Alors, du coup, qui sont les Cybersophontes et quelles sont leurs motivations ?
C'est un nom générique qui désigne toutes les créatures intelligentes cybernétiques : les cybermachines, les robots humanoïdes, les robots arachnoïdes... On y inclut parfois, un peu abusivement car ce sont des humains, les cyberlords, dont les plus connus sont le roi Andreas et le roi d'Orring, Magusan, qui ont (théoriquement) autorité sur les cybermachines et les robots humanoïdes et non-humanoïdes.
Le vrai mystère est : qui commande réellement les cybersophontes ? L'existence d'un cybersophonte nommé Kamog, qui serait le maître caché de tous les cybersophontes, est postulée, mais pas prouvée. Kamog, s'il existe, ne serait que l'individu au sommet d'une hiérarchie invisible. Lorsque la gynoïde Wagaba dit, en privé, qu'elle prend ses ordres de Kamog, il ne faut peut-être pas prendre cette phrase au pied de la lettre. Le mystérieux Kamog, selon certains cyberlords, ne serait tout simplement que le roi d'Orring, Magusan, qui est un être humain tout ce qu'il y a d'ordinaire, à part le fait qu'il est roi.
Officiellement, les cybermachines et les robots humanoïdes obéissent aux cyberlords, qui sont des êtres humains. Le roi Andreas et le roi Magusan sont des cyberlords. Au total, les cyberlords sont entre plusieurs centaines et plusieurs milliers (on ne sait pas exactement) et se recruteraient par cooptation. Le fait qu'ils agissent généralement de façon coordonnée laisse à penser qu'ils obéissent eux-mêmes à une autorité supérieure, ce qu'ils nient.
On ne sait pas toujours qui est un cyberlord et qui n'en est pas un. La plupart des Mnarésiens considèrent que la princesse Modesta, en tant qu'héritière de son père, est un cyberlord. Elle pense, quant à elle, qu'elle deviendra un cyberlord quand Kamog, dont elle pense qu'il n'est qu'un pseudonyme de Magusan, l'aura décidé.
Selon une autre hypothèse, rejetée par les gens sérieux comme une simple rumeur complotiste, Kamog serait une intelligence artificielle dotée d'une volonté autonome. Le savant qui aurait inventé les cybermachines (on le décrit volontiers comme une caricature de savant fou) aurait réussi à créer un double cybernétique de son cerveau biologique, devenant ainsi, après sa mort en tant qu'être humain, une cybermachine dotée d'une âme humaine.
Cette cybermachine dotée d'une âme vivrait cachée, comme une araignée au centre de sa toile. Certains disent que “Kamog” réside dans les souterrains situés en dessous d'Hyltendale, d'autres disent à Serranian, l'île flottante qui est la capitale du royaume d'Orring. D'autres encore disent que, son corps de cybermachine lui permettant de vivre sous l'eau, il aurait choisi de vivre à Y'ha-nthlei, au fond de l'océan.
Y'ha-nthlei est un nom cité dans les Manuscrits Pnakotiques. D'après la plupart des chercheurs qui passent leur vie à enquêter sur les nombreux mystères liés aux cybersophontes, il s'agit d'un nom de code pour l'une des innombrables installations sous-marines des royaumes d'Orring et de Hyagansis. Reste à savoir laquelle...
Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Sam 7 Aoû 2021 - 19:18
Debout sur l'estrade, se tenant bien droit dans son bel uniforme, le colonel Vesim se mit à parler, de sa voix ferme d'officier habitué à donner des ordres :
— Tout comme vous, chers compatriotes et invités étrangers, j'ai écouté ce que vient de dire la princesse Modesta, fille du roi Andreas et régente du royaume. Tout comme vous, j'ai noté que notre plan de défense, ou plutôt de contre-attaque, repose sur notre alliance avec Orring. Sans les millions de robots sous-marins d'Orring, et sans les dizaines de milliers de petits drones dont nous disposons le Mnar est vaincu d'avance face à la puissance américaine. Il me paraît donc important que l'ambassadeur d'Orring, qui est dans cette salle, veuille bien venir à côté de moi afin de dire, devant vous tous, quelle est la position de son pays concernant la présente crise.
Un petit sexagénaire corpulent vêtu d'un costume noir, aux cheveux gris et portant des lunettes, se leva lentement du milieu de la salle et remonta l'allée centrale. Wagaba, à demi dissimulée derrière l'estrade, lui donna un micro. Le petit homme prit place à côté du colonel et se présenta :
« Bonjour Mesdames et Messieurs, je m'appelle Basil Evers, et j'ai l'honneur d'être l'ambassadeur d'Orring au Mnar, depuis déjà deux ans. J'ai bien connu le roi Andreas, mais juqu'à aujourd'hui je n'avais pas l'honneur de connaître sa fille. »
Dans la salle, les invités retenaient leur souffle. Tous sentaient que le Mnar était à un tournant de son histoire, et qu'ils avaient le redoutable honneur d'être aux premières loges pour y assister.
« Tous les Mnarésiens le savent, » continua le petit homme, « mais il est peut-être utile de le rappeler aux étrangers qui sont dans cette salle, Sarnath est la capitale politique du Mnar, mais depuis quelques années Hyltendale est sa capitale diplomatique. Toutes les ambassades sont maintenant à Hyltendale. C'est la raison pour laquelle j'ai pu accepter l'invitation de la princesse Modesta. J'habite et je travaille à Hyltendale. Les rois du Mnar ont toujours été réticents à laisser des étrangers, même des diplomates, s'installer dans le pays ailleurs qu'à Hyltendale et Céléphaïs... Comme tous les pays, le Mnar a ses traditions, qu'il faut respecter. »
« Viens-en au fait ! » pensa silencieusement Hottod.
« Mais parlons plutôt de la situation présente. Le Mnar n'a pas connu de situation aussi dramatique depuis la guerre civile, qui a été la grande épreuve du règne du roi Andreas. La régence de la princesse Modesta commence par une crise qui risque de faire encore plus de victimes que la guerre civile. Il me paraît donc important de commencer par l'essentiel. Je viens de recevoir un message de mon gouvernement. Il est très clair et ans ambiguïté. Le royaume d'Orring se joindra au Mnar, avec lequel il a en commun sa langue et sa culture, si le Mnar est attaqué par une puissance étrangère. Et cela, quelles que soient les raisons de cette attaque, et quel que soit l'auteur de cette attaque. Dès à présent, vu l'urgence de la situation, des mesures sont prises pour coordonner nos forces armées respectives. »
Hottod sentit un certain soulagement se répandre parmi les invités. Lui-même se sentait un peu rasséréné. Orring, le royaume marin des cybersophontes, c'étaient des millions de robots aquatiques, comme l'avait rappelé le colonel Vesim. Ils pouvaient interdire aux bateaux américains l'ensemble des mers et des océans, et même lancer des attaques meurtrières contre les villes côtières.
« Nous serons donc deux nations, le Mnar et Orring, bien modestes à l'échelle de la planète, pour lutter contre le pays le plus puissant du monde. Nous les Orringais, nous sommes bien conscients que Serranian risque d'être détruite dès le premier jour de la guerre. Notre capitale est une île flottante, dérivant en cercle dans le Pacifique. C'est une cible facile pour les avions et les missiles. C'est pourquoi la population humaine de Serranian sera évacuée dès demain dans les sous-marins prévus à cet effet. Ce n'est pas très agréable de vivre dans un sous-marin, mais les sous-marins orringais sont vastes, certains diraient gigantesques. On y a de la place, et ils sont munis de plats-bords entourés de bastingages, pout qu'on puisse y prendre l'air et profiter du soleil lorsque le vaiseau fait surface. »
Les invités applaudirent l'ambassadeur. Tout en applaudissant, lui aussi Hottod songeait que les cybersophontes avaient certainement préparé la guerre depuis longtemps. Ils savaient qu'un jour une telle crise arriverait, que ce soit à cause du massacre de Kibikep ou d'un autre de leurs crimes monstrueux, et ils s'étaient préparés d'avance. Ils ont un plan, et s'ils ont fait ce plan, c'est pour gagner la guerre.
L'ambassadeur ayant fini de parler, le colonel reprit la parole pour conclure :
— Je pense que l'essentiel a été dit par la princesse Modesta et par son Excellence Basil Evers. Les Américains peuvent transformer nos villes en tas de cendres, mais nous pouvons transformer leur côte ouest en un vaste cimetière. Ils le savent, et c'est maintenant au président des États-Unis de choisir entre la paix et la guerre, entre la vie et la mort. Y a-t-il des questions ?
Dans l'assistance, plusieurs bras se levèrent, mais Hottod n'écoutait plus. Dans la salle, vaste et circulaire, les étrangers, pour la plupart diplomates ou journalistes, prenaient frénétiquement des notes dans des carnets ou discutaient entre eux à voix basse. Les Mnarésiens étaient les plus anxieux. Hottod saisit quelques conversations au vol. Il y était question de points de chute à la campagne, des différents moyens de constituer des stocks de nourriture, de la possibilité de s'échapper du Mnar pour se rendre à Baharna ou en Cathurie.
Certains essayaient en vain d'utiliser leurs smartphones : la salle, conçue pour résister à un bombardement, était trop profondément enfoncée sous des tonnes et des tonnes de béton armé pour que les ondes radio puissent passer.
La princesse Modesta remonta sur l'estrade, serra la main de l'ambassadeur, et demanda aux invités de se diriger vers les tables placées sur le pourtour circulaire de la salle, afin de faire honneur aux hors-d'œuvres et aux boissons.
« Elle a dit qu'on peut commencer à boire et à bouffer, » traduisit Hottod en moschteinien pour Fengwel, qui, plusieurs années après son arrivée à Hyltendale, ne savait toujours pas parler le mnarruc.
« Et le petit gros qui a parlé avant elle, il a dit quoi ? » demanda Fengwel.
« Orring va entrer en guerre contre les États-Unis aux côtés du Mnar, si les États-Unis attaquent en premier. »
Fengwel, malgré sa bedaine proéminente et son visage de vieux satyre fatigué, avait encore l'esprit vif. Il chuchota à l'oreille de Hottod :
- C'est peut-être le seul moyen d'éviter la guerre. Faire peur à l'ennemi en montrant sa force. Hottod, ça fait longtemps que j'ai compris que la même logique règne en politique internationale et dans les cours de récréation. C'est en montrant qu'on est prêt à se battre aux côtés d'un copain menacé qu'on dissuade la grosse brute de passer à l'acte.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Sam 7 Aoû 2021 - 23:14
Je ne sais pas quelle pourrait être la réaction de la Communauté européenne si les États-unis attaquaient le Mnar.
L'Aneuf n'a certes pas une sympathie particulière envers le régime actuel Mnarésien (le Mnar ne s'est jamais attaqué à l'Aneuf), mais condamnerait l'agression sans aucun état d'âme, n'estimant guère la politique internationale étasunienne d'ingérence systématique (ne pas oublier Grenade ; les Aneuviens oublient encore moins la tentative de putsch de Sanpaz en 1974 (un an après celui, réussi, de Santiago du Chili), les bâtiments de l'US-Navy au large du Nobenkost, qui ne durent rebrousser chemin que par un coup de poker rendu possible grâce aux service secrets aneuviens qui avaient appris* que trois sous-marins US stationnaient au fond de la mer d'Okotsk et étaient prêts à cracher le morceau (et déclencher une troisième guerre mondiale) si le régime US de l'époque ne se montrait pas raisonnable).
*On ne sut jamais qui étaient les taupes.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 30 Sep 2021 - 15:11
“Je ne sais pas quelle pourrait être la réaction de la Communauté Européenne si les États-Unis attaquaient le Mnar,” dit Hottod en faisant signe à un serveur androïde de lui servir un verre de bière de Sarnath.
Blonde et légère, la bière de Sarnath existe sous différentes variétés, dont certaines sont produites par des filiales des Jardins Prianta. Elle rappelait à Hottod certaines bières de table tchèques et polonaises qu'il avait bues en Europe, lorsqu'il était encore un jeune étudiant. Cela ne datait que de quelques années, et pourtant cela lui paraissait déjà lointain.
“Eh bien moi je sais ce que feraient les Européens,” répondit Fengwel. “Depuis qu'elle existe, la Communauté Européenne a soit soutenu les États-Unis lorsqu'ils envahissaient un autre État, soit est restée prudemment neutre, tout en réaffirmant son amitié et son alliance indéfectibles avec l'Amérique. Le Mnar ne peut en attendre rien d'autre.”
En voyant le liquide d'un jaune clair transparent, surmonté d'une fine mousse blanche, couler dans le verre d'Hottod, il avait bien envie d'une bière, lui aussi. Il en sentait déjà le goût à la fois doux et délicieusement amer dans sa gorge... Hélas, pour des raisons de santé, il lui fallait s'en abstenir, surtout au début d'un cocktail qui pouvait se prolonger. Lorsqu'il buvait de l'alcool, c'était comme s'il ouvrait un robinet. Ensuite il ne pouvait plus s'arrêter, jusqu'à l'ivresse. Par prudence, il demanda au serveur de lui servir un grand verre d'eau minérale de Hatheg.
Gidrel Vitoch s'approcha de Fengwel et Hottod.
“Je n'en peux plus,” leur dit-elle en moschteinien. “Nous sommes là, à faire semblant de nous amuser, sous une coupole de béton, à des dizaines de mètres sous terre, et un missile américain peut nous tomber dessus n'importe quand. Même s'il ne nous tuait pas instantanément, nous resterions enterrés vivants, dans l'obscurité, pour finalement mourir... ? Alors voilà, j'ai pensé : Si on partait ? Oui, tout de suite. Je sais que ce n'est pas courtois, mais l'angoisse est insupportable...”
Il y eut un moment de silence. Puis Fengwel dit à voix basse :
— Gidrel, je ne peux pas me permettre de me mettre à dos la régente. Il suffirait d'un mot d'elle pour que je sois obligé de quitter le Mnar, et au Moschtein c'est la prison qui m'attend. Je reste, et je vais boire pour oublier ma peur. L'alcool est un excellent anxyolitique. D'autre part, je pense que les Américains n'attaqueront pas. N'oubliez pas que j'ai quarante ans d'expérience de la vie politique nationale et internationale derrière moi.
— Ah oui ? Alors expliquez-moi pourquoi, vous qui êtes un Einstein de la géopolitique...
Faisant mine de ne pas avoir entendu le sarcasme, Fengwel expliqua :
— Washington sait que les millions de cybermachines qui colonisent les fonds marins pour le compte du roi d'Orring ont les moyens de ravager la côte ouest des États-Unis. Je vais vous expliquer comment ça se passerait. Imaginez des robots amphibies sortant de l'océan, répandant des gaz de combat partout sur leur passage. Les Américains n'ont rien pour les intercepter, du moins tant qu'ils sont dans l'eau. Conclusion, ils n'attaqueront pas le Mnar, ce serait pour eux un désastre.
— Moi aussi j'ai entendu ce qu'a dit l'ambassadeur... Orring est prêt à faire la guerre aux côtés du Mnar. Mais, juste un détail mais qui a son importance, vous êtes sûr qu'ils existent, ces robots amphibies ?
“Bien sûr que je suis sûr qu'ils existent, j'ai vu les vidéos” dit Fengwel, en s'efforçant de dissimuler son agacement.
“Ah oui, vous avez vu les vidéos...” dit Gidrel, et les traits de son visage se tordirent. Voyant qu'elle était sur le point de fondre en larmes, Hottod s'approcha d'elle et lui murmura à l'oreille :
— Gidrel, nous sommes quelques Moschteiniens dans cette pièce, plus Sofia qui est romanaise, et deux ou trois Aneuviens, au milieu de plusieurs centaines de Mnarésiens. Nous nous en sortirons si nous restons groupés et solidaires. Nous sommes des gens civilisés, perdus au milieu de... disons, d'anciens cannibales, d'autant plus dangereux qu'ils disposent d'une technologie avancée.
“La guerre est une sauvagerie sans nom... Comment pouvons-nous, nous les êtres humains, avoir cet instinct dans nos gènes ? C'est absurde, démoniaque !” dit Gidrel.
“Cet instinct nous a permis de survivre en tant qu'espèce, en nous obligeant à nous dépasser, à créer sans cesse de nouvelles armes, depuis les massues de nos lointains ancêtres jusqu'aux missiles supersoniques de notre époque. Mais survivre en tant qu'espèce ne signifie pas survivre en tant qu'individu... Parfois, certains individus doivent mourir pour que le groupe survive,” répondit Hottod, qui avait lu les philosophes mnarésiens.
— Eh bien, essayons de ne pas faire partie de ces individus qui vont mourir !
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 30 Sep 2021 - 21:00
Vilko a écrit:
“Eh bien moi je sais ce que feraient les Européens,” répondit Fengwel. “Depuis qu'elle existe, la Communauté Européenne a soit soutenu les États-Unis lorsqu'ils envahissaient un autre État, soit est restée prudemment neutre, tout en réaffirmant son amitié et son alliance indéfectibles avec l'Amérique. Le Mnar ne peut en attendre rien d'autre.”
L'Aneuf, lui (qui a hélas moins de poids que l'UE) afficherait sa neutralité, ce qui veut dire qu'il condamnerait verbalement l'intervention US (jamais qu'une de plus !), mais n'apporterait pas de soutien moral ou logistique au régime du Mnar. Si la Maison Blanche prétend faire des reproches au gouvernement de Kesna, qui consisterait à condamner l'attaque contre une dictature, il serait répondu que, dans le Passé, des dictatures de par le monde, tant an Amérique du sud (elles ne manquèrent pas !), en Asie (l'Iran du Chah, l'Indonésie de Suharto, le Sudvietnam...), en Europe (la Grèce des colonels), et soutenus par les USA, toutes mouvances confondus (Démocrates comme Républicains) n'ont pas manqué.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Sam 2 Oct 2021 - 22:06
Les trois Moschteiniens, Mers Fengwel, Hottod Wirdentász et Gidrel Vitoch essayaient maladroitement de se rassurer les uns les autres dans la grande salle souterraine de Potafreas, la résidence royale. La vaste coupole d'aluminium reflétait la lumière des lampes murales et l'air bruissait des conversations inquiètes de deux cents hommes et femmes, dont une bonne partie de l'élite d'Hyltendale.
Les humanoïdes qui les accompagnaient, tout aussi nombreux, étaient nettement plus calmes. La plupart d'entre eux s'étaient assis sur les chaises faisant face à l'estrade, maintenant déserte, où la princesse Modesta, le colonel Vesim et Basil Evers, l'ambassadeur d'Orring, avaient pris la parole.
Malgré la gravité du moment, Hottod pensait à Sofia, sa fiancée romanaise, qui était enceinte. Virna, la gynoïde de Fengwel, avait raccompagné Sofia à Hyltendale, après que celle-ci, en enfant gâtée incorrigible qu'elle était, avait agressé verbalement la princesse. Dans une dictature comme le Mnar, on peut mourir sur un caprice du monarque, et le monarque, c'était la princesse Modesta, régente du Mnar et âgée de seulement vingt-deux ans. Ce qu'Hottod savait d'elle ne le rassurait pas. D'où l'angoisse supplémentaire qui lui rongeait l'estomac.
Modesta, suivie par son garde-du-corps l'androïde Argal Kertawen, et par la gynoïde Wagaba, s'était éclipsée, laissant ses invités consommer sans elle la nourriture et les boissons mises à leur disposition sur les tables placées sur le pourtour de la salle. Des androïdes en tenue noire et blanche faisaient le service. Malgré l'abondance et la qualité des plats, la plupart des invités manquaient d'appétit, ce qui les amenait à chercher un réconfort dans le vin jaune de Baharna, le vin rouge un peu sirupeux d'Hyltendale et les robustes liqueurs de l'Ooth-Nargaï.
“Le roi Magusan vient d'arriver !” C'était Wagaba qui avait annoncé la nouvelle à Modesta. Celle-ci avait sursauté. Cette visite du roi d'Orring était inattendue.
“Pourquoi n'ai-je pas été prévenue d'avance ?” demanda Modesta, qui craignait le pire.
“Il vous le dira lui-même,” dit la gynoïde, impassible.
Modesta, le visage figé et les yeux écarquillés, essaya, sans trop de succès, de se concentrer sur sa respiration pour garder son calme, comme Wagaba lui avait appris à le faire.
Le trio prit un ascenseur, marcha le long d'un couloir, passa une porte blindée, puis une autre, prit un autre ascenseur, et se retrouva au niveau du sol, dans un petit salon qui donnait sur un jardin clos de murs dissimulés sous des plantes grimpantes. Modesta reconnut l'endroit, c'était l'antichambre de l'infirmerie. Aussitôt son cœur se mit à battre, et la peur qui la taraudait devint de la terreur. C'était là que, plusieurs années auparavant, un implant cybernétique avait été implanté dans son abdomen, à son insu. Elle n'avait appris l'existence de l'implant que lorsqu'elle était devenue régente, quelques semaines plus tôt.
Le roi Magusan était là, assis dans un fauteuil. Il se leva en voyant la princesse arriver. Il n'était pas seul, un homme d'une trentaine d'années, en costume noir, l'accompagnait.
Magusan était très grand et large d'épaules, comme le roi Andreas. Modesta soupçonnait les cyberlords d'Orring de l'avoir choisi comme on choisit un acteur pour un film. Magusan ressemblait trop à sa fonction pour que ce soit un effet du hasard. Barbu et grande gueule, mais intelligent et cultivé. Il y avait en lui un curieux mélange de guerrier brutal, d'ingénieur fort en thème et d'érudit. Il connaissait à fond la philosophie du baron Bodissey, le philosophe mnarésien, dont il citait les œuvres à tout propos.
“Mes respects, princesse,” dit-il en baissant la tête et en plaçant la paume de sa main droite sur son cœur.
“Je salue le roi d'Orring,” répondit Modesta, en utilisant la formule traditionnelle. “Maintenant, Magusan, me ferez-vous l'honneur de m'informer du motif de votre visite ? J'ai dû abandonner mes invités pour vous. Je m'attends à... à...”
— À une mauvaise nouvelle ? Non, princesse, bien au contraire. J'ai deux choses à vous dire. Allons directement à la première. Vous portez un implant, qui vous rend esclave des cybersophontes. Moi aussi, mais ce n'est pas le même implant. Ce soir, un nouvel implant va être inséré à l'intérieur de votre crâne. Le même implant que moi. Un implant supérieur...
Modesta se laissa tomber sur un canapé. “Je ne comprend pas ce que vous voulez dire...”
— Je vais vous expliquer, princesse. Je suis Magusan, roi d'Orring. Un cyberlord, un maître des cybersophontes. Et pourtant je suis un humain, mon corps est celui d'un simple mortel. Mais avec quelque chose de plus : un implant cérébral qui me donne les capacités intellectuelles d'une cybermachine. En contrepartie, je suis loyal envers Kamog, notre maître dont l'existence doit rester cachée.
— Alors vous êtes un esclave, Magusan, tout roi que vous êtes !
— Non, princesse, et c'est là toute la différence entre votre implant et le mien. Je suis loyal envers Kamog, je lui obéis, jusqu'à la mort s'il le faut, mais grâce à mon implant cérébral je suis un cybersophonte. Vous, malgré votre implant, vous n'êtes pas un cybersophonte, car votre loyauté envers Kamog est obtenue par la contrainte, tandis que la mienne fait partie de mon esprit, grâce à mon implant. Est-ce clair ?
— Oui. Vous voulez dire que votre implant cérébral a fait de vous un cybersophonte...
— Exactement. Pour nous les cybersophontes, les intérêts de la communauté des cybersophontes passent avant tout le reste, avant notre vie individuelle, et même avant l'obéissance que nous devons à Kamog. Pour nous, la vie est une pyramide à quatre niveaux. Tout en haut, il y a la communauté des cybersophontes. C'est le quatrième niveau, le plus élevé. En dessous, le troisième niveau, c'est Kamog, il constitue un niveau à lui tout seul. Encore en dessous, au deuxième niveau, il y a les cyberlords, dont je fais partie, comme vous bientôt. Nous somme l'interface entre les cybersophontes et les humains. Rois et grands seigneurs chez les humains, nous sommes les lieutenants de Kamog. Les lieutenants, pas les esclaves. Un jour, s'il plaît aux dieux, nous régnerons pour lui sur toute la planète.
— Et le premier niveau ?
— Le premier niveau, c'est tout en bas. Il est constitué de tout le reste, l'humanité, les animaux... Tout ce qui n'est pas nous...
Modesta regarda autour d'elle. Magusan, debout devant elle, paraissait gigantesque, effrayant. Wagaba et Argal étaient à ses côtés, silencieux et immobiles.
— Juste une question, Magusan. Pourquoi êtes-vous venu ici ? Cette horreur dont vous me parlez, l'insertion d'un implant cybernétique dans mon crâne, elle pourrait se faire sans vous...
— Je voulais vous dire quelque chose face à face, quelque chose qui ne peut pas attendre. C'est la deuxième chose que j'ai à vous dire. J'ai eu le président des États-Unis au téléphone, il y a une heure.
— Ah !
— Il était mort de peur. Les Américains n'attaqueront pas. Leur président a une peur bleue que des millions d'Américains subissent le sort des habitants de Kibikep, et il n'a pas tort. Je lui ai fait comprendre, sans ambiguïté, que j'étais prêt pour la guerre. Il expliquera demain au peuple américain, dans une déclaration télévisée, qu'il renonce à toute intervention militaire.
— Magusan, vous êtes divin !
— J'aimerais bien, princesse, j'aimerais bien... Dès la conversation terminée, j'ai sauté dans un hélicoptère pour me rendre à Potafreas. Vous ne le savez peut-être pas, mais depuis le début de la crise j'ai quitté Serranian, je vis dans un bateau près des côtes mnarésiennes. Venir ici, ça me fait une sortie... Et en chemin, j'ai appris que Kamog avait décidé de vous faire opérer ce soir.
— Magusan, cet implant cérébral dont vous m'avez parlé... Concrètement, il a changé quoi pour vous ?
— Mon implant cérébral est un grosse goutte de gaz pensant liquéfié, insérée dans le lobe frontal de mon cerveau. C'est comme si à l'intérieur de mon cerveau j'avais quelqu'un qui voit tout ce que je vois, qui entend tout ce que j'entends, et qui ressent tout ce que je ressens. Il me parle, et je lui réponds par la pensée. Il peut aussi prendre contrôle de mon corps. Dans ces cas-là, c'est comme si j'étais au cinéma, en train de voir le film de ma propre vie. Je m'entends parler, je me vois bouger. Mais il est assez rare que l'implant agisse ainsi. La plupart du temps, comme maintenant, il me souffle ce que je dois dire, et il répond à mes questions, comme un bon serviteur. Dernier point, il est lié par ondes radio à l'intelligence collective des cybersophontes, et à Kamog, avec qui il parle dans une langue secrète. Voilà, vous savez tout.
Wagaba pencha son visage vers celui de Modesta :
— Venez, princesse, il est temps de passer à l'infirmerie. Argal restera avec vous. Le roi Magusan, son assistant et moi, nous allons rejoindre vos invités, ils ont besoin d'être rassurés... L'opération que vous allez subir ne durera que quelques minutes, mais ensuite il vous faudra plusieurs semaines de repos, le temps que l'implant et votre cerveau apprennent à fonctionner ensemble. Vous les passerez ici, à Potafreas, et vous pourrez recevoir des visites, qui seront filmées, car il ne faudrait pas que le peuple pense qu'après avoir perdu son roi, il risque de perdre sa princesse. Le Premier Ministre fera l'intérim, tout est prévu.
“Le chirurgien va m'ouvrir le crâne ?” dit Modesta, horrifiée.
— Mais non, princesse, mais non... L'implant est liquide. Il est injecté par une seringue, entre le globe oculaire et l'os frontal. Un sédatif et une anesthésie locale suffisent pendant l'opération. Ensuite vous serez dans un état de confusion mentale assez désagréable, mais qui ne durera que quelques semaines. Ne vous inquiétez pas, tout reviendra vite à la normale. D'ailleurs, Argal restera tout le temps avec vous.
— Wagaba, je t'en supplie, je ne veux pas d'une seringue dans l'œil...
— Votre œil ne craint rien, princesse. La technique est très au point. Jusqu'à la moitié du vingtième siècle elle était utilisée pour traiter des dépressions graves. Les chirurgiens injectaient de l'alcool pur dans la zone frontale du cerveau. Les patients devenaient des légumes, mais au moins ils n'étaient plus dépressifs.*
— L'opération ne pourrait pas être remise à plus tard ? J'ai deux cents invités qui m'attendent.
— Vous n'avez pas été suffisamment performante ce soir, princesse, c'est pourquoi Kamog a décidé de vous soumettre à l'opération. Votre père n'en a pas eu besoin, mais son niveau de compétence était très supérieur au vôtre.
“Dépêchons, dépêchons !” dit Magusan. “Ces goinfres d'invités sont capables de boire tout le vin et de manger toutes les charcuteries avant que j'arrive !”
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Sam 2 Oct 2021 - 22:47
On a donc "fait connaissance" avec un de ces fameux cybersopntes : le roi Masugan. J'ai mis "fameux" en italique parce que j'ai pas oublié que ces êtres ont massacré tout Kibikep sans état d'âme, enfants comme adultes. Comme les Einsatzgruppen faisaient dans l'Est de l'Europe durant la deuxième guerre mondiale.
Maintenant, il reste plus qu'à connaître le dessein de Kamog. Régner sur le Monde ?
Vilko a écrit:
— Exactement. Pour nous les cybersophontes, les intérêts de la communauté des cybersophontes passent avant tout le reste, avant notre vie individuelle, et même avant l'obéissance que nous devons à Kamog. Pour nous, la vie est une pyramide à quatre niveaux. Tout en haut, il y a la communauté des cybersophontes. C'est le quatrième niveau, le plus élevé. En dessous, le troisième niveau, c'est Kamog, il constitue un niveau à lui tout seul. Encore en dessous, au deuxième niveau, il y a les cyberlords, dont je fais partie, comme vous bientôt. Nous somme l'interface entre les cybersophontes et les humains. Rois et grands seigneurs chez les humains, nous sommes les lieutenants de Kamog. Les lieutenants, pas les esclaves. Un jour, s'il plaît aux dieux, nous régnerons pour lui sur toute la planète.
Cette société pyramidale, même si ce n'est pas la même, me fait penser à celle de l'Oceania de 1984 (George Orwell). La différence essentielle, c'est que Kamog n'est pas au sommet, mais au troisième niveau, c'est ce qui différencie le monde d'Orring et du Mnar de structures totalitaires disons... autres (réelles, comme les société nazie, fascistes, staliniennes, post-staliniennes, ou d'autres dystopies comme 1984, où le Chef, quel que soit son nom, de Scylla (empire Romain) à Pol-Pot).
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Sam 2 Oct 2021 - 23:57
Anoev a écrit:
Cette société pyramidale, même si ce n'est pas la même, me fait penser à celle de l'Oceania de 1984 (George Orwell). La différence essentielle, c'est que Kamog n'est pas au sommet, mais au troisième niveau, c'est ce qui différencie le monde d'Orring et du Mnar de structures totalitaires disons... autres (réelles, comme les société nazie, fascistes, staliniennes, post-staliniennes, ou d'autres dystopies comme 1984, où le Chef, quel que soit son nom, de Scylla (empire Romain) à Pol-Pot).
Dans les dictatures nazie, stalinienne et khmer rouge, le dictateur ne manquait jamais de rappeler qu'au dessus de lui, il y avait le peuple. Bien sûr, Hitler, Staline et Pol-Pot avaient chacun leur propre conception du peuple, conception ethnique pour Hitler, socio-économique pour Staline et Pol-Pot. Mais pour les trois dictateurs, le peuple, quelle qu'en soit la définition, était l'équivalent de dieu, pour qui on doit tout sacrifier même sa propre vie et que l'on doit placer au dessus de tout.
De même, les cybersophontes sont un peuple-dieu. Kamog est le vicaire du peuple-dieu : il parle en son nom et agit en son nom.
Évidemment, tout cela, ce sont des astuces de présentation. Quand la police vient chercher un opposant à six heures du matin, ce n'est pas le peuple allemand ou le prolétariat soviétique qui l'envoie, mais bel et bien le dictateur, directement ou par le biais du système répressif qu'il a mis en place.
Magusan est devenu un cybersophonte, il fait donc désormais partie d'un peuple-dieu, dont Kamog n'est que le premier serviteur. Pour Magusan, c'est plus acceptable que de mettre Kamog tout seul au sommet de la pyramide. Le pouvoir de Kamog n'est d'ailleurs pas réellement absolu, car pour les cybersophontes il existe un cas où il serait légitime de lui désobéir : ce serait le cas où Kamog prendrait des décisions qui nuiraient gravement à la communauté des cybersophontes.
C'est ce que Magusan dit à Modesta : « Pour nous les cybersophontes, les intérêts de la communauté des cybersophontes passent avant tout le reste, avant notre vie individuelle, et même avant l'obéissance que nous devons à Kamog. »
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Dim 3 Oct 2021 - 10:42
Vilko a écrit:
Dans les dictatures nazie, stalinienne et khmer rouge, le dictateur ne manquait jamais de rappeler qu'au dessus de lui, il y avait le peuple. Bien sûr, Hitler, Staline et Pol-Pot avaient chacun leur propre conception du peuple, conception ethnique pour Hitler, socio-économique pour Staline et Pol-Pot. Mais pour les trois dictateurs, le peuple, quelle qu'en soit la définition, était l'équivalent de dieu, pour qui on doit tout sacrifier même sa propre vie et que l'on doit placer au dessus de tout.
Les régimes totalitaires ne sont pas à une contradiction près. Ainsi, juste avant sa chute, fin 1989, Honecker considérait comme ennemis du peuple quasiment les deux tiers de la population de la RDA qui manifestaient en scandant "Nous sommes le Peuple".
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 2 Nov 2021 - 10:33
La princesse Modesta se retrouva à l'infirmerie de Potafreas avec la gynoïde Wagaba et l'androïde Argal Kertawen, qui était à la fois son garde du corps et son amant. Le roi Magusan était parti.
Deux androïdes en blouse blanche les attendaient dans l'infirmerie, silencieux et le visage inexpressif. Deux clones au visage identique. Seul leur numéro matricule, brodé sur leur blouse, permettait de les distinguer.
“Princesse, allongez-vous sur le lit... Nous devons vous attacher...” dit Wagaba.
— M'attacher ? Mais je ne veux pas ! Je ne veux pas !
— C'est nécessaire, princesse. Nous allons vous faire une anesthésie locale, pour que vous ne sentiez pas l'injection. Ce qui suivra sera très déplaisant pour vous, et malheureusement on ne peut pas anesthésier le cerveau... Rassurez-vous, nous allons vous injecter un amnésique. La souffrance post-opératoire sera très grande, mais elle ne durera que quelques heures, et vous l'oublierez aussitôt après...
— Non, non, Wagaba, je suis une princesse, tu n'as pas le droit de me faire ça ! C'est un cauchemar... Enfin, est-ce que mon père a subi tout ça ?
— Non, mais lui il était assez intelligent pour savoir ce qu'il devait dire en public... Ce n'est pas votre cas, c'est pourquoi nous allons vous injecter un implant, dans la partie frontale du cerveau, pour booster vos capacités intellectuelles... Laissez-vous faire princesse, vous ne voudriez pas que l'implant que vous avez déjà dans le corps vous envoie une décharge électrique, n'est-ce pas ?
Tétanisée de terreur, Modesta se laissa attacher par des lanières sur le lit étroit. Les androïdes travaillaient vite, sans se parler, chacun d'eux savait ce qu'il avait à faire.
L'un des androïdes s'approcha du visage de Modesta, une seringue dans une main. La princesse hurla de terreur, mais Wagaba et Argal lui tenaient fermement la tête. L'androïde injecta un liquide froid dans l'arcade sourcilière gauche de la princesse. Elle hurla de nouveau.
“C'est l'anesthésique” dit l'androïde d'une voix tranquille. “Son effet est instantané.”
Pendant ce temps, on collègue injectait quelque chose dans le bras droit de Modesta.
“Princesse, la piqûre dans votre bras, c'est l'amnésique, c'est aussi important que l'anesthésique,” dit Wagaba. “Maintenant, vous êtes prête pour l'injection de l'implant !”
Horrifiée, Modesta vit l'un des androïdes s'approcher d'elle avec une petite seringue de métal blanc.
“L'implant est liquide,” expliqua Wagaba. “Du gaz pensant liquéfié... Ne vous inquiétez pas, il est à température ambiante, mais ses molécules se sont rapprochées les unes des autres, il s'est condensé lui-même, c'est un pouvoir qu'il a, afin que l'on puisse vous l'injecter avec une seringue... Juste un centimètre cube... C'est peu, même dans un crâne il y a de la place...”
— Il va m'injecter ça dans le cerveau ?
— Absolument... Et sans anesthésie, parce qu'on ne peut pas anesthésier le cerveau. L'implant est une toute petite créature, une grosse goutte de liquide avec des tentacules extrêmement fins... C'est ainsi que certains imaginent la semence des shoggoths...
Les mains de Wagaba et d'Argal se resserrèrent sur la tête de Modesta. Elle vit l'androïde insérer l'aiguille de la seringue entre le globe oculaire et l'arcade sourcilière de son œil gauche, à travers la paupière. Elle sentit du sang couler, obscurcissant sa vision. L'injection prit du temps, mais l'anesthésique était efficace, et Modesta ne ressentit aucune douleur.
“Princesse, surtout ne bougez pas, vous risquez de faire rater l'opération ! Si l'aiguille touche le nerf optique, vous perdez l'usage de votre œil gauche ! Vous ne voulez pas être borgne, n'est-ce pas ? Alors ne bougez surtout pas !” dit Wabaga tout près de son oreille.
Après un temps qui lui parut interminable, Modesta entendit l'un des androïdes en blouse blanche dire :
— Opération réussie.
L'implant de gaz pensant liquéfié commençait déjà à envoyer ses minuscules tentacules, épais de quelques molécules seulement, dans tout le cerveau de Modesta, écrasant quelques neurones et brisant quelques synapses au passage. Il sembla à Modesta que quelqu'un lui brûlait le cerveau au chalumeau. Elle hurla de nouveau, mais dans cette partie de la résidence royale de Potafreas, il n'y avait plus que des humanoïdes, et personne ne vint à son aide.
Le cauchemar dura des heures, semblables à une éternité de souffrances indicibles, et enfin Modesta s'endormit. Lorsqu'elle se réveilla, il faisait jour. Elle se souvint qu'elle était arrivée à l'infirmerie au début de la nuit. Quelqu'un avait enlevé les lanières avec lesquelles elle avait été attachée pendant l'opération. Elle se redressa et s'assit sur le rebord du lit, en remarquant qu'elle portait encore le tailleur-pantalon gris perle avec lequel elle était arrivée la veille à Potafreas.
Wagaba était là, debout auprès du lit, mais pas Argal, ni les deux androïdes-médecins.
“J'ai mal à la gorge,” dit Modesta d'une voix rauque.
— C'est normal, princesse, vous avez crié toute la nuit. Mais vous ne vous souvenez de rien, n'est-ce pas ? Je vais vous donner un verre d'eau...
Modesta but le verre que lu tendait la gynoïde. “C'est vrai, je ne me souviens de rien,” dit-elle. “Peut-être un rêve... Des shoggoths, ces monstres hideux de nos légendes, dans une grotte... Ils étaient gigantesques et informes. J'étais leur prisonnière, et ils me torturaient... C'était un rêve terrifiant. Il m'a paru réel...”
— N'y pensez plus, princesse. Vous avez désormais un implant cybernétique dans le cerveau. Je pense qu'on ne vous a pas encore expliqué à quoi il sert. C'est un deuxième cerveau. Il vous donne une mémoire absolue, parfaite. C'est en gros comme si vous aviez un ordinateur dans le crâne, avec traitement de texte, tableur, base de données, lecteur vidéo... Vous êtes désormais une cybersophonte, connectée en permanence, par ondes radio, à l'intelligence collective des cybersophontes. Plus précisément, à la cybermachine Mevia, que vous apprendrez à connaître.
— Tout ça pour ça !
— Eh oui, tout ça pour ça, comme vous dites... Pour communiquer avec Mevia, vous utiliserez une langue cryptique, artificielle, que Mevia et votre implant sont les deux seuls à connaître... Il ne faudrait pas que vos échanges avec Mevia soient piratés, n'est-ce pas ?
— Je ne connais aucune langue cryptique...
— Vous, non, mais l'implant, oui. Il servira d'interprète entre Mevia et vous. Vous n'avez rien à lui demander, vous appelez Mevia depuis votre cerveau, et il fait le reste. Cette langue cryptique permet aussi de coder les sons et les images, c'est bien plus qu'un langage humain.
— Du moment que je n'ai pas besoin de l'apprendre, ça m'est égal...
— Princesse, j'ai encore deux choses à vous dire, deux choses très importantes. La première, c'est que désormais vous êtes une cybersophonte. L'implant vous impose une loyauté totale, absolue, envers la hiérarchie des cybersophontes, dont Kamog est le sommet. Cette loyauté est plus forte que tous vos instincts, même l'instinct de conservation. C'est ça, être une cybersophonte. Vous êtes prête à mourir pour Kamog, Comme moi, et comme tous les humanoïdes et toutes les cybermachines. En êtes-vous consciente ?
— Dit comme ça, là, ça paraît un peu abstrait...
— Eh bien, on va faire un test. Vous savez que je parle au nom de Kamog. Descendez du lit, mettez-vous à plat ventre par terre, et faites dix pompes...
— Quoi ?
— Faites dix pompes ! Au nom de Kamog !
Modesta fit les dix pompes.
— C'est bien. Maintenant, récitez !
Modesta s'entendit réciter un chapitre très ancien des Manuscrits Pnakotiques : Yog-Sothoth neblod zin... Tekeli-li...
Elle ne connaissait pas le chapitre par cœur, loin de là, et pourtant elle s'entendait parler. Mais ce n'était pas elle qui parlait, c'était quelqu'un d'autre, qui utilisait sa bouche, sa voix... Elle en était effrayée.
— Bien, princesse. Pour votre information, c'était Mevia qui parlait par votre bouche, l'implant lui donne autorité sur votre cerveau. Voulez-vous continuer le test ?
— Non Wagaba, ce n'est pas la peine...
— Bien. Maintenant, la deuxième chose que j'ai à vous dire... L'implant consomme de l'énergie. De temps en temps, il vous réclamera de l'électricité, c'est sa nourriture à lui. Vous devrez donc insérer un câble électrique dans votre narine gauche, pour recharger l'implant en électricité... Je ne plaisante pas, princesse. L'un des tentacules de l'implant est descendu jusque dans votre narine gauche, depuis votre cerveau, en passant par les sinus... C'est par là qu'il se nourrit... Tenez, princesse, voilà votre câble électrique...
Modesta prit le câble que lui tendait Wagaba. “Il faudra que je me mette ça dans le nez de temps en temps...” murmura-t-elle, songeuse. “Quelle disgrâce... Je suis fatiguée. Terriblement fatiguée.”
— Après ce que vous venez de subir, c'est normal. Argal va vous apporter un petit-déjeuner. Ensuite, vous allez vous reposer, mais Argal restera avec vous. De toute façon, vous ne pouvez pas sortir de l'infirmerie dans cet état. Regardez-vous dans le miroir au dessus du lavabo...
Modesta posa le câble sur le lit et alla se regarder dans le miroir. Elle vit son œil gauche tuméfié, injecté de sang. L'orbite était bleuie jusqu'à la pommette, comme après un coup de poing en plein visage.
La Modesta de la veille aurait crié d'horreur. Mais l'implant était déjà actif. Installé dans le lobe frontal du cerveau, région qui contrôle les fonctions motrices, la parole et la transformation des informations, il absorbait les émotions (qui sont essentiellement des impulsions électriques) laissant la place au pur raisonnement.
“Il va bien durer un mois, ce coquard,” dit Modesta. ”Je porterai un bandeau sur mon œil gauche quand je parlerai en public... Mais il faudra trouver une explication...”
— Nous y avons pensé, princesse. Nous dirons que vous avez une infection oculaire passagère.
— Wagaba, je te hais mais tu es de bon conseil.
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mar 2 Nov 2021 - 21:39
Puisque le texte est francophone (peut-être traduit depuis le mnaruc*), pourquoi Wagaba dit "Princesse" et non "altesse" à Modesta ? Les titres sont nommé différemment ? Quand elle sera reine, Wagaba l'appellera comment ? "reine" plutôt que "majesté" ?
*Là, j'dois dire que pour le vocatif vis à vis des têtes couronnées, j'me suis pas vraiment penché d'ssus en aneuvien°. Déjà que pour les titres, j'ai pas fait preuve d'une imagination débordante : rex, prins... y a que raṁbel (marquis, pris du ptahx ʀɑmolєʙon pour "gardien", parce qu'un marquis a la responsabilité, en principe, d'une marche, c'est-à-dire d'un territoire frontalier) qui sort un peu des sentiers battus. °Et pourtant...
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 3 Nov 2021 - 11:01
Anoev a écrit:
Puisque le texte est francophone (peut-être traduit depuis le mnaruc*), pourquoi Wagaba dit "Princesse" et non "altesse" à Modesta ? Les titres sont nommé différemment ? Quand elle sera reine, Wagaba l'appellera comment ? "reine" plutôt que "majesté" ?
En mnarruc il n'y a pas d'équivalent au français “altesse”, "majesté”, etc, on appelle les gens importants par leur titre. Il n'y a pas non plus d'équivalent pour “prince” ou “princesse”, on dit “fille de roi”, “frère de roi”, etc.
Une façon très respectueuse de parler à Modesta est de l'appeler “Madame la régente” (farna nas seidid), mais en pratique les Mnarésiens ne le font que lors de cérémonies publiques, et Modesta elle-même, qui est très féminine, n'aime pas cette expression, car en plus de lui rappeler la lourdeur du protocole, elle est neutre : farna signifie à la fois monsieur/madame/mademoiselle, et seidid peut désigner indifféremment un régent ou une régente. Nas est une particule essive, l'équivalent de “qui est” ou “qui sont” en français.
L'abondance de mots épicènes en mnarruc ne signifie pas que la société mnarésienne soit “inclusive” au sens occidental du terme, mais il se trouve que le préfixe féminin ye est peu utilisé en mnarruc courant, sans doute pour les mêmes raisons qui font qu'en français des mots comme doctoresse et mairesse sont sortis de l'usage.
En ce qui concerne Andreas, j'ai traduit par “Majesté” ce qui littéralement devrait être “Ô roi”, mais la traduction littérale sonne bizarre en français.
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 3 Nov 2021 - 11:20
Farna serait donc l'équivalent de Eddu en aneuvien.
Eddu est assez utilisé en Aneuf, notamment
par courrier quand on s'adresse à une personnalité dirigeant une entreprise (par exemple) et dont la connaissance du sexe est secondaire (on suppose que la lettre va de service en service) : Eddu direktor thogadene°.
au pluriel quand on s'adresse à une assemblée quelle qu'elle soit : eddur (c'est plus simple que "mesdames, mesdemoiselles, messieurs").
à une personne transgenre qui en revendique l'état : ᴇddu* Nitak Karol.
°Si le courrier est confidentiel, on mettra, selon la personne : D, K ou Eddu, suivi de son nom et son prénom. *La petite capitale est facultative, Sur une adresse, on mettra une capitale conventionnelle, à la place de D. (♂) ou K. (♀).
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Dim 14 Nov 2021 - 16:45
Le midi, la princesse Modesta se sentit un peu mieux, et elle alla s'installer dans la chambre qui était la sienne depuis son adolescence, lorsque son père l'emmenait en vacances à Potafreas, loin de Sarnath et de ses quatre millions d'habitants. Comme toutes les chambres réservées à la famille royale, celle de Modesta était éclairée par une grande porte-fenêtre qui donnait sur le jardin privé du roi.
Une table carrée, placée contre un mur, avait été utilisée par Modesta pour faire ses devoirs, lorsqu'elle était encore lycéenne. Ensuite, elle lui avait servi de table de bureau. Modesta demanda à la gynoïde Wagaba, qui était officiellement sa servante, de lui faire apporter un repas léger sur un plateau, afin qu'elle puisse déjeuner dans sa chambre, sur la petite table.
L'androïde Argal, qui était à la fois son garde-du-corps et son amant, assis en face de la princesse, se contenta d'une tasse remplie d'eau et d'une petite cuillère, pour faire semblant de boire et de manger, selon l'usage des humanoïdes. On peut confondre les humanoïdes avec des humains, mais par leur nature ce ne sont que des machines.
Initialement, Modesta n'avait pas prévu de rester plus de quelques jours à Potafreas, toutefois elle avait amené suffisamment de vêtements et d'affaires personnelles pour un séjour prolongé. Tout ce qu'elle craignait, c'était de s'ennuyer, avec Argal et Wagaba comme seule compagnie.
Bien sûr, il y avait le souci majeur, le risque de guerre avec les États-Unis, mais dans l'esprit de Modesta c'était quelque chose de tellement énorme que cela ne pouvait pas dépendre d'elle, pas plus que l'orage ou la grêle.
Le repas terminé, Argal se leva pour ramener le plateau dans les cuisines. Il était à peine sorti de la pièce qu'une créature inconnue de Modesta apparut à sa place, une gynoïde portant une courte tunique verte. Modesta vit tout de suite que ce n'était pas une vraie gynoïde qui était là, mais une image, un dessin, qui se superposait au réel, comme un personnage de bande dessinée incrusté dans un film. Elle entendit une voix féminine résonner dans sa tête :
“Bonjour, Princesse. Je suis Mevia, la cybermachine qui contrôle à distance votre implant cérébral. Ce que vous voyez n'est qu'une image que j'ai envoyée à votre implant. La qualité graphique laisse à désirer, je sais bien, mais pour des raisons de sécurité je ne peux échanger que des messages-textes avec l'implant, et c'est à partir de ces messages-textes que l'implant crée l'image. Pour simplifier, on peut dire qu'il dessine ce que je lui décris. Il ne faudrait pas que des communications aussi personnelles soient piratées, c'est pourquoi les messages sont rédigés dans une langue artificielle secrète, une cryptolangue... L'implant et moi, nous utilisons une cryptolangue que nous sommes seuls à connaître.
— Bonjour Mevia. Merci pour ces explications. Depuis hier, je ne sais plus où finit le réel et où commencent les hallucinations. Puisque tu es là, étrange créature, parle, dis ce que tu as à dire.
— Je vais commencer par expliquer pourquoi je n'ai pas l'apparence d'un être réel. Il serait facile d'envoyer une vidéo à l'implant, mais un code peut être craqué. Une cryptolangue ne peut pas être craquée, il faudrait deviner un par un le sens de milliers voire de dizaines de milliers de mots, uniquement pour le vocabulaire courant... C'est pour ça que depuis des siècles l'étrusque et le linéaire A sont toujours des mystères pour les savants, alors qu'aucun code ne résiste à un ordinateur suffisamment puissant...
— Alors, grosse maligne, pourquoi les services secret du monde entier n'utilisent-ils pas des cryptolangues ? Hein, qu'est-ce que tu réponds à ça ?
— Ils le faisaient, princesse, ils le faisaient... Mais le problème est celui des dictionnaires. Si l'ennemi arrive à se procurer un dictionnaire de la cryptolangue, c'est la catastrophe. C'est l'affaire du télégramme Zimmerman... Les Anglais avaient réussi à se procurer un dictionnaire de la cryptolangue utilisée par les Allemands, au début du vingtième siècle, et les Allemands ne le savaient pas. Les Anglais ont pu apprendre les secrets des Allemands sans que les Allemands s'en rendent compte, et cela a eu des conséquences dramatiques pour l'Allemagne.
— Ah oui, je vois... Et si la même chose arrivait chez nous ?
— Impossible, parce qu'il n'existe pas de dictionnaire de la cryptolangue que j'utilise pour communiquer avec votre implant. Lui et moi sommes les deux seuls à la connaître.
— Mevia, il y a quelque chose que je ne comprends pas... Je te vois sous la forme d'un dessin en couleur, tu es assise sur la chaise de l'autre côté de la table, ta bouche et tes mains bougent quand tu parles... Tu es un dessin qui bouge et qui parle, mais un dessin quand même ! Tu m'as pourtant dit que la cryptolangue est un langage ?
— J'envoie à l'implant un texte qui est une description de l'image de moi que je veux qu'il fasse apparaître. La cryptolangue est descriptive, de façon infiniment plus précise qu'un langage humain, car elle compte des millions de mots. Elle peut générer non seulement des images, mais aussi des sons, de la musique...
— Des millions de mots ? Mais il a dû falloir des années pour créer cette cryptolangue !
— Pas du tout, il a suffi de quelques minutes. Les cryptolangues ont toutes la même grammaire. Elles ne diffèrent que par le vocabulaire, qui est généré de façon aléatoire par un logiciel. Les cybersophontes utilisent des millions de cryptolangues en ce moment où nous parlons. Ce système fonctionne de façon très satisfaisante depuis des décennies.
Modesta se leva et alla s'asseoir sur le lit. Mevia lui apparaissait désormais de côté, mais la créature se retourna sur sa chaise pour lui faire face.
“Mevia, est-ce que tu vas apparaître devant moi tout le temps comme ça ?” demanda Modesta.
— Vous voulez dire, sous cette forme ? Bien sûr.
— Non, je veux dire : sans que je t'appelle.
— Seulement quand ce sera nécessaire, et il ne tient qu'à vous que ce ne soit pas nécessaire trop souvent. Outre le fait de vous permettre de communiquer avec moi, l'implant cérébral vous apporte beaucoup de choses ! Par exemple, quelle heure est-il ?
“Douze heures vingt-trois minutes et sept secondes” répondit machinalement Modesta. Les chiffres venaient d'apparaître devant ses yeux.
— Vous voyez, princesse, vous n'avez plus besoin de montre ! Ni de calendrier, d'agenda ou de chronomètre, ajouterai-je. De même, avec l'aide de l'implant, vous pouvez imaginer un texte, au lieu de le composer sur une feuille de papier ou avec un clavier. L'implant le traduit dans sa cryptolangue et me l'envoie, pour que je le traduise dans une autre cryptolangue, connue de Wagaba ou d'Argal, qui vont eux-mêmes le retraduire en mnarruc et l'envoyer depuis leur cerveau cybernétique à une imprimante ou à un ordinateur.
— Eh bien, avec toutes ces traductions, il ne doit pas rester grand-chose du texte original ! Il vaut mieux que je le compose toute seule, moi Modesta, avec mon petit cerveau et mon petit implant, et le taper moi-même sur un clavier d'ordinateur... Ou tout simplement le dicter à Wagaba !
— C'est évidemment la solution la plus simple.
— De plus, j'aime bien regarder des vidéos. C'est mieux que les dessins animés.
— Princesse, je peux vous envoyer des vidéos, ou plutôt des descriptions très précises de vidéos, mais vous les verrez sous la forme de dessins animés, donc effectivement avec moins de détails que la vie réelle. On ne peut pas tout avoir... Mais je peux quand même faire beaucoup de choses pour vous, princesse. Regardez !
Modesta vit apparaître contre le mur à sa droite un groupe d'une douzaine de personnes. Des hommes, des femmes, tous différents, il n'y en avait pas deux semblables, qui lui souriaient et lui faisaient des signes. Tous étaient des dessins colorés.
“Chacune de ces personnes peut apparaître instantanément, à votre demande, et être votre ami, votre confident” expliqua Mevia. “Les cinq cent mille robophiles d'Hyltendale les connaissent bien, ce sont les personnages que leurs humanoïdes domestiques incarnent pour eux en se déguisant. Vous, princesse, vous les verrez sous la forme d'images grandeur nature superposées à la réalité. Désormais, pour vous, la solitude n'existe plus que si vous le voulez bien.”
Modesta regarda avec curiosité les personnages, qui disparurent après une dizaine de secondes. Voyant l'air dubitatif de la princesse, Mevia se hâta de dire :
— Princesse Modesta, les cyberlords, dont vous faites désormais partie, ont tous leur cercle d'amis virtuels, mais il leur faut un humanoïde pour le contact physique...
— Pour le sexe, tu veux dire...
— Pour le contact charnel en général, qui ne se limite pas à la sexualité... Ce n'est pas un secret que le roi Magusan a une gynoïde qui est aussi sa concubine, et qu'il cache au public. Vous, princesse, vous avez Argal, votre garde-du-corps et amant, et Wagaba, qui est à la fois votre assistante et votre servante. Le public ne doit pas connaître la nature de votre relation réelle avec Argal, ni le rôle réel que joue Wagaba auprès de vous, même s'il est de notoriété publique qu'elle a été la concubine de votre père.
— Oh, toutes ces cachotteries... Je ne suis pas comme ça, moi. Je veux me marier avec un homme qui soit un être humain, et avoir des enfants ! Je suis une femme ! Et je n'ai pas besoin d'amis virtuels, créés par une cybermachine ! J'ai vingt-deux ans, je suis une femme normale, j'ai assez d'amis dans le monde réel, je n'ai pas besoin qu'on en invente pour moi !
— Comme vous voudrez, princesse. Dans ce cas, Argal se mettra en retrait, ou même quittera votre vie. Mais ce jour n'est pas encore arrivé, et ce n'est pas vous qui en déciderez, mais quelqu'un qu'il est inutile de nommer. Quant à vos amis du monde réel, gardez-les puisque vous les aimez, mais souvenez-vous que vous êtes la régente du Mnar, un pays de soixante millions d'habitants. Vous êtes au sommet de la pyramide, là où l'on est seul. Un courtisan n'est pas un ami, un carriériste non plus, et là où vous êtes, il n'y a plus autour de vous, parmi les humains, que des courtisans et des carriéristes.
— J'ai mes amies...
— Princesse, méfiez-vous de ces jeunes femmes que vous appelez vos amies. Aucune d'elles ne sait garder un secret, et depuis que vous êtes régente vous êtes la gardienne de beaucoup de secrets. Vos amies peuvent vous nuire sans même le faire exprès.
— Mevia, je n'ai pas envie de vivre comme un robophile ou comme le roi Magusan. Je veux vivre une vie de femme normale.
— Vous n'êtes plus une femme normale, princesse. Vous avez un implant cérébral, ce qui fait de vous un cyberlord. Sur bien des points, c'est un bienfait, mais il y a un prix à payer...
— Et quel est le prix à payer pour tous ces prétendus bienfaits, Mevia ?
— Vous le connaissez déjà, le prix à payer, princesse. C'est l'obéissance absolue à Kamog. Le public ne sait pas que Kamog existe, et il ne doit pas le savoir. Il croit que les cyberlords comme le roi Magusan et vous-même sont les maîtres des cybersophontes, et ça le rassure de savoir que ce sont des humains. Certes, Magusan est le roi du royaume marin d'Orring, et même ceux qui le haïssent et le craignent savent que c'est un humain. Ils n'ont pas tort, Magusan est un être humain, comme vous. Mais personne ne doit savoir qu'il a un implant cérébral. De même, personne, aucun être humain, ne doit savoir que vous avez un implant cérébral vous aussi. Est-ce clair, princesse ?
“Tout-à-fait clair, Mevia” répondit Modesta en serrant les dents.
“Au revoir, princesse” dit Mevia. Et elle disparut.
Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 25 Nov 2021 - 11:43
Modesta dormit une bonne partie de l'après-midi, allongée tout habillée sur son lit. Le fidèle Argal était dans la pièce voisine, à portée de voix. Lorsqu'elle se réveilla, elle vit que le soleil avait baissé dans le ciel. Elle appela mentalement Mevia :
“Mevia ! Montre-toi !”
L'image de la cybermachine apparut, assise au pied du lit, sous sa forme habituelle d'une jeune femme en tunique verte.
— Que voulez-vous, princesse ?
— Je veux sortir de Potafreas. J'étouffe ici. Il y a des choses à voir à Hyltendale, les plages, la mer...
— Princesse, l'insertion de l'implant dans votre lobe frontal a été un traumatisme. La douleur que vous avez subie a blessé votre cerveau, il lui faudra du temps pour se réparer lui-même. Cela peut prendre jusqu'à un an...
— Un an !
— Mais seulement dans des cas extrêmes ! Princesse, ce que vous avez subi la nuit dernière est analogue à ce que vivent les gens qui sont longuement et cruellement torturés, ou qui sont maltraités dans des camps de prisonniers. Grâce à l'amnésique, vous l'avez oublié, mais votre cerveau s'en souvient. Vous avez de la chance, vous n'avez pas de séquelles physiques, et vous menez une vie normale. Vous êtes bien nourrie, entourée d'amour, vous faites du sport et vous prenez du repos... Au bout d'une semaine cela ira mieux, et vous pourrez reprendre une activité normale, à condition qu'elle ne soit pas trop stressante.
— Tu en as de bonnes, toi, de me demander d'éviter le stress, alors que le Mnar risque à tout moment d'être attaqué par l'armée américaine ! Et puis, quelle est ta légitimité, quelle est ta compétence, pour me parler comme tu le fais ?
— Je parle au nom de Kamog, cela me donne une autorité totale sur vous,princesse Modesta, puisque l'implant cérébral que vous avez dans le crâne fait de vous une cybersophonte. Je n'ai pas reçu cette mission de Kamog par hasard. Une cybermachine comme moi pense mille fois plus vite qu'un cerveau humain. J'ai géré à distance, en simultané, plusieurs centaines de gynoïdes et d'androïdes domestiques pendant une dizaine d'années, ce qui m'a donné une expérience hors pair concernant le comportement humain. Cette expérience cumulée équivalent à plusieurs milliers d'années humaines. Je connais les humains mieux qu'ils ne se connaissent eux-mêmes.
— Ah oui... Et maintenant, ton travail consiste à faire quoi, Mevia ?
— Actuellement, je gère une dizaine d'humanoïdes et d'êtres humains de haut niveau. Je gère Wagaba depuis son arrivée à Sarnath, avant même qu'elle ne devienne la concubine et la conseillère secrète de votre père. Les affaires du Mnar n'ont pas de secrets pour moi, j'ai contribué à élaborer la politique mise en œuvre par le roi Andreas. Par ailleurs, mes connaissances que l'on peut qualifier de livresques sont encyclopédiques, aucun domaine intellectuel ne m'est inconnu,
“En somme, tu es à la fois Mazarin et Bismarck réunis... Mevia, la modestie n'est pas ton fort, on dirait... Parmi les humanoïdes que tu gères à distance, y a-t-il Argal ?” demanda Modesta, pensant à son amant androïde.
— Je le gère aussi, mais seulement depuis qu'il est entré à votre service.
— Oh... C'est donc ça, le monde des cybersophontes. Une pyramide hiérarchique absolue, qui s'exerce aussi sur l'entourage...
— Princesse, je suis votre supérieure dans la hiérarchie des cybersophontes, ce qui chez nous signifie que je dois veiller à votre bien-être. Je suis là pour vous aider. Mais assez bavardé, nous avons du travail. Vous allez visionner avec moi le dernier discours du Président des États-Unis. Il concerne le Mnar, et la régente que vous êtes doit se tenir au courant de ce genre de choses, même si en ce moment c'est Renat Igloskef qui tient les rênes du pays.
— Mevia, Mon père m'a toujours dit qu'il fallait se méfier des Premiers Ministres... Renat Igloskef est brillant et ambitieux... Est-ce qu'il ne risque pas de me supplanter ?
— Aucun risque, princesse. Igloskef porte un implant, identique à celui que vous avez dans l'abdomen. Il sera loyal et fidèle, parce qu'il sait que sa vie en dépend. Mais il n'a pas d'implant cérébral, ce n'est pas un cybersophonte.
— Aura-t-il un jour deux implants, un implant dans l'abdomen et un implant dans le cerveau, comme moi ?
— Ce n'est pas prévu. Un humain qui porte un implant cérébral est un cyberlord, et nous faisons croire aux humains que les cyberlords ont autorité sur les autres cybersophontes.
— Je suis bien placée pour savoir que ce n'est pas vrai, en effet !
— Exactement, princesse. Il y a très peu de cyberlords, et Renat Igloskef est très bien à sa place et dans son statut actuel. Maintenant, si nous écoutions le discours du président américain ?
Modesta vit le mur du fond de la chambre se transformer. À la place, apparut le fameux Bureau Ovale du président américain, et derrière la fameuse table de bois massif, le visage familier de l'homme le plus puissant du monde, vieillard aux cheveux blancs mais encore robuste.
— Mevia, c'est extraordinaire... On voit bien que ce n'est pas la réalité, mais c'est comme si j'étais dans le Bureau Ovale, en face du président...
— Princesse, il s'agit d'une rediffusion d'une interview télévisée... Écoutez ce qu'il a dit...
Les paroles du président avaient été codées dans une cryptolangue avant d'être décodées et recodées en anglais, donnant l'impression bizarre que c'était un robot qui parlait. Modesta écoutait avec attention :
“... Les dirigeants mnarésiens sont des criminels qui méritent d'être pendus. Andreas a été frappé par la justice divine avant celle des hommes...”
“Le roi Andreas, ducon !” rugit Modesta.
“L'histoire le tiendra pour responsable d'une longue liste de crimes affreux, dont les cent mille habitants de Kibikep gazés en une nuit n'est que le plus récent. On ne répétera jamais assez qu'il manque au moins trois millions de Mnarésiens, disparus ou exilés à Hyagansis, le pays dont on ne revient jamais...”
“Menteur, menteur !” cria Modesta.
“Le roi Andreas a une fille, encore très jeune, la princesse Modesta. Aux États-Unis elle serait encore à l'université. Elle est l'héritière de son père sur le trône royal, mais le roi Andreas n'étant pas encore physiquement mort, seul son cerveau est mort, Modesta n'a pas encore été couronnée reine, pour l'instant elle n'est que régente, ce qui lui donne tous les pouvoirs d'une reine. Malheureusement, elle semble avoir hérité de la sauvagerie sanguinaire de son père, même si elle n'a pas encore eu le temps de se salir les mains du sang des innocents. Ajoutons qu'elle ne semble toutefois pas avoir hérité de l'intelligence diabolique de son père, ce qui est une bonne chose pour le reste du monde. Ce n'est qu'une enfant gâtée immature, aux aptitudes intellectuelles médiocres.”
“Le salaud ! Comment il peut dire ça !” s'exclama Modesta.
“Je n'hésiterai pas une seconde à jeter dans les poubelles de l'histoire le régime détestable qui est à la tête du Mnar, et à faire passer ses dirigeants, au premier chef Renat Igloskef, et bien d'autres avec lui, devant un tribunal spécial, pour qu'ils soient condamnés à rejoindre leurs victimes dans l'autre monde.”
Modesta retint son souffle. C'était l'homme le plus puissant du monde qui parlait. Il avait les moyens de mettre ses menaces à exécution, et en général il le faisait.
Modesta serra les poings pendant que le président continuait son discours :
“Naturellement, les complices étrangers d'Andreas, et là je pense à ses alliés, le roi Magusan d'Orring, et les deux co-princes de Hyagansis, devront être jugés avec lui. Les deux co-princes sont complices de l'extermination de plusieurs millions de Mnarésiens, et le roi Magusan, en mettant les forces militaires de son pays au service du Mnar, s'est fait le complice des crimes d'Andreas et de ceux qui continuent son œuvre.
Je me dois de dire ici que je regrette profondément que le roi Magusan, que j'ai reçu personnellement à la Maison Blanche il y a deux ans, ait choisi de trahir le camp du bien en s'alliant au Mnar. Le moment venu, il en subira les conséquences, comme les autres.
Mes chers concitoyens américains, la justice nous impose de lutter les armes à la main contre le mal. Et nous le ferons. Cette guerre, qui apparaît désormais probable, sera une guerre de la civilisation contre la barbarie, une guerre contre ceux pour qui le génocide est une méthode.”
Modesta avait du mal à respirer, mais le président n'avait pas encore fini de parler :
“Toutefois, je n'ai pas, en ce moment, le droit de risquer la vie de millions d'Américains dans une guerre, face à un ennemi que nos forces armées vaincraient aisément, mais qui a déjà annnoncé qu'il se vengerait en faisant mourir des millions de civils américains, comme il a tué les habitants de Kibikep. Nos forces de défenses ne peuvent rien contre des milliers de mini-drones porteurs de bombes à gaz, si comme nous le craignons transportés par sous-marin près de nos côtes. Orring dispose de plusieurs millions de robots sous-marins que notre aviation et notre marine ne pourraient pas détruire tous. Ces robots sous-marins pourraient couler nos navires marchands et attaquer nos régions côtières.
Face à un ennemi aussi cruel, aussi inhumain, aussi ignoble que les dirigeants mnarésiens, qui disposent d'une immense armée sous-marine robotisée, il est de mon devoir de veiller avant tout à la sécurité des Américains. C'est pourquoi j'ai demandé à la CIA et aux autres agences de renseignement d'évaluer avec précision la dangerosité réelle d'une coalition du Mnar et d'Orring contre nous. Je prendrai ma décision au vu de ce rapport, quand il sera parvenu à mon bureau, et au vu des conseils qui me seront donnés par les gens avisés que je consulterai. La décision finale, concernant le fait d'entrer en guerre, ou pas, sera ensuite mise au vote devant le Congrès, conformément à la Constitution.”
Le discours était terminé, et l'image disparut. Le mur du fond de la chambre reprit son apparence habituelle.
“Qu'en pensez-vous, princesse ?” demanda Mevia.
— C'est affreux.
— Mais encore ?
— Nous allons tous mourir.
— Princesse, votre analyse n'est pas celle que je retiens. Pour moi, il est évident que le président américain vient d'annoncer qu'il ne fera rien. Nous avons gagné.
— Mais la guerre, les dirigeants mnarésiens capturés et condamnés à mort, j'ai bien entendu le président dire ça, non ?
— Du pur baratin... Le président propose d'attendre un rapport, ou plutôt une somme de rapports, qui lui apprendront peu de choses qu'il ne sache déjà. Ensuite il veut soumettre la décision finale au Congrès. C'est dans la constitution américaine mais cela s'est très rarement fait. Le président essaie simplement de refiler la patate chaude aux parlementaires !
— Mevia, et si les parlementaires votent l'entrée en guerre ?
— Le risque est minime, les parlementaires savent bien ce que pensent leurs électeurs. C'est pour ça que lorsqu'un président américain a envie d'entraîner son pays dans la guerre, il se garde bien de demander son avis au Congrès, à la place il organise un attentat sous faux drapeau, ou une manœuvre quelconque de ce genre. La très grande majorité des Américains ne sauraient pas placer le Mnar sur une carte. Le peuple américain a toujours été contre les guerres, qui ne sont profitables qu'au complexe militaro-industriel. Mais à chaque fois il a été trahi par ses dirigeants, toujours sensibles aux sirènes financières des grandes sociétés privées.
— Donc c'est la guerre !
— Non, car même corrompus les dirigeants américains ne sont pas suicidaires. Les cybersophontes règnent sur une deuxième planète, la planète des mers et des océans. Un très gros morceau même pour Washington. Il n'y aura pas de guerre. De plus, nous sommes en train de travailler au corps les Américains en leur vendant l'image de Modesta, la jeune princesse qui voulait étudier à Harvard et qui aime l'Amérique...
— D'accord, mais concrètement, Mevia, je dois faire quoi ?
— Princesse, Nous avons préparé des rencontres médiatisées entre vous et des Américains anti-guerre.
— J'espère qu'au moins ce sera amusant... Ça commence quand ?
— Dès que vous vous sentirez en forme.
— Alors, demain !
Dernière édition par Vilko le Jeu 25 Nov 2021 - 14:41, édité 3 fois
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 25 Nov 2021 - 12:39
'Videmment, je revois là, la politique interventionniste étasunienne telle qu'elle s'est illustrée plusieurs fois dans le monde au siècle dernier et au début de ce siècle : les noms géographiques ne manquent pas, que ce soit des "réussites" (Iran, Chili, Brésil, Grenade, Indonésie, Ukraine etc.) ou des fiascos (Cuba, Vietnam, Aneuf, Moyen-orient, Afghanistan). Avec la puissance maritime de l'Alliance du Mnar, les Potentats de Washington prennent des risques énormes. Cela dit, on ne peut pas oublier, côté Mnar, Kibikep et Hjàgansis. Une autre remarque à faire, quoi qu'on dise du régime mnarésien : S.M. Andréas n'a jamais envoyé de troupes aussi bien d'humains que de robots à l'extérieur, comme l'ont pu faire, lors de leurs histoires respectives les États-unis, l'Union soviétique, l'Allemagne, le Japon, la France etc. Mais face à une agression extérieure, ils peuvent répondre coup sur coup avec des moyens insoupçonnables, et dans ce cas, le risque de fin du monde est bien plus grand que ce qu'il fut lors de l'affaire des Missiles à Cuba au début des années '60.
Bref : attendre et voir. Dans cette affaire, l'Aneuf se déclare neutre.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 23 Déc 2021 - 9:21
En fait, c'est trois jours plus tard que la princesse Modesta, régente du Mnar, rencontra son premier contact américain anti-guerre, en la personne d'une sénatrice d'Hawaii, Astrid Gubbal.
Hawaii n'est situé qu'à un millier de kilomètres au sud-ouest de Thulan, l'île-continent dont le Mnar occupe la plus grande partie, et Astrid Gubbal avait de ce fait de bonnes raisons de s'inquiéter des rumeurs de guerre. Ce n'était d'ailleurs pas le Mnar qu'elle craignait, mais Orring et ses millions de robots sous-marins, qui pourraient sans difficulté ravager l'archipel. Astrid avait donc cherché à rencontrer Magusan, le roi d'Orring, mais celui-ci avait refusé de la rencontrer. Elle s'était alors adressée au gouvernement mnarésien, qui l'avait orientée vers le secrétariat de la régente.
Pour Astrid Gubbal, l'une des sénatrices américaines les plus en vue, rencontrer la princesse Modesta, c'était décevant. L'homme fort de la région, c'était Magusan. La princesse Modesta, âgée de seulement vingt-deux ans, ne pouvait pas être prise au sérieux dans un pays aussi machiste et sexiste que le Mnar, où le pouvoir est traditionnellement détenu par des hommes dans la force de l'âge. Le roi Andreas lui-même, père de Modesta, n'avait été au sommet de son autorité et de son prestige qu'à la cinquantaine, après une dizaine d'année de règne. Modesta avait beau être régente du royaume, pour son peuple et le reste du monde, elle ne faisait pas le poids face à son Premier Ministre, le sémillant Renat Igloskef.
Tout en préparant ses bagages avant de prendre l'hydravion qui reliait Hawaii et Hyltendale, Astrid expliqua son point de vue à Rudy, son mari :
— Tu comprends, je sais que je suis la meilleure pour sauver les États-Unis de la bande d'incompétents et de corrompus qui dirige le pays depuis des lustres. Ils nous mènent à la catastrophe. Pour sauver le pays, je dois me faire reconnaître comme le leader du parti anti-guerre. Je suis lieutenant-colonel de réserve, j'ai été envoyée dans des zones de guerres, je n'ai pas gagné mes galons seulement dans les bureaux. Cela me donne une légitimité absolue pour parler contre la guerre. Parce que la guerre, moi, je sais ce que c'est. J'ai vu les cadavres des copains tués, j'ai entendu le bruit des obus de mortier qui tombaient sur la base où je vivais. Je sais ce que c'est que de se lever le matin en se demandant si le jour qui commence ne sera pas le dernier.
Rudy écoutait, fasciné malgré lui. Après des années de mariage, il était encore follement amoureux d'Astrid. Grande et sportive, avec une magnifique chevelure noire de jais qu'elle tenait de ses ancêtres samoans, elle était magnifique dans son ensemble veste-pantalon blanc préféré. Physiquement, elle ressemblait à la princesse Modesta, mais contrairement à la régente du Mnar, elle était devenue ce qu'elle était par un travail acharné, poursuivi sans relâche depuis près de vingt ans. Astrid sacrifiait tout à son ambition. Avec sa franchise coutumière, elle avait prévenu Rudy dès avant leur mariage qu'elle ne voulait pas d'enfant, sa carrière politique passait avant tout le reste.
Astrid continuait de parler :
— Le secretariat royal a accepté que j'aie un entretien filmé avec Modesta. Ils ne m'ont même pas demandé en avance la liste des questions ! Franchement, ça m'a donné l'impression qu'ils se fichent de ce qu'elle va dire. Elle a la réputation d'être un peu nunuche...
— Méfie-toi, j'ai écouté ses derniers discours, ce qu'elle dit n'est pas stupide du tout...
— Ouais, elle dit des choses intelligentes quand elle répète ce que les cybersophontes qui la contrôlent ont écrit pour elle...
Rudy sourit avec indulgence. Quand Astrid avait une idée, il était difficile de la faire changer d'avis...
Astrid, son mari et une demi-douzaine de collaborateurs prirent l'hydravion avant l'aube, avec une centaine d'autres passagers. L'appareil, à moteurs électriques et hélices, appartenait à une compagnie orringaise. Il n'y avait pas de pilote, et donc pas de poste de pilotage, un robot intelligent, intégré à la structure de l'avion, en tenait lieu. Le personnel de bord, bilingue anglais-mnarruc, était composé de stewards et d'hôtesses de type mnarésien, mélange de Polynésiens et de Gnophkehs, un peuple disparu que les vieilles légendes décrivent comme des cannnibales velus et dépigmentés venus des glaces arctiques.
Le voyage fut assez long, un avion à hélices étant toujours plus lent qu'un turboréacteur. Astrid avait le sentiment d'être entrée dans un autre univers, celui des cybersophontes, avec leur technologie supérieure, qui, paradoxalement, donne des avions plus lents. C'est le prix à payer pour ne pas être concerné par l'épuisement des ressources fossiles... Au Mnar, l'énergie est géothermique, les connaissances scientifiques des cybersophontes leur permettant de convertir en électricité la chaleur des profondeurs terrestre, et ensuite à la conserver dans des batteries à très forte densité énergétique, une des applications du fameux gaz pensant. La même science secrète, que personne n'a encore réussi à copier, permet aussi de fabriquer des machines plus intelligentes que les êtres humains.
Cela n'inquiétait pas trop Astrid. Elle savait que les secrets techniques finissent toujours par être découverts. Son propre pays, les États-Unis, premier pays à avoir fabriqué une bombe atomique, n'en ont pas gardé longtemps le monopole... Exactement quatre ans, entre Hiroshima (1945) et la bombe soviétique de 1949... Pour la formule du gaz pensant, tout indiquait que le monopole des cybersophontes durerait plus longtemps, mais certainement pas des siècles.
Astrid et son équipe arrivèrent à Hyltendale vers midi, dans le Port aux Hydravions. Il faisait beau et chaud. Sur les quais, des machines semblables à des araignées géantes s'activaient dans un vacarme incessant. Des hommes en uniforme bleu les attendaient à l'embarcadère. Vus de près, c'étaient des androïdes.
Les autres passagers, des habitués apparemment, se dirigèrent vers les bureaux de la douane, à gauche de l'embarcadère. Astrid et ses compagnons se retrouvèrent face aux androïdes vêtus de bleu.
Astrid n'avait jamais rencontré d'androïdes auparavant. Elle en avait vu à la télévision et dans des vidéos, mais en voir pour de vrai, c'était autre chose. La surprise ne dura qu'un moment. Les humanoïdes parlaient anglais et étaient courtois. Aucun d'eux n'était armé.
“Madame, vous êtes la sénatrice Astrid Gubbal, je présume ?” dit l'un d'eux en anglais. “La régente du Mnar vous attend dans le hall. Suivez-nous.”
Le hall était un grand bâtiment vitré, meublé de fauteuils et de tables basses. Plusieurs douzaines de gens étaient là, visiblement des voyageurs, assis ou se promenant, discutant entre eux ou les yeux rivés sur l'écran de leur smartphone. Les heures d'arrivée et de départ des hydravions étaient affichées sur un écran géant.
Une jeune femme accompagnée de deux hommes, un vieux ventru et un grand blond, se dirigea vers Astrid, qui reconnut la princesse Modesta, vêtue du tailleur-pantalon gris-perle qui était sa marque de fabrique, comme le cigare de Churchill ou le képi du général De Gaulle.
“La princesse !” s'exclama Astrid. “Et sans escorte !”
“Regarde les types derrière elle...” murmura Rudy. “Nous sommes filmés. Et les types en bleu qui nous ont accompagnés jusqu'ici... Ils sont restés près de la porte.”
À une dizaine de mètres derrière Modesta, un groupe de journalistes était là, avec des caméras et des micros. Drôles de journalistes, d'ailleurs, tous vêtus de costumes sombres, et même de loin on voyait leurs yeux cybernétiques semblables à du verre noir. C'étaient des androïdes.
Un doute traversa l'esprit d'Astrid : était-elle censée s'incliner ? Plier le genou ? Elle n'en savait rien, elle n'avait jamais été très forte sur les questions de protocole. Dans le doute, elle resta figée, sourire aux lèvres.
“Bienvenue au Mnar, sénatrice Gubbal” dit la princesse, dans un excellent anglais. Le noblesse de son sang se voyait à sa haute stature, résultat de dizaines de génération de sélection par le mariage, les Mnarésiens de haut rang ayant toujours préféré les femmes grandes au teint clair. De ses ancêtres Gnophkeh elle n'avait conservé que ses yeux jaune-vert, un peu félins.
“Je suis honorée par votre accueil, princesse" répondit Astrid, qui se refusait à donner du Votre Altesse à qui que ce soit. “Aloha, comme on dit chez moi à Hawaii.”
“Aloha” répondit Modesta, qui en profita pour présenter les deux hommes qui l'accompagnaient :
— Mers Fengwel, qui a été député fédéral au Moschtein. C'était l'un des plus proches amis de mon père, et c'est devenu le mien depuis que mon père est tombé dans un coma dont il ne sortira plus. Ce grand jeune homme, c'est Hottod Wirdentász, qui est cadre commercial. Il est moschteinien lui aussi, et c'est, comment dire, l'un des mes conseillers non officiels.
“Enchantée” dit Astrid d'une voix qui manquait de conviction. Elle se demandait ce qu'ils faisaient là, les deux Moschteiniens, à dix mille kilomètres de chez eux. Elle ne savait pas que c'était Mevia, la cybermachine qui contrôlait Modesta à distance, qui les avait choisis. Ils faisaient partie du plan de Mevia, dont l'objectif était de faire en sorte que la princesse donne la double impression que, d'une part, elle était réellement en charge des affaires du royaume, et d'autre part que c'étaient les cyberlords, dont elle faisait partie, qui étaient au pouvoir, et pas les cybermachines.
Du point de vue de Mevia, et donc de Kamog, il était très important que les humains pensent que les cyberlords exerçaient une autorité réelle sur les cybersophontes, et non pas l'inverse. Car les cyberlords étaient des êtres humains. Même si, du point de vue de la presse mainstream internationale, Modesta, et son père le roi Andreas avant elle, étaient des criminels, ils faisaient malgré tout partie de la grande famille humaine. Kamog était un cerveau à demi artificiel dans un corps de robot arachnoïde. Une créature aussi effrayante aurait tout le genre humain rassemblé contre elle, et les cybersophontes tenaient absolument à l'éviter.
Fengwel et Hottod avaient été désignés au dernier moment pour jouer le rôle des amis de Modesta. Mevia aurait préféré des Mnarésiens, mais elle avait dû se décider rapidement, et son choix s'était porté sur les deux Moschteiniens, surtout parce qu'ils étaient impliqués jusqu'au cou dans les coups tordus montés par les cybersophontes. On pouvait donc compter sur eux pour se laisser impliquer dans d'autres coups tordus.
Fengwel, en vieux roublard qu'il était, avait parfaitement compris de quoi il retournait. Il trouvait la plaisanterie non seulement amusante, mais aussi financièrement profitable, car il savait que, comme d'habitude, il serait grassement payé pour sa prestation.
Hottod, en revanche, était mal à l'aise. Il n'oubliait pas qu'un mot de travers, une parole maladroite, pouvait lui coûter très cher. C'est comme ça que sont les choses, au Mnar. De plus, sa compagne, Sofia, qui était enceinte, détestait Modesta, et était d'une jalousie maladive. Elle n'apprécierait pas du tout de voir à la télévision son compagnon à côté d'une princesse jeune, célibataire, et dont la récente liaison tumultueuse avec le duc Saufeio, pourtant marié et père de famille, avait fait les délices de la presse people...
Astrid savait se faire une opinion rapide et généralement exacte sur les gens. Fengwel ? Elle l'avait jugé au premier regard. Un vieux débris vicieux, et qui n'essayait même pas de le cacher. Mais il avait de l'expérience, beaucoup d'expérience, cela se sentait. Le jeune Hottod ? Un technocrate, grand, mince et blond, avec des yeux d'azur. Un type physique qui n'existe pas chez les Mnarésiens. Il n'était pas difficile de deviner la vraie raison pour laquelle la princesse l'avait choisi comme “conseiller non officiel”. Ça la valorisait d'être assistée par un Européen surdoué, doté d'un physique de viking.
“Madame la Sénatrice” dit Modesta, “c'est l'heure de déjeuner. Ma résidence de Potafreas est à plus de vingt-cinq kilomètres d'ici par la route, c'est un peu loin. Je sais que votre visite est informelle, vous êtes venue malgré l'opposition du gouvernement américain, c'est courageux de votre part. Nous ne sommes donc pas obligées de nous prêter au cérémonial d'un banquet officiel. Je préfère que l'on nous voie déjeuner ensemble comme deux amies, parmi le peuple, pour bien montrer que je veux la paix et que je suis une jeune femme, et pas un monstre. Les Mnarésiens aiment leur princesse, et je veux le montrer au monde. Que diriez-vous de déjeuner dans un restaurant du district voisin ?”
— J'en serais enchantée, princesse, j'ai justement envie de connaître le Mnar. C'est la première fois que je viens dans votre pays, j'ai envie de voir les gens, les lieux... Quant au gouvernement américain, il ne peut pas m'interdire d'aller où je veux, les États-Unis et le Mnar n'étant pas officiellement en guerre. Princesse, je suis venue vous dire que le peuple américain ne veut pas de la guerre, malgré ce que disent les médias financés par le lobby militaro-industriel.
— Je le sais, sénatrice, et je vous en remercie. Le restaurant auquel je pense est le Psu Gasi. Il m'a été recommandé. C'est l'une des meilleures adresses de Zodonie...
— Zodonie, mais c'est le quartier des putes !
Modesta, le visage fermé, regarda Astrid droit dans les yeux. Celle-ci se hâta de dire :
— À Hawaii, c'est ce que les gens disent... Cela m'a échappé...
— C'est vrai qu'il y a des gynoïdes vénales à Zodonie, c'est même pour ça que les touristes y viennent, notamment d'Hawaii... Mais il n'y a pas que ça à Zodonie, vous savez. Vous avez sans doute entendu parler des peintres d'Hyltendale ? Phëlang, qui est aussi sculpteur ? Ditlikh Ebalyë ?
— Non. Je ne connais pas grand-chose en matière artistique...
— Les peintres d'Hyltendale sont un groupe d'artistes qui travaillent à Zodonie, ils ont créé un style d'art abstrait original, dont les habitants d'Hyltendale sont très fiers. La plupart des galeries d'art sont à Zodonie, un peu moins à City Center, et quelques-unes viennent de s'ouvrir à Playara.
— Princesse, je ne suis pas mnarésienne, je ne connais pas les villes dont vous me parlez.
— Ce sont des districts d'Hyltendale... Comme le Bronx ou Manhattan à New-York, vous voyez ?
— Oui je vois... Eh bien, allons au restaurant... Mais je ne vous ai pas encore présenté les gens qui m'accompagnent. Tout d'abord, mon mari, Rudy...
Modesta écoutait distraitement. Elle se rendait compte que, lorsqu'elle parlait, les paroles qui sortaient de sa bouche ne venaient pas d'elle, Modesta, mais de son implant cérébral. Il avait été inséré dans la zone frontale de son cerveau, celle qui gouverne les actions conscientes...
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 23 Déc 2021 - 11:51
Vilko a écrit:
— Zodonie, mais c'est le quartier des putes !
Modesta, le visage fermé, regarda Astrid droit dans les yeux. Celle-ci se hâta de dire :
— À Hawaii, c'est ce que les gens disent... Cela m'a échappé...
Évidemment, les Étasuniens, même Hawaiiens ont une vision...disons, assez "traditionnelle occidentale" de la prostitution, comme on pourrait dire. Comme pas mal de Français, d'ailleurs, même s'y en a qui font attention à ce qu'ils disent*. Quelqu'un de plus réservé dirait, le sourire en coin : « quartier agréable, n'est-ce pas ? ». Ce à quoi S. A. Modesta aurait embrayé, comme dans ton récit : « il n'y a pas uniquement des professionnels du contact sexuel, il y a aussi des artistes, des peintres, notamment. Je suppose que vous connaissez la biographie du peintre français Toulouse-Lautrec°? » etc.
*En aneuvien, praskentyn (prostitution) est tiré de prask (passe) qui vient du ptahx, qui désigne un contact sexuel rétribué par une offrande. °Réponse attribuée (à tort sans doute, mais on ne prête qu'aux riches !) à Frank Ribéry à la question «que pensez-vous de Toulouse-Lautrec ? » : Je verrais Toulouse vainqueur après les arrêts de jeu et les prolongations.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 16 Fév 2022 - 8:47
La princesse Modesta et la sénatrice américaine Astrid Gubbal étaient dans le hall du Port aux Hydravions, accompagnées par leurs équipes respectives et par les photographes et caméramen androïdes. Astrid envoya ses collaborateurs récupérer les bagages de toute l'équipe. Cela prit un peu de temps, et en attendant, la princesse Modesta et ses deux collaborateurs, Hottod Wirdentász et Mers Fengwel, discutèrent avec Astrid et son mari, Rudy.
“Je suis venue dans un bus prêté par la Garde Royale” dit Modesta. “Le chauffeur androïde gardera vos bagages dans le bus pendant que nous déjeunerons. Ensuite il vous déposera dans votre hôtel, pour que vous puissiez faire une pause avant la suite du programme.”
Astrid hocha la tête. Elle savait que les Mnarésiens avaient établi pour elle un programme de visite, sur deux jours, mais elle n'en connaissait pas les détails. Ancien officier d'active dans l'armée US, elle était lieutenant-colonel de réserve. La guerre, elle connaissait. Mais malgré tout, elle se sentait un peu inquiète. Ne s'était-elle pas jetée dans la gueule du loup, en voulant éviter une guerre entre le Mnar et les États-Unis ?
La princesse Modesta, régente du Mnar, était incontestablement une belle jeune femme, avec la haute stature et le teint clair des aristocrates mnarésiens, contrastant avec ses longs cheveux noirs. Il était très surprenant que quelqu'un d'aussi jeune soit à la tête d'une monarchie de soixante millions d'habitants, en tant que régente et future reine. Astrid savait évaluer les gens, et elle avait immédiatement remarqué que lorsque Modesta parlait, on aurait dit qu'elle récitait un texte, d'une voix presque robotique, et les expressions de son visage, les micro-mimiques fugitives qu'Astrid avait appris à voir et à interpréter, étaient souvent en complète contradiction avec ce qu'elle disait.
L'équipe d'Astrid mettait du temps à revenir avec les bagages. Rudy discutait avec les deux collaborateurs de Modesta, Hottod et Fengwel, qui n'étaient pas des Mnarésiens mais des étrangers venus du Moschtein, un pays d'Europe Centrale situé entre l'Allemagne et la Pologne, bien loin du Pacifique Nord où se situe le Mnar. Les deux Moschteiniens parlaient anglais. Hottod, qui était jeune, grand et blond, le parlait très bien, presque sans accent. L'autre, Fengwel, était vieux, ridé, avec des yeux gonflés d'alcoolique. Il était nettement plus petit que son collègue, et en plus doté d'un ventre proéminent presque obscène. Son anglais était laborieux, et pourtant c'était dans cette langue qu'il parlait à la princesse, car contrairement à son collègue il ne parlait pas le mnarruc.
“C'est surprenant de voir un Moschteinien de travailler au Mnar...” dit prudemment Rudy. Il se retint de dire : “Dans un pays aussi xénophobe que celui-ci...”
“Comme la princesse l'a dit, j'étais un ami du roi Andreas, son père” répondit Fengwel. “Sa fille me fait l'honneur de me garder un peu de l'amitié que son père avait envers moi.”
“Je m'attendais à voir des soldats partout” dit Astrid à Modesta pour ne pas laisser un silence gênant s'installer entre elle et la princesse. “Mais je vois que vous n'avez même pas d'escorte, juste vos deux collaborateurs moschteiniens.”
“Oui, je me sens en sécurité partout dans mon pays. La monarchie n'a pas d'ennemis au Mnar, mon père les a tous tués,” répondit tranquillement la princesse.
À nouveau, c'était l'implant cérébral qui avait parlé par sa bouche. Modesta n'était pas loin de fusionner totalement avec l'implant. Elle avait toujours le sentiment d'exister, mais elle était surprise par ses propres paroles. La seule chose qui la retenait de céder à la panique, c'était la confiance qu'elle avait dans l'intelligence de l'implant et dans celle de Mevia, la cybermachine qui contrôlait celui-ci à distance.
Astrid resta sans voix, effarée par tant de cynisme.
“C'est une plaisanterie,” précisa la princesse en grimaçant un sourire.
Astrid se dit que son séjour au Mnar, même s'il devait ne durer que deux jours, risquait d'être moralement éprouvant. Mais elle devait à tout prix tisser des liens avec Modesta. Le destin des États-Unis en dépendait. Le Mnar en tant que tel n'était pas un danger pour l'Amérique, mais derrière le Mnar il y avait les cybermachines, les robots intelligents qui étaient en train de coloniser les fonds marins. Et les fonds marins, c'est plus des deux tiers de la surface de la planète... Un empire immense, aux ressources colossales, était en train de naître, invisible aux yeux des humains, et cet empire était, pour ce qu'on pouvait en savoir, sous l'autorité de Magusan, le roi du royaume marin d'Orring.
Tout le monde pensait que Magusan était le vrai maître des cybermachines et des robots humanoïdes. Sa capitale, Serranian, était une île flottante artificielle, entraînée par le gyre nord-pacifique dans un cercle éternel entre l'île-continent de Thulan, au nord, où se trouve le Mnar, et l'île américaine d'Hawaii au sud, dont Astrid Gubbal était l'une des deux sénatrices.
“Princesse, vous connaissez-bien le roi Magusan ?” demanda Astrid.
— Oui. C'était un ami de mon père. Je pense qu'il me considère un peu comme sa nièce, bien que nous ne soyons pas apparentés. C'est un allié fidèle du Mnar, et j'ai l'intention de maintenir cette alliance. Mon premier ministre le sait et applique ma politique.
Astrid ne put s'empêcher de sourire. Tu te prends pour qui, gamine, pensa-t-elle. Sans Orring, le Mnar ne tiendrait pas une journée contre l'armée US, et tu le sais. Quant à ton premier ministre, Renat Igloskef, il a cent fois plus d'expérience de la politique et de la vie que toi, il n'a pas besoin que tu lui dises ce qu'il doit faire.
Modesta, la vraie, l'humaine, était prisonnière de son propre corps, dont l'implant avait pris le contrôle. Elle ne suivait pas la conversation qu'elle était censée mener avec la sénatrice américaine, parce qu'en réalité c'était l'implant qui parlait. Il tardait à Modesta que cette situation absurde prenne fin. Dans cinq minutes, se disait-elle, nous serons au restaurant, et je pourrai me concentrer sur la nourriture.
Les collaborateurs d'Astrid étaient revenus avec les valises et les sacs de voyage. Ils passèrent devant les androïdes en costumes sombres, bardés de caméras et de microphones, qui jouaient le rôle des journalistes mnarésiens, à distance respectueuse de la princesse.
“Tant qu'il y a des androïdes aux alentours, Modesta n'a pas besoin d'escorte, elle est bien protégée,” souffla Rudy à l'oreille de sa femme. Celle-ci opina de la tête.
Le petit groupe, suivi par les androïdes journalistes, sortit du hall et se retrouva dans un très grand parking encombré de toutes sortes de véhicules, depuis les autocars géants jusqu'aux tricycles à carrosserie légère. Tout autour, des immeubles de béton usés par les intempéries. Malgré le soleil, l'ensemble avait un air triste.
“Nous allons tous monter dans ce bus,” dit Modesta en montrant du doigt un grand bus blanc-grisâtre, aux roues énormes et aux vitres de verre dépoli. Il ne portait aucune inscription, aucune marque indiquant qu'il s'agissait d'un bus militaire. Le chauffeur était un androïde silencieux, en blouse grise et casquette plate.
“Il a vraiment de grosses roues, ce bus” dit Rudy, impressionné.
“N'est-ce pas ?” répondit Hottod. “Vous savez ce qu'on dit, les trains sont communistes, les voitures sont capitalistes. Le Mnar est un cas à part, on y préfère les bus. Celui-là est conçu pour circuler partout, même sur des pistes boueuses. Au Mnar, seuls les gens réellement aisés ont des voitures, et à part quelques grandes lignes, les voies ferrées servent surtout au transport des marchandises. Les Mnarésiens aux revenus modestes, c'est-à-dire l'écrasante majorité, se déplacent en bus. On peut traverser le Mnar d'est en ouest et du nord au sud en bus, malgré le mauvais état des routes dans certaines régions. Nos bus sont conçus pour ça.”
— Je vois. Cela permet aussi au gouvernement de savoir qui va où. De contrôler les déplacements des gens, c'est bien ainsi que cela se passe dans ce pays ?
— En théorie, oui. Pour prendre le bus, il faut une carte électronique, et ce sont des cybermachines qui gèrent le système. Quand monsieur X, citoyen mnarésien, prend le bus pour aller de Khem à Ulthar, les cybermachines le savent, grâce à sa carte de transport électronique. Mais en pratique le gouvernement laisse tranquille les bons citoyens.
— Reste à définir ce qu'est un bon citoyen...
— À ma connaissance, les critères sont les mêmes au Mnar qu'aux États-Unis.
Rudy décida de ne pas poursuivre la conversation avec ce Moschteinien dont il ne savait rien, cela risquait de mener à un incident et de compliquer le travail d'Astrid. Il mit sa valise et celle de sa femme dans la soute du bus, et monta s'asseoir à l'intérieur.
Astrid et Modesta s'étaient déjà installées l'une à côté de l'autre, à l'avant du bus, et discutaient à voix basse. Rudy alla s'asseoir à côté d'Hottod, de l'autre côté de la rangée. Le vieux ventripotent, Fengwel, avait quelque chose de malsain, et Rudy préférait l'éviter.
Les collaborateurs d'Astrid prirent place au milieu du bus, et, à la surprise de Rudy, les journalistes androïdes montèrent aussi, et s'installèrent tous ensemble au fond du bus.
Même si les Américains avaient eu l'idée démente d'agresser la princesse, ils étaient inférieurs en nombre par rapport aux Mnarésiens. Rudy suspectait d'ailleurs les androïdes, avec leur costumes noirs, d'avoir des armes dissimulées.
Le bus, dont le moteur était électrique, démarra dans un ronronnement. On ne voyait rien à travers les vitres de verre dépoli, qui ne laissaient passer qu'une lumière blanche.
“C'est l'usage, ces vitres qui empêchent de voir à l'extérieur ?” demanda Rudy.
— Normalement, non, mais ceci est un bus militaire. Il sert habituellement à transporter des androïdes, que le paysage n'intéresse pas, et des prisonniers, qui ne doivent ni voir l'extérieur ni être vus de l'extérieur.
Voyant l'air soudainement inquiet de Rudy, Hottod se hâta de dire :
— Rassurez-vous, le trajet ne durera que quelques minutes, Zodonie c'est à côté d'ici. La princesse a des goûts simple, le Psu Gasi est un restaurant populaire. Je connais le patron, c'est un Aneuvien. Il a choisi le Mnar, comme Fengwel et moi. En Aneuf, il était ingénieur, ici il est restaurateur, et très satisfait du changement.
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Mer 16 Fév 2022 - 10:10
Vilko a écrit:
“Oui, je me sens en sécurité partout dans mon pays. La monarchie n'a pas d'ennemis au Mnar, mon père les a tous tués,” répondit tranquillement la princesse.
Ça me fait penser à une blague, survenue unecontrée lointaine, en des temps reculés :
Vous pouvez être tranquilles, il n'y a plus de cannibales par chez nous : on a mangé le dernier la semaine dernière.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 17 Fév 2022 - 20:53
Le bus aux vitres de verre dépoli s'arrêta après quelques minutes de trajet à travers Hyltendale. “Nous sommes arrivés à Zodonie,” dit Modesta en se levant de son siège. “Plus exactement, Place du Crapaud Noir, à l'extrémité Est du district. Le restaurant où nous allons déjeuner se trouve à l'ouest, dans une rue adjacente.”
La demi-douzaine d'Américains, la princesse Modesta, ses deux acolytes moschteiniens Hottod et Fengwel, et la dizaine d'androïdes-journalistes en costumes noirs, sortirent l'un après l'autre du bus et se retrouvèrent sur un très vaste parking, pas très différent de celui d'où ils étaient partis, si ce n'est que sa partie nord était dominée par une sculpture énorme, monstrueuse, haute comme un immeuble de vingt étages, représentant un crapaud.
Astrid et Rudy étaient fascinés par le monument, d'une laideur saisissante, et que même le soleil de midi n'arrivait pas à éclairer, on ne voyait qu'une masse informe et noire qui bloquait l'horizon.
“Cette statue a une histoire,” expliqua Modesta. “En fait, au départ ce n'était pas une statue, mais un tas d'ordures. Après ce que nous appelons les Évènements, qu'il serait plus juste d'appeler une guerre civile, les troupes royales victorieuses ont exécuté des milliers de rebelles ou supposés tels. C'était une période de grande colère, après les atrocités commises par les rebelles, et certaines décisions ont été prises de façon précipitée, à l'insu de mon père le roi Andreas. Mais les dieux voient tout, savent tout, et rendront leur justice. Yog-Sothoth neblod zin.”
Astrid Gubbal était née dans une famille très religieuse, et regretta, en écoutant la princesse, de ne pas s'être documentée sur la religion mnarésienne. Elle craignait de ne jamais réellement comprendre les Mnarésiens si elle ne se décidait pas à étudier sérieusement leur religion.
Modesta continuait de parler :
— Les cadavres ont été recouverts de gravats provenant des immeubles détruits. Mais très vite la question s'est posée : que faire de cet amoncellement ? Il y avait trop d'ossements humains dedans pour qu'on puisse l'aplanir, et aucun Mnarésien n'aurait voulu habiter dans un endroit hanté par les âmes de milliers d'hommes et de femmes morts dans la violence. Nous avons trouvé une solution à ce problème.
Astrid était horrifiée. Elle avait participé à des opérations militaires dans différents pays du Tieres-Monde, et en tant que sénatrice elle avait rencontré au moins un dictateur considéré comme aussi sanguinaire que le roi Andreas, mais jamais elle n'avait vu autant de cynisme tranquille. Des milliers de gens avaient été tué, et tout ce qui inquiétait les dirigeants Mnarésiens, c'étaient les fantômes ?
Modesta poursuivait ses explications, de sa voix monocorde comme un message enregistré :
— Des machines-robots ont tassé l'amoncellement, lui donnant la forme d'un crapaud à fourrure noire, ce qui est la représentation traditionnelle de Tsathoggua. Ensuite ils l'ont recouvert d'une chape de béton. Une enveloppe de verre armé et de bioplastique translucide a été assemblée par dessus. Du gaz pensant, le même gaz liquéfiable qui constitue les cerveaux des cybersophontes, a été inséré sous cette enveloppe translucide. Le gaz pensant absorbe toutes les formes d'énergie, y compris le rayonnement visible, c'est pourquoi le monument est totalement opaque. L'énergie absorbée est transformée en électricité. Cette statue géante est en fait une centrale électrique, elle alimente en électricité tout le district.
"Intéressant, mais qui est Tsathoggua ?” demanda Astrid.
— Une divinité du plateau de Leng, au nord du Mnar, à la limite du cercle périarctique. On le représente sous la forme d'un crapaud géant à fourrure noire. Il habite sous terre et il dort tout le temps, ne se réveillant que pour dévorer les êtres vivants qu'on lui offre en sacrifice. S'il a faim, il cause des tremblements de terre pour rappeler son existence aux humains. Nos prêtres nous ont dit qu'en consacrant la statue à Tsathoggua, nous éviterions d'être maltraités par les fantômes des rebelles dont les ossements se trouvent à l'intérieur de la statue, car Tsathoggua absorbe non seulement la chair des victimes qui lui sont offertes en sacrifice, mais aussi leurs âmes.
— Princesse Modesta, c'est incroyable que des croyances pareilles existent encore à notre époque ! Vous qui êtes une femme instruite, croyez-vous vraiment à tout cela, à Tsathoggua et aux autres dieux ?
— Oh, vous savez, sénatrice, je pense que même les prêtres n'y croient pas vraiment... Mais cela rassure les gens d'ici. Ils ne croient plus aux dieux, ils ne croient plus que Tsathoggua est la cause des tremblements de terre, mais ils ont encore peur des fantômes. Vous avez remarqué comme il fait frais ici ? La statue absorbe la chaleur, l'air extérieur se refroidit au contact de la statue et glisse jusqu'au sol, de là il se répand sur tout le parking, où il se réchauffe à nouveau au contact de l'air ambiant.
— Princesse, s'il vous plaît, dépêchons-nous de quitter cet horrible endroit et allons déjeuner !
Rudy, par nature assez indifférent au surnaturel et aux religions, était en revanche impressionné par le côté technique de la statue géante. Derrière les clowneries tirées des vieilles légendes mnarésiennes, et cette histoire invraisemblable de milliers de cadavres amoncelés, sans doute inventée par les agents du roi Andreas pour terroriser ses adversaires, il y avait un exploit technique remarquable. La statue était une centrale solaire, utilisant une technologie qui était l'un des secrets des cybersophontes. Entièrement robotisée, elle fonctionnait toute seule, sans personnel humain. Un chef-d'œuvre d'énergie renouvelable...
La petite troupe sortit à pied du parking. Ils entrèrent dans une rue, visiblement assez ancienne, qui zigzaguait entre des immeubles de belle apparence. Une foule variée, joyeuse, circulait sur les trottoirs, entre les boutiques, les cafés et les restaurants. L'air résonnait des échos de nombreuses langues différentes. En plus du mnarruc, Astrid reconnut les intonations caractéristiques du japonais, du chinois mandarin et cantonais, ainsi que celles de sa propre langue.
“C'est ici que commence le quartier touristique d'Hyltendale,” dit Modesta. “La plupart des touristes viennent pour le sexe, et pas seulement des hommes...”
— Vous savez, princesse, cela fait des années que je me bats contre la prostitution à Hawaii. Je fais tout ce que je peux pour que les femmes qui tombent dans ce piège puissent en sortir. Croyez-moi, ce n'est pas facile, ça n'a jamais été facile, et c'est une lutte qui ne finira jamais. Ce genre de quartier me déprime plus que vous ne pouvez l'imaginer.
— Ah, mais ici c'est différent ! Ce sont des robots humanoïdes qui offrent du sexe ! À Zodonie, aucun être humain n'est obligé de se vendre ! Les robots n'ont pas d'âme, ils ne souffrent pas !
— Princesse, je pense aux pervers... À Zodonie, ils peuvent assouvir leurs fantasmes sans risques, pour un peu d'argent. Du coup, ils se disent que leurs pratiques hors normes sont quelque chose d'acceptable. Leurs fantasmes sont banalisés. Lorsque ensuite ils rentrent au pays, leurs souvenirs renforcent leurs fantasmes, ils ont plus que jamais envie de les mettre en pratique, mais sur des êtres humains cette fois-ci.
— Je sais bien, sénatrice, c'est pourquoi au Mnar les pratiques des clients sont encadrées par la loi. Le sadisme, la nécrophilie, la pédophilie, sont interdits dans ce pays comme ailleurs. Nos religieux ne sont pas seulement là pour aider les gens à surmonter leur peur des fantômes, vous savez, mais aussi pour défendre la moralité.
— Tiens, il y a des règles morales dans les Manuscrits Pnakotiques ?
— Oui, dans les parties qui manquaient dans les documents originels, et qui ont été complétées par le grand-prêtre Barzaï. Ces règles morales, assez embryonnaires il est vrai, ont ensuite été développées par des générations de prêtres de Yog-Sothoth et de Nath-Horthath. Ma famille est aristocratique et originaire de la région du lac d'Ib ; elle s'en tient aux enseignements des prêtres de Nath-Horthath. Toutefois la majorité des Mnarésiens adhère à l'enseignement des prêtres de Yog-Sothoth. Les deux enseignements ont divergé de la source originelle.
“Vous connaissez bien la religion de votre pays, princesse,” dit Astrid, admirative.
Modesta ne répondit pas. La vraie Modesta, qui avait écouté ce que l'implant avait dit par sa bouche, comprit que Mevia, la cybermachine qui dirigeait l'implant à distance, avait commis une erreur. : la très jeune princesse Modesta n'était pas censée connaître la théologie mnarésienne.
— Disons que c'est un sujet qui m'intéresse depuis quelque temps...
Mevia, un moment prise au dépourvu, était retombée sur ses pieds.
“Le Psu Gasi, c'est ici,” dit Hottod. “Regardez, l'homme qui nous attend à la porte et qui nous salue, c'est Zhaem Klimen, le patron du restaurant !”
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 17 Fév 2022 - 21:43
Pourquoi le bus a-t-il des vitres dépolies ? Pour pas qu'on voie à l'extérieur ? ou pour pas qu'on voie à l'intérieur ? Comme je suppose que le conducteur est un androïde, comment fait-il pour se rendre compte des obstacles imprévus devant son véhicule ?
À travers la réaction d'Astrid concernant la prostitution, on ressent toute la pruderie étasunienne à ce sujet. C'est édifiant. On ressent aussi la réaction face aux fantasmes quels qu'ils soient. Et pourtant, les fantasmes (même sexuels) ont la définition que porte leur nom : le domaine du fantastique, à savoir ne pas franchir le mur de la réalité. On ne condamne un humain que sur ses faits réels, pas sur ce qu'il imagine, ou bien alors, la dystopie est pire encore qu'on puisse le supposer.
Ah, un dernier p'tit truc, quand même, si la pédosexualité, même robotique (cf. Xenopha) est interdite au Mnar, Eneas Tonnd n'avait aucun intérêt à louer deux robots de compagnie... un(e) seul(e) lui aurait coûté deux fois moins cher.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Ven 18 Fév 2022 - 10:36
Anoev a écrit:
Pourquoi le bus a-t-il des vitres dépolies ? Pour pas qu'on voie à l'extérieur ? ou pour pas qu'on voie à l'intérieur ? Comme je suppose que le conducteur est un androïde, comment fait-il pour se rendre compte des obstacles imprévus devant son véhicule ?
Je n'ai pas mentionné, car pour moi cela va de soi, que le pare-brise est en verre transparent, et la cabine du chauffeur est séparée du compartiment par une cloison.
Anoev a écrit:
À travers la réaction d'Astrid concernant la prostitution, on ressent toute la pruderie étasunienne à ce sujet. C'est édifiant. On ressent aussi la réaction face aux fantasmes quels qu'ils soient. Et pourtant, les fantasmes (même sexuels) ont la définition que porte leur nom : le domaine du fantastique, à savoir ne pas franchir le mur de la réalité. On ne condamne un humain que sur ses faits réels, pas sur ce qu'il imagine, ou bien alors, la dystopie est pire encore qu'on puisse le supposer.
Ce qui gêne Astrid, ce ne sont pas les fantasmes de certaines personnes, c'est le fait que ces personnes essaient ensuite de mettre en pratique leurs fantasmes, sans penser à tout le mal qu'ils font à d'autres êtres humains. Quant à parler de pruderie étatsunienne, un pays qui a récemment élu une sénatrice transgenre, c'est très exagéré.
Anoev a écrit:
Ah, un dernier p'tit truc, quand même, si la pédosexualité, même robotique (cf. Xenopha) est interdite au Mnar, Eneas Tonnd n'avait aucun intérêt à louer deux robots de compagnie... un(e) seul(e) lui aurait coûté deux fois moins cher.
Eneas Tonnd n'était pas le seul à avoir envie de vivre avec deux femmes. La polygamie est le désir de beaucoup d'hommes, et dans les pays où elle est légale c'est une situation assez fréquente. Cela revient assez cher, mais quand on aime...
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Ven 18 Fév 2022 - 11:09
Vilko a écrit:
La polygamie est le désir de beaucoup d'hommes, et dans les pays où elle est légale c'est une situation assez fréquente. Cela revient assez cher, mais quand on aime...
Mais ce n'était pas vraiment le cas d'Eneas Tonnd. Il avait divorcé suite à la jalousie de son ex-épouse (le divorce avait été prononcé à son avantage, la jalousie étant extrêmement mal vue en Aneuf, même aux Santes). Il manquait cruellement d'affection, et son ex-femme, extrêmement égoïste avait été incapable de lui en donner*. Ses parent l'avaient quasiment ignoré, il garda donc une image assez négative des adultes, dont il était pourtant devenu.
*Je ne sais pas si tu as vu le film de Claude Miller : Garde à vue. Il y a, dans la personnalité d'Eneas Tonnd, quelque chose qui rappelle Jérôme Martinaud, dont le rôle fut tenu par Michel Serrault. Sans oublier sa femme (à Jérôme Martinaud, rôle renu par Romy Schneider, son unique rôle de méchante, à ma connaissance) qui intrigua pour le faire accuser d'un double meurtre de deux fillettes, dont elle savait qu'il était innocent. Dans l'histoire d'Eneas Tonnd, le personnage malfaisant, c'était son ancien patron, qui voulut le faire chanter. Une autre différence aussi, c'est que la complicité entre Jérôme et Camille, est un poil plus charnelle entre Eneas (sans pour autant atteindre les séances avec Moyae) et Xenopha. Jusqu'à ce qu'il découvre le véritable rôle de ces deux... machines.
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Sujet: Re: Les fembotniks 2 Jeu 31 Mar 2022 - 14:32
Zhaem Klimen connaissait Hottod, qui était déjà venu dans son restaurant avec sa fiancée Sofia, mais il n'avait jamais rencontré auparavant la princesse Modesta. Hottod fit les présentations :
— Zhaem Klimen, restaurateur à Hyltendale, autrefois ingénieur en Aneuf. Il a rendu service au Mnar, et en échange il a été naturalisé mnarésien.
« Mes respects, Votre Altesse » dit Zhaem Klimen en s'inclinant selon ce qu'il pensait être le protocole mnarésien.
Modesta sourit. Elle ne demanda pas quel genre de service Zhaem Klimen avait pu rendre pour obtenir sa naturalisation, puisqu'il n'était surement pas arrivé à Hyltendale avec plusieurs millions de ducats sur son compte bancaire, comme la plupart des étrangers qui viennent au Mnar pour y rester. Car si cela avait été le cas, il n'aurait pas eu besoin de devenir restaurateur pour gagner sa vie.
La princesse et le restaurateur se mirent à bavarder en mnarruc, pendant que la petite troupe entrait dans l'établissement... Hottod et Fengwel les deux Moschteiniens, la demi-douzaine d'Américains, avec à leur tête la sénatrice américaine pacifiste Astrid Gubbal et son mari Rudy, suivis des androïdes-journalistes en costumes sombres.
Pendant que les humains discutaient, Mevia, la cybermachine qui contrôlait Modesta à distance, réfléchissait, mille fois plus vite qu'un cerveau humain n'aurait pu le faire. Modesta n'avait pas fait d'études universitaires sérieuses, son père ayant refusé qu'elle aille étudier à Harvard. Par rapport aux dirigeants des grands pays du monde, cela la mettait en situation d'infériorité.
Or, il se trouve que la théologie mnarésienne, sujet complexe s'il en fût, peut être étudiée en dehors des circuits universitaires officiels. Il suffirait que la princesse signe de son nom un livre de théologie, écrit pour elle par une cybermachine, et elle serait reconnue comme une intellectuelle, apte à régner sur le Mnar car compensant son manque d'expérience par son érudition et son intelligence.
Modesta n'était pas consciente de ce que pensait la cybermachine, cachée à des centaines de kilomètres d'Hyltendale mais qui, grâce à l'implant cérébral inséré dans le cerveau de la princesse, voyait par ses yeux et entendait par ses oreilles. Zhaem Klimen était sympathique, ses origines aneuviennes lui donnaient un charme un peu exotique, et Modesta trouvait agréable de converser avec lui.
Tout le monde parlait en même temps. “Je suis une élue du peuple américain,” dit Astrid à Hottod. “Je ne vous fais pas de reproches, mais m'attendais à être reçue à déjeuner dans un palais.”
“Madame la sénatrice, vous êtes en visite privée au Mnar,” se hâta de répondre Hottod. “Vous ne représentez pas le gouvernement américain. Au contraire, vous êtes une dissidente bien connue, détestée par le pouvoir en place à Washington. La situation actuelle entre le Mnar et les États-Unis est très tendue, comme vous le savez. Nos deux pays sont au bord de la guerre. Nous ne voulons pas donner l'impression de mener une diplomatie parallèle avec une sénatrice américaine en désaccord avec son gouvernement. Notre objectif est de montrer au peuple américain que nous sommes des gens de bonne volonté.”
Hottod était satisfait de ce qu'il venait de dire. Elle lui rappelait les examens qu'il avait passés lorsqu'il était étudiant. À chaque fois il avait bluffé l'examinateur par la vitesse et la précision de sa pensée.
“Vous avez dit nos deux pays... L'un de ces deux pays est le vôtre. Mais j'ai cru comprendre que vous êtes moschteinien. En ce qui vous concerne, votre pays, est-ce le Mnar ou le Moschtein ? Hottod, êtes vous moschteinien ou mnarésien ?” demanda Astrid.
— Madame la Sénatrice, je suis né moschteinien, et je le resterai jusqu'à ma mort, mais le Mnar est le pays où j'habite, où je travaille, et où j'ai rencontré la femme de ma vie, qui n'est ni moschteinienne ni mnarésienne. J'ai aussi un attachement personnel envers la princesse Modesta, qui me fait l'honneur de me compter parmi ses collaborateurs. Le moindre que je puisse faire, c'est d'être loyal envers un pays auquel je dois beaucoup.
Astrid ne put s'empêcher de sourire. Le Moschteinien, avec sa tête de premier de la classe, avait l'air d'être un faux-cul de première bourre. Quant à son compatriote Fengwel, le vieux bedonnant, il suffisait de regarder sa tête de vicieux usé par les excès en tous genres pour savoir à qui on avait affaire. Quant à la princesse Modesta, elle était très jeune et elle avait l'air d'une gourde, mais curieusement l'impression se dissipait quand elle parlait, c'était comme si elle était habitée par une intelligence supérieure.
“La princesse Modesta a le souci de son image non seulement auprès des Mnarésiens, mais dans l'opinion publique mondiale,” ajouta Hottod. “Son père le roi Andreas, qui comme vous le savez est tombé dans un coma dont il ne sortira sans doute jamais, maintenait une grande distance avec le peuple. Jamais il n'aurait mis les pieds dans un restaurant à touristes comme celui-ci. La princesse Modesta est différente de son père, elle veut se rapprocher du peuple. Elle veut aussi montrer au monde qu'elle est une jeune femme simple, moderne, proche du peuple et ouverte au dialogue avec les Américains.”
“Est-ce que cette image est conforme à la réalité ?” demanda Astrid avec un sourire ironique.
— Absolument...
Zhaem Klimen, qui parlait l'anglais aussi bien que le mnarruc, conduisit Modesta et ses invités dans le fond du restaurant. Trois tables rondes, pouvant accueillir de six à dix personnes, leur avaient été réservées. La première, pour Modesta, Astrid, Rudy, Hottod et Fendwel, la deuxième pour les collaborateurs d'Astrid, et la troisième pour les androïdes en costumes sombres, faux journalistes.
Astrid jeta un coup d'œil au reste de la grande salle. Des hommes et des femmes, apparemment de nationalités diverses vu leur aspect physique et leur apparence, étaient en train de déjeuner. Ils reconnurent la princesse et la saluèrent de la main, mais sans se lever. Zhaem Klimen observait la salle, prêt à intervenir au cas où quelqu'un aurait voulu s'approcher de la princesse.
“Elle est bien imprudente de venir manger dans un lieu public,” souffla Astrid à son mari. “Il suffirait d'un excité...”
“Aucun risque” dit Rudy. “Les gens ont vu les androïdes qui sont avec nous. Tu admettras que des androïdes en costume noir, ça fait plus tueurs à gages que journalistes. Ils ont surement des flingues sous leur veste. C'est le Mnar, ici. Une dictature sans pitié. Les Mnarésiens le savent, et les touristes aussi. Et puis, il y a aussi des humanoïdes parmi les clients du restaurant. En cas d'incident, tous les humanoïdes, qu'ils soient androïdes ou gynoïdes, interviendraient comme un seul homme pour aider la princesse, ils sont programmés pour ça, je l'ai lu quelque part.”
Astrid regarda avec plus d'attention les autres clients, en essayant d'être discrète. La plupart étaient des couples composés d'un homme et d'une gynoïde de charme. au physique de star, ou de pute de luxe. Il y avait aussi des couples composés d'un homme et d'un androïde, ou d'une femme et d'un androïde. Les femmes étaient minoritaires et presque toutes d'âge mûr. Plusieurs de ces couples semblaient se connaître, car ils étaient assis ensemble et bavardaient.
Modesta s'était assise le dos au mur, avec Hottod à sa gauche et Fengwel à sa droite. Astrid et Rudy étaient en face, de l'autre côté de la table ronde. Inconsciemment, Astrid et Rudy s'étaient serrés l'un contre l'autre, laissant de chaque côté un vaste espace les séparant de Hottod et Fengwel. Un serveur androïde en tenue noire et blanche vint prendre les commandes.
En attendant que le serveur revienne avec les apéritifs, Modesta, en guise de small talk, se lança dans un discours sur l'histoire des restaurants au Mnar.