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| Études comparativistes et linguistique dévoyée | |
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Invité Invité
| Sujet: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 10:32 | |
| Parfois on est obligé de se pincer en lisant certaines choses. Il y a un siècle à peine ~ hier donc ~ un "grand" linguiste français, Antoine Meillet, de ceux que tous les manuels et historiographies mettent en frontispice et auxquels ils décernent des médailles d'éminence, commettait ce texte : http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Langues_et_les_nationalit%C3%A9s Quelques extraits : - Antoine Meillet : Les langues et les nationalités a écrit:
- Il y a comme un encerclement d’où l’allemand n’avait pas de chances de sortir par des moyens pacifiques. Toute expansion de l’allemand était arrêtée.
- Citation :
- La grammaire de l’allemand est demeurée archaïque, surtout dans la langue littéraire, car les parlers populaires sont parvenus à un stade d’évolution plus avancé à beaucoup d’égards. Les noms ont encore une déclinaison à plusieurs cas ; les démonstratifs ont une flexion à part ; les adjectifs se déclinent de deux manières, suivant les circonstances comme l’un des types de formes ordinaires ou comme des démonstratifs. Les formes personnelles des verbes sont bien distinguées les unes des autres ; les verbes radicaux comportent des alternances vocaliques complexes de la syllabe radicale, subsistent en grand nombre et tiennent une place importante dans la langue. L’agencement des phrases est compliqué.
- Citation :
- On peut résumer le contraste entre la grammaire allemande et la grammaire anglaise, en disant que l’allemand est, de toutes les langues germaniques, la plus fidèle au vieux type, et que l’anglais ayant rompu entièrement avec le type ancien, représente, sous une forme presque idéale, le terme de l’évolution vers laquelle se dirigent toutes les langues indo-européennes.
- Citation :
- Placée à l’extrémité du monde européen, la Russie n’a pas besoin de presser sur ses voisins européens pour élargir son domaine. L’Asie lui offre des territoires illimités à peine peuplés, ou peuplés par des hommes de civilisation inférieure.
- Citation :
- La différence entre les Français et les Anglais, d’une part, les Russes de l’autre, se marque dans la langue. L’anglais et, à un moindre degré, le français (et les autres langues néo-latines, comme l’italien) sont les plus avancées dans leur développement, les plus modernes de toutes les langues indo-européennes. Les langues slaves, au contraire, sont les plus archaïques. Elles ont gardé dans leur grammaire une infinité de vieilleries : les noms ont encore une déclinaison ; grand nombre de cas et de formes variées suivant les types ; les démonstratifs et adjectifs se fléchissent autrement que les substantifs. Le verbe a une flexion à formes très diverses, exprimant des notions subtiles et de caractère médiocrement abstrait : la considération du degré d’achèvement de l’action y domine, et non la notion relativement abstraite du temps.
- Citation :
- Les vocabulaires slaves sont parmi les vocabulaires européens les plus aberrants.
À lire de telles con... conclusives, on ne peut qu'être, a posteriori, traversé de gros doutes épistémologiques quant à la rigueur scientifique réelle des travaux de telles sommités. Et on comprend mieux pourquoi les études linguistiques comparatives ont subi un tel discrédit par la suite. |
| | | Anoev Modérateur
Messages : 37585 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 10:44 | |
| - Citation :
- ...ou peuplés par des hommes de civilisation inférieure.
Quand on lit ça, effectivement, y a d'quoi être consterné !!! Mais bon, c'était un état d'esprit parmi les gens "évolués" (euh !) jusqu'au début du XX e siècle. Plus on réduit d'indigènes en esclavage, plus on est une grande nation.Le pire, c'est qu'y a une poignée d'individus (haut placés) qui y croient encore ! Fin de la digression. | |
| | | Nemszev Admin
Messages : 5559 Date d'inscription : 06/03/2008 Localisation : Bruxelles, Belgique
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 10:47 | |
| Meillet n'avait pas besoin d'une rigueur extrême, puisqu'il était le premier à parler de certaines choses (comme du phénomène de grammaticalisation). Il a innové pas mal, mais c'est vrai qu'il lui arrive de dire des choses assez subjectives, voire nationalistes. À notre époque, ce genre d'écrit serait discrédité, mais dans son contexte historique, ça ne choquait pas vraiment. Puis il me semble qu'à ce moment-là, le français était encore une langue de prestige internationale et j'imagine que la placer en haut du tableau était tout à fait normal. Il me semble que j'avais parlé sur un sujet des cartes du monde du début du XXe siècle, où l'on mêlait la notion de groupes linguistiques et de "races".
Ca me fait penser à la conférence que j'ai vue sur le mouvement des langues romanes vers le français (ou en tout cas certaines de ses caractéristiques), comme la perte de désinences sur les verbes et l'usage amoindri du passé simple et des subjonctifs, etc. Selon moi, le français n'est pas une langue plus avancée que les autres, mais elle a juste développé une série de caractéristiques propres qui la rendent difficile à parler pour les locuteurs d'autres langues romanes, au même titre que le roumain par exemple. Je n'aime pas parler d'archaïsmes ou de "vieilleries", parce que dans chaque langue, il y a une part de conservatismes et une part d'innovation, sinon une langue ne "vit" plus. On n'a juste pas toujours les innovations et les conservatismes aux mêmes endroits. _________________ Le grand maître admin-fondateur est de retour. - Bedal Original, bien justifié, et différent du sambahsa et de l'uropi. - Velonzio Noeudefée Nemszev m'a fait une remarque l'autre jour, et j'y ai beaucoup réfléchi depuis. - Djino J'ai beaucoup de tendresse pour ta flexion verbale. - Doj-Pater Pourquoi t'essaies de réinventer le sambahsa ? - Olivier Simon Oupses ! - Anoev
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| | | Olivier Simon Modérateur
Messages : 5565 Date d'inscription : 20/02/2009 Localisation : Lorraine
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 10:49 | |
| Que veux-tu.... Mais merci pour le texte; moi qui n'aime pas citer des tas de références poussièreuses, tu me donnes un bon argument pour ignorer A.Meillet. | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 11:42 | |
| Sab, il ne faut pas confondre politiquement correct et vérité éternelle ! Notre époque cultive le politiquement correct, cela ne veut pas dire que nos prédécesseurs, qui ne savaient même pas ce que c'était, avaient nécessairement tort. Antoine Meillet a publié Les langues et les nationalités en 1915. C'était un homme de son époque, qui mettait le patriotisme au pinacle. Il était difficile de faire autrement, il fallait bien motiver les soldats de la Grande Guerre. Beaucoup de ces soldats (dont a fait partie mon grand-père maternel, qui a eu les poumons abîmés par les gaz dans les tranchées) se sont aperçus par la suite qu'on leur avait raconté n'importe quoi, mais ça, c'est une autre histoire. Comme disait Kissinger : "Military men are just dumb, stupid animals to be used as pawns in foreign policy." Ou comment exprimer sous forme de plaisanterie le fond de sa pensée... Reprenons point par point ce qu'a écrit Antoine Meillet : - Antoine Meillet : Les langues et les nationalités a écrit:
- Il y a comme un encerclement d’où l’allemand n’avait pas de chances de sortir par des moyens pacifiques. Toute expansion de l’allemand était arrêtée.
C'est un fait. Il aurait pu préciser : expansion territoriale de l'allemand, mais tout le monde avait compris. Surtout en 1915. Pour être précis, ce n'était d'ailleurs pas tout-à-fait vrai, même en 1915 : dans la partie orientale de l'Empire Allemand, la langue allemande était en voie de remplacer le polonais et les langues baltes. Dans les parties francophones de l'Alsace-Lorraine, elle progressait par rapport au français. - Citation :
- La grammaire de l’allemand est demeurée archaïque, surtout dans la langue littéraire, car les parlers populaires sont parvenus à un stade d’évolution plus avancé à beaucoup d’égards. Les noms ont encore une déclinaison à plusieurs cas ; les démonstratifs ont une flexion à part ; les adjectifs se déclinent de deux manières, suivant les circonstances comme l’un des types de formes ordinaires ou comme des démonstratifs. Les formes personnelles des verbes sont bien distinguées les unes des autres ; les verbes radicaux comportent des alternances vocaliques complexes de la syllabe radicale, subsistent en grand nombre et tiennent une place importante dans la langue. L’agencement des phrases est compliqué.
Je ne vois pas ce qu'il y a de choquant là-dedans. À la place de "archaïque" on pourrait dire "proche de l'indo-européen commun", mais "archaïque" n'est pas nécessairement un mot péjoratif : Emmanuel Todd, auteur moderne et politiquement correct s'il en fût, a bien écrit dans l'un de ses livres que les structures familiales anglo-saxonnes sont archaïques. - Citation :
- On peut résumer le contraste entre la grammaire allemande et la grammaire anglaise, en disant que l’allemand est, de toutes les langues germaniques, la plus fidèle au vieux type, et que l’anglais ayant rompu entièrement avec le type ancien, représente, sous une forme presque idéale, le terme de l’évolution vers laquelle se dirigent toutes les langues indo-européennes.
C'est exact. Les langues indo-européennes, sans exception connue, simplifient leur morphologie, à des rythmes divers. Le hindi, par exemple, a une morphologie beaucoup plus simple que celle du sanskrit. - Citation :
- Placée à l’extrémité du monde européen, la Russie n’a pas besoin de presser sur ses voisins européens pour élargir son domaine. L’Asie lui offre des territoires illimités à peine peuplés, ou peuplés par des hommes de civilisation inférieure.
Antoine Meillet écrivait à une époque où il n'y avait quasiment pas d'asiatiques en France, donc en risquant peu de vexer quelqu'un qu'il pouvait rencontrer dans la rue ou à l'université. Je remplacerais "hommes de civilisation inférieure" par "hommes dont la culture en est encore au stade pré-industriel" pour mettre le texte aux normes politiquement correctes de notre époque. - Citation :
- La différence entre les Français et les Anglais, d’une part, les Russes de l’autre, se marque dans la langue. L’anglais et, à un moindre degré, le français (et les autres langues néo-latines, comme l’italien) sont les plus avancées dans leur développement, les plus modernes de toutes les langues indo-européennes. Les langues slaves, au contraire, sont les plus archaïques. Elles ont gardé dans leur grammaire une infinité de vieilleries : les noms ont encore une déclinaison ; grand nombre de cas et de formes variées suivant les types ; les démonstratifs et adjectifs se fléchissent autrement que les substantifs. Le verbe a une flexion à formes très diverses, exprimant des notions subtiles et de caractère médiocrement abstrait : la considération du degré d’achèvement de l’action y domine, et non la notion relativement abstraite du temps.
Mêmes remarques que ci-dessus. En fait, pour que le texte soit vraiment politiquement correct, il faudrait remplacer ce qui a une connotation péjorative par des compliments. Par exemple : archaïques = proches de la langue qui est l'ancêtre de toutes les langues indo-européennes, actuellement parlées par la moitié de l'humanité vieilleries = formes antiques, héritées de la langue des conquérants indo-européens du quatrième millénaire avant notre ère Le vocabulaire utilisé par Antoine Meillet a au moins le mérite d'être à la fois précis et concis, donc bien supérieur aux circonvolutions hypocrites auxquelles nous contraint le politiquement correct. - Citation :
- Les vocabulaires slaves sont parmi les vocabulaires européens les plus aberrants.
Dans ce contexte, "aberrant" signifie : qui s'écarte du chemin ( ab-errare en latin). De nos jours, on dirait : "Les vocabulaires slaves sont parmi les vocabulaires européens les plus innovateurs." Simple emballage lexical différent pour un même concept... - Sab a écrit:
- À lire de telles con... conclusives, on ne peut qu'être, a posteriori, traversé de gros doutes épistémologiques quant à la rigueur scientifique réelle des travaux de telles sommités.
Notre époque considère Bernard-Henri Lévy, dont la rigueur scientifique est plus que discutable, comme un philosophe. J'ai bien peur, hélas, que ce simple fait ne déconsidère à lui seul toute notre génération sur le plan intellectuel ! | |
| | | PatrikGC
Messages : 6728 Date d'inscription : 28/02/2010 Localisation : France - Nord
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 12:15 | |
| En effet, il faut toujours replacer une phrase dans son contexte, idem pour un auteur. La notion de "correct" varie selon les époques (et les lieux), et bcp de choses "normales", il y a un certain temps, sont vécues actuellement comme infamantes. Il n'y a qu'à regarder la polémique de "Tintin au Congo". Ce sont d'ailleurs les congolais eux-mêmes qui en rigolent le plus. Ne pas confondre aussi l’œuvre et l'auteur. Il n'est pas rare que l’œuvre soit géniale tandis que son auteur est infréquentable (les exemples ne manquent pas, hélas). L'inverse est tout aussi vrai : des personnes très bien sont illisibles. Antoine Meillet a fait progresser la linguistique en son temps. Il a apporté diverses améliorations, idées, nouveautés dont on bénéficie tjrs actuelmt. Il s'est aussi parfois trompé, mais dans l'ensemble, son apport a été globalement très positif. Donc ne pas jeter bébé avec l'eau du bain... | |
| | | Nemszev Admin
Messages : 5559 Date d'inscription : 06/03/2008 Localisation : Bruxelles, Belgique
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 12:39 | |
| D'ailleurs j'ai l'impression que ce politiquement correct se généralise dans tous les médias. Le public auquel s'adressent les films, le journal télé, les séries télé, la musique, la radio, etc. est nettement plus cosmopolite et hétéroclite dans sa façon de penser. Il y a à peine une ou deux décennies, on s'adressait toujours en majorité aux familles blanches bien comme il faut, qui étaient les "monsieurs/madames tout le monde". Il y a une sorte de censure sur tout ce qui pourrait stigmatiser ou offenser une communauté. Quand j'étais petit, on n'hésitait pas à faire des imitations ou des caricatures d'africain (en "sauvage"), d'asiatique (jaunes avec un chapeau pointu), d'arabe (en terroriste...), de roms (en voleur ou diseuse de bonne aventure) ou d'homo (en grande folle écervelée), même dans des émissions pour enfants, et ça ne semblait choquer personne.
Aujourd'hui, on évite ce genre de chose, même si la mentalité des gens ne change pas tant que ça, je trouve. _________________ Le grand maître admin-fondateur est de retour. - Bedal Original, bien justifié, et différent du sambahsa et de l'uropi. - Velonzio Noeudefée Nemszev m'a fait une remarque l'autre jour, et j'y ai beaucoup réfléchi depuis. - Djino J'ai beaucoup de tendresse pour ta flexion verbale. - Doj-Pater Pourquoi t'essaies de réinventer le sambahsa ? - Olivier Simon Oupses ! - Anoev
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| | | Olivier Simon Modérateur
Messages : 5565 Date d'inscription : 20/02/2009 Localisation : Lorraine
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 12:56 | |
| Il y a quand même une différence entre "politiquement correct" et certains préjugés assénés par A.Meillet.
Le "politiquement correct" est le fait de se refuser à dire certaines vérités de "peur" de choquer la bien-pensance générale.
Ici, A.Meillet, qui pourtant fait valoir sa qualité de membre du Collège de France, mélange des notions scientifiques avec des préjugés du type "peuples inférieurs"; et ceci est bien critiquable, surtout quand on sait ce qui s'est passé ensuite. Ici, il n'y a pas de démonstration scientifique de ce qu'il avance. En plus, il ne fait pas dans la dentelle. Par exemple, la phonétique des consonnes de l'anglais est plus archaïque que celle de l'allemand. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 13:11 | |
| - Vilko a écrit:
- Sab, il ne faut pas confondre politiquement correct et vérité éternelle !
J'en suis la première d'accord. Et le "politiquement correct" comme règle façonnante des relations et de la pensée me hérisse autant que toi, et beaucoup d'autres. Non, ce que je n'admets pas, c'est qu'un individu de "référence" pour son époque, son pays et la science, en appelle fallacieusement à la linguistique pour appuyer un discours nationaliste. Le pire serait qu'il en ait été réellement persuadé. Quand les scientifiques servent d'alibis à des dérives de la pensée et de marche-pied aux idéologues de tout poil, on sait où cela a conduit et, malheureusement, conduira encore demain (cf. la théorie du genre). - Vilko a écrit:
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- Citation :
- La grammaire de l’allemand est demeurée archaïque, surtout dans la langue littéraire, car les parlers populaires sont parvenus à un stade d’évolution plus avancé à beaucoup d’égards. Les noms ont encore une déclinaison à plusieurs cas ; les démonstratifs ont une flexion à part ; les adjectifs se déclinent de deux manières, suivant les circonstances comme l’un des types de formes ordinaires ou comme des démonstratifs. Les formes personnelles des verbes sont bien distinguées les unes des autres ; les verbes radicaux comportent des alternances vocaliques complexes de la syllabe radicale, subsistent en grand nombre et tiennent une place importante dans la langue. L’agencement des phrases est compliqué.
Je ne vois pas ce qu'il y a de choquant là-dedans. À la place de "archaïque" on pourrait dire "proche de l'indo-européen commun", mais "archaïque" n'est pas nécessairement un mot péjoratif : Emmanuel Todd, auteur moderne et politiquement correct s'il en fût, a bien écrit dans l'un de ses livres que les structures familiales anglo-saxonnes sont archaïques. Là-dessus, ce n'est pas le terme "archaïque" qui m'a fait lever les cils, mais plutôt le dernier mot cité : "compliqué". C'est du pur subjectivisme, qui tombe comme le coup de pied de l'âne. Sinon, je lis de la même manière que toi, en termes d'évolution linguistique (même si je n'y connais pas grand chose). Et pour le terme "aberrant", oui probablement faut-il le lire dans son sens de l'époque et non-connoté. - Vilko a écrit:
- Notre époque considère Bernard-Henri Lévy, dont la rigueur scientifique est plus que discutable, comme un philosophe. J'ai bien peur, hélas, que ce simple fait ne déconsidère à lui seul toute notre génération sur le plan intellectuel !
L'histoire sera dure avec notre époque et la dissolution des intellectuels dans la mélasse du prêt-à-penser et du conformisme soci(ét)al. On ne peut que s'en attrister. Les intellectuels sont morts, au profit des pitres, des communicants, des cyniques et des relaps. Il doit pourtant en rester quelques uns... - PatrikGC a écrit:
- Antoine Meillet a fait progresser la linguistique en son temps. Il a apporté diverses améliorations, idées, nouveautés dont on bénéficie tjrs actuelmt. Il s'est aussi parfois trompé, mais dans l'ensemble, son apport a été globalement très positif.
Donc ne pas jeter bébé avec l'eau du bain... Oui, probablement. Mais c'est quand même très énervant de devoir trier. Et, pour moi, autant je suis assez pondérée de sentiment quand il s'agit de démarquer dans une oeuvre d'artiste (cf. le Céline génial d'un côté et celui qui reste entaché à tout jamais), autant pour des hommes de science ou d'institutions, cela me fait fulminer parce que surgit alors automatiquement le doute sur leur motivation de leur démarche "scientifique" à la base. Et pour contraster mon "malaise" face à Meillet, je prendrai l'exemple de Soustelle. J'ai lu ses bouquins sur les aztèques, le Mexique précolonial. C'est génial et je ne doute en aucune manière de sa "rigueur intellectuelle" lorsqu'il a mené ces études. Et si par la suite il a eu une attitude et des écrits très vils lors de la décolonisation de l'Algérie, il n'y a jamais mêlé ~ à ma connaissance ~ je-ne-sais quelle théorie ou jugements fumeux qu'il aurait tiré de ses travaux scientifiques sur les aztèques. Et les "parts d'ombre" de tous ceux qui piquent dans les caisses ou se vendent au diable ne valent pas mieux que la malhonnêteté intellectuelle. |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 13:26 | |
| - Sab a écrit:
- Il y a un siècle à peine ~ hier donc ~ un "grand" linguiste français, Antoine Meillet, de ceux que tous les manuels et historiographies mettent en frontispice et auxquels ils décernent des médailles d'éminence, commettait ce texte : http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Langues_et_les_nationalit%C3%A9s
C'est le texte d'une conférence au collège de France, et il suffit de le lire dans son entier (ce que je viens de faire) pour voir qu'il s'agit en fait d'une conférence politique, prononcée en temps de guerre, et dont le sujet n'est pas la linguistique, mais la guerre : - Antoine Meillet a écrit:
- Il est un peu vain de chercher qui est responsable de la guerre actuelle : elle résulte de la politique poursuivie depuis des siècles par les peuples de l’Europe, et chacun trouvera toujours un biais pour en rejeter la responsabilité, proche ou lointaine, sur l’ennemi.
Et il a écrit ça en 1915 ! Bravo pour votre courage, Monsieur Meillet ! Les "politiquement corrects" de l'époque ne savaient que tout mettre sur le dos de l'Allemagne et attiser la haine du Boche et du Prussien. Et surtout la conclusion : - Antoine Meillet a écrit:
- C’est la prétention allemande à l’hégémonie qui seule a obligé à s’unir trois puissances aussi différentes que la Grande Bretagne, la France et la Russie, dont les deux premières n’ont aucun désir d’étendre leur domaine européen, et dont la troisième, tout en gardant un caractère nationaliste prononcé, ne saurait viser et ne vise pas à s’agrandir désormais en Europe.
Concernant la Russie tsariste, je suis un peu sceptique. Mais il est vrai que Nicolas II était un homme éduqué et plutôt pacifique, presque un Louis XVI russe, et ça a été sa perte, car dans l'histoire humaine les belliqueux ont toujours éliminé les pacifiques. Antoine Meillet a une position qui, en temps de guerre, peut être considérée comme nuancée. Tout le texte exprime la compassion pour les nationalités opprimées non seulement par l'Allemagne et son alliée la Hongrie, mais aussi par la Russie, pourtant alliée de la France. Le premier paragraphe de la conférence est, à mon avis, particulièrement intéressant dans sa concision : - Citation :
- « Nous combattons pour l’humanisme contre le patriotisme », m’écrivait de son poste de commandement dans une tranchée, un jour de ce rude hiver, un linguiste éminent qui commande une compagnie de territoriaux bretons sur le front.
Comment comprendre ce paragraphe ? Il oppose patriotisme et humanisme, mais il paraît évident qu'un professeur au Collège de France, en 1915, ne pouvait être que les deux à la fois. Il me semble, à lire ce paragraphe, qu'Antoine Meillet était contre la francisation forcée des Bretons, au nom de l'humanisme. En 1915, il ne pouvait pas aller plus loin, sous peine d'être accusé de faire le jeu de l'ennemi. À noter aussi que nulle part dans le texte on ne trouve d'appel à la haine des Allemands : la critique est dirigée envers la politique du gouvernement impérial allemand, pas envers le peuple allemand. On notera aussi que Meillet rappelle comment notre alliée l'Angleterre a opprimé l'Irlande, rendant possible une famine qui a fait périr ou émigrer la moitié des Irlandais, en plein 19e siècle. Oppression qui ne s'est terminée qu'en 1917, après une lutte sanglante. La Première Guerre Mondiale a d'ailleurs été une catastrophe pour la Bretagne : les jeunes paysans bretons, qui parlaient peu ou mal le français, ont été massivement versé dans l'infanterie, où les pertes ont été effroyables. Il leur était interdit d'écrire à leur famille en breton, car les censeurs ne savaient lire que le français, et le déclin de la langue bretonne a été de ce fait accéléré par la guerre. Il est possible que la moitié des territoriaux bretons de 1915 mentionnés par Meillet soient morts avant la fin de la guerre, et l'ami d'Antoine Meillet, le linguiste éminent qui les commandait, aussi, comme beaucoup d'officiers qui menaient eux-mêmes leurs troupes au combat et partageaient la vie de leurs soldats dans les tranchées. - Olivier Simon a écrit:
- la phonétique des consonnes de l'anglais est plus archaïque que celle de l'allemand.
Pas archaïque, Olivier : conservatrice ! L'usage du mot "civilisation inférieure" doit être placé dans le contexte de l'époque : en 1915, la France avait encore les départements de la Loire Inférieure, de la Seine Inférieure, et je crois quelques autres. - Sab a écrit:
- ce que je n'admets pas, c'est qu'un individu de "référence" pour son époque, son pays et la science, en appelle fallacieusement à la linguistique pour appuyer un discours nationaliste. Le pire serait qu'il en ait été réellement persuadé.
Je pense, vu ce que j'ai écrit ci-dessus, que Meillet n'était pas nationaliste, au sens que l'on donne à ce mot en 2013. Mais s'il avait dit clairement ce qu'il pensait, il aurait sans doute été exclu sur le champ du Collège de France, voire pire, comme Jean Jaurès. | |
| | | Anoev Modérateur
Messages : 37585 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 13:39 | |
| - Vilko a écrit:
- L'usage du mot "civilisation inférieure" doit être placé dans le contexte de l'époque : en 1915, la France avait encore les départements de la Loire Inférieure, de la Seine Inférieure, et je crois quelques autres.
Je pense que même à l'époque, on savait faire le distinguo entre le sens propre et le sens figuré... C'est comme l'adjectif "bas-". Pourtant, les Basses-Pyrénées sont devenues Pyrénées atlantiques (comme la Loire) et les Basses-Alpes, les alpes de Haute (!)-Provence. Les Alsaciens, moins complexés, n'ont pas fait des pieds et des mains pour changer le nom de leur département : le Bas-Rhin leur convient tout-à-fait. - Petite parenthèse:
En aneuvien, j'ai subor* pour "inférieur" et sùpor pour "supérieur". On pourrait confondre les deux 'à cause du B et du P, qui sont deux occlusives bilabiales, l'une voisée et pas l'autre. Heureusement un [y] et un [u] sont notoirement différents.
*L'ancien mot, subaṅr, marche encore, pour ceux qui craindraient la confusion.
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| | | Mardikhouran
Messages : 4313 Date d'inscription : 26/02/2013 Localisation : Elsàss
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 14:25 | |
| - Vilko a écrit:
- Citation :
- On peut résumer le contraste entre la grammaire allemande et la grammaire anglaise, en disant que l’allemand est, de toutes les langues germaniques, la plus fidèle au vieux type, et que l’anglais ayant rompu entièrement avec le type ancien, représente, sous une forme presque idéale, le terme de l’évolution vers laquelle se dirigent toutes les langues indo-européennes.
C'est exact. Les langues indo-européennes, sans exception connue, simplifient leur morphologie, à des rythmes divers. Le hindi, par exemple, a une morphologie beaucoup plus simple que celle du sanskrit.
Certes, les langues indo-européennes simplifient leurs cas hérités, mais rien ne les empêche de complexifier par la suite : le hindi, par exemple, et avec lui d'autres langues indo-aryennes, présentent une syntaxe ergative dans leurs pronoms à certains temps du passé (source : C.Hagège, Dictionnaire amoureux des langues) ; dans le même temps, le français parlé comporte un système préfixale d'agrément polypersonnel, quoique l'importance de la langue écrite masque ce fait. Par exemple, pour la première personne du singulier en sujet (les colonnes sont pour l'objet direct, et les lignes pour l'objet indirect) : | "pas d'objet direct" | moi | toi | lui | elle | nous | vous | eux/elles | "pas d'objet indirect" | ʒ- | ʒm(ə)- | ʃt(ə)- | ʒl(ə)- | ʒl(a)- | ʒnu(z)- | ʒvu(z)- | ʒle(z)- | à moi | ʒm(ə)- | | | ʒməl- | ʒəml(a)- | | | ʒəmle(z)- | à toi | ʃt(ə)- | | | ʃtəl- | ʃtəla- | | | ʃtəle(z)- | à lui | ʒli- | | | ʒləli- | ʒlali- | | | ʒleli- | à elle | ʒli- | | | ʒləli- | ʒlali- | | | ʒleli- | à nous | ʒnu(z)- | | | ʒnul- | ʒnul- | | | ʒnule(z)- | à vous | ʒvu(z)- | | | ʒvul- | ʒvul- | | | ʒvule(z)- | à eux/elles | ʒlœʁ- | | | ʒləlœʁ | ʒlalœʁ | | | |
(pour les cases blanches du tableau, il faut utiliser les formes toniques des pronoms) Pourquoi cette analyse en préfixes ? Parce qu'entre les "pronoms clitiques" de la grammaire classique et le verbe, on ne peut insérer aucun autre mot, et de plus ils forment une seule unité accentuelle. Ainsi, "Je le lui donne" à l'oral n'est une phrase composée que d'un seul mot : " ʒləlidɔn" Si nos (linguistiques) ancêtres voyaient ça ! | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 14:53 | |
| - Olivier Simon a écrit:
- Ici, A.Meillet, qui pourtant fait valoir sa qualité de membre du Collège de France, mélange des notions scientifiques avec des préjugés du type "peuples inférieurs";
Antoine Meillet parle de civilisation inférieure, pas de peuples inférieurs. La distinction est d'importance, car à l'époque de Meillet, une "civilisation inférieure" était ce que nous appellerions aujourd'hui une "civilisation pré-industrielle". On peut penser qu'un homme aussi cultivé qu'Antoine Meillet connaissait la valeur des peuples d'Asie, et notamment des Japonais, qui dix ans auparavant, en 1905, avaient infligé une humiliante défaite à l'Empire Russe. Preuve que les Japonais avaient réussi à donner au Japon une civilisation industrielle sans perdre leurs racines. - Nemszev a écrit:
- Il y a une sorte de censure sur tout ce qui pourrait stigmatiser ou offenser une communauté. Quand j'étais petit, on n'hésitait pas à faire des imitations ou des caricatures d'africain (en "sauvage"), d'asiatique (jaunes avec un chapeau pointu), d'arabe (en terroriste...), de roms (en voleur ou diseuse de bonne aventure) ou d'homo (en grande folle écervelée), même dans des émissions pour enfants, et ça ne semblait choquer
Au point que dans les médias français, il est permis de se moquer du Pape, mais pas de l'Islam. Il suffit de chercher sur Youtube "Pape Guignols de l'Info" pour être édifié. Du coup, j'ai l'impression que certains catholiques français ont compris que pour être respecté, il faut réagir violemment face au blasphème, comme les musulmans. - Mardikhouran a écrit:
- Je le lui donne" à l'oral n'est une phrase composée que d'un seul mot : "ʒləlidɔn"
ʒələlẅidɔn, dans mon quartier ! C'est vrai que le français est sur certains plans plus complexe que le latin. Il a perdu ses déclinaisons (à part quelques traces dans les pronoms) mais il est devenu polysynthétique au niveau verbal. Je ne sais pas si cet aspect polysynthétique du français avait déjà été étudié à l'époque d'Antoine Meillet. | |
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| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée Jeu 2 Mai 2013 - 15:21 | |
| - Vilko a écrit:
- Mardikhouran a écrit:
- Je le lui donne" à l'oral n'est une phrase composée que d'un seul mot : "ʒləlidɔn"
ʒələlẅidɔn, dans mon quartier ! Ici, c'est /ʒi'dɔn/. Comme quoi simplification et complexification vont de paire. |
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| Sujet: Re: Études comparativistes et linguistique dévoyée | |
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