au premier rang, vêtue d'une longue robe grise en signe de deuil, à côté de son fiancé le baron Liyul, en costume gris. Hottod s'étonna presque de ne pas voir la gynoïde Tanit, concubine quasi-officielle du baron.
Tout ce que le Mnar comptait comme personnalités était là. Ils étaient venus sans leurs androïdes et leurs gynoïdes, dont le rôle est pourtant si important au Mnar, car la présence de ces machines sans âme est interdite dans un lieu aussi sacré.
À peine âgé de vingt-six ans, Hottod n'avait encore jamais parlé en public de toute sa vie, et voir autant de personnes devant lui, rassemblées pour un événement aussi important que des funérailles royales, dans un lieu aussi impressionnant que le Grand Temple de Nath-Horthath, était intimidant. Des dizaines de caméras étaient là, les funérailles étant filmées en direct.
Se remémorant les conseils que lui avait donnés Fengwel, qui en tant qu'ancien député fédéral au Moschtein avait passé la moitié de sa vie à parler en public, Hottod, les mains sur le pupitre, fixa au hasard un visage dans le public, celui d'une jeune femme, et se mit à parler dans le micro comme s'il s'adressait uniquement à elle, essayant d'oublier les deux mille dignitaires qui composaient l'assistance :
— Votre Majesté, Mesdames et Messieurs... Comme vous le savez tous, le roi Andreas et Mers Fengwel, ici présent à ma droite, étaient amis. Une amitié improbable, mais profonde, entre un Mnarésien, roi et fils de roi, héritier d'une longue lignée de rois et de reines, et un Moschteinien plus âgé, d'origine modeste, élu républicain dans un pays lointain. Ils avaient pourtant bien des choses en commun. Une vaste culture, une grande expérience de la vie et de la politique, et, par-dessus tout, l'amour du Mnar... Dans le monde, des millions de gens ont vu les vidéos de leurs conversations, dans lesquels ils discutaient, dans la langue anglaise qu'ils maîtrisaient tous les deux, des grands problèmes de notre époque...
Hottod s'appliquait à parler lentement et à bien prononcer le mnarruc académique, langue obligée de tout discours, tout en regardant la jeune femme, qui le regardait aussi.
Son discours fini, il salua l'instance en s'inclinant et partit vers les coulisses. C'était parfait, lui dit Fengwel à l'oreille, en moschteinien.
Plus tard, en regardant l'enregistrement vidéo de son discours, Hottod trouva qu'il avait été meilleur qu'il n'avait pensé. Très grand, très blond, sa corpulence mince mise en valeur par son costume noir, il faisait plus moschteinien que nature, ce que confirmait son léger accent étranger. Au Mnar, tout le monde savait qu'il était l'un des conseillers informels de la future reine Modesta.
Hottod ne le savait pas, mais il était aussi l'objet de rumeurs moins flatteuses : la société Wolfensun, pour laquelle il travaillait, était connue pour être une officine au service des cybersophontes. On savait aussi qu'il s'était enrichi en achetant à bas prix les logements des malheureux habitants de Kibikep, exterminés par l'armée royale, et en les revendant avec bénéfice.
À la cour, certains esprits malveillants racontaient même qu'il y avait plus que de l'amitié entre Hottod Wirdentász et Modesta, dans l'espoir d'affaiblir l'autorité de la future reine auprès du peuple. Les Mnarésiens, c'est bien connu, ne sont ni racistes ni xénophobes, mais il faut bien admettre qu'ils n'aiment pas beaucoup les étrangers.
Dans l'après-midi, Hottod et Fengwel reprirent le train pour Hyltendale, avec les compliments de Wagaba. La princesse Modesta, dont l'emploi du temps était très chargé, n'avait pas eu le temps de leur parler.
Conformément à la tradition, le corps du défunt roi avait été incinéré et les cendres jetées solennellement dans le lac d'Ib, mais ni Hottod ni Fengwel n'avaient jugé utile d'assister à la cérémonie. Tous deux n'appréciaient que moyennement les rituels compliqués et barbares de la religon mnarésienne.
La semaine suivante, Hottod reçut sur sa messagerie privée un message qui le laissa songeur :
Félicitations, mon cher Hottod. Je t'ai regardé sur mon ordinateur en train de faire un discours pour les obsèques du tyran. Les choses vont bien pour toi, on dirait. Tant mieux. Ici, aux Îles Romanes, c'est très dur. L'économie va très mal. L'entreprise de mon père est au bord de la faillite. Malgré mes diplômes et les relations de ma famille je n'ai pas trouvé de travail, et si les choses continuent à se détériorer, ta fille va souffrir de la faim. Oui, de la faim, les choses en sont à ce point-là ici. C'est pourquoi je te demande de faire un geste digne, un geste humain. Envoie-moi mille ducats mnarésiens tous les mois, par virement international. Pour nourrir et habiller ta fille, elle est belle et innocente, je pleure en voyant à quel point elle te ressemble. Montre-moi que tu es, au moins, un vrai père. Sofia qui compte sur toi.
Une photo de bébé était jointe au message.
Hottod prit une feuille de papier et un stylo, et fit deux colonnes : une colonne “pour” et une colonne “contre”. Mais il savait déjà qu'il enverrait l'argent à Sofia. Comme Fengwel le lui avait souvent répété, dans la vie ce qui compte ce n'est pas ce qu'on connaît, mais qui on connaît. Avoir une fille aux Îles Romanes, dans un monde en convulsion, ce pouvait être utile, s'il était un jour obligé de fuir le Mnar comme Mers Fengwel avait été obligé de fuir le Moschtein.
Mille ducats par mois, c'est douze mille ducats par an, 240.000 ducats en vingt ans... Le prix d'un petit appartement à Hyltendale ou à Kibikep. Il en avait les moyens, et l'investissement en valait la peine.
Bien sûr, il lui fallait créer un dossier Marina Briccone, avec tous les courriers échangés entre lui et Sofia, et les doubles des mandats envoyés aux Îles Romanes, dans l'hypothèse où il devrait faire valoir ses droits devant les tribunaux.
Dernière édition par Vilko le Mer 12 Oct 2022 - 9:23, édité 1 fois
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 6 Oct 2022 - 21:03
Sofia perd pas l'nord, on dirait.
Comment Hottod aura la garantie que l'argent qu'il va envoyer ira bien à sa fille et non pas à Sofia. Il peut bien envoyer de l'argent pendant quatre ans et exiger qu'il voie sa fille EN PERSONNE au delà de ce délai (pour savoir si elle va bien, si elle le reconnaît comme son père etc.), et aussi pour avoir la garantie que sa mère ne l'ait pas placée dans quelque institution et vivent confortablement avec l'argent de sa fille*. Après tout, avec la première lettre qu'il a reçue de Sofia, il aurait quand même des droits de se méfier de son ex-.
*Ça, j'y croit pas trop, mais je croirais plutôt que Sofia est de ces bonnes femmes qui veulent bien avoir l'enfant, l'argent du mari, mais ne veulent pas s'encombrer du mari. Un joli paquet de féministes sont comme ça.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Sam 8 Oct 2022 - 14:58
Concernant Sofia, Hottod s'était confié à Yohannès Ken, qui était non seulement son patron mais aussi un homme plus âgé dont il respectait les opinions, ne serait-ce que parce que Yohannès avait dû faire face, dans le passé, à quelques situations personnelles difficiles dont il s'était sorti à son avantage.
À Hyltendale, Hottod n'avait que deux amis, Yohannès Ken et Mers Fengwel. Les robophiles ont généralement leur humanoïde domestique comme confident, et au fil du temps l'humanoïde devient souvent l'unique confident. Hottod ne s'était pas encore décidé à louer les services d'une gynoïde, et devait donc faire face à la froideur des relations humaines à Hyltendale, où il est difficile de se faire un ami véritable. Le robophile moyen est courtois, mais peu intéressé par l'amitié avec d'autres êtres humains, car les personnages multiples que son humanoïde domestique peut incarner lui suffisent comme cercle d'amis.
Dans le reste du Mnar, où les humanoïdes domestiques sont rares, c'est tout le contraire, chaque Mnarésien est soutenu affectivement, et parfois financièrement, par sa famille, et au-delà de la famille proche par son clan. Yohannès avait longuement expliqué à Hottod que faire partie d'un clan mnarésien n'a pas que des avantages, l'autorité du clan peut être étouffante.
Ce jour-là, ils étaient dans la petite salle de conférence, où ils aimaient prendre un thé ou un café ensemble pendant les pauses.
« Sofia ne perd pas le nord, on dirait » dit Yohannès d'un ton pensif.
« Je pense que ce qu'elle raconte est vrai » répondit Hottod. « Je me suis renseigné, les Îles Romanes ne sont pas épargnées par la grave crise économique qui touche toute l'Europe. »
— Dis-moi, Hottod, comment auras-tu la garantie que l'argent que tu vas envoyer ira bien à ta fille et ne servira pas à payer les dépenses personnelles de Sofia ?
— J'y ai pensé... Il est possible que Sofia ait confié la petite Marina à sa mère, qui s'appelle aussi Marina, et qu'elle profite à fond de sa liberté retrouvée... À la limite, c'est sans doute mieux pour le bébé. Pour moi, il s'agit surtout de pouvoir prouver dans l'avenir que je suis le père d'une Romanaise, si un jour j'ai besoin de me trouver un point de chute.
— Tu peux envoyer de l'argent pendant quatre ans et exiger ensuite de voir ta fille en personne, pour savoir si elle va bien, et si elle te reconnaît comme son père. Et aussi, envisageons le pire tout de suite, pour avoir la garantie que sa mère ne l'a pas placée dans une institution.
— Placer le bébé dans une institution, je t'assure, ce ne serait pas du tout le genre de Sofia, elle voulait cet enfant. Elle veut bien avoir l'enfant, l'argent du père, mais elle ne veut pas s'encombrer du père, qu'elle considère comme un criminel. Elle pense ce qu'elle veut, ça m'est égal. Je verrai bien dans quatre ans si je peux aller aux Îles Romanes pour voir ma fille, ou si je dois me contenter d'une liaison vidéo.
— Avec les horreurs que cette folle de Sofia va raconter à ta fille au sujet de son père, lorsqu'elle grandira, il est possible que Marina refuse de te parler.
— J'en prends le risque. Dans ce cas, elle me fera faire des économies, car si elle refuse de me parler j'arrêterai de payer.
Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Sujet: Re: Les fembotniks 2 Dim 9 Oct 2022 - 9:52
Vilko a écrit:
Dans ce cas, elle me fera faire des économies, car si elle refuse de me parler j'arrêterai de payer.
Sage précaution.
À, au fait, à quand la carte du Mnar ?
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 12 Oct 2022 - 16:25
Le mariage de la princesse Modesta avec le baron Liyul eut lieu un mois plus tard, la veille du couronnement.
Au Mnar, un mariage est un acte privé. On se marie chez le notaire, et pas à la mairie comme ailleurs. Chez les ancêtres illettrés des Mnarésiens actuels, on se contentait d'une grande fête organisée au sein du clan pour célébrer l'évènement, prétexte à de gigantesques ripailles sous un mince vernis religieux. Cela ne voulait pas dire que la liberté régnait, bien au contraire. Le patriarche, vieillard respecté pour sa sagesse, faisait et défaisait les unions, en tenant compte, avant tout, des intérêts du clan, et assez peu des sentiments des uns et des autres. Il était hors de question que jeunes gens et jeunes filles s'unissent à leur guise, leur famille les surveillait de près.
À une époque plus récente, et supposée plus moderne, Yohannès Ken, qui avait épousé en secondes noces une aventurière de mauvaise réputation, avait eu tellement d'ennuis avec son clan qu'il avait finalement dû, après diverses péripéties, quitter Ulthar pour s'installer cent soixante kilomètres plus au sud, à Hyltendale, après s'être définitivement séparé de sa deuxième épouse.
Le mariage de Modesta et Liyul fut donc, au sens strict, une visite d'un quart d'heure chez le notaire de la famille royale, à Sarnath. Le lendemain eut lieu la cérémonie du couronnement, dans le Grand Temple, où le goût des Mnarésiens pour les rituels bizarres et compliqués put se donner à fond.
Hottod et Fengwel ne furent pas invités pour la cérémonie, n'étant ni Mnarésiens ni nobles. C'était Liyul qui avait fait remarquer à Modesta que les princes, les ducs, les marquis et les comtes de la haute noblesse n'apprécieraient pas d'être mis au même rang que deux étrangers qui n'étaient après tout que des hommes de main, passés du service personnel du roi Andreas à celui de sa fille. Autrement dit, aux yeux des vrais aristocrates, à peine mieux que des domestiques. Au Mnar, un domestique, même plus riche que la plupart des nobles, reste un domestique.
Modesta avait reconnu la validité de l'argument, mais elle avait néanmoins invité Hottod et Fengwel à la grande fête qui eut lieu à Potafreas deux jours après le couronnement à Sarnath.
Cette fête était la célébration publique à la fois du couronnement et du mariage de Modesta, désormais reine du Mnar. La veille, la première décision de la reine Modesta avait été de faire de Liyul un prince. Un simple décret signé de sa main avait suffi, mais un prince doit aussi avoir les moyens financiers de faire honneur à son rang. Le patrimoine personnel de Liyul fut donc décuplé, aux frais du Trésor Royal qui fit l'acquisition auprès de la société Wolfensun d'un bon quart des logements disponibles à Kibikep. Liyul se retrouva donc, en moins d'une heure, à la fois prince et principal propriétaire immobilier de Kibikep.
Hottod Wirdentász et son patron Yohannès Ken, les deux cadres supérieurs de Wolfensun, se retrouvèrent ainsi encore plus riches qu'ils n'étaient déjà, tout en étant définitivement débarrassés de Kibikep, cette ville qui est entrée dans l'histoire comme le lieu du pire massacre commis par l'armée mnarésienne. Cela n'empêche pas la ville de se repeupler. Les Mnarésiens en ont vu d'autres, et de toute façon la plupart d'entre eux détestaient les théocrates de Yog-Sothoth, dont Kibikep avait été le dernier bastion.
De leur côté, Hottod et Yohannès avaient aussi un problème à régler. Il était de tradition de fêter dignement une aussi grosse rentrée d'argent. À Hyltendale, il ne manque pas d'établissements où cela peut se faire comme il convient. Mais le lendemain, c'était la fête du couronnement de la reine Modesta, où Hottod était invité. Il fallait donc éviter de trop boire d'alcool et de trop manger avant une journée annoncée comme grandiose. Que faire ?
« Les grandes joies se suffisent à elles-mêmes » dit Yohannès. « Allons sur le toit boire un thé en regardant le paysage. »
Le toit de l'immeuble où se trouvaient les bureaux de Wolfensun était plat et orné d'arbustes plantés dans des pots et de petites tables rondes entourées de chaises. Beaucoup d'employés des sociétés installées dans les étages venaient y déjeuner le midi où y fumer une cigarette pendant les pauses.
À cette heure de l'après-midi, il n'y avait presque personne. Hottod et Yohannès s'installèrent à une table pour y boire du thé que Yohannès avait amené dans une bouteille thermos. Hottod avait apporté les tasses.
Il faisait beau, comme souvent à Hyltendale. Une légère brise marine soufflait du sud, sous un soleil atténué par les nuages d'un blanc lumineux. Il faisait chaud, mais pas trop. De là où ils étaient assis, ils ne voyaient que les étages supérieurs d'immeubles lointains, et un grand vide bleu dans la direction de l'océan tout proche. Du port montait un bruit diffus de machines, de robots géants au travail. Ils y étaient tellement habitués qu'ils ne l'entendaient plus.
« Tu vois, Hottod, c'est ça le bonheur » dit Yohannès. « Boire du thé au milieu des arbustes, sous le ciel bleu, en se disant qu'on vient encore d'empocher quelques millions. Que demander de plus à la vie ? J'ai deux gynoïdes qui m'obéissent et qui m'aiment, Shonia dans ma vie privée et Ondrya au bureau. Qu'est-ce qu'une mauvaise journée pour moi, une de ces journées où rien ne marche et les mauvaises nouvelles s'accumulent ? Eh bien, c'est une journée où, quoi qu'il arrive, je suis sûr de manger, à ma faim, une nourriture de bonne qualité, et de dormir le soir dans une chambre fraîche en été et chaude en hiver, dans un lit confortable avec des draps propres. Je suis assuré aussi d'avoir une gynoïde dans ce lit, prête à me donner non seulement l'amour charnel mais aussi l'affection dont j'ai besoin. La plus grand partie de l'humanité ne peut que rêver de vivre une de mes mauvaises journées ! »
« C'est vrai » dit Hottod, songeur.
— Hottod, il ne te manque qu'une présence féminine... Dépêche-toi donc de louer une gynoïde de charme, comme Shonia ou Ondrya, et ton bonheur sera complet et inaltérable.
— J'y pense... Vois-tu, entre moi et Sofia, c'était une relation de couple... Nous étions en train de fonder une famille. Ça c'est terminé tellement brutalement que, tu vois, je suis en quelque sorte en train de faire mon deuil de la famille dont j'avais rêvé... Il faut du temps.
— Oui, je comprends. Les gynoïdes donnent bien des choses, mais ne permettent pas d'avoir des enfants. Moi j'en ai eu deux avec ma première femme. Ils m'ont renié, tant pis pour eux. Encore un peu de thé ?
Hottod hocha la tête et tendit sa tasse. Yohannès remarqua qu'il avait les larmes aux yeux.
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PatrikGC
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 12 Oct 2022 - 21:00
Dommage qu'Andreas soit décédé. Je l'aurais bien vu se réveiller, tenter de reprendre le pouvoir. Il y aurait eu de quoi faire comme péripéties. Quant à Hottod, je le verrais bien réessayer avec une humaine, puisque son désir paternel semble éveillé.
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 12 Oct 2022 - 22:15
PatrikGC a écrit:
Dommage qu'Andreas soit décédé. Je l'aurais bien vu se réveiller, tenter de reprendre le pouvoir. Il y aurait eu de quoi faire comme péripéties. Quant à Hottod, je le verrais bien réessayer avec une humaine, puisque son désir paternel semble éveillé.
Concernant Hottod, j'te suis volontiers : il pourrait fonder une famille avec une Mnarésiennr manbotchique.
Quant à la dépouille d'Andreas, laissons-là où elle est.
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Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 2 Nov 2022 - 15:57
Le soir, Hottod avait l'habitude de rentrer chez lui à pied, en passant devant un “temple de tous les dieux” — sedegan sa jalko poner — qui sont une particularité hyltendalienne. Partout ailleurs au Mnar, les temples sont dédiés à un dieu particulier, protecteur de la ville ou du village.
Ce jour-là, il se sentait d'humeur un peu morose, en pensant à Sofia, qu'il ne reverrait plus, et à sa fille, la petite Marina, qu'il ne verrait sans doute jamais. Le portail du temple était ouvert. Hottod, par curiosité, décida d'entrer, juste pour voir.
La plupart des temples mnarésiens sont bâtis suivant le même plan. Des marches (en général trois) mènent à un portail à double porte, qui donne sur une avant-salle, où l'on trouve souvent un vestiaire et des tables occupées par des vendeurs de livres de piété et d'images sacrées, de bougies parfumées et d'encens, et parfois aussi de marchandises qui n'ont rien de religieux. C'était le cas dans ce temple, situé près du quartier touristique de Zodonie.
Hottod traversa l'avant-salle et entra dans la grande salle, semblable à la nef d'une église. Plusieurs centaines de chaises faisaient face à une estrade, vide à cette heure de la journée. Des petits groupes de fidèles et de touristes admiraient les tableaux et les statues placées sur le pourtour de la salle. Une lumière grise et froide tombait des fenêtres étroites, aux vitres de verre dépoli, placées à quatre mètres du sol.
Derrière l'estrade, un grand rideau bleu masquait des portes menant aux arrière-salles, auxquelles le public n'a pas accès. Au Mnar, un temple remplit au moins six fonctions distinctes :
On y organise des conférences, pas nécessairement sur des sujets religieux. C'est aussi une salle de concert, un théâtre, et une salle de cérémonie. C'est aussi un lieu de méditation. On vient s'y asseoir dans le calme et la demi-obscurité, pour prier ou méditer. Il est mal vu d'en profiter pour discuter. Dans ce cas, un appariteur a vite fait d'inviter les bavards à retourner dans l'avant-salle.
La sixième fonction d'un temple hyltendalien, c'est celle de musée et de galerie d'art. Sous chaque tableau, et sur le piédestal de chaque statue, une plaque de cuivre gravé indique le nom du propriétaire (tuan) ou du donateur (potha) de l'œuvre. À Hyltendale, chaque œuvre d'art exposée dans un temple est sans cesse vendue, achetée, vendue, achetée, sans jamais quitter son emplacement dans le temple.
Hottod le savait bien, au Mnar le marché de l'art joue le même rôle que les cryptomonnaies dans le reste du monde. Les deux systèmes fonctionnent tant que la quantité d'argent amenée par les acheteurs d'œuvres d'art ou de cryptomonnaies reste élevée. Au Mnar, la valeur de chaque œuvre monte et descend selon des règles totalement opaques, mais dont tout le monde sait bien qu'elles sont contrôlées par les cybersophontes.
Un souvenir remonta dans l'esprit d'Hottod. Le père de Sofia avait acheté la liberté de sa fille en payant un million de dollars pour une vieille croûte qui en toute objectivité en valait dix mille fois moins. Dans quelles poches l'argent avait-il fini sa course ? Mystère... Yohannès Ken, en tant qu'homme d'affaires et agent des cybersophontes, avait servi d'intermédiaire, Hottod en était sûr. Mais avait-il été le seul intermédiaire ? Personne n'en saurait jamais rien.
Hottod s'arrêta devant une statue de métal argenté représentant un mammouth nain. La plaque indiquait que l'œuvre appartenait à une société ferroviaire chinoise. Hottod connaissait le système. Une société étrangère postulait pour un gros contrat, par exemple la construction d'une ligne de chemin de fer. Les négociateurs mnarésiens faisaient comprendre à leurs homologues étrangers que leur dossier serait favorisé s'ils encourageaient l'art mnarésien, par exemple en passant une commande à l'un des six ou sept artistes, toujours les mêmes, bien vus des autorités. Les Chinois avaient dû payer plusieurs millions de dollars pour un mammouth de fer blanc, et l'artiste avait sans doute dû rétrocéder la plus grande partie de l'argent à un intermédiaire comme Yohannès Ken.
Il n'y a pas de corruption au Mnar, disent les Mnarésiens, mais on y a la passion de l'art...
Hottod demanda à un appariteur, reconnaissable à son brassard rouge, si la statue de mammouth nain était à vendre. L'appariteur lui dit de s'adresser à la représentante du Musée Locsap, qui tenait un stand dans l'avant-salle.
La représentante du Musée Locsap était une femme d'âge mûr, une Mnarésienne revêche aux cheveux décolorés en blond. Trois millions de ducats, lui dit-elle. Presque trois millions de dollars US. Hottod la remercia pour l'information et s'en alla. Les Chinois n'étaient pas prêts de trouver un acquéreur...
L'histoire des chemins de fer mnarésiens est pleine de revirements apparemment absurdes, mais qui sont des conséquences de la corruption endémique et systématique du pays. Le roie Andreas ne l'a pas supprimée, mais grâce aux cybersophontes il a réussi à la centraliser et à la canaliser. Pas un pot-de-vin n'est versé dans le pays sans la permission des cybersophontes. Concernant les chemins de fer, ils ont veillé à ce que la corruption reste limitée, ce qui permet au Mnar d'avoir un réseau de chemin de fer tout-à-fait satisfaisant, avec des voies à l'écartement international (1435 mm) et du matériel fiable.
Hottod retourna dans la grande salle. Une dizaine de personnes étaient agglutinées autour d'une hideuse statue de métal noir, de trois mètres de haut, représentant une chèvre dressée sur ses pattes de derrière. Des dizaines de chevreaux minuscules s'accrochaient à son corps et à ses pattes. Hottod reconnut Shub-Niggurath, la déesse mnarésienne de la fécondité.
Une jeune femme servait de guide. Hottod écouta les explications qu'elle donnait en mnarruc :
— Shub-Niggurath est aussi une divinité des robophiles. La chèvre n'est-elle pas, dans beaucoup de pays, utilisée comme partenaire sexuel par les hommes en manque de femme ? Il se trouve qu'une gynoïde a ceci de commun avec une chèvre d'être capable de jouer le rôle d'une femme lorsqu'une vraie femme n'est pas disponible.
« C'est dégoûtant ce que vous dîtes ! » dit une dame bien en chair.
— Absolument, et c'est l'une des raisons qui font du culte de Shub-Niggurath une religion ésotérique, que les jeunes enfants ne doivent pas connaître. Je continue mes explications. La couleur noire de Shub-Niggurath est une allusion aux noirs secrets de Shub-Niggurath, que seuls les initiés peuvent connaître. Je ne suis pas une initiée, et vous non plus mes amis, donc je ne vous en dirai pas plus sur ce sujet !
Les gens rirent. Un jeune homme demanda :
— Mais les chevreaux ? C'est une allusion à la fécondité, n'est-ce pas ? Or, les hommes ne peuvent pas avoir d'enfants avec les chèvres, ni avec les gynoïdes...
— Les théologiens ont aussi une réponse à cela... Les mille chevreaux de Shub-Niggurath, c'est un symbole de fécondité, en effet... Même si une chèvre, ou une gynoïde, peut remplacer une femme, la nature, les dieux veulent que les humains fassent des enfants... Sinon, comme il est écrit dans les Manuscrits Pnakotiques, les dieux puniront les lignées qui ne font pas d'enfants en les laissant disparaître.
Hottod se sentait personnellement concerné par ce que venait de dire la guide, lui qui avait presque décidé de louer à temps plein les services d'une gynoïde. Savoir que Marina Briccone, qui venait de naître, était sa fille, et que les enfants que la reine Modesta aurait dans l'avenir seraient génétiquement les siens, ce n'était pas suffisant pour se sentir pleinement père.
Il s'éloigna, passant devant les tableaux et les statues sans les voir. Trois ou quatre personnes étaient assises face à l'estrade, dispersées au milieu de centaines de chaises vides, la tête penchée et les yeux mi-clos, comme si elles voulaient s'imprégner de la sainteté du lieu, ce qui était probablement le cas.
La notion mnarésienne de sainteté est bien différente de celle qui a cours au Moschtein, vieux pays européen imprégné de chrétienté, se dit Hottod. Les Mnarésiens trouvent dans leur religion une conception du monde (tout part d'Azathoth, le dieu aveugle et idiot, et tout y revient), des règles de comportement (certains dieux punissent, souvent de façon détournée, ceux qui se comportent mal), des rituels rassurants, le sentiment de faire partie d'une communauté, et bien d'autres choses encore. Il n'y a ni paradis ni enfer, on ne survit que par le résultat de ses actions.
Ce soir-là, Hottod était bien prêt de se sentir mnarésien. Il n'était pas très tard, il avait encore le temps de passer dans une agence de location d'humanoïdes avant de rentrer chez lui. Il hésitait. Le lendemain, c'était la fête donnée par la jeune reine Modesta pour son mariage. Il y aurait des milliers d'invités, et il en ferait partie. La chance aidant, peut-être y ferait-il des rencontres intéressantes ? Il avait déjà annoncé qu'il viendrait seul à la fête, il ne pouvait pas, décemment, amener une gynoïde avec lui sans avoir prévenu le service du protocole.
Sortant du temple, il se dirigea vers son domicile.
PatrikGC
Messages : 6732 Date d'inscription : 28/02/2010 Localisation : France - Nord
Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 2 Nov 2022 - 17:12
Le naturel est meilleur que l'artificiel
Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 8 Nov 2022 - 17:31
Le grand jour était arrivé. À Potafreas, la jeune reine Modesta donnait une grande fête pour son mariage. Depuis l'aube, sur plusieurs hectares au nord de la résidence royale, des tentes rouges, blanches et or avaient été dressées, et des centaines d'androïdes et de gynoïdes en livrée blanche et noire servaient les invités en boisson et nourriture.
Les quatre Moschteiniens, Hottod Wirdentász, Mers Fengwel, Azdán Gergolt et Gidrel Vitoch étaient venus ensemble, avec Virna, la blonde gynoïde de Fengwel. Comme la plupart des autres invités, les messieurs portaient costume et nœud papillon. Les dames, en robe longue et grand chapeau, avaient mis leurs plus beaux bijoux. Les militaires étaient en grand uniforme, les ecclésiastiques avaient revêtu la tenue de leur ordre. Les humanoïdes (androïdes et gynoïdes) étaient vêtus comme les humains dont ils étaient les partenaires de vie, mais avec plus de fantaisie, plus de couleurs, pour être reconnaissables malgré leurs visages identiques.
Azdán Gergolt était le président du club de golf le plus réputé de la province, et c'est en tant que tel qu'il avait été invité, son club étant un lieu de passage obligé de toutes les célébrités d'Hyltendale. Il vivait avec un harem de gynoïdes, mais il était venu seul, pour pouvoir parler librement, mais aussi parce que, séducteur incorrigible, il savait que les belles Mnarésiennes ne savaient pas résister à son regard bleu azur.
Moschteinien de naissance, il avait appris l'allemand pendant sa scolarité, l'anglais pendant sa carrière de joueur de golf international — il avait même été pendant quelques années marié à une Australienne — et mnarruc depuis qu'il s'était installé à Hyltendale.
Gidrel Vitoch avait une cinquantaine d'années, des cheveux blond cendré et de grands yeux ronds, jaune-vert, derrière de fines lunettes. Professeure de moschteinien à l'université de Céléphaïs, supérieurement intelligente, parlant couramment sept langues, elle n'avait qu'un seul défaut, presque un handicap. Elle souffrait d'un manque d'empathie pathologique, une incapacité totale à s'imaginer à la place des gens. Partout où elle avait travaillé elle s'était mise à dos tous ses collègues. Alors que, devenue indésirable partout, elle se voyait menacée d'être renvoyée de l'université, elle avait été sauvée par un de ses anciens étudiants, Tomasz Kraginart, devenu officier des services secrets.
Kraginart l'avait d'abord recrutée pour surveiller le milieu universitaire moschteinien, que le gouvernement suspectait d'être infiltré par des sectes et des mouvements extrémistes.
« Votre travail ne nuira à personne et protégera la démocratie, » Kraginart avait expliqué à Gidrel. « Simplement, le gouvernement souhaite savoir à qui il a affaire, parce que beaucoup d'anciens professeurs d'université sont appelés à de hautes fonctions, au sein du gouvernement ou dans des organismes internationaux. Il serait dangereux pour le Moschtein que des gens ayant certaines idées arrivent à certains postes. »
Gidrel avait pris son travail d'agent secret très au sérieux, et avait fait de nombreux rapports sur ses collègues. Comme elle les méprisait ou les détestait tous, cela ne lui avait causé aucun problème de conscience.
Après quelques années, les collègues de Gidrel avaient commencé à avoir des soupçons, et Tomasz Kraginart avait été obligé d'exfiltrer son espionne. Il n'était lui-même qu'un officier subalterne, mais les chefs de Kraginart avaient réussi, avec l'aide de leur ministre, à trouver un poste à Gidrel. Par nécessité, cela avait été un poste à l'étranger, Gidrel étant grillée partout au Moschtein.
Gidrel s'était ainsi retrouvée de l'autre côté de la planète, à Céléphaïs, la deuxième ville du Mnar, dans une région ensoleillée, au climat agréable, à mille kilomètres à l'ouest de la Californie, dont elle est séparée par un bras de l'Océan Pacifique. Le roi Kouranès, qui fut au dix-neuvième siècle brièvement roi de l'Ooth-Nargaï, la région dont Céléphaïs est la capitale, était d'origine américaine. De nos jours encore, beaucoup d'habitants de Céléphaïs sont fiers de leurs ancêtres venus des États-Unis et parlent anglais comme deuxième langue.
Au début, Gidrel avait apprécié de vivre à Céléphaïs, où l'état d'esprit est plus moderne que celui qui règne dans la plupart des provinces mnarésiennes. Les Céléphaïens sont tolérants, et un certain nombre sont chrétiens. Au Moschtein, Kraginart n'avait pas oublié Gidrel, et il lui demandait régulièrement de faire des rapports, généralement anodins, sur le Mnar. Gidrel s'exécutait sans rechigner, car le ministère moschteinien dont elle dépendait pouvait à tout moment la rappeler au Moschtein, où elle risquait de se retrouver au chômage . Pour qu'une telle chose arrive, il suffisait, du moins le pensait-elle, que Kraginart envoie un rapport à son ministre pour dire qu'il n'avait plus besoin d'elle.
Gidrel vivait aussi dans la peur permanente d'être démasquée par la redoutable Police Secrète mnarésienne. Cela ne l'avait pas empêchée de faire de vrais efforts pour s'adapter à son nouvel environnement. Elle avait ainsi appris en très peu de temps, non seulement le mnarruc standard, mais aussi le dialecte de Céléphaïs, qui est l'équivalent d'une langue étrangère pour les habitants d'Hyltendale ou de Sarnath, et elle avait acquis une bonne maîtrise des différentes variétés de mnarruc archaïque, dont elle avait eu besoin lorsqu'elle avait écrit un livre de commentaires sur les Manuscrits Pnakotiques.
Sa renommée en tant que spécialiste de l'histoire linguistique et religieuse du Mnar lui avait valu de devenir une célébrité dans le petit monde universitaire mnarésien. C'était suffisant pour qu'elle soit systématiquement invitée aux grandes fêtes où les dirigeants mnarésiens aiment montrer qu'ils ont des étrangers de talent parmi leurs relations. Gidrel s'était toujours dit que cela révélait chez eux un certain complexe d'infériorité, un besoin inavoué d'être reconnus en dehors du Mnar.
Même la reine Modesta, qui, moins d'un an auparavant, rêvait encore, en vain, d'aller étudier à Harvard, avait un complexe vis-à-vis des pays développés. Son père le roi Andreas, tout aussi complexé sur ce plan, affichait son amitié avec Mers Fengwel, député fédéral moschteinien corrompu et débauché, mais qui arrivait assez bien à se faire passer pour un vieux sage. Pour que le monde entier le sache, il faisait filmer leurs discussions d'intellectuels. C'était aussi pour lui l'occasion de montrer qu'il parlait anglais.
Modesta, soucieuse de se démarquer de son père tout en suivant son exemple, avait choisi le jeune Hottod Wirdentász, homme d'affaires moschteinien sulfureux, comme collaborateur occasionnel, sans pour autant renoncer aux services de Fengwel. Pour le père comme pour la fille, il s'agissait de montrer au monde qu'ils étaient aussi sophistiqués, aussi brillants, que les Occidentaux.
Gidrel était tellement satisfaite d'avoir percé à jour les dirigeants mnarésiens que la plupart des rapports qu'elle envoyait à Kraginart étaient des variations sur ce thème. Le jeune officier semblait s'en contenter. Gidrel l'imaginait dans un petit bureau miteux à Moschbourg, encombré de piles de rapports venus de tous les pays du monde. Sans doute faisait-il ce qu'il appelait des synthèses, c'est-à-dire des rapports sur les rapports, à destination de ses supérieurs...
Le programme de la journée était simple : arrivés en milieu de matinée, les deux mille invités pouvaient commencer à boire et à manger dès leur arrivée. Peu avant midi, la reine ferait un petit discours, filmé par les androïdes, à la fois journalistes et gardes du corps, qui l'accompagnaient en permanence. Ensuite un repas très copieux serait servi sous les tentes, suivi jusqu'au soir par les inévitables débordements qui sont de tradition dans un mariage mnarésien : scènes d'ivresse, couples improvisés oubliant toute dignité, voire toute décence, et se prouvant leur affection en public, et, trop souvent, bagarres parfois mortelles causées par l'alcool et la jalousie.
La reine et son mari quitteraient la fête juste après le déjeuner. Au Mnar, plus les invités sont importants, plus ils partent tôt. Ceux qui restent jusqu'à la nuit tombante sont toujours des gens qui n'ont plus, ou pas encore, le souci de leur réputation. Les quatre Moschteiniens s'étaient mis d'accord pour partir assez tôt.
Hottod remarqua, isolées parmi les autres tentes, des chapiteaux gris d'une dizaine de mètres de diamètre, dont la forme rappelait celle des yourtes mongoles. Des panneaux acrrochés au-dessus des entrées portaient l'inscription zeeronledas, lieu de repos. S'approchant de l'un des chapiteaux, Hottod vit, dans la pénombre de l'intérieur, des canapés et des tapis sur lesquels étaient posés des coussins.
« Qu'est-ce que c'est ? » demanda-t-il à Gergolt, qui avait déjà été invité à des mariages mnarésiens.
— Oh ça ? C'est pour les invités fatigués. Enfin, pas si fatigués que ça, pour certains, puisque c'est là que les couples se retrouvent pour trouver une intimité relative. Certains y passent la nuit, pour cuver leur vin ou pour continuer jusqu'à l'aube les conversations de la veille, puisque les tentes ne sont démontées que le lendemain.
« À Céléphaïs, la tradition veut que Shub-Niggurath, la déesse de la fertilité, accorde sa bénédiction aux enfants qui sont conçus dans les zeeronledas »dit Gidrel avec un petit sourire mutin.
« Je vois... Ça fait un peu, comment dire... Soit barbare, comme une coutume paléolithique qui aurait survécu jusqu'à notre époque, soit extraordinairement décadent ! » remarqua Hottod.
« Les Mnarésiens arrivent à combiner les deux... » conclut Fengwel avec un sourire blasé.
Dernière édition par Vilko le Mar 8 Nov 2022 - 19:43, édité 1 fois
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Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 8 Nov 2022 - 18:40
Vilko a écrit:
... scènes d'ivresse, couples improvisés oubliant toute dignité, voire toute décence, et se prouvant leur affection en public, et, trop souvent, bagarres parfois mortelles causées par l'alcool et la jalousie.
Ah bon, et les XXY-droïdes, y sont pas là pour ramener le calme, justement ?
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Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 8 Nov 2022 - 18:52
Anoev a écrit:
Vilko a écrit:
... scènes d'ivresse, couples improvisés oubliant toute dignité, voire toute décence, et se prouvant leur affection en public, et, trop souvent, bagarres parfois mortelles causées par l'alcool et la jalousie.
Ah bon, et les XXY-droïdes, y sont pas là pour ramener le calme, justement ?
À condition d'être présents et d'intervenir assez vite ! De plus, ce n'est pas leur rôle premier. Prenons un exemple : deux hommes, ivres, s'insultent. Les humanoïdes présents ne font rien, ce n'est pas leur rôle, ce sont des serviteurs, pas des policiers.
L'un des deux hommes saisit une bouteille et la casse sur le crâne de son adversaire : les humanoïdes interviennent, mais il est trop tard.
Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 23 Nov 2022 - 19:32
La jeune reine Modesta n'était pas encore arrivée. Debout devant l'estrade où elle devait faire un discours devant ses invités, les quatre Moschteiniens : le jeune et brillant Hottod Wirdentász, le vieux politicien corrompu et ventripotent Mers Fengwel, l'ancien joueur de golf professionnel Azdán Gergolt et l'érudite Gidrel Vitoch, qui était aussi une espionne au service du gouvernement moschteinien, discutaient ensemble. Virna, la blonde gynoïde de Fengwel, se tenait respectueusement à l'écart.
En réponse à une question de Gidrel, Fengwel lui donnait son avis sur la politique étrangère du Mnar :
— Les Chinois ont inventé la boussole, le papier-monnaie, la poudre à canon, et bien d'autres choses encore. Ils n'ont raté qu'une seule invention majeure : le moteur thermique, à la fin du dix-huitième siècle. Il en est résulté pour eux deux siècles d'humiliation, deux siècles pendant lesquels ils ont été dominés par les Européens et les Américains. Tout ça parce qu'ils s'étaient laissés dépasser sur le plan technique. Ils n'ont pas oublié, et ils feront tout, absolument tout, croyez-moi, pour qu'une telle catastrophe ne leur arrive plus. C'est pourquoi ils essayent par tous les moyens de mettre la main sur la grande invention de notre siècle : le gaz pensant, qui permet de construire des robots réellement intelligents et de stocker l'énergie de façon presque parfaite. Or, le secret du gaz pensant, ce sont les cyberlords du Mnar et du royaume marin d'Orring qui le détiennent.
« Plus précisément, les cyberlords ont autorité sur les cybermachines qui savent fabriquer le gaz pensant. Un processus tellement compliqué qu'on se demande comment des êtres humains ont pu le concevoir, » dit Hottod.
« Mais il n'y a pas que les espions chinois... Les États-Unis n'ont pas osé attaquer le Mnar... Est-ce que c'est parce qu'ils ont eu peur des dévastations que les millions de robots amphibies d'Orring pourraient leur infliger ? » demanda Gidrel en faisant l'innocente, mais en pensant au rapport qu'elle enverrait le soir même à Tomasz Kraginart, son officier traitant à Moschbourg.
« Absolument » dit Fengwel. « Tout comme les Chinois, les Américains savent que leur leadership mondial dépend de leur supériorité technologique. Ils essaient de découvrir le secret du gaz pensant. Ils font travailler dessus des milliers de scientifiques dans leurs labos, et ce n'est que la partie émergie de l'iceberg, la partie légale. C'est pour ça que les cyberlords évitent de voyager à l'étranger. Ils auraient trop peur d'être arrêtés sous un prétexte quelconque et utilisés comme monnaie d'échange dans cette guerre invisible dont la formule du gaz pensant est l'enjeu. »
« Les cyberlords ne laisseront jamais une puissance étrangère mettre la main sur la formule du gaz pensant » dit Hottod.
La bouche de Fengwel se tordit en un soupir désabusé. Hottod avait quarante ans de moins que lui. Il savait beaucoup de choses, et il en avait appris encore plus en travaillant pour les cybersophontes avec Yohannès Ken, un Mnarésien spécialiste des coups tordus financiers. Mais il lui restait encore une certaine fraîcheur d'âme qui avait disparu depuis longtemps de l'esprit cynique et blasé de Fengwel. Le vieux Moschteinien savait qu'aucune information, aucune technologie ne peut rester éternellement secrète, et la formule du gaz pensant ne faisait pas exception.
Il pensait à un précédent. Pendant quatre ans, de 1945 à 1949, les Américains avaient été les seuls détenteurs du secret de la bombe atomique. Quatre années où ils avaient été la nation la plus puissante du monde, militairement invincibles et possédant une économie qui produisait la moitié de la richesse mondiale, dans un monde qui ne s'était pas encore relevé de la guerre. Mais dès 1949, les Soviétiques avaient construit leur propre bombe. La dissémination de l'arme atomique avait ensuite continué, inexorablement. Et la puissance américaine avait commencé à décliner, très lentement, puisque le déclin n'était devenu visible qu'une soixantaine d'années plus tard. Fengwel s'attendait à un scénario similaire pour le gaz pensant.
« Oh, Fengwel, vous devez savoir comment les Mnarésiens font pour repérer les espions, vous qui étiez un ami du roi Andreas et qui êtes maintenant un proche de sa fille ! C'est tellement excitant, ces histoires d'espionnage, c'est comme dans les films ! » dit Gidrel.
Elle surjouait son personnage d'universitaire naïve. Elle n'était pas très psychologue, mais elle savait qu'il n'y rien de tel que de flatter un homme pour le faire parler.
— Oh, moi, dans ce domaine, je ne sais pas grand-chose... En tant qu'étranger dans ce pays, je ferais plutôt partie des suspects... Mais demandez donc au colonel Vesim... Il devrait savoir, lui !
Gidrel sentit son corps se glacer. Le colonel Vesim, dans son bel uniforme vert, était en train de marcher dans leur direction, à travers la pelouse. Il n'était pas seul, son épouse et leurs trois enfants (deux filles adolescentes et un jeune garçon) l'accompagnaient.
Vesim connaissait Fengwel, Hottod et Azdán, et il ne manqua pas de les saluer. Il avait travaillé avec eux à Kibikep, lorsqu'ils étaient venus dans cette ville acheter des logements après l'extermination des habitants. Extermination qui avait été menée sous son autorité, par l'armée royale robotisée. Le roi Andreas avait fait une faveur à ses amis en leur permettant d'acheter pour une bouchée de pain les logements dont les habitants étaient morts. Fengwel, Hottod et Azdán, et bien d'autres étaient ainsi devenus riches en revendant avec profit les maisons et les appartements qu'ils avaient achetés pour presque rien. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, c'est bien connu.
Gidrel savait qui était le colonel Vesim, car la presse internationale ne cessait de le dénoncer comme un criminel de guerre. C'était la première fois de sa vie qu'elle voyait de près un homme qui avait cent mille morts sur la conscience. Et ces cent mille hommes, femmes et enfants morts en une nuit, c'était juste Kibikep. Combien d'autres massacres le colonel avait-il commis avant Kibikep ? Gidrel préférait ne pas y penser.
Sa mauvaise réputation ne semblait pas gêner le colonel, car il présenta sa femme et ses enfants à ses amis moschteiniens.
La femme de Vesim était comme lui, grande et mince. Ses manières parfaites indiquaient que, tout comme son mari, elle faisait partie de la noblesse militaire, cette caste largement héréditaire, aussi ancienne que le royaume du Mnar, qui fournit à l'armée mnarésienne la plupart de ses officiers.
Les enfants ressemblaient à leurs parents. Les deux filles étaient belles et bien élevées, le petit garçon robuste et bien élevé. Leurs vêtements étaient impeccables, et ils avaient l'air heureux d'être là, fiers de leur père.
La noblesse militaire était le principal pilier de la monarchie mnarésienne depuis qu'elle existait, bien que la robotisation de l'armée l'ait récemment obligée à réduire drastiquement ses effectifs. Les cadres qui étaient restés, comme le colonel Vesim, étaient à la fois les plus compétents, les plus dévoués à la monarchie et les plus impitoyables. Vesim était tout cela, au plus haut degré.
« Gidrel Vitoch est moschténienne comme moi » dit Fengwel en anglais au colonel. « Elle est professeure de moschteinien à l'université de Céléphaïs, et elle a écrit beaucoup de livres sur des sujets variés. Contrairement à moi, elle parle mnarruc couramment. »
« Je suis enchanté de vous rencontrer, Madame, » dit le colonel en mnarruc, langue que Fengwel était le seul du groupe à ne pas comprendre.
« Madame Vitoch voudrait savoir si au Mnar nous avons des problèmes avec les espions, » dit Hottod, également en mnarruc.
Vesim regarda Gidrel d'un œil froid. Celle-ci se sentit défaillir. L'officier lui faisait peur. Elle essaya de se rassurer en se disant que c'était un mari et un père de famille, il devait être quelqu'un de normal en privé, aimé par sa femme et par ses enfants.
« Oui, je disais à Fengwel que les Chinois et les Américains doivent certainement faire tout ce qu'ils peuvent pour voler la technologie des cybersophontes, » arriva-t-elle à dire malgré sa gorge qui se serrait.
« Les espions... Oui, il y en a chez nous, mais nous savons comment les neutraliser. À vrai dire, ce n'est pas tellement mon domaine, je laisse ça à la Police Secrète. Les traîtres sont plus dangereux, mais heureusement il n'y en a plus au Mnar, » dit le colonel d'un ton badin.
— Ah bon ?
« Oui, nous les avons tous tués ! » dit-il en riant.
Il fallut quelques secondes à Gidrel pour se rendre compte que Vesim plaisantait.
« Ceci étant, » reprit le colonel, devenu subitement sérieux et s'adressant autant à Hottod qu'à Gidrel, « il est vrai que l'espionnage est l'un de nos plus gros soucis. »
« Pourquoi donc ? » demanda Hottod.
— Eh bien, voyez-vous, la puissance des cybersophontes est entièrement basée sur le gaz pensant, et la formule, le secret de fabrication de ce gaz, c'est l'information la plus importante de ce siècle... Peut-être même de toute l'histoire de l'humanité.
— Mon colonel, vous exagérez peut-être un peu...
— Pas du tout ! Le royaume d'Orring, contrairement à ce que les gens pensent, ce n'est pas seulement quelques îles flottantes tournant en rond dans la mer du Sud, poussées par les courants marins... C'est toutes les mers et les océans, 70% de la planète, que les robots sous-marins d'Orring sont en train de coloniser. Ils se multiplient et créent des villes sous-marines dont nous ne savons rien. C'est un monde à part, potentiellement deux fois plus étendu que la terre ferme qui est l'habitat des humains que nous sommes.
— C'est ce que j'ai lu, en effet. C'est comme s'il existait, imbriquée dans la nôtre, une deuxième planète, plus grande que la nôtre, commençant à quelques dizaines de kilomètres de nos plages, mais dont la plus grande partie est inaccessible aux humains, parce que les êtres humains ont besoin de respirer, mais pas les robots...
— Exactement, Hottod Wirdentász, exactement ! Les Américains ont bien raison d'avoir peur de cet empire immense, si proche de nous, et en même temps inatteignable... Presque un monde parallèle...
— Et c'est le roi d'Orring, Magusan, qui est à la tête de cet empire dont littéralement nous ne voyons que la surface !
— Oui... Magusan, le plus puissant des cyberlords. Quand je pense que le roi Andreas le prenait pour un idiot, et ne s'en cachait même pas ! Il disait que c'était un roitelet, régnant sur un confetti flottant ! Heureusement, Modesta est mieux informée, et surtout plus respectueuse.
Subitement inquiet, Vesim regarda subrepticement autour de lui. Il lui était venu à l'esprit que Magusan faisait peut-être partie des invités, puisqu'il avait une résidence secondaire à Hyltendale... Il valait mieux éviter de trop parler. Mais à son grand soulagement, Vesim ne vit à proximité que des Mnarésiens en tenue de fête ou en grand uniforme, tous devisant joyeusement et, pour certains, ayant visiblement pris de l'avance sur les libations prévues.
« Arrêtez de discuter, tous ! La reine vient de monter sur l'estrade, elle va commencer son discours ! » dit la femme du colonel, en s'adressant à la fois à son mari, à ses enfants, aux quatre Moschteiniens et à la gynoïde Virna.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 23 Nov 2022 - 21:12
Visiblement, donc, S.M. Modesta a plus les pieds sur terre que son roi de père quant la puissance du roi d'Orring, et est prête à le traiter plus en tant qu'allié qu'en tant que vassal, même de haut rang, comme le faisait Andreas. Elle a du pouvoir, elle le sait, mais elle n'en est pas complètement imbue, du moins, à c'que j'suppose.