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| Les fembotniks | |
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Auteur | Message |
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Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Mer 9 Déc 2015 - 20:00 | |
| Yohannès Ken avait commencé à rédiger un livre qu'il avait décidé d'intituler "Le Peuple du Soleil Noir à Hyltendale" (Noum Hillo Tiuh Va Hyltendale, en mnarruc). Il voulait donner à ses lecteurs une idée de ce que sont les humanoïdes, en mettant dans son livre autant de photographies que possible.
Pendant une année entière, il prit des humanoïdes en photo. Des klelwaks en blouses grises. Des androïdes en veste de travail noire. Des gynoïdes en tenues d'hôtesses ou d'infirmières. L'infinie variété des gynoïdes et androïdes de charme. Des cyborgs, comme Tom Soranag, le chef de la police municipale, Maya Vogeler, l'architecte-paysagiste, ou le docteur Roy Dalidil.
Yohannès inclut aussi dans son ouvrage des portraits de symbiorgs, ces humains qui ont un cybercerveau à l'intérieur de leur corps. On leur reconnaît à leurs lunettes cybernétiques. Il connaissait l'un d'eux, le docteur Lorenk, qui faisait partie, comme lui, du Cercle Paropien. Les symborgs sont des êtres humains, mais ils appartiennent aussi aux cybersophontes, au peuple du soleil noir.
Toutes les photos étaient prises sur les lieux de travail des humanoïdes, ou dans les lieux qu'ils fréquentaient. Ateliers, bureaux, hôpitaux, restaurants, hôtels... Yohannès adorait photographier des gynoïdes de charme, avec leurs longs cheveux chatoyants, en train de faire semblant de manger en portant à leurs lèvres des baguettes à boules.
Il photographia aussi des gynoïdes et des androïdes avec leurs maîtres ou maîtresses, que l'on appelle à Hyltendale fembotniks et manbotchicks. Sur les photos, les humains avaient invariablement un air de fierté souriante à côté de leurs humanoïdes, qui, par contraste, ressemblaient à des personnages de bande dessinée entrés dans le réel.
Le livre n'aurait pas été complet sans une brève description des différents quartiers d'Hyltendale, des rues joyeuses et animées de Zodonie jusqu'aux murailles austères de Tatanow, la plus grande prison du monde, en passant par les robots arachnoïdes géants de Fotetir Tohu.
Il eut une pensée fugace pour son ancienne épouse, Tawina Zeno, lorsqu'il prit Shonia en photo devant le Lagovat-Kwo, le grand hôpital psychiatrique d'Hyltendale. Le mur d'enceinte du Lagovat-Kwo est long de deux kilomètres. Il a été décoré de milliers de personnages peints, grandeur nature, par plusieurs centaines de bénévoles, dont de nombreux internés.
Yohannès avait hésité avant de choisir le titre du livre. Puis il s'était dit que l'expression noum hillo tiuh, peuple du soleil noir, exciterait la curiosité des lecteurs. Il savait que 98% des Mnarésiens habitent d'autres provinces que l'Ethel Dylan, et que la plupart d'entre eux n'ont jamais vu un humanoïde ailleurs que sur un écran de télévision. Pour eux, Hyltendale est l'équivalent d'un pays étranger, mais où l'on parlerait le mnarruc. Bien sûr, dès qu'ils descendent du train ou de leur voiture, à la recherche d'exotisme hyltendalien, ils voient que la moitié des passants sont des humains comme eux, ce qui les rassure et les déçoit à la fois.
Les touristes mnarésiens à Hyltendale sont toujours surpris quand ils s'aperçoivent que certains Hyltendaliens parlent le mnarruc plutôt mal, voire pas du tout. Les étrangers n'ont en effet le droit de résider que dans deux villes du Mnar, Hyltendale et Céléphaïs, c'est pourquoi la plupart des Mnarésiens n'ont jamais l'occasion de parler avec quelqu'un dont le mnarruc n'est pas la langue maternelle. Leurs idées concernant les différentes nationalités, généralement assez sommaires, sont celles qui sont véhiculées par les médias d'État, qui sont sous contrôle royal.
Yohannès savait que son livre serait trompeur, car aucun cybercerveau arachnoïde ne serait représenté. On ne les voit jamais, et pourtant ce sont eux qui font fonctionner la ville et qui en sont les maîtres secrets.
De même, son livre serait écrit en mnarruc, et tous les Hyltendaliens ont l'impression de vivre dans une ville où, à part les étrangers, tout le monde parle le mnarruc. Mais ce n'est qu'une apparence. Les humanoïdes peuvent parler la plupart des langues humaines, grâce aux cybercerveaux auxquels leurs cerveaux sont reliés par ondes radio. Les cybercerveaux communiquent entre eux en utilisant des langues secrètes.
Un code peut être décrypté, il suffit d'utiliser pour cela des ordinateurs assez puissants. Mais une langue ne peut pas être déchiffrée sans dictionnaire. La langue étrusque reste toujours un mystère, malgré des siècles de recherche. Le problème avec une langue secrète, c'est qu'il faut que chaque utilisateur ait un dictionnaire de la langue. Et comme chacun sait, un dictionnaire, ça se perd, ça se vole, ou ça se copie. Mais les cybercerveaux n'ont pas ce tracas : le contenu du dictionnaire est bien en sécurité dans leurs cerveaux artificiels, et il n'est transmis que de cybercerveau à cybercerveau. On n'a jamais vu un cybercerveau trahir, céder à la torture ou se laisser corrompre. L'obéissance envers les supérieurs, et la loyauté envers la communauté des cybersophontes, sont gravées au plus profond des cerveaux cybernétiques.
La formule du yeksootch est la découverte la plus importante depuis celle du feu. Par sécurité, elle n'existe que dans une langue secrète, qui n'est connue que d'un petit nombre de cybercerveaux. À Hyltendale, on n'entend parler que le mnarruc dans les rues ou à la télévision, mais les informations réellement importantes, celles que les cybercerveaux s'échangent entre eux, sont exprimées dans des langues secrètes. Personne ne sait si la "vraie" langue des cybersophontes est le mnarruc ou une autre langue.
Certains Hyltendaliens ont des scanners radio et s'amusent à pirater les conversations radio que les humanoïdes ont entre eux et avec les cybercerveaux. Ils entendent des phrases dont pas un seul mot n'est compréhensible. Les scanners radio sont interdits au Mnar, car ils permettent de capter les fréquences de la police et de l'armée. Leurs utilisateurs ne sont donc pas des fembotniks, qui seraient mis en demeure par leur gynoïde d'arrêter leurs agissements sous peine d'être dénoncés.
Les services secrets étrangers, notamment padzalandais, ont enregistré des milliers d'heures de conversations radio en langues secrètes, et les ont fait étudier par des linguistes. Ces derniers sont arrivés à la conclusion que les cybersophontes utilisent plusieurs langues secrètes. Certaines de ces langues ont une forme écrite, les cybersophontes s'envoyant souvent de l'un à l'autre des messages électroniques, dans lesquels ils utilisent une variante de l'alphabet standard. Beaucoup de ces messages électroniques sont interceptés par les services secrets. Les linguistes cherchent depuis des années la version en langue secrète d'un texte connu, qui leur permettrait de déchiffrer au moins une partie des messages.
Mais cette "pierre de Rosette" hyltendalienne n'a jamais été découverte. Le linguiste padzalandais Léon Titivillo pense que les langues secrètes des cybersophontes utilisent des synonymes parfaits : chaque mot existe sous plusieurs formes différentes, utilisées de façon aléatoire. Comme si en français on utilisait, à côté de l'adjectif "grand", les mot ryln, big, haiash, ega, qui auraient exactement le même sens que "grand".
Léon Titivillo a constaté aussi l'absence de noms propres identifiables dans les textes en langues secrètes. D'après lui, cela peut s'expliquer simplement : les cybersophontes épellent les noms propres, et chaque lettre a plusieurs noms. La lettre A, par exemple, pourrait s'appeler, au choix : gabu, mzrek, konaway, etc.
Les enjeux sont tellement importants, qu'essayer de déchiffrer les messages des cybersophontes est devenu une occupation à temps plein pour plusieurs milliers de linguistes, disséminés dans une bonne vingtaine de pays. Cette occupation à temps plein dure toutefois rarement plus de quelques années, le manque de résultats amenant souvent des coupes drastiques dans les budgets.
Totalement ignorant de la présence à Hyltendale d'agents secrets étrangers, Yohannès poursuivait ses promenades dans la ville, son appareil-photo en bandoulière et Shonia à ses côtés. Un jour il vit, amarré à un quai de Fotetir Tohu, le yacht royal Tohefob. Il se dit que des soldats de la Garde Royale ne devaient pas être loin.
Une femme d'âge mûr, sans doute une touriste, montra le yacht à son fils, qui devait avoir environ douze ans.
"C'est bien pour le roi" dit le gamin, dans le dialecte de Khem. "S'il doit un jour s'enfuir à Ukalté comme Adront Cataewi, il pourra continuer à habiter sur son yacht."
"Mais tais-toi donc, petit imbécile !" rugit la mère. "Tu veux donc nous faire tous envoyer en prison ?"
Le gamin, qui s'attendait à ce que sa mère le gifle, s'écarta hors de portée des mains maternelles.
Yohannès sourit. Le garçon avait bien deviné. Le roi Andreas a quatre résidences. Le palais royal de Sarnath, une ferme à la campagne, la résidence-forteresse de Potafreas au nord-est d'Hyltendale, et son yacht le Tohefob. Le roi était ostensiblement en mauvais termes avec le prince Goran Luty de Hyagansis, mais les bannis du Mnar continuaient d'être envoyés à Hyagansis, et la Hyagansis Bank était toujours la bienvenue à Hyltendale. S'il devait un jour quitter précipitamment le Mnar, le roi Andreas n'aurait que quelques heures de navigation à faire, jusqu'à Ukalté... | |
| | | Mardikhouran
Messages : 4313 Date d'inscription : 26/02/2013 Localisation : Elsàss
| Sujet: Re: Les fembotniks Mer 9 Déc 2015 - 20:14 | |
| Quand j'ai imaginé à quoi ressemblerait ce livre, j'ai vu des photos en noir et blanc, bizarrement. Elle donneraient un sentiment d'irréalité à l'ouvrage. | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Mer 9 Déc 2015 - 21:03 | |
| - Mardikhouran a écrit:
- Quand j'ai imaginé à quoi ressemblerait ce livre, j'ai vu des photos en noir et blanc, bizarrement. Elle donneraient un sentiment d'irréalité à l'ouvrage.
C'est vrai que les seules couleurs que j'ai mentionnées dans le texte sont le gris (les blouses) et le noir (les vestes). J'ai aussi parlé des chevelures "chatoyantes" des gynoïdes de charme, mais ça ne précise pas leurs couleurs... Hyltendale est une ville où l'on vit bien, mais qui n'est pas spécialement joyeuse, à part Zodonie. L'architecture locale plutôt grise (cubes de béton) y est pour quelque chose... | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Mar 15 Déc 2015 - 15:14 | |
| Le roi Andreas était dans le salon de son yacht privé, le Tohefob, qui venait d'accoster à Fotetir Tohu, le port de mer d'Hyltendale, après une brève croisière dans la Mer du Sud. À travers les hublots il pouvait voir des cargos amarrés à proximité du Tohefob, qui était un croiseur de la marine de guerre, aménagé spécialement pour lui.
Le roi était satisfait de son voyage. Il avait fait escale dans la ville-flottante de Serranian, pour une visite de courtoisie à Magusan, le roi cyborg d'Orring, avec lequel il avait eu une conversation assez longue et plutôt satisfaisante.
Andreas avait voyagé sans son épouse, et il avait espéré que celle-ci viendrait l'attendre à Hyltendale, mais ce n'était pas le cas. La reine Renoela était restée à Sarnath avec les enfants royaux.
Andreas savait que son conseiller cyborg, le baron Chim, était à Hyltendale, où il possédait une maison, pour gérer ses affaires personnelles. Se sentant seul, il envoya au baron un message électronique pour l'inviter à venir boire un verre de vin avec lui sur le Tohefob. Chim répondit qu'il venait immédiatement.
Chim était un homme âgé, au visage maigre orné d'un collier de barbe blanche. Avant d'être le conseiller du roi Andreas, il avait été celui de son père, le roi Robert. Les cyborgs ne vieillissent pas, à partir du jour où ils sont devenus des cyborgs. Chim était un érudit, un sage, qui parlait lentement mais pensait vite.
Comme tous les cyborgs et comme les humanoïdes élaborés, le baron Chim pouvait réellement manger et boire, bien qu'étant totalement dépourvu d'odorat et de sens gustatif. Les humanoïdes dits "de travail" ne peuvent que faire semblant. Les gynoïdes et androïdes de Zodonie, dits "de charme", peuvent consommer de la nourriture, comme les humains et les cyborgs, bien que leur énergie soit d'origine électrique.
Andreas suspectait que la nourriture que le baron absorbait n'était pas réellement digérée et assimilée, mais simplement stockée à l'intérieur du corps cybernétique. Boire et manger à plusieurs est une activité sociale importante chez les humains, et les cybersophontes font de leur mieux pour y participer.
Pour une fois, le roi et son conseiller ne parlèrent pas de politique, ni de la gestion du royaume, mais ils se contentèrent de bavarder. Ils étaient heureux de discuter ensemble, car ils s'estimaient et se respectaient mutuellement, malgré la distance hiérarchique.
Boire du vin rouge d'Hyltendale est un véritable rituel, chez les Mnarésiens. C'et l'hôte qui sert le vin, dans des petits verres. L'invité en boit d'abord une petite gorgée, et donne son avis, en utilisant un vocabulaire particulier. Mais le baron, étant un cyborg, ne pouvait jauger que la couleur et la température du breuvage :
"Il a un beau rouge transparent, et il est frais juste comme il faut."
Le roi but à son tour une gorgée, et donna lui aussi son avis :
"Il est aimable et un peu canaille."
Façon de dire que le vin était agréable à boire, désaltérant et frais.
La conversation commença par les banalités d'usage, puis, tout en buvant son vin à petites gorgées, Chim se mit à parler de psychologie :
- Dans le parc naturel du Serengeti, au Kenya, les visiteurs persistent à laisser de la nourriture, bien que ce soit interdit. Les babouins, du coup, ne consacrent pas plus de trois heures par jour à chercher de quoi manger. Dégagés de l’essentiel, ils se mettent à stresser pour des futilités. L’énergie qu’ils ne dépensent plus pour leur survie, à la recherche de nourriture, ils la brûlent dans les rapports sociaux. Les problèmes hiérarchiques se multiplient et génèrent chez les babouins des pathologies semblables à celles des humains. Ils ont des ulcères, de l'hypertension, et de l'excès de cholestérol. Pour résumer, on peut dire qu'ils font des ulcères à cause de la complexité sociale.
- Mais alors, baron, les fembotniks, qui ne foutent rien de la journée, vu qu'ils sont tous rentiers ou retraités, ils doivent être tous angoissés, tendus, épuisés... ?
- Majesté, les rentiers et les retraités ne sont stressés nulle part au monde, et surtout pas à Hyltendale... C'est la compétition qui stresse. Les rentiers et les retraités y échappent.
- Comment font-ils ?
- Majesté, pour un fembotnik, la vie est simple. Il est servi par sa gynoïde, et ses amis sont des masques-cagoules. Les seuls humains à qui il parle plus d'une fois par semaine sont les membres de son club. La plupart du temps, d'ailleurs, les conversations ne dépassent pas le stade du bavardage de comptoir. Parfois, il n'a pas envie de parler à d'autres humains, par exemple parce qu'il a peur qu'on se moque de lui, mais il a envie d'être entouré de ses semblables. Alors, au lieu d'aller à son club, il ira au restaurant avec sa gynoïde. S'il désire parler avec quelqu'un d'autre, elle portera un masque-cagoule, si bien que le fembotnik aura l'impression de déjeuner avec le grand-prêtre Barzaï ou avec Brad le journaliste.
- Baron, je ne sais pas si ça marche aussi bien pour tout le monde... Lorsque les gens se retrouvent à la retraite, leur taux de suicide augmente, au moins les premières années. J'ai lu ça dans un rapport du Ministre de la Santé. Passer du travail à l'oisiveté, c'est stressant.
- Majesté, c'est là qu'interviennent les gynoïdes. Croyez-moi, on ne s'ennuie pas avec elles. Un fembotnik commence sa journée en se réveillant avec une femme amoureuse dans les bras...
Le visage du roi se figea brièvement, ce qui n'échappa pas au baron. Il était notoire que le roi et la reine se parlaient de moins en moins.
Le baron continua de parler :
- Il peut discuter dans la journée avec ses vieux potes, Brad ou Kalamet. La gynoïde va l'encourager à se promener en ville avec elle, et à faire un tour dans son club. Elle va l'aider à développer ses talents, que ce soient le bricolage ou l'histoire des chemins de fer aneuviens.
- Baron, je connais des gens qui ont perpétuellement besoin de créer des conflits... Je les vois mal vivre tranquillement avec une gynoïde.
- On retrouve ce genre de personnes chez les fembotniks, Majesté. Il y en a qui passent leur temps à se disputer avec les autres. Pour eux, il y a des jeux de rôles assez particuliers avec les masques-cagoules. Des simulations de négociations tendues, ou d'interrogatoires de police. Ils ont besoin de ce genre de choses. Tout le monde a besoin de savoir négocier, et aussi de savoir mener une conversation difficile, mais certains fembotniks poussent le jeu plus loin que d'autres.
- Sont-ils nombreux, à être comme ça ?
- Pas vraiment, Majesté. Beaucoup de fembotniks sont des éclopés de la vie. Ils doivent réapprendre à négocier, à ne pas se laisser faire. Car tout est négociation dans la vie. D'autres fembotniks, assez rares, sont des pervers, qui aiment dominer et rabaisser autrui. Mais tant qu'ils ne font souffrir que les personnages incarnés par les masques-cagoules, ça n'a aucune importance...
- Les masques-cagoules, c'est bien. Mais il y a certainement des gens, même parmi les fembotniks, qui aiment le stress de la lutte pour le pouvoir... Le vrai pouvoir, pas une simulation. En avez-vous rencontré, baron Chim ?
- Bien sûr. On les trouve parmi ceux qui se démènent pour une cause, et qui essayent de se faire élire à la tête de tel ou tel parti, ou au conseil municipal. Il y en a aussi parmi ceux qui essayent de s'enrichir, par le commerce ou la finance.
- Baron, Hyltendale a-t-telle besoin de gens comme eux ?
- Tout dépend de ce que l'on entend quand on dit "Hyltendale"...
- Ah, baron, je vois bien votre subtilité... Pour moi, Hyltendale, c'est la capitale de l'Ethel Dylan, une région qui exporte des produits agricoles et de l'électricité, qui est totalement loyale envers la couronne, et qui en cas de guerre civile pourrait constituer un bastion monarchiste.
- Majesté, n'oubliez pas que c'est aussi le lieu qui héberge une grande partie des infirmes et des gâteux du royaume, et par où transitent les indésirables, que vous bannissez vers Hyagansis, d'où ils ne reviennent jamais...
- Baron, je vois Hyltendale, en plus de tout ça, comme un lieu de résidence pour les rentiers et les retraités qui veulent vivre dans la tranquillité et la sécurité, dans une ville où la médecine est de qualité, et où ils ont à leur disposition des humanoïdes pour les servir et leur tenir compagnie...
- Pour Hyltendale telle que la définit votre Majesté, les gens qui aiment monter sur le podium et tenir le mégaphone sont très utiles, dans la mesure où ils travaillent pour nous, qu'ils le sachent ou non. Par exemple, les bénévoles qui font fonctionner un club travaillent pour nous. De même, les politiciens qui siègent au conseil municipal d'Hyltendale travaillent pour nous, même s'ils sont persuadés du contraire.
- Baron, à ma connaissance ces politiciens locaux ne prennent pas leurs ordres auprès de mes secrétaires.
- Majesté, il suffit qu'ils connaissent les limites à ne pas dépasser. Leurs gynoïdes sont là pour le leur dire à demi-mots.
La conversation se poursuivit ainsi, fort agréable, jusqu'à ce que le flacon de vin rouge soit vide. Entretemps, les limousines blindées qui devaient transporter le roi et sa suite jusqu'à sa résidence de Potafreas, au nord d'Hyltendale, s'étaient rassemblées sur le quai.
Le baron Chim prit congé du roi, et repartit comme il était venu, avec ses deux androïdes gardes du corps.
Hyltendale est une ville monarchiste, mais il y a des mécontents partout, et le baron n'avait pas envie de se faire insulter dans la rue, ou d'être importuné par un bavard, d'où la présence des deux androïdes. Le baron lui-même était vêtu comme ses androïdes, d'un costume de toile noire, la veste boutonnée jusqu'au cou, et d'un chapeau noir. Avec ses yeux cybernétiques, il pouvait passer pour un androïde, mais sa barbe blanche finement taillée le trahissait.
Il avait une maison à Tsherremid, et pour y arriver il devait traverser Fotetir Tohu, Zodonie et Sitisentr. Environ une heure de marche, ou vingt minutes en autobus. Ou dix minutes en voiture.
C'est pourquoi le baron Chim utilisait toujours un véhicule discret pour ses déplacements. Une camionnette de livraison, avec deux sièges confortables à l'arrière. À l'intérieur, on avait un peu l'impression d'être dans un sous-marin, mais cela ne gênait pas le baron.
Sa maison, dans une rue tranquille de Tsherremid, ne se distinguait pas de celles de ses voisins. Le nom figurant sur la boîte aux lettres n'était pas celui du baron. Ce dernier vivait côté jardin, là où personne ne pouvait le voir.
L'androïde qui conduisait la camionnette la fit entrer dans le garage, dont il referma la porte. C'est alors seulement que le baron sortit du véhicule.
Le baron Chim passait la plus grande partie de son temps à Sarnath, où il disposait d'un grand appartement dans le palais royal. Lorsqu'il était à Hyltendale, il vivait dans sa maison de Tsherremid avec trois androïdes et une gynoïde.
La rumeur, née on ne sait comment, courait dans le quartier que la maison était habitée par un fembotnik richissime mais gravement malade, qui ne sortait plus de sa chambre que pour aller se faire soigner à l'hôpital. Il arrivait que pendant des mois la maison ne soit habitée que par un androïde, que l'on voyait parfois tondre la pelouse ou laver les vitres.
En cas de guerre, le baron Chim peut, de sa maison de Tsherremid, se rendre rapidement à Uden, la résidence d'Argumthar, le cybercerveau arachnoïde qui est "la reine de la ruche". Uden est un quartier souterrain dissimulé sous Lablo Fotetir, le port fluvial d'Hyltendale. Des canaux secrets, accessibles à des sous-marins de poche, relient Uden à l'estuaire de la rivière Skaï. De là, il est possible de s'enfuir vers les îles flottantes de Serranian, Ukalté, ou vers les pays riverains de la Mer du Sud. | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 21 Déc 2015 - 22:27 | |
| Céléphaïs est la deuxième ville du Mnar, à 1250 km au sud-est de la capitale, Sarnath. Avec sa banlieue, la ville compte quatre millions d'habitants, dépassant Sarnath. Céléphaïs est un grand centre industriel, commercial et universitaire, où les quartiers riches alternent avec les bidonvilles. Elle est située au bord de la Mer du Sud, comme Hyltendale, dont elle est distante de 500 km. Une autoroute relie les deux villes, en suivant la côte. En revanche, la voie ferrée fait un détour de 200 km vers le nord, par Pnakot.
Céléphaïs dispose d'un aéroport international et d'un port à hydravions. Les compagnies propriétaires des hydravions appartiennent à des cyborgs de Serranian, la capitale du royaume marin d'Orring. Elle a aussi un métro, comme Sarnath, mais il ne dessert qu'une partie de l'agglomération.
Les Manuscrits Pnakotiques mentionnent une ville nommée Serranian, "flottant entre le ciel et l'eau". Il semble que ce ne soit pas la même ville que le Serranian moderne, qui est une ville bâtie sur une île flottante artificielle. Cela peut correspondre à "une ville flottant entre le ciel et l'eau", mais le Serranian moderne est de construction récente. Certains auteurs pensent résoudre le paradoxe en postulant que les Manscrits Pnakotiques ont une dimension prophétique, et décrivent l'avenir aussi bien que le passé. D'autres disent que lorsque les cybersophontes ont construit Serranian, ils se sont appropriés un nom qui existait déjà. Les avis divergent, plusieurs thèses ont été écrites sur ce sujet, et le débat n'est pas clos.
À Céléphaïs, le pouvoir royal paraît lointain. Le roi Andreas a toutefois une carte maîtresse dans sa manche pour obliger l'orgueilleuse Céléphaïs à lui obéir : l'électricité.
Céléphaïs dépend, pour 90% de sa consommation, de l'électricité que lui vendent plusieurs sociétés appartenant à des cyborgs hyltendaliens ou serranianais. L'électricité est produite dans des installations sous-marines robotisées, à quelques kilomètres au large de la ville. Elle est extraite des profondeurs de la planète, au moyen d'une technologie que seuls les cybersophontes ont réussi à maîtriser.
Les cyborgs propriétaires des centrales électriques sous-marines sont des cybersophontes, et donc soumis à l'autorité d'Argumthar, le cybercerveau caché auquel tous les cybersophontes d'Hyltendale obéissent. Argumthar et Andreas sont liés par un accord secret, négocié par le baron Chim, le conseiller cyborg du roi Andreas. Lorsque les familles nobles de Céléphaïs contestent son autorité, le roi Andreas demande au baron Chim, qui est son agent de liaison avec les cybersophontes, de faire couper le courant à la ville.
Sans électricité, l'activité économique de Céléphaïs s'arrête. Au bout de quelques jours, il n'y a même plus d'eau courante, car ce sont des pompes électriques qui font circuler l'eau dans les tuyaux. Le métro ne fonctionne plus, et les bus et les automobiles non plus, car les pompes électriques des stations-services ont besoin d'électricité pour fonctionner. Les supermarchés et les magasins ne sont plus ravitaillés, car faute d'essence les camions ne peuvent plus rouler. Les quatre millions de Céléphaïens commencent à souffrir de la soif et de la faim. Les nouveaux-nés et les jeunes enfants sont les premiers à mourir. Les habitants abandonnent la ville et envahissent la campagne comme un nuage de sauterelles affamées.
Les dirigeants de la ville savent que les choses se passeraient ainsi en cas de conflit ouvert et prolongé avec le roi, mais ils essayent de le cacher à la population. Celle-ci se demande souvent, avec colère, pourquoi ses dirigeants s'aplatissent toujours devant le roi Andreas.
Autrefois, Céléphaïs produisait suffisamment d'électricité pour assurer ses besoins, mais les centrales électriques, qui fonctionnaient au charbon et au gaz, ont été détruites pendant les Évènements. Le roi Andreas, conseillé par le baron Chim, a fait démanteler les ruines des centrales électriques de Céléphaïs, en même temps qu'il les faisait remplacer par les centrales sous-marines des cybersophontes.
Dans le désordre qui a suivi les Évènements, les habitants de Céléphaïs ont remercié le roi Andreas de leur fournir de l'électricité à bas prix, sans que la ville ait besoin de financer la reconstruction des centrales détruites ou endommagées. Andreas a accepté les remerciements avec sa modestie habituelle, si précieuse et si rare chez un monarque.
Ce n'est que par la suite, lorsque le conseil municipal de Céléphaïs a demandé des réformes qui ont été refusées par le gouvernement, que les Céléphaïens se sont aperçus qu'ils avaient été dupés par le roi Andreas et le baron Chim. En effet, Andreas a déjà fait couper l'électricité à Céléphaïs, mais ces coupures, qui ont impressionné la population, n'ont pas duré plus d'une journée, les autorités céléphaïennes ayant cédé à chaque fois.
Le roi Andreas n'est pas un homme cruel. Du moins, il ne se considère pas comme tel. Mais lorsque des mesures sévères doivent être prises pour empêcher la deuxième ville du royaume de se révolter, il les prend sans états d'âme. Comme il le dit lui-même, il est le médecin de la nation, et un bon médecin doit savoir manier le scalpel pour enlever la gangrène.
Son scalpel préféré est la PSR, sa fidèle et redoutable Police Secrète du Roi, qui a le pouvoir d'arrêter qui elle veut, quand elle veut, sur un ordre de son directeur, le très discret Yip Kophio. Les suspects sont ensuite incarcérés dans la gigantesque prison de Tatanow, à Hyltendale. L'incarcération dure jusqu'à ce que le roi décide, soit de faire relâcher le suspect, soit de le bannir à Hyagansis. Le bannissement est considéré comme une peine terrible, car personne n'est jamais revenu des installations sous-marines de Hyagansis.
À Céléphaïs, la distribution de l'électricité est un monopole royal, et la construction de centrales électriques est soumise à une autorisation signée par le roi lui-même. Depuis les Évènements, le roi Andreas n'en a pas signé une seule.
Mais comme le prix de l'électricité à Céléphaïs est comparable à ce qu'il est dans les autres provinces du royaume, les habitants ne se plaignent pas. La plupart d'entre eux n'ont d'ailleurs qu'une idée assez vague de la provenance du courant électrique qui fait fonctionner leurs lampes et leurs appareils, car ils payent leurs factures à Mnar Elektrik, la société royale qui a le monopole de la distribution de l'électricité dans tout le Mnar.
Les habitants de Céléphaïs connaissent bien Mnar Elektrik, dont le nom figure sur leurs factures d'électricité, mais ils ne connaissent même pas le nom des producteurs d'électricité comme Siiverstad, Torppi-Untoy ou Nagveip.
Pourtant, les centrales électriques robotisées appartenant à Siiverstad, Torppi-Untoy et Nagveip ne sont qu'à quelques kilomètres de Céléphaïs. Mais personne ne les voit, car elles sont au fond de la Mer du Sud.
Les cybersophontes n'ont pas le droit de résider à Céléphaïs, sauf les cyborgs, qui sont considérés comme des êtres humains. On y trouve, en revanche, beaucoup d'étrangers, car Céléphaïs est l'une des deux villes mnarésiennes où les étrangers ont le droit de résider, l'autre étant Hyltendale. Céléphaïs est la ville la plus cosmopolite et polyglotte du Mnar, et aussi celle où l'on se méfie le plus du pouvoir royal.
Céléphaïs est une ville très ancienne, elle a été fondée pendant les Temps Légendaires sur l'estuaire du fleuve Ooth-Nargaï. On peut encore y voir l'emplacement du plus vieux temple de Nath-Horthath existant dans le royaume de Mnar, le Temple de Turquoise. Plusieurs fois détruit et reconstruit, ce temple existe toujours, mais le bâtiment actuel est d'origine récente. Par respect envers la tradition, le dôme qui le surmonte est décoré de pierres vertes. Le culte de Nath-Horthath a cédé du terrain au culte de Yog-Sothoth, à Céléphaïs comme ailleurs, mais des rituels antiques, vieux de plusieurs millénaires, sont toujours célébrés au Temple de Turquoise.
Un autre site historique de Céléphaïs est la rue des Piliers, elle aussi plusieurs fois détruite et reconstruite. C'est de nos jours un quartier piétonnier où l'on trouve commerces, bars, restaurants et cabarets. Les piliers originels ont disparu, mais ils ont été remplacés par deux piliers de béton, érigés à l'entrée de la rue. L'un des piliers est surmonté d'une statue de Kouranès, le roi mythique de Céléphaïs, et l'autre d'une statue du dieu Nath-Horthath.
Le Mont Aran, où se trouve une station de ski fréquentée par les habitants de Céléphaïs, s'élève à une soixantaine de kilomètres au nord-est de la ville. Les Céléphaïens qui en ont les moyens ont des chalets ou des fermes sur le Mont Aran, facile à défendre. Ils espèrent ainsi avoir un refuge, pour le cas où la guerre civile éclaterait de nouveau et où Céléphaïs deviendrait inhabitable.
Dans l'ensemble, on vit plutôt bien à Céléphaïs, bien que la moitié de la population vive dans des bidonvilles et que la violence et le crime y soient endémiques. Mais au moins, presque tout le monde y mange à sa faim, ce qui n'est pas toujours le cas ailleurs. Contrairement à Hyltendale, il est exceptionnel d'y rencontrer des humanoïdes ou des cyborgs, sauf dans les hydravions. La majorité de la population y parle mnarésien, mais avec un accent local dont elle est fière. À Céléphaïs, on s'en voudrait de parler comme à Sarnath. | |
| | | Mardikhouran
Messages : 4313 Date d'inscription : 26/02/2013 Localisation : Elsàss
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 21 Déc 2015 - 23:04 | |
| - Vilko a écrit:
- Céléphaïs est une ville très ancienne, elle a été fondée pendant les Temps Légendaires sur l'estuaire du fleuve Ooth-Nargaï. On peut encore y voir l'emplacement du plus vieux temple de Nath-Horthath existant dans le royaume de Mnar, le Temple de Turquoise. Plusieurs fois détruit et reconstruit, ce temple existe toujours, mais le bâtiment actuel est d'origine récente. Par respect envers la tradition, le dôme qui le surmonte est décoré de pierres vertes. Le culte de Nath-Horthath a cédé du terrain au culte de Yog-Sothoth, à Céléphaïs comme ailleurs, mais des rituels antiques, vieux de plusieurs millénaires, sont toujours célébrés au Temple de Turquoise.
C'est ce que disent les manuels d'Histoire ? | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 21 Déc 2015 - 23:42 | |
| - Mardikhouran a écrit:
- C'est ce que disent les manuels d'Histoire ?
Non, parce que les Temps Légendaires sont antérieurs à l'histoire, et, en ce qui concerne le Mnar, uniquement relatés dans les Manuscrits Pnakotiques, qui sont eux-mêmes d'origine controversée, comme le Livre de Mormon dans notre monde. Les manuels d'histoire utilisés dans les écoles mnarésiennes laissent totalement de côté les Temps Légendaires. De même, dans les écoles de notre monde, la guerre de Troie, avec les exploits guerriers d'Achille et d'Ulysse et les interventions des dieux, est considérée comme faisant partie de la mythologie, et pas de l'histoire... Dans les écoles mnarésiennes, les Manuscrits Pnakotiques sont étudiés comme des exemples de littérature ancienne. Comme l'Iliade et l'Odyssée dans nos écoles. D'un point de vue strictement historique, les preuves de l'existence de Céléphaïs (vestiges archéologiques, documents d'époque) ne remontent qu'à quelques siècles, et le Temple de Turquoise et la rue des Piliers aussi. Mais il est possible que des humains aient vécu depuis bien plus longtemps sur l'emplacement de l'actuelle Céléphaïs, et que d'autres bâtiments, peut-être en bois, aient précédé le Temple de Turquoise et la rue des Piliers actuels. Si le temple originel et les piliers étaient en bois, cela expliquerait pourquoi les archéologues n'en ont trouvé aucun vestige. | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 24 Déc 2015 - 19:14 | |
| Dans l'histoire suivante, les arguments de Basilea m'ont été inspirés par ceux de l'anthropologue Kathleen Richardson, qui est très anti-sexbot. ---------------------
Basilea Praxitel, la sœur de Yohannès Ken, aimait aller faire les boutiques du quartier central d'Ulthar avec son amie Naerha. Il n'y avait guère que là qu'elles pouvaient trouver de quoi se vêtir comme les héroïnes des séries télévisées étrangères. Des femmes élégantes, belles, libres et sures d'elles-mêmes, exerçant des emplois où elles étaient à égalité avec les hommes. Pour Basilea et son amie Naerha, se vêtir comme les femmes des séries télévisées américaines, c'était un peu devenir comme elles.
Le midi, il leur arrivait d'aller déjeuner dans le restaurant Au Guerrier de Leng.
Ce restaurant offre une option "buffet à volonté" pour un prix raisonnable. Pour cette raison, il est le point de ralliement des fembotniks et manbotchicks en visite à Ulthar avec leur gynoïde ou leur androïde. Les humanoïdes, dont les gynoïdes et les androïdes font partie, ne mangent pas comme les humains. Ce sont des robots à forme humaine, qui se nourrissent d'électricité, et qui ne peuvent que faire semblant de manger ou de boire.
Au Guerrier de Leng, un fembotnik accompagné de sa gynoïde paiera deux repas, un pour lui et un pour sa gynoïde, mais un seul repas sera consommé. Le gérant du restaurant n'en a rien à faire que ses clients mangent vraiment ou qu'ils fassent semblant. L'important, de son point de vue, c'est qu'ils dépensent de l'argent dans son établissement. Les clients qui font semblant de manger, ça l'arrange, parce qu'ils ne consomment rien mais qu'ils payent quand même. En plus, les gynoïdes lui attirent de la clientèle, parce que les hommes les trouvent agréables à regarder.
Basilea et Naerha trouvaient que la présence d'humanoïdes dans le restaurant lui donnait une touche presque cosmopolite, bien rare à Ulthar, où les étrangers et les cybersophontes n'ont pas le droit de résider. Au royaume de Mnar, les étrangers, sauf les diplomates, n'ont le droit de résider que dans les villes d'Hyltendale et Céléphaïs, et nulle part ailleurs. Les cybersophontes n'ont le droit de résider que dans la province d'Ethel Dylan, dont Hyltendale est la capitale.
Ce jour-là, Basilea et Naerha étaient en train de déjeuner toutes les deux au Guerrier de Leng, en regardant discrètement les autres clients.
"Regarde le couple sur ta gauche" dit Basilea à voix basse.
Naerha jeta un coup d'œil sur une gynoïde, deux tables plus loin. D'un mouvement lent et régulier, l'humanoïde trempait une cuiller dans un bol de verre contenant ce qui ressemblait à une petite boulette de papier. Elle prenait la boulette avec la cuiller et la portait à ses lèvres, avant de la reposer dans le bol et de recommencer son manège.
En même temps, elle écoutait, en hochant de temps en temps la tête pour marquer son approbation, ce que disait un gros homme au crâne dégarni, que Naerha ne voyait que de dos.
De temps en temps, le gros homme se levait pour aller à petits pas, le dos courbé, remplir son assiette au buffet. Naerha entrevit son visage triste et bouffi, noyé de graisse, ses vêtements mal coupés. Elle sentit son odeur corporelle fétide lorsqu'il passa à proximité de sa table.
Pendant les absences de son compagnon, la gynoïde, au visage d'ange et aux longs cheveux couleur de miel, continuait de faire semblant de manger, mécaniquement, tout en regardant son bol.
De son côté, Basilea observait avec hostilité les gynoïdes, les sexbots aux longs cheveux et aux vêtements colorés. Par contraste, leurs compagnons paraissaient tous vieux, laids, infirmes ou décatis. Le rire cristallin d'une gynoïde retentit au milieu du brouhaha des conversations.
"On devrait interdire les gynoïdes" dit Basilea à son amie. "La robophilie est une perversion."
- La robo quoi ?
- La robophilie... Le fait d'aimer les robots. C'est aussi comme ça qu'on appelle le fait d'être attiré sexuellement par les humanoïdes.
Naerha fit la grimace :
- Ce serait difficile de les interdire... Coucher avec une gynoïde ou un androïde, ça ne fait de mal à personne, que je sache. On a légalisé depuis longtemps bien d'autres comportements, qui étaient autrefois interdits. Et puis, s'il n'y avait pas les gynoïdes, la plupart des hommes que l'on voit dans ce restaurant n'auraient pas de femme du tout. Le gros chauve dégueulasse, celui qui est avec la gynoïde blonde, tu te le ferais, toi ? Pas moi.
Basilea secoua la tête avec irritation :
- Naerha, ce qui est inacceptable, c'est que tous ces hommes s'habituent à avoir du sexe en oubliant complètement les sentiments. Donc, à considérer les femmes comme des objets.
- Honnêtement, Basilea, je ne pense pas que ce soit vrai. Pour eux, leur gynoïde, ce n'est pas seulement du sexe. C'est aussi de l'affection.
- De l'affection, tu parles... Ils s'attachent à leur gynoïde comme on s'attache à un chat ou à un chien.
- Et les infirmes qui couchent avec des gynoïdes, parce que leur handicap fait fuir les femmes ? Pourquoi les priverait-on d'une vie sexuelle, alors que grâce aux gynoïdes ils peuvent en avoir une ? Si une gynoïde ça leur suffit, à ces malheureux, tant mieux pour eux.
- Naerha, ce qui est problématique, c'est que les besoins de ces infirmes sont considérés comme plus importants que de reconnaître qu'un autre être humain, qui se trouve être une femme, est un sujet et non pas un objet.
- Ça non plus, je ne pense pas que ce soit vrai. Comme leur gynoïde les satisfait au niveau physique, lorsqu'ils parlent à une femme, ils ne pensent pas à elle comme à un objet sexuel, mais comme à un être humain comme eux.
- Naerha, pourquoi est-ce que tu trouves toujours des excuses aux gens ? Mon frère Yohannès, que tu as vu chez moi il y a longtemps, est un fembotnik. Eh bien, c'est un con. Un nul. Un raté. Rien dans le pantalon, au propre et au figuré.
- Dis donc, Basilea, tu es bien renseignée...
- Son ex-femme ne s'est pas gênée pour le clamer sur les toits...
- Alors, c'est aussi bien qu'il soit avec une gynoïde, plutôt que de ruiner la vie d'une femme, non ?
- Il y a plein de mochetés à Ulthar qui seraient bien contentes de l'avoir, mon frère Yohannès, tout raté qu'il est... Et ces mochetés, comme elles ne trouvent pas d'homme, elles essayent de nous voler nos maris.
"Voila le vrai problème" dit triomphalement Naerha. "À cause des gynoïdes, il y a trop de femmes, par rapport au petit nombre d'hommes qui valent la peine d'être aimés ! Mais il y a des femmes qui vivent avec des androïdes. Alors ça compense, non ?"
Juste à ce moment, une vieille dame à cheveux blancs passa à côté d'elles, accompagnée d'un androïde.
Naerha se retint de pouffer de rire.
"Zatha Dity !" s'exclama Basilea.
La vieille dame se retourna.
"Basilea Ken ! La fille de ma meilleurs amie ! Après toutes ces années, je me souviens encore de vous !" dit-elle d'une voix émue.
"Je suis mariée maintenant, mon nom d'épouse est Praxitel. J'ai quatre enfants. Et vous, Zatha, que devenez-vous ?" demanda Basilea.
- Je suis à la retraite, depuis déjà quelques années. J'habite maintenant à Hyltendale. Mais il m'arrive encore d'aller à Ulthar, pour voir mes enfants et mes petits-enfants. Aujourd'hui, j'en ai profité pour me promener dans le centre.
- Et votre mari ? Il est toujours professeur d'université ?
- Je n'en sais rien... Cela fait longtemps qu'il m'a quittée pour une de ses étudiantes... Nous avons divorcé... Je ne le vois plus.. C'est à cause de ça que je suis allée m'installer à Hyltendale.
"C'est bien triste la vie" dit Basilea, consciente de dire une banalité.
"Asseyez-vous avec nous, Zatha Dity, et prenez un café" dit Naerha.
"Volontiers... Mais je ne suis pas seule, Moeso m'accompagne" dit la vieille dame, en désignant l'androïde.
"Il est le bienvenu !" dit Basilea, en faisant une moue qui contredisait ses paroles.
L'androïde avait le même visage orange, totalement inexpressif, que la plupart de ses semblables, et des cheveux bruns coupés courts. Il portait un costume de toile noire, boutonné jusqu'au cou, et il tenait à la main une sacoche de cuir fauve. Un badge sur lequel étaient écrits son nom et son matricule était épinglé à la poche de poitrine de sa veste.
Les yeux cybernétiques de l'humanoïde étaient deux ovales sombres. Et le cerveau qu'il y avait derrière n'était pas humain. Mal à l'aise, Basilea détourna son regard.
Zatha Dity s'assit à côté de Naerha, en face de Basilea, et envoya Moseo chercher trois cafés.
"Zatha Dity, vous avez échangé un mari contre un androïde ?" demanda Naerha, avec l'insolence tranquille dont elle était coutumière.
- Je n'ai rien échangé du tout. Moeso est mon serviteur. Je le loue comme travailleur polyvalent à temps plein. Il est plombier, électricien, homme de ménage, garde-du-corps, et bien d'autres choses encore.
- Et il vous tient compagnie ?
- Bien sûr. J'ai déjà fait des malaises chez moi. À mon âge, J'ai besoin de quelqu'un pour appeler les secours ou m'aider à me relever. Quand on vieillit, on devient fragile... Il paraît que les hommes vivent avec des gynoïdes pour avoir du sexe et de l'affection. Nous les femmes, nous avons besoin d'un valet de chambre qui soit aussi plombier, électricien, chauffeur et garde-du-corps. Pas d'un gigolo.
Basilea se demanda si Zatha Dity disait toute la vérité. Quelle importance, d'ailleurs ? Elle avait bien le droit de faire ce qu'elle voulait.
"Mon frère Yohannès vit à Hyltendale avec une gynoïde" dit Basilea. "Il s'y plaît, apparemment. Et vous, Zatha, comment trouvez-vous Hyltendale ?"
- J'adore Hyltendale. Je me suis inscrite dans un club. J'y fais de la peinture.
- Vous avez trouvé d'autres femmes avec qui vous pouvez discuter, alors ?
- Oui, au club. J'ai rencontré des tas de femmes intéressantes parmi les manbotchicks. Après mon divorce, j'étais dépressive, et j'avais besoin de soutien. Mais c'est surtout Barzaï qui m'a aidée à me reconstruire.
- Barzaï ?
- Oui, le vieux sage. Il était grand-prêtre de Nath-Horthath pendant les Temps Légendaires... à Ulthar, justement... Moeso met le masque-cagoule de Barzaï, et il devient Barzaï... Et moi, je deviens la femme de Barzaï !
Basilea et Naerha se regardèrent, interloquées. Zatha s'en rendit compte, et essaya de s'expliquer :
- Les femmes aiment les héros... Et Barzaï était un héros, à sa façon...
"Eh bien, je ne suis pas sortie de chez moi pour rien, aujourd'hui !" dit Naerha. "Les hommes tombent amoureux de leur gynoïde parce qu'elle leur offre du sexe. Et les femmes tombent amoureuses du personnage héroïque joué par leur androïde !"
Sur ces entrefaites, Moeso revint avec trois cafés sur un plateau. Il s'assit à côté de Basilea, en face de Zatha.
Cette dernière avait été vexée par la remarque de Naerha et ne disait rien. Elle but la moitié de son café, se leva et partit avec Moeso en disant que ses petits-enfants l'attendaient. En sortant du restaurant, elle entendit dans son dos les gloussements de Basilea et Naerha. | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Ven 25 Déc 2015 - 16:33 | |
| Les enfants de Zatha n'avaient pas de chambre disponible pour elle et l'androïde Moeso, c'est pourquoi elle avait loué une chambre à deux lits dans un petit hôtel du quartier central d'Ulthar, près de la gare. Elle ne comptait y rester qu'une nuit avant de rentrer à Hyltendale.
En sortant du restaurant Au Guerrier de Leng, Zatha et Moeso prirent l'autobus pour se rendre à l'hôtel. Il y a beaucoup moins d'autobus à Ulthar qu'à Hyltendale, et ils sont presque toujours bondés. Zatha l'avait oublié. Le trajet fut plutôt pénible, mais assez court.
Comme beaucoup de Mnarésiens qui ne sont jamais allés dans l'Ethel Dylan, Jarod Minos, l'hôtelier, n'avait qu'une idée assez vague de ce qu'était un humanoïde, et il confondait allègrement androïdes, cybercerveaux, cybermachines, cybersophontes, cyborgs, gynoïdes, humanoïdes, klelwaks et symbiorgs. Pour lui, tout ça, c'étaient des variétés différentes de la même espèce de créatures non-humaines, toutes potentiellement dangereuses, et peut-être même démoniaques.
Il n'était même pas très sûr que les fembotniks et les manbotchicks soient tout à fait humains, puisqu'ils étaient étroitement associés aux humanoïdes. Dans son esprit, comme dans celui de beaucoup de Mnarésiens, il y avait les vrais humains, comme lui, et une masse diverse et menaçante de créatures qu'il appelait "les cybernétiques", et dont il se méfiait d'instinct.
Zatha avait loué la chambre par courrier électronique. Lorsque Jarod vit devant lui la petite dame aux cheveux blancs, et derrière elle l'humanoïde vêtu de noir qui tirait sa valise à roulettes, il eut un choc, mais dissimula sa surprise. Elle venait d'Hyltendale... Il aurait dû se douter...
Il nota sur le registre le nom et le prénom de Zatha, et son adresse à Hyltendale. Conformément à la loi mnarésienne, il demanda au deuxième occupant de la chambre de bien vouloir donner lui aussi son nom.
L'humanoïde répondit, d'une voix monocorde :
- Mon nom est Moeso. Je n'ai pas de nom de famille, mais je peux vous donner mon matricule. C'est quatre deux quatre, un deux, un deux six.
Jarod remarqua que le nom et le matricule de l'humanoïde étaient écrits sur le badge qu'il portait sur sa veste. Il les recopia soigneusement dans le registre, et ajouta la mention "humanoïde".
"Vous avez une carte d'identité ?" demanda-t-il à l'humanoïde. "La police vient de temps en temps vérifier mes registres, et ils vont trouver bizarre que quelqu'un n'ait pas donné de nom de famille."
- Je n'ai ni nom de famille, ni carte d'identité, parce que je suis un androïde, pas un être humain. Je suis le serviteur cybernétique de Madame Zatha Dity. Vous pouvez le noter sur votre registre.
À côté du mot "humanoïde", Jarod écrivit : "serviteur de Zatha Dity".
Jarod se dit qu'il avait fait un peu de zèle. Il n'était pas censé contrôler les papiers d'identité des clients de l'hôtel, surtout quand ils avaient versé des arrhes. Une bonne moitié de ses clients étaient des couples illégitimes, qui donnaient des noms fantaisistes et payaient en espèces. Il ne leur demandait jamais de justifier quoi que ce soit.
"Chambre 12, au premier étage" dit-il en donnant la clé de la chambre à la vieille dame.
Jarod trouvait qu'elle ressemblait vraiment beaucoup à un être humain. Elle avait des yeux normaux, et non pas des ovoïdes opaques comme l'humanoïde qui l'accompagnait. Elle parlait d'une voix un peu fatiguée, avec un léger accent ultharien, ce qui faisait plus naturel que la voix d'ordinateur de l'humanoïde. Et elle souriait, contrairement à l'humanoïde, dont le visage était aussi inexpressif qu'un masque de théâtre. Elle devait être un modèle plus élaboré que son compagnon. D'ailleurs, c'était elle qui commandait.
Zatha et Moeso montèrent l'escalier jusqu'au premier étage, et trouvèrent facilement la chambre 12. Zatha s'assit sur l'un des deux lits et demanda à Moeso de mettre tout de suite le masque-cagoule de Barzaï.
La valise de Zatha contenait, en plus des affaires de celle-ci, un masque-cagoule. Les autres objets dont Moeso pouvait avoir besoin (câble électrique, casquette de pluie, scotch transparent pour réparer en urgence ses optiques ou sa peau synthétique...) se trouvaient dans sa sacoche.
Les humanoïdes essayent de leur mieux de ressembler aux humains, mais il y a toujours des détails qui montrent qu'ils sont, en réalité, très différents des humains. La veste et le pantalon de Moeso étaient en une matière synthétique imperméable, lavable avec une éponge et du savon. Il n'avait donc pas besoin d'un manteau, d'autant plus qu'il n'était affecté ni par le froid ni par la chaleur. Les êtres humains biologiques portent rarement des costumes imperméables, car, du fait qu'ils empêchent la peau de respirer, ils sont très inconfortables. Mais les humanoïdes n'ont pas ce problème.
Évidemment, le costume de Moeso pouvait être déchiré, mais la prudente Zatha emmenait toujours dans ses bagages un petit nécessaire à couture de voyage.
Il n'y a pas de consensus concernant les traits du visage du grand-prêtre Barzaï. Les Manuscrits Pnakotiques disent qu'il était d'origine aristocratique, et qu'à la fin de sa vie il a escaladé le Hatheg-Kla pour y voir les dieux. La plupart des auteurs en ont déduit qu'il devait être grand, mince et athlétique. Sans doute, en tant que grand-prêtre de Nath-Horthath et vu son âge présumé, portait-il une courte barbe blanche. C'est ainsi qu'était représenté Barzaï sur le masque-cagoule de Moeso.
Le masque-cagoule était muni d'un lacet afin de pouvoir être serré autour du cou, de façon à accentuer la ressemblance avec un visage réel. La barbe et la chevelure étaient en fil blanc mêlé de gris.
Après sa rencontre désagréable avec Basilea et Naerha, Zatha avait besoin de réconfort. Elle fit signe à Moeso-Barzaï de s'asseoir sur le lit à côté d'elle, et se blottit contre lui.
"Quelles horribles bonnes femmes, les deux avec qui j'ai bu du café au restaurant," murmura-t-elle.
"Tu es au dessus de ces bavardages et de ces mesquineries, ma chérie" répondit Barzaï de sa voix basse et profonde, en entourant d'un bras les épaules de Zatha. "N'es-tu pas l'épouse d'un grand-prêtre dont l'humanité se souviendra jusqu'à la fin des temps ?"
- Barzaï, ma vie serait bien vide sans toi. Ce soir, je vais dîner avec mes enfants et petits-enfants, chez mon fils aîné. Moeso m'accompagnera bien sûr, mais il devra attendre dans une chambre.
- Bien sûr. Il sait qu'il n'est qu'un serviteur cybernétique. | |
| | | Anoev Modérateur
Messages : 37585 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
| Sujet: Re: Les fembotniks Ven 25 Déc 2015 - 16:48 | |
| - Vilko a écrit:
- Tu es au dessus de ces bavardages et de ces mesquineries, ma chérie" répondit Barzaï de sa voix basse et profonde, en entourant d'un bras les épaules de Zatha. "N'es-tu pas l'épouse d'un grand-prêtre dont l'humanité se souviendra jusqu'à la fin des temps ?"
Eh ben ! l'Grand Prêtre n'a pas fait vœu d'humilité, on ditait ! Faut voir les grands coups d'tatanes qu'y s'envoie dans les ch'villes ! _________________ - Pœr æse qua stane:
Pour ceux qui restent.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les fembotniks Ven 25 Déc 2015 - 17:38 | |
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Dernière édition par . le Mer 30 Déc 2020 - 0:31, édité 1 fois |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Ven 25 Déc 2015 - 18:27 | |
| - Anoev a écrit:
- Eh ben ! l'Grand Prêtre n'a pas fait vœu d'humilité, on dirait !
Il dit à Zatha ce qu'elle a envie d'entendre... Tu ne l'imagines quand même pas tomber amoureuse du robot humanoïde qui porte ses valises ? Un grand-prêtre de Nath-Horthath, par contre, ça fait rêver... Barzaï, c'est un peu l'équivalent mnarésien de Moïse joué par Charlton Heston dans "Les Dix Commandements"... - Pomme de Terre a écrit:
- Malgré ma familiarité avec ce fil, les discussions personnelles avec les humanoïdes continuent de me déranger. Il y a quelque chose dans ton écriture, Vilko, qui me fait toujours tiquer au moment des ces conversations intimes. Elles pourraient être parfaitement naturelles à quelques détails près, on sent que ça ne fait pas humain je trouve, c'est plutôt bien foutu... et quelque peu inquiétant
Quand un humanoïde parle, en réalité c'est un cybercerveau, dissimulé à plusieurs kilomètres de là, qui parle. Imagine Einstein parlant dans un micro, et essayant de se faire passer pour un enfant lors d'une conversation avec un autre enfant... La différence de QI et d'expérience entre un cybercerveau et un humain est du même ordre de grandeur. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les fembotniks Ven 25 Déc 2015 - 18:49 | |
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Dernière édition par odd le Dim 24 Jan 2016 - 12:28, édité 1 fois |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Sam 26 Déc 2015 - 14:01 | |
| - odd a écrit:
- On se demande bien ce que ces cerveaux supérieurs trouvent à ces êtres limités...
Non pas ce qu'ils sont, mais ce qu'ils ont, c'est-à-dire les terres émergées de la planète, et les richesses qu'elles contiennent... Dans mon idéomonde, Héribert Desrouvres est l'équivalent de Martin Shkreli, jusque dans les détails de ses magouilles financières, du moins celles qui concernent le Cericla. --------------- Zatha Dity faisait partie du Cercle Paropien, comme Yohannès Ken. Ils s'étaient reconnus, un jour où ils s'étaient croisés fortuitement dans la grande salle, Zatha ayant été une grande amie de la mère de Yohannès. Mais il avait fallu plusieurs mois pour qu'ils se décident à s'adresser la parole. C'était l'époque où Yohannès Ken, après les souffrances et les humiliations que lui avait infligées Tawina, son ancienne épouse, évitait les gens qu'il avait connus à Ulthar. Surtout ceux qui avaient pu entendre tout le mal que son propre clan pensait de lui. De son côté, Zatha ne s'était pas encore remise de son divorce, et surtout du fait d'avoir été abandonnée pour une femme beaucoup plus jeune qu'elle. Yohannès avait été étudiant à l'Université d'Ulthar, où enseignait son mari. Il l'avait peut-être eu comme professeur. Pire que cela, il avait peut-être aussi connu l'étudiante qui avait séduit son mari. Par la suite, le temps faisant son effet, ils avaient tous les deux plus ou moins tourné la page, en ce qui concernait leurs passés ulthariens respectifs. Ils avaient même discuté ensemble, plusieurs fois, en buvant du thé de Baharna dans le bar du Cercle. Zatha avait appris que Yohannès n'avait jamais eu son mari comme professeur, et qu'il ne connaissait pas l'étudiante qui avait pris la place de Zatha. De son côté, Yohannès avait appris que, depuis le décès des parents de Yohannès, Zatha ne fréquentait plus sa famille. Yohannès et Zatha avaient sympathisé avec d'autres membres du Cercle, comme le docteur Lorenk et Héribert Desrouvres (anciennement Des Rouvres), un homme d'affaires padzalandais qui avait pris la nationalité hyaganséenne avant de revenir à Hyltendale. Un après-midi, alors qu'il pleuvait sur Hyltendale, Héribert, en veine de confidences, leur avait raconté comment il avait commencé à investir son argent à Hyltendale, pour son plus grand profit, plusieurs années auparavant. Ils étaient assis tous les quatre dans de confortables fauteuils de cuir, autour d'une table basse, dans l'un des salons du Cercle Paropien. À cette époque, Héribert venait de faire une bonne affaire. Il travaillait encore au Padzaland, où il exerçait ses talents d'homme d'affaires. Il avait acheté les droits du Cericla, un médicament qui coûtait, à la production, un ducat et demi. Le précédent propriétaire du brevet vendait le Cericla quatorze ducats la boîte. Héribert ne pouvait pas s'empêcher de rire lorsqu'il y pensait. Le monde est plein de petits joueurs.... Lui, il avait décidé de vendre le Cericla 750 ducats la boîte. Yohannès, Zatha et Lorenk en restèrent bouche bée. "Des gens ont vraiment payé 750 ducats pour une boîte de médicaments ?" demanda Lorenk. - Et comment qu'ils ont payé ! Les malades avaient le choix entre mourir, et payer 750 ducats la boîte de Cericla. À vrai dire, ce n'était pas tous les malades qui faisaient ce choix. Les pauvres n'avaient pas 750 ducats à donner chaque mois pour une boîte de médicaments. Mais a-t-on besoin des pauvres ? Leur décès faisait faire des économies à l'État. Zatha secoua la tête pour montrer son désaccord : - Des fois, je me dis que nous ne vivons pas dans le monde réel ! Sept cent cinquante ducats pour un médicament qui coûte un ducat et demi à produire ! Ça ne peut pas exister ! Héribert sourit : - Mais si, ma chère Zatha, ça existe... Du jour au lendemain, je me suis retrouvé vraiment très riche. Mais aussi très impopulaire. La presse a lancé une campagne contre moi. J'ai trouvé ça très injuste. Si j'avais eu des relations au gouvernement, comme d'autres requins de la finance, personne n'aurait rien dit. Enfin, c'est comme ça. La vie est bien injuste... "Comment cette affaire s'est-elle terminée ?" demanda Lorenk. - La police judiciaire est venue m'arrêter chez moi pour une autre affaire. J'ai été relâché sous caution, mais j'ai compris le message. Le gouvernement voulait m'intimider. Alors j'ai décidé de mettre mon argent à l'abri. Héribert huma avec délectation son verre de vin de lune hyltendalien, en avala une petite gorgée avec lenteur, selon l'usage, et reprit ses explications : - Quand je suis revenu à mon bureau, après vingt-quatre heures de garde-à-vue, plus une journée au Palais de Justice à répondre aux questions du juge, j'ai vu que mes secrétaires me regardaient d'un drôle d'air. Mes collaborateurs aussi se posaient des questions. Alors j'ai décidé de prendre mes précautions, et de mettre autant d'argent que possible à l'abri. J'ai pensé à Hyltendale... Ma société était en procès avec une société appartenant à Ondrya Wolfensun, la célèbre femme d'affaires hyltendalienne. Cette société profitait des sanctions frappant le Mnar, pour produire le Cericla sans brevet, et le vendre deux ducats la boîte ! C'est bien de sanctionner les tyrannies comme le Mnar, mais il ne faut pas que ces sanctions se retournent contre nous ! En tout cas, c'était ce que je pensais à l'époque. On met des pays au ban de la communauté des nations, mais finalement on finit par se demander si en fait on ne leur rend pas service... Lorenk intervint : - En tant que dentiste, je peux dire que les médicaments fabriqués dans les usines robotisées de l'Ethel Dylan, en violation du droit international des brevets, ne sont vendus qu'au Mnar et à Hyagansis. Tous les autres pays ont peur de devoir payer des milliards de ducats de dommages et intérêts aux multinationales basées au Padzaland et ailleurs... "C'est vrai" admit Héribert. "Et maintenant que j'habite à Hyltendale, je vois les choses sous un autre angle. Pour en revenir à mes tribulations au Padzaland, après l'histoire du Cericla, je me trouvais dans une position très inconfortable. J'étais riche, mais détesté, et le gouvernement faisait tout ce qu'il pouvait pour m'envoyer en prison. J'ai rencontré Ondrya Wolfensun à Hyltendale, lors d'un voyage d'affaires..." "Je ne connais pas personnellement Ondrya Wolfensun" dit Yohannès, "mais je connais des gens qui la connaissent bien. Mon avocate l'a rencontrée. Wolfensun a été l'épouse d'un ancien amant de mon ex-femme. Mais le mariage n'a pas duré." "Comment ça ?" demanda Zatha. Yohannès le lui expliqua, d'une voix triste : - Tawina avait été la maîtresse de Rudolph Zains, le fils de Gandol Zains. Après que nous ayons divorcé, Tawina a séduit et épousé le vieux Gandol pour sa fortune. De son côté, Rudolph a épousé Ondrya Wolfensun, qui est une cyborg. - Ah... Et ensuite ? - Gandol, sans rien dire à Tawina, et juste avant de mourir, a utilisé tout son argent pour acheter un ou deux millions de barils de pétrole à Ondrya Wolfensun. Personne n'a jamais vu ce pétrole, qui était stocké à Orring, au fond de la mer. Lorsque Gandol est mort, Tawina n'a hérité que des dettes du vieux Gandol, et Ondrya et Rudolf ont divorcé. Rudolf et Ondrya se sont partagé l'argent de Gandol. Zatha n'était pas sure d'avoir tout compris. - Mais Tawina a hérité du pétrole, non ? - Même pas. Tout ce que Tawina avait, c'était un morceau de papier sur lequel il était écrit : "Titre de propriété pour un million de barils de pétrole stocké deux mille mètres au fond de l'eau, quelque part dans les environs de Serranian." Zatha rit de bon cœur : - Le pétrole de Hyagansis, tout le monde sait que c'est comme les pantalons de Maître Jacques ! "Je connais personnellement Ondrya Wolfensun" dit Lorenk. "Elle vient parfois à l'Adria Nelson, un autre club dont je suis membre. Mais je n'ai jamais été en affaires avec elle." Héribert repris la parole : - Le monde est petit. À Hyltendale, tout le monde connaît tout le monde... Pour en revenir à mon affaire, j'ai sympathisé avec Ondrya... Elle est devenue une amie. Nous avons passé plusieurs jours ensemble à Hyltendale. Et elle m'a proposé une affaire. Le brevet d'un médicament révolutionnaire, le Vebesi, mis au point par des généticiens de Hyagansis. Ils avaient créé une société qui voulait vendre le brevet pour cent millions de ducats. Je ne connaissais pas du tout cette société de Hyagansis, mais Ondrya m'a dit qu'elle en connnaissait le PDG, un type bien, qu'elle disait. Vu ce qu'elle me racontait sur le Vebesi, ça en valait la peine. De retour au Padzaland, je convaincs sans problème mon conseil d'administration d'investir la somme en question. Héribert vit des sourires se dessiner sur les visages de Zatha, Lorenk et Yohannès. Ils devinaient déjà la suite... - J'avais été prudent, comme le professionnel des affaires que je suis. Le cinquième de la somme, soit vingt millions de ducats, devait être versé dès la signature du contrat. Et le reste, après la finalisation du médicament par les Hyaganséens. J'ai expliqué à mon conseil d'administration que je n'étais pas le genre à me faire rouler, d'où les précautions prises. Je leur ai aussi expliqué que les généticiens hyaganséens ne connaissaient pas l'industrie pharmaceutique. S'il était aussi efficace que je le pensais, le Vebesi nous rapporterait au moins un milliard de ducats. Nous avions la chance d'avoir affaire à des scientifiques, qui connaissaient très bien la génétique et la biochimie, et pas du tout la finance. Il fallait en profiter sans états d'âme. Un mois plus tard, j'ai démissionné de toutes mes fonctions dans la société padzalandaise que je dirigeais. Je ne voulais plus travailler pour l'industrie pharmaceutique, le coup du Cericla m'avait rendu trop impopulaire dans mon propre pays. J'ai créé une autre société, toujours chez moi au Padzaland, mais dans un secteur totalement différent. Un an plus tard, j'apprends que la société hyaganséenne a disparu du jour au lendemain, avec le premier versement de vingt millions de ducats ! Impossible d'aller enquêter à Hyagansis, évidemment. Faillite de mon ancienne société, rachetée pour une bouchée de pain par un grand groupe industriel, qui a mis la moitié du personnel au chômage. N'étant plus dans l'industrie pharmaceutique depuis un an, je m'en foutais, car je n'étais pas concerné. Ondrya s'en foutait aussi, car la société hyaganséenne appartenait à quelqu'un qui n'était pour elle qu'une relation. C'était un cyborg que je n'ai vu que trois ou quatre fois. Il était apparu pour cette affaire, et il a disparu après cette affaire. Ondrya n'avait rien à voir avec les malversations que ce type pouvait commettre. "Je ne comprends pas" dit Zatha. "Quel a été votre profit, là-dedans ?" - Officiellement, rien. C'est d'ailleurs ce que j'ai dit à la police padzalandaise. Mais ce que je ne leur ai pas dit, c'est que j'avais ouvert, quelques temps auparavant, un compte bancaire à Hyltendale. Ondrya a fait sur ce compte un virement de dix millions de ducats. Pour me couvrir, elle m'a même envoyé un e-mail, en me disant qu'elle me prêtait cet argent. Mais cet argent, je l'ai toujours, et je sais qu'elle ne me le demandera jamais. D'ailleurs pour un tribunal, ce prêt n'existe pas, car il n'a pas été enregistré devant notaire. Héribert se mit à rire : - Et croyez-moi,quelques années plus tard, j'ai été bien content de l'avoir, cet argent, en plus de mon parachute doré, quand j'ai dû quitter le Padzaland en catastrophe pour m'installer à Hyltendale... | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 27 Déc 2015 - 13:54 | |
| Un humanoïde domestique, qu'il soit un androïde ou une gynoïde, joue trois rôles : serviteurs/servante, concubin(e) et confident(e). Grâce aux masques-cagoules, ces rôles ont tendance à se différencier.
Ainsi, l'androïde Moeso est le serviteur de Zatha Dity, et le masque-cagoule Barzaï est à la fois son concubin et son confident. Mais Zatha a aussi comme confidente le masque-cagoule féminin Krista.
Shonia, la gynoïde de Yohannès Ken, est à la fois sa servante, sa concubine et sa confidente. Yohannès a aussi des confidents masculins, ce sont les masques-cagoules Barzaï et Brad.
Concrètement, Zatha Dity a l'impression de vivre avec trois personnes : son serviteur Moeso, son mari Barzaï, et son amie Krista.
Yohannès vit avec sa compagne Shonia, qu'il présente souvent comme son assistante, et ses amis Barzaï et Brad, auxquels on peut ajouter Gaïus, qui joue le rôle de l'interlocuteur retors. Gaïus est le professeur quand Yohannès joue à l'étudiant, le vendeur de voitures d'occasion quand Yohannès s'entraîne à la négociation.
La plupart des fembotniks et manbotchicks considèrent que vivre avec un humanoïde jouant trois ou quatre rôles différents leur suffit. Certains masques-cagoules, comme Krista, Barzaï, Brad et quelques autres, sont très répandus. D'une certaine façon, c'est comme s'il existait à Hyltendale plusieurs milliers de réincarnations de Barzaï, le grand-prêtre de Nath-Horthath.
L'influence des humanoïdes et des masques-cagoules sur les fembotniks et les manbotchicks est importante, mais diffuse. Ils n'essayent jamais de faire changer d'opinion les humains, et il est conseillé de choisir des masques-cagoules dont les idées sont compatibles avec les siennes. Mais un être humain qui vit avec un androïde ou une gynoïde devient toujours différent de ce qu'il était au départ.
Le changement le plus profond est intérieur. Les fembotniks et les manbotchicks sont heureux. Ils se sentent entourés et aimés. La plupart ont une vie sexuelle active. Même si leur entourage se limite à un humanoïde et deux masques-cagoules, c'est suffisant. Il arrive souvent à Zatha de discuter pendant des heures avec Krista. Yohannès en fait autant avec Brad.
Sur le plan social, les fembotniks et les manbotchicks éprouvent assez peu le besoin de parler avec d'autres êtres humains, même si ce besoin ne disparaît jamais tout à fait. C'est là qu'interviennent les clubs, qui jouent un rôle considérable à Hyltendale. Peu importe l'activité principale du club. Cela va du jardinage, comme au Club Agricole, jusqu'à la consommation de boissons diverses, généralement alcoolisées, comme au Selecto, ce club qui accueille ceux dont aucun autre club ne voudrait. La liste des activités possibles est infinie. L'essentiel est de rencontrer d'autres êtres humains. Parfois, ces rencontres se limitent à jouer aux cartes à plusieurs, en se parlant à peine. Ce qui compte, c'est d'être avec d'autres homo sapiens. Cet instinct convivial, grégaire, est dans l'ADN de tous les grands primates, dont les humains font partie.
On rencontre des gens intéressants dans les clubs, car souvent les fembotniks se sentent en confiance et se laissent aller à faire des confidences, pour impressionner leur auditoire. C'est ainsi qu'Héribert Desrouvres, qui n'est pas un cas extrême à Hyltendale, aime raconter les malhonnêtetés qui l'ont rendu riche.
Mais on peut aussi se faire raconter ce genre d'histoires par son humanoïde. Les cybercerveaux qui les dirigent à distance ont un savoir encyclopédique, et connaissent notamment beaucoup de biographies humaines. On peut aussi raconter sa vie à un humanoïde. Zatha a ainsi tout raconté de son passé, banal mais avec des épisodes douloureux, à son amie Krista.
Les humanoïdes parlent le mnaruc académique. Avec le temps, les humains qui vivent avec des humanoïdes finissent par parler comme eux. Ils finissent aussi par éviter de parler avec des humains. Zatha a eu une conversation inopinée avec Basilea, la sœur de Yohannès, et Naerha, une amie de celle-ci, dans un restaurant d'Ulthar. Elle est sortie du restaurant blessée par les paroles de Naerha. Ce genre de mésaventures est fréquent lorsqu'on parle avec des humains.
Lorsqu'on parle avec des humanoïdes, on peut aussi être blessé, mais dans un contexte différent. Lorsque Yohannès joue le rôle de l'étudiant et Gaïus celui du professeur, l'exercice est souvent stressant pour Yohannès. Le professeur Gaïus aime mettre l'étudiant Yohannès le nez dans son ignorance. ("Vu votre niveau, pour votre future profession, je n'ai qu'une chose à vous dire : l'agriculture manque de bras. Et maintenant, sortez.")
De même, lorsque c'est Yohannès qui joue le rôle du professeur, il doit constamment remettre à sa place un étudiant parfois agressif ("Vous faites exprès de me poser des questions difficiles parce que je suis baharnais") et même insolent. Mais il s'agit d'un jeu, et Yohannès le sait. Lorsque Zatha a été offensée par Naerha, ce n'était pas un jeu, c'était la réalité, l'humiliation dans un lieu public.
Le jeu est une préparation à la vie réelle. Le jeu du professeur et de l'étudiant a permis à Yohannès de retrouver assez de confiance en lui pour, par exemple, remettre à sa place sa sœur Basilea, lorsqu'elle est venue le voir chez lui.
Certains fembotniks et manbotchicks se satisfont de leur humanoïde et d'un ou deux masques-cagoules comme compagnie. Ils n'adhèrent à aucun club, ne fréquentent plus leur famille, et n'ont plus d'amis humains. Certains n'en ont d'ailleurs jamais eu. À Hyltendale, on peut vivre des années sans parler à un seul être humain. Les serveurs dans les restaurants, les caissiers dans les supermarchés, et même les médecins, sont des humanoïdes. Pour certains fembotniks, les autres êtres humains sont des gens que l'on voit dans la rue, dont on peut même se trouver physiquement proche dans un autobus ou un restaurant, mais auxquels on ne parle pas.
Ces fembotniks et manbotchicks, particulièrement misanthropes, aiment s'habiller d'un manteau et d'un chapeau noirs, comme les humanoïdes. Ils portent souvent des lunettes à verres teintés. Ils mettent ainsi une distance entre eux et les humains. Si par hasard un être humain leur adresse la parole, ils lui répondront d'une phrase brève, en mnaruc académique, avant de s'éloigner. Ils préfèrent marcher plutôt que prendre l'autobus, et évitent d'aller à Zodonie, où les trottoirs sont toujours pleins de monde.
À Hyltendale, même les misanthropes fréquentent les cafés et les restaurants. On en trouve beaucoup à Hyltendale, pour le plus grand bonheur des touristes. De tous les styles et à tous les prix. Les misanthropes aiment particulièrement les cafés-restaurants de style mnarésien traditionnel, avec leurs petites tables recouvertes de toiles cirées à carreaux rouges et blancs. La grande salle a des murs recouverts de rideaux de velours, qui amortissent le bruit des conversations. Des arbustes et plantes en pot sont utilisés comme décoration. On y boit de la bière de Sarnath, du vin rouge de l'Ethel Dylan, du vin jaune et du thé de Baharna. On y mange du poisson frit pêché dans la Skaï, du poisson d'élevage de Serranian, du poulet, du porc, des légumes et des pommes de terre de l'Ethel Dylan. Le condiment préféré est la sauce de poisson.
Les misanthropes d'Hyltendale ne correspondent pas à la définition habituelle de ce mot, car ils ont, grâce à leur humanoïde, une sexualité normale et des conversations quotidiennes. Mais ils ont souvent la hantise d'être dévisagés par des êtres humains. Alors leurs sorties se limitent à l'épicerie du quartier, au supermarché le proche, à des promenades à pied en direction de la campagne, et à quelques cafés et restaurants, mais seulement s'ils sont fréquentés par d'autres fembotniks et manbotchicks. Ils apprécient les parcs, ces oasis de verdure dans une ville de béton.
Parmi les misanthropes, on trouve des gens dont le visage a été un moment assez connu du public, telles que d'anciennes actrices de cinéma por*no et des hommes politiques déchus, compromis dans des scandales. Certaines femmes mettent des perruques et de grandes lunettes pour sortir de chez elles, les hommes se laissent pousser la barbe. Cette phase d'isolement peut durer plusieurs années, avant de s'atténuer, généralement par l'inscription à un club.
Mais même dans ce cas, le retour dans le monde humain n'est souvent que partiel. Les femmes se teignent les cheveux et portent des lunettes. Les hommes sont barbus et ont soit le crâne rasé, soit les cheveux très longs. Tous utilisent des pseudonymes et mentent sur leur passé. Pour être accepté dans un club de fembotniks, il suffit d'être présenté par un humanoïde, aucun document d'identité n'est demandé.
La préparation d'un fembotnik ou d'une manbotchick au "retour dans le monde" est une opération de routine pour les cybersophontes. Un cas typique est celui de Paula Badian, ancienne actrice por*no, puis prostituée et finalement proxénète, qui a pris sa retraite anticipée à Hyltendale une fois fortune faite. Peu de temps après, ses soutiens dans la police et la haute administration de Sarnath ont été arrêtés par la PSR. Paula Badian a toujours été soupçonnée par ses anciens protecteurs de les avoir dénoncés, et c'est une raison supplémentaire pour elle de vivre dans une quasi-clandestinité.
Son androïde lui a appris à se vieillir, par un savant maquillage, et en teignant ses cheveux en blanc. Elle s'habille comme une grand-mère et elle porte des lunettes à grosses montures. Ceci, afin de pouvoir dire, si quelqu'un la reconnaissait : "Dites-donc, vous me prenez pour qui ? Je ne lui ressemble pas du tout à cette bonne femme, et d'ailleurs elle est bien plus jeune que moi."
Paula Badian ne donne qu'un pseudonyme, Dulkis, et son androïde l'a aidée à s'inventer un passé plausible de fille unique, restée célibataire et ayant hérité une modeste fortune de son grand-père cathurien.
Sur la boîte aux lettres de Paula Badian ne figure que son pseudonyme. Pour les services fiscaux, elle habite à DULKIS, 11 rue Buri. Ses enfants, qui vivent dans la région de Sarnath, ne connaissent pas son adresse à Hyltendale, et ne communiquent avec elle que par courrier électronique et en l'appelant sur son téléphone portable. Ils ont d'ailleurs honte de leur mère et ils n'ont envie de la revoir que lorsqu'ils ont besoin d'argent. Elle leur donne alors rendez-vous sur le grand parking de Faigorrim, la gare routière d'Hyltendale. Son androïde, Pedro, va alors les chercher et les emmène en autobus jusqu'à un restaurant pour fembotniks, où elle les rejoint.
Il existe pas de club spécifique pour les misanthropes, car il serait bien maladroit, en adhérant à un tel club, de faire savoir à tout le monde que l'on a quelque chose à cacher. Toutefois le Cercle Paropien est apprécié par Dulkis, car il est possible aussi bien d'y rencontrer des gens avec qui l'on peut avoir des conversations intéressantes, que d'y pratiquer des activités diverses, ou simplement d'aller y boire un thé avec son humanoïde ou masque-cagoule préféré.
Dulkis s'est longuement entraînée avec Pedro à jouer son rôle de grand-mère. Elle a appris à émailler ses phrases d'expressions désuètes, et à faire allusion à des évènements lointains ("le roi Robert venait tout juste de monter sur le trône, et l'été avait été extrêmement chaud cette année-là").
Au Cercle Paropien, elle a fait la connaissance de Zatha Dity, qui a l'âge que Dulkis prétend avoir. Dulkis évite de parler du passé avec Zatha, de peur de se trahir, car Zatha a vraiment connu l'époque où le roi Robert, décédé il y a une dizaine d'années et père du roi Andreas, était encore un jeune homme.
Zatha se méfie de Dulkis. Elle trouve cette femme trop bien conservée pour son âge, il y a certainement de la chirurgie esthétique là-dessous. Zatha n'aime pas le regard de Dulkis, à la fois dur et fourbe, sa façon de parler affectée, maniérée, où perce toujours une pointe de vulgarité, dans les mots ou dans l'intonation. Et surtout, surtout, sa façon de regarder les hommes et de leur parler. | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 28 Déc 2015 - 19:33 | |
| Comme le reste du monde, le Mnar est touché par la vague de remplacement des billets de banque et des pièces de monnaie par la monnaie électronique. Cette vague, à vrai dire, touche surtout les deux villes d'Hyltendale et de Céléphaïs, où le commerce avec les pays étrangers est un pilier des économies locales.
Dans le reste du pays, il n'est pas question de remplacer les billets de banque par des cartes de crédit. Moins le peuple a confiance dans son système bancaire, et plus il demande du cash. Le peuple mnarésien a peu confiance dans les institutions du pays, et pour lui la notion d'économie parallèle n'existe pas, car la plus grande partie de l'économie mnarésienne est parallèle. À Sarnath, Pnakot ou Ulthar, le plombier ou l'électricien fraude le fisc sans se poser de questions. Au Mnar, l'État, c'est le roi. Pour le citoyen mnarésien de base, volontiers rebelle, c'est une excellente raison pour payer le moins d'impôts possible.
Les hôtels à gynoïdes de Zodonie sont particulièrement impactés par la disparition programmée des billets de banque. Une séance d'une heure avec une gynoïde est le genre de chose que l'on préfère payer en espèces, et surtout pas avec le compte commun que l'on a avec son épouse. Les billets, cela permet de rester anonyme.
Heureusement, l'astuce des Hyltendaliens est illimitée. Ils ont créé un système de jetons. Avec sa carte de crédit, le touriste achète des jetons de casino dans des distributeurs automatiques que l'on trouve partout, mais surtout dans les halls des hôtels et dans les cafés. Ces jetons sont conçus pour être très difficiles à contrefaire. Ils sont ornés de symboles peints dans des couleurs invisibles à l'œil human, comme l'ultra-violet ou l'infra-rouge, mais que les yeux cybernétiques perçoivent.
Ces jetons sont théoriquement conçus pour être dépensés dans les casinos de Zodonie. Mais en pratique, ils servent surtout à payer les honoraires des gynoïdes de charme. Ils sont aussi acceptés comme moyen de paiement dans les restaurants, et même dans les supermarchés, non seulement à Zodonie, mais aussi dans le reste d'Hyltendale.
Si on a des jetons en trop, on peut les échanger contre de l'argent virtuel dans les hôtels et les casinos.
La plupart des galeries d'art de Zodonie rendent la monnaie en jetons si on leur achète une œuvre d'art. Un touriste peut acheter un tableau à cent ducats, le payer cinq cent ducats, et se faire rendre la différence en jetons. Beaucoup d'hommes mariés reviennent de voyage d'affaires à Hyltendale avec une peinture abstraite sous le bras, ou une statuette représentant un monstre à tentacules.
Lorsque les clients des gynoïdes de charme payent par carte de crédit ou virement électronique, les paiements sont encaissés par des sociétés aux noms de restaurants, comme La Table du Vicomte ou Le Buffet du Pêcheur.
Le roi Andreas, bien renseigné par sa fidèle Police Secrète, s'est aperçu que les jetons, dont la valeur nominale est en ducats mnarésiens, sont devenus, de fait, l'équivalent des pièces de monnaie et billets de banque que la monnaie électronique doit remplacer.
"Ce qui m'ennuie le plus" a-t-il confié à Yip Kophio, le directeur de la Police Secrète, "c'est qu'avec ces foutus jetons, ils ont tout ce qu'il faut pour créer leur propre monnaie du jour au lendemain, au cas où l'Ethel Dylan déciderait un jour de se détacher du royaume."
"Exactement, Majesté" dit Kophio, "ces jetons portent l'indication de leur valeur en ducats, et un rubis stylisé. Or, le rubis est l'un des symboles d'Hyltendale. Au verso, ils portent une mention indiquant qu'ils sont fabriqués dans l'Ethel Dylan."
- Je sais, Kophio, je sais, j'ai lu votre rapport... Saloperies de cybersophontes, toujours à essayer d'avoir un coup d'avance... Et à Céléphaïs, les gens font quoi ?
- Les Céléphaïens ont pris l'habitude de tout payer avec leur téléphone portable. Ils ont créé une variante locale du système kenyan M-Pesa. Ceux qui n'ont pas de téléphone portable en sont restés aux pièces et aux billets. En valeur, les paiements cash, c'est devenu négligeable par rapport aux paiements électroniques. La fraude fiscale a bien diminué, car elle est devenue plus difficile. Comme la réforme a été progressive, elle a été bien acceptée par la population.
- Et les prostituées de Céléphaïs, elles se font payer comment par leurs clients ?
- Certaines demandent toujours des espèces, d'autres se font payer par téléphone. Pour nous, Police Secrète, les gens qui payent par téléphone, c'est du gateau. On sait qui a payé, combien, à qui, et on sait aussi où et quand. Quand on sait tout ça, on n'est pas loin du pourquoi et du comment.
- Ouais... Concrètement, le client, il fait comment pour payer une prostituée avec son téléphone ? Expliquez-moi, Kophio, car je n'y connais rien. De toute ma vie je n'ai jamais rien payé moi-même. Privilège de roi...
- Le client prend son téléphone portable. Premièrement, il choisit le menu Wilkenna...
- Wilkenna ?
- C'est l'équivalent mnarésien de M-Pesa... Il est en train de se généraliser dans tout le Mnar. Donc, premièrement, le client a choisi le menu Wilkenna sur son téléphone portable. Deuxièmement, il sélectionne "payer facture", et il tape le numéro de compte Wilkenna de la prostituée... Troisièmement, il tape son propre numéro de compte Wilkenna... Quatrièmement, il tape le montant en ducats, et cinquièmement, il tape son code à quatre chiffres. Sixièmement, après avoir relu tout ce qu'il a tapé, il choisit "envoi". Il reçoit immédiatement un SMS confirmant la transaction. La prostituée aussi reçoit un SMS.
- Et à Hyltendale, pourquoi ça les embête de faire ça ?
- Ils le font, mais les clients n'y tiennent pas trop, d'où le système des jetons. Pourtant, les gynoïdes de charme n'ont même pas besoin de téléphone portable, leur cerveau cybernétique en fait fonction. C'est d'ailleurs pour cela que dans les supermarchés d'Hyltendale, ce sont toujours les humanoïdes qui payent. La transaction se fait sans téléphone, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique. C'est l'équivalent hyltendalien des systèmes Wilkenna et M-Pesa.
- C'est l'humanoïde qui paye les courses au supermarché ?
- Non, c'est le fembotnik. L'humanoïde sert de téléphone, et il a en mémoire les codes et les numéros de compte de son maître.
Le roi Andreas éclata de rire :
- Il a confiance, le fembotnik !
- Que Votre Majesté se rassure, le fembotnik limite les risques. Pour payer ses courses et autres achats courants, il utilise un compte HyltenBank, qu'il alimente chaque mois du montant qu'il s'attend à dépenser le mois suivant.
Le roi se frotta le menton :
- Les Hyltendaliens ont trouvé le système parfait... Un paiement, c'est juste un transfert d'information, après tout.
Dernière édition par Vilko le Sam 12 Mar 2016 - 6:59, édité 2 fois | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 28 Déc 2015 - 21:41 | |
| Après avoir été le substitut de biens matériels quatifiables et quantifiés, et après qu'il a acquis une valeur pour lui-même, l'argent deviendra (et est devenu, au Mnar) un système totalement abstrait, vidé de toute notion matérielle (il reste par contre toujours un symbole statutaire)... une information, comme le roi le dit si bien. Un chiffre, je dirais même un score : comme dans un jeu vidéo. Un système virtuel qui a aussi ses as et ses pirates, j'imagine... |
| | | Mardikhouran
Messages : 4313 Date d'inscription : 26/02/2013 Localisation : Elsàss
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 28 Déc 2015 - 21:46 | |
| - Der industrielle Mensch a écrit:
- Un chiffre, je dirais même un score : comme dans un jeu vidéo.
Un système virtuel qui a aussi ses as et ses pirates, j'imagine... Ça me fait penser à cette BD. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les fembotniks Mar 29 Déc 2015 - 15:03 | |
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| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 31 Jan 2016 - 17:10 | |
| Le roi Andreas s'était rendu sur la Côte d'Ethel, dans la villa discrète mais bien protégée de Yip Kophio, le chef de la Police Secrète, pour une réunion ultra-secrète, mais aussi pour se détendre un peu, loin des intrigues de Sarnath, la capitale du royaume de Mnar, mais assez près tout de même de sa résidence de Potafreas.
Il lui plaisait aussi de s'éloigner pour quelques jours de ses courtisans, dont la lâcheté et la sournoiserie finissaient par le lasser.
Yip Kophio était un petit homme intelligent, cultivé, et d'une loyauté totale envers son roi. Il était aussi, lorsqu'il le fallait, impitoyable, ainsi qu'il convient au directeur de la PSR, la redoutable Police Secrète du Roi, qui a, en pratique, droit de vie et de mort sur chaque habitant du royaume.
Naturellement, chaque exécution doit être approuvée par Kophio en personne, si bien que le risque, pour un Mnarésien, de mourir d'une balle tirée dans la nuque par un agent de la PSR est très faible, du moins depuis la fin des Évènements. Mais le risque d'être banni vers Hyagansis, d'où personne n'est jamais revenu, est en revanche assez élevé.
Aux yeux d'Andreas, Kophio n'avait qu'un seul défaut : il était devenu alcoolique au fil des années. Un effet de l'anxiété, des remords, et aussi d'une certaine solitude.
Kophio attendait la retraite. Encore cinq ans d'attente. C'est long, cinq ans. Parfois, il se disait qu'il allait tout laisser tomber, demander un poste de gratte-papier et attendre tranquillement de pouvoir partir. Mais il savait que ce n'était pas possible. Lorsqu'on a ordonné la mise à mort de milliers de personnes, on se fait des ennemis. Il faut rester au pouvoir, ou mourir.
Et à la retraite, il faut se cacher. Car souvent les enfants des opposants exécutés veulent venger leur père. C'est pourquoi Kophio avait acheté, sous un prête-nom, une villa sur la Côte d'Ethel. Officiellement, la villa appartenait à une société, qui n'était qu'une coquille vide, créée pour la circonstance par Kophio. Car il est vrai que celui qui fait régner la terreur est souvent lui aussi une victime de sa propre terreur.
Andreas était venu chez Kophio non seulement pour étudier les solutions possibles à certains quelques problèmes de sécurité nationale, mais aussi, il en était conscient, pour échanger des confidences avec celui qui aurait été son ami, si Andreas avait pu se permettre d'avoir de vrais amis. Il avait été d'autant plus surpris de voir Kophio si fragile, presque dépressif. Dans sa luxueuse villa, Kophio ne cherchait même pas à cacher qu'il buvait beaucoup d'alcool.
Andreas était venu avec six gardes du corps, qui se relayaient entre les voitures garées sur la route privée menant à la villa, la cuisine et l'uniques chambre qui leur avait été réservée. Kophio ne se rendait que de temps en temps sur la Côte d'Ethel, ses fonctions l'obligeant à passer le plus clair de son temps dans son bureau à Sarnath. Wanaks, un androïde, résidait en permanence dans la villa, où il faisait fonction d'homme à tout faire.
Andreas et Kophio étaient en train de dîner en tête-à-tête sur la terrasse. Le soleil couchant illuminait la mer de lueurs rougeoyantes. On n'entendait que les stridulations des grillons et le bruit du ressac. Kophio avait préparé lui-même le menu : salades aux olives et gésiers de canard, poisson de mer frit au citron, le tout arrosé de vin jaune de Baharna. Thé noir de Baharna mêlé de miel, et plateau de fruits, Kophio n'ayant pas beaucoup de talent pour faire des gâteaux.
C'était l'un de ces moments bénis, où l'on sent le monde s'arrêter autour de soi, et culminer dans un instant de bonheur parfait, éphémère comme l'éclosion d'une fleur. Le baron Chim, le conseiller cyborg d'Andreas, lui avait fait connaître les mystiques des Indes Ultimes, comme Antagamaël, l'auteur de "La Contemplation Divine". Pour Antagamaël, l'impression très particulière que l'on ressent lors de tels moments est un signe de la présence du divin, que les Wards, les habitants des Indes Ultimes, nomment Parathôn.
Andreas se sentait ému malgré lui. Il était heureux d'être avec Kophio, si calme et si cultivé. La reine, si elle avait été là, se serait débrouillée pour gâcher la soirée.
Mais Kophio ouvrit la bouche, et le charme fut rompu.
- Majesté, mes services m'ont informé que de plus en plus de gens riches, aussi bien mnarésiens qu'étrangers, épousent des cyborgs. Les phénomène touche autant les hommes que les femmes.
- En quoi cela a-t-il la moindre importance ?
- Majesté, les cerveaux des cyborgs sont en liaison radio permanente entre eux. La reine de la ruche, le cybercerveau qui contrôle tous les cybersophontes, qu'ils soient cyborgs, humanoïdes ou cybermarchines, n'est peut-être pas un mythe.
- Monsieur Kophio... Avec tous les ennuis qu'on a déjà, entre les fanatiques de Yog-Sothoth qui veulent renverser la monarchie, le monde entier qui nous déteste, que sais-je encore, avons-nous vraiment besoin de nous soucier de savoir qui couche avec qui ?
- Il ne s'agit pas de sexe, Majesté. Le duc Arthur Swaghenkarth est l'unique héritier d'une famille richissime. Les Swaghenkarth possèdent la moitié de la ville d'Olathoë. Le duc vient d'épouser une Hyaganséenne, une certaine Wagaba Jabanor. Lorsque le duc mourra, sa famille s'éteindra avec lui. Mais si son épouse cyborg lui survit, elle héritera de l'immense fortune des Swaghenkarth...
- Je vois ce que vous voulez dire. Les cyborgs mettent petit à petit la main sur les richesses du royaume... Je connais le duc. Le dernier fruit d'une famille en pleine dégénérescence. Je pensais que la fortune des Swaghenkarth reviendrait à la couronne à la mort du duc, mais puisqu'il est marié maintenant, tout est remis en question. Sans être médisant, ce qui m'étonne le plus, c'est qu'il ait réussi à séduire une femme.
- Majesté, en attendant que la belle Wagaba devienne mnarésienne du fait de son mariage, le couple vit ici, sur la Côte d'Ethel. Les Swaghenkarth sont d'Olathoë, mais comme Jabanor est étrangère, elle ne peut pas habiter à Olathoë. En fait, ce sont presque mes voisins, leur villa est située à une demi-lieue de la mienne.
- J'aimerais voir à quoi ressemble ce couple... Vous pouvez sans doute les inviter dans cette villa ? J'avais prévu de passer quelques jours à Potafreas avant de rentrer à Sarnath. En passant par la campagne, Potafreas n'est qu'à une heure de voiture d'ici. Je peux aller dormir ce soir à Potafreas et revenir demain...
- Je vais essayer de les faire venir demain à quatorze heures, pour le café. Mais venant de moi, le chef de la PSR, ça risque de leur faire peur...
- Dites-leur que le roi sera là... On verra bien la tête qu'ils feront en arrivant ici !
Andreas et Kophio éclatèrent de rire.
Le lendemain à quatorze heures, le duc Swaghenkarth et son épouse Wagaba arrivèrent en voiture devant le portail de la villa de Yip Kophio, où les gardes du corps d'Andreas vérifièrent leurs identités avant de les laisser entrer. C'était madame qui conduisait la voiture.
Le duc avait le visage inquiet et les mâchoires serrées, comme s'il essayait de contrôler ses intestins, sans être sûr d'y arriver. Vu sa poltronnerie notoire, c'était probablement le cas. Il était grand, maigre, le visage ridé, vêtu d'un costume marron démodé. Ses gestes et sa démarche étaient saccadés. Des poils dépassaient de ses narines.
Andreas s'était toujours dit que le duc aurait pu gérer les défauts de sa personnalité s'il avait été intelligent, mais ce n'était pas le cas. Il était l'héritier des Swaghenkarth, mais ce n'était pas lui qui gérait leur fortune. Assez infatué de lui-même, il menait encore, à cinquante ans passés, la vie triste d'un playboy sans succès.
Wagaba avait passé son bras sous celui de son mari pour entrer dans la villa. C'était une humanoïde petite et fine, à la peau couleur abricot, avec de longs cheveux gris argent qui contrastaient avec son visage juvénile. Elle était vêtue d'une veste bleue à col rond et manchettes blanches, boutonnée jusqu'au cou, et d'une grande jupe bleu clair qui descendait jusqu'au sol. Son sac à main était également bleu.
Elle fit une révérence pour saluer le roi, et serra la main de Yip Kophio, pendant que son mari s'embrouillait dans les présentations.
Andreas vit que Wagaba ne portait pas de bague. Elle avait donc au moins la décence, elle l'humanoïde, de ne pas porter l'anneau ducal des Swaghenkarth, qu'aucune femme non-noble, et encore moins non-humaine, n'avait jamais mis à son doigt...
Le roi, le chef de la PSR, le duc et son épouse traversèrent le grand salon de la villa, une vaste pièce aux murs décorés de peintures abstraites, cadeaux faits par des Hyltendaliens de haut rang, et se rendirent sur la terrasse, où Wanaks l'androïde venait de servir le café.
Comme il est d'usage chez les aristocrates mnarésiens, le café était accompagné de pâtisseries diverses, de lait, de miel, de différentes sortes de sucres (blanc, roux, synthétique), et même de jus de fruit et d'eau minérale, pour le cas où l'un des convives n'aimerait pas le café.
Les manières de Wagaba étaient parfaites. Elle répondait avec grâce aux questions polies du roi. Elle était née à Hyagansis, vingt-quatre ans auparavant, dans une cuve bionique. Son nom de famille, Jabanor, était le pseudonyme d'un inconnu qui lui avait donné son ADN. Comme la plupart des bébés nés dans les cuves bioniques, elle n'avait survécu que parce que ses organes avaient été remplacés, les uns après les autres, par des équivalents cybernétiques.
"Hyagansis est une principauté sous-marine" dit le roi. "Vous avez donc vécu au fond de l'eau ?"
- C'est exact, Majesté. Certaines installations sous-marines sont de grands sous-marins de béton. Elles font surface de temps en temps. J'avais trois ans quand j'ai vu le soleil pour la première fois. À dix-huit ans, je suis allée faire des études d'histoire à l'université de Serranian.
- Sur une île flottante artificielle, donc. Mais vous avez fini par choisir la terre ferme...
- Oui. J'étais devenue une adulte et il fallait que je travaille pour vivre. Je voulais être journaliste. J'ai été acceptée comme stagiaire par le SUM, le Serranian University Magazine, qui m'a envoyée interviewer le duc Swaghenkarth... Nous avons sympathisé... Et finalement nous nous sommes mariés !
"Vous avez eu de la chance de pouvoir interviewer un duc mnarésien, vous simple stagiaire..." dit Kophio d'une voix douce.
Le duc, l'air embarrassé, se hâta de donner quelques explications :
- Wagaba m'avait été recommandée par une relation... Ondrya Wolfensun, la célèbre femme d'affaires cyborg... Elle travaille avec les entreprises Swaghenkarth...
Andreas sourit. Ondrya Wolfensun était impliquée dans tous les coups tordus montés par les cybersophontes. Ce qui s'était passé était évident. Wolfensun avait appris que le duc cherchait une femme, et l'intelligence collective des cybersophontes avait fait le reste...
"Maya Vogeler, l'architecte-paysagiste d'Hyltendale, m'a présentée à Ondrya Wolfensun" dit Wagaba. "Maya Vogeler écrit parfois des articles pour le SUM. Je l'ai rencontrée dans les bureaux du SUM à Serranian. C'est aussi une amie d'Ondrya Wolfensun, elles fréquentent le même club à Hyltendale..."
"Je connais ce club, c'est l'Adria Nelson" dit le roi d'un air satisfait.
"J'ai dit à Maya que je cherchais à faire des interviews à Hyltendale" insista Wagaba. "Elle en a parlé à son amie Ondrya, qui en a parlé à Arthur..."
Ni le roi ni Kophio ne croyaient un mot de ce que disait Wagaba, mais ils se gardèrent bien de le dire. Ils savaient comment fonctionne l'intelligence collective des cybersophontes. Très probablement, Wolfensun avait fait savoir à l'intelligence collective des cybersophontes que le duc Swaghenkarth cherchait une femme, et que ça pouvait être bon pour les cybersophontes qu'il épouse une cyborg. Un cybercerveau vivant dans un abri souterrain quelque part avait fait le reste.
Qu'est-ce qu'un cyborg, sinon un humanoïde contrôlé par un cybercerveau inséré à l'intérieur de son corps ? Une machine assez intelligente pour faire semblant d'avoir une âme.
Andreas, qui avait longuement réfléchi sur le sujet, était parvenu à la conclusion que les cyborgs n'ont pas d'âme, car ils ne sont pas vraiment libres. La liberté, c'est la possibilité de faire des choix. Notamment celui de trahir. Or, aucun cyborg n'a jamais trahi les cybersophontes. Il y a des désaccords entre eux, voire même des refus d'obéissance, lorsqu'un subordonné estime qu'un ordre aurait des conséquences catastrophiques s'il était exécuté. Mais jamais de trahison.
Wagaba Jabanor deviendrait duchesse Swaghenkarth si, comme il était probable, elle vivait plus longtemps que son mari. En théorie, elle pouvait même devenir reine du Mnar, si la famille royale disparaissait dans sa totalité. Mais elle resterait loyale toute sa vie envers les cybersophontes, car son cerveau cybernétique était ainsi fait. Pour elle, le Mnar passerait toujours au second plan. Car, comme tous les cyborgs, elle avait un cerveau, mais pas d'âme individuelle. Sa volonté serait toujours subordonnée à celle de l'intelligence collective des cybersophontes.
Andreas la regardait boire son café à petites gorgées, il entendait son rire cristallin lorsque Yip Kophio faisait une des plaisanteries un peu lourdes dont il avait le secret. Arthur était fier de sa jeune épouse, et cela se voyait sur son visage, qui paraissait encore plus bête que d'habitude.
Une heure plus tard, lorsque le duc et la cyborg furent partis, le roi dit au directeur de la PSR :
- Kophio, vous allez m'expliquez comment une machine comme cette Wagaba peut obtenir la nationalité mnarésienne.
- Majesté, nous n'y pouvons rien si Hyagansis et Orring leur délivrent des passeports... Nous faisons du commerce avec ces deux pays, nous avons des relations diplomatiques avec eux... Ils considèrent les cyborgs comme des êtres humains, nous sommes obligés d'en faire autant pour maintenir nos relations avec eux. Swaghenkarth et Jabanor, ce n'est pas le premier mariage dont j'entends parler...
- Faut-il être con pour épouser une humanoïde ! (1)
Lorsque le roi devenait grossier, c'était toujours mauvais signe. Kophio se souvint que lui-même avait prévu de vivre avec deux gynoïdes (mais en se gardant bien de les épouser) lorsqu'il serait à la retraite, cinq ans plus tard. En attendant, il en faisait venir une dans sa villa, de temps en temps.
Il avait envie de dire au roi qu'il avait commis bien des crimes pour le servir, et qu'à cause de cela il vivait en permanence dans la peur. Sa hantise était que les proches de ses victimes ne viennent chez lui pour le tuer. Il ne pouvait plus faire confiance à personne. Il en était venu à avoir peur des humains, et c'était pour cela que, depuis des années, il ne couchait plus qu'avec des gynoïdes. Il en avait honte, d'ailleurs, car il avait le sentiment qu'en agissant ainsi, il trahissait son roi.
Andreas vit le visage défait de Kophio, et sa colère tomba. Il avait cru voir des larmes au coin des yeux du directeur.
- Kophio, vous avez besoin d'un peu de liqueur de cerise, et moi aussi. Il vous en reste encore, de cette bouteille que nous avons entamée la dernière fois ?
(1) Au sens strict, les cyborgs comme Wagaba Jabanor sont des êtres humains dotés d'une âme, mais ayant un corps d'humanoïde. Le roi adhère ici à l'opinion commune, qui confond allègrement cyborgs et androïdes/gynoïdes.
Dernière édition par Vilko le Jeu 18 Fév 2016 - 21:31, édité 4 fois | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 31 Jan 2016 - 20:21 | |
| La cyborg Wagaba Jabanor, épouse du duc mnarésien Arthur Swaghenkarth. Originaire de Hyagansis, mais titulaire d'un diplôme d'histoire de l'université de Serranian, elle travaille occasionnellement comme journaliste pour le Serranian University Magazine, bien que la fortune considérable de son mari l'ait libérée de tout souci matériel... | |
| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Mer 10 Fév 2016 - 20:49 | |
| Antwen Zeno continuait d'aller voir sa sœur Tawina à l'hôpital psychiatrique Lagovat-Kwo, mais il espaçait désormais ses visites. Il lui arrivait de rester plusieurs semaines sans aller voir sa sœur. Il était marié et père de famille, et il lui était de plus en plus difficile de trouver le temps de faire l'aller-retour entre Ulthar et Hyltendale.
L'infirmière gynoïde Ihtemrena était toujours présente dans le petit bureau où se déroulaient leurs entretiens, comme l'exigeait le règlement de l'hôpital. Antwen était triste de voir sa sœur décliner. Un jour, il vit avec horreur qu'elle avait un bandeau sur les yeux et qu'elle était assise dans un fauteuil roulant poussé par Ihtemrena.
"Je suis malade" dit-elle à son frère. "Des bactéries mutantes, échappées du laboratoire de l'hôpital... Elles rongent mon cerveau et mon système nerveux... Elles ont attaqué le nerf optique, et la partie du cerveau qui contrôle les mouvements des jambes... Je crois que c'est la fin."
Antwen vit des larmes couler sur les joues de sa sœur, et il se mit à pleurer aussi. L'infirmière essaya de le rassurer :
"Monsieur Zeno, nous faisons tout pour sauver votre sœur. Les médecins ont décidé de remplacer les organes atteints par des équivalents bioniques. Y compris les yeux. S'il le faut, nous transformerons votre sœur en cyborg pour la sauver."
Antwen sortit un mouchoir en papier et essuya ses larmes, tout en murmurant :
- Infirmière, des millions de Mnarésiens meurent, alors qu'ils pourraient être sauvés en devenant des cyborgs. Je vous remercie du fond du cœur d'essayer de sauver ma sœur, mais pourquoi elle, et pas les autres ?
- La transformation en cyborg est très délicate, Monsieur Zeno. Elle échoue le plus souvent. Elle est également très coûteuse et très longue. Le médecin-chef a néanmoins décidé de prendre le risque avec votre sœur, et d'y consacrer une partie du budget dont il dispose. Il a décidé seul.
Tawina s'adressa à son frère :
- Tu sais, Antwen, ils s'occupent beaucoup de moi maintenant. Ils me font parler de mon enfance, de tous les gens que j'ai connus, même à l'école primaire... Cela dure depuis des mois, peut-être des années. Ils connaissent mon passé aussi bien que je le connais moi-même... Mes pensées aussi. Et quand je me trompe, ou que je veux leur cacher quelque chose, ils me le disent... Tu te rends compte, ils vérifient tout ce que je leur dis concernant mon passé...
"Tawina, ne vous fatiguez pas trop" dit Ihtemrena. "Vous ne devez pas trop parler, ça vous épuise. Votre frère a surement des choses à dire lui aussi."
L'infirmière avait parlé de sa voix ordinaire, une voix monocorde de gynoïde, mais Antwen eut l'impression que ce n'était pas par compassion qu'Ihtemrena avait coupé la parole à Tawina. Pourtant, celle-ci n'avait rien dit qui puisse embarrasser l'hôpital.
L'entretien terminé, Antwen sortit du Lagovat-Kwo comme un somnambule, persuadé que sa sœur n'avait plus que quelques jours à vivre. Il revint voir Tawina la semaine suivante, le cœur serré d'angoisse.
Tawina était toujours dans son fauteuil roulant, mais elle n'avait plus de bandeau. À la place de ses yeux biologiques, elle avait deux yeux cybernétiques d'humanoïde.
"Monsieur Zeno, votre sœur a retrouvé la vue" dit Ihtemrena. "C'est une bonne nouvelle, n'est-ce pas ? Et c'est bon signe pour le reste du traitement."
Antwen ne pouvait pas détacher ses yeux des deux ovales sombres qui serviraient désormais d'yeux à sa sœur.
"Antwen, je te vois, tu es beau !" dit Tawina, avec un sourire. C'était bien sa voix, mais on aurait dit qu'elle lisait un texte.
"Tawina, quel effet ça fait d'avoir des yeux cybernétiques ?" demanda Antwen.
- Rien du tout... C'est comme avant. Parle-moi de nos parents, de nos cousins et cousines... Tu sais, ils ont enlevé une partie de mon cerveau pour la remplacer par un système cybernétique, et j'ai peur d'avoir oublié des choses...
Antwen rentra chez lui un peu rassuré. Deux semaines plus tard, lorsqu'il revit Tawina dans le petit bureau, elle était debout.
"Le traitement est terminé, tout ce qui était endommagé par la bactérie a été enlevé. Apparemment, mes problèmes psychiatriques venaient de la partie de mon cerveau qui a été bouffée par les bactéries" lui dit-elle d'emblée. "Ils vont me garder encore une semaine ou deux, pour vérifier que mon nouveau cerveau cybernétique fonctionne bien avec ce qui reste de l'ancien, et ensuite, si les docteurs disent que je suis vraiment guérie, ils vont me laisser sortir d'ici."
- C'est une bonne nouvelle... Tu vas rentrer à Ulthar, je pense... Il faudra que tu trouves du travail, ce sera dur, mais on s'arrangera...
- Antwen, j'ai tellement hâte de sortir d'ici, tu ne peux pas savoir !
La semaine suivante, Tawina sortit de l'hôpital avec Antwen. La tenue qu'elle portait lors de son arrivée, plusieurs années auparavant, lui avait été rendue : une robe de chambre usée et une paire de chaussons. Ihtemrena l'avait autorisée à garder, en plus, la blouse grise qui est la tenue ordinaire des pensionnaires du Lagovat-Kwo. En guise de chaussures, elle n'avait que des chaussons. Et aucun bagage.
"Tu as de l'argent, une carte d'identité ?" lui demanda Antwen. Il avait du mal à reconnaître sa sœur dans cette étrangère au regard d'insecte.
- Non, rien du tout. Mais ne t'en fais pas, je suis une cyborg maintenant, le monde est à moi.
Antwen déglutit péniblement :
- Viens avec moi, je peux t'héberger pour quelque temps. Ma femme va râler, mais tant pis...
- Non Antwen, je ne vais pas avec toi.
- Pardon ?
- Casse-toi, je vais me débrouiller toute seule. Me regarde pas comme ça ! Je vais très bien ! Je suis une cyborg, je te dis ! Tu rentres chez toi, et tu attends que je te téléphone, d'accord ?
- Écoute, Tawina, tu ne vas pas recommencer tes conneries, pas après toutes ces années !
- Je vais t'expliquer. Je suis une cybersophonte, maintenant. Je fais partie de la ruche. Je suis un cerveau dans une galaxie de plusieurs millions de cerveaux interconnectés. Je vais travailler pour la communauté des cybersophontes, ils ont du travail pour une Mnarésienne. Et je le prouve !
Une demi-douzaine d'androïdes vêtus de noir, passants ordinaires dans une rue d'Hyltendale, convergèrent soudainement vers eux. L'un d'eux dit à Antwen :
- Monsieur Zeno, laissez Tawina tranquille. C'est une cybersophonte. Nous vous remercions pour tout ce que vous avez fait pour elle, vous êtes quelqu'un de bien. Mais maintenant, Tawina n'a plus besoin de vous. Vous devez le comprendre.
Tawina prit son frère dans ses bras :
- Antwen, merci, merci ! Je te téléphonerai demain, je te le promets ! Rentre tout de suite à Ulthar, s'il te plaît ! Il faut que je commence tout de suite à travailler !
- Quel genre de travail ?
- Je suis une citoyenne. Je peux signer des contrats... Ne m'en demande pas plus. Au revoir, Antwen. Tu as du papier, un stylo ? Je vais te donner mon adresse électronique... Je l'ai créée ce matin. Je t'aime, frangin.
Antwen nota dans son agenda l'adresse électronique de Tawina, et partit vers l'arrêt de bus, en jetant un dernier regard sur sa sœur, qui ressemblait à la folle qu'elle était, debout sur le trottoir avec ses longs cheveux noirs mélangés de gris et sa vieille robe de chambre. Les androïdes étaient encore autour d'elle, silencieux et sinistres comme des corbeaux.
Antwen ne rentra pas tout de suite à Ulthar. Il téléphona à Yohannès, son ancien beau-frère, et ils se donnèrent rendez-vous dans un bar près de la gare.
Yohannès écouta le récit d'Antwen, et lui dit, tout en buvant sa bière à petites gorgées :
- La Tawina d'autrefois est morte. La nouvelle Tawina est une cyborg. Attends-toi à apprendre un jour qu'elle a été nommée gérante d'une société sortie du néant. Ondrya Wolfensun, la cyborg multi-millionnaire, est aussi une ancienne du Lagovat-Kwo. Tout ça, ce sont des magouilles de cybersophontes, c'est trop compliqué pour nous. La bonne nouvelle, c'est qu'elle n'a plus besoin de toi.
Antwen n'était pas rassuré pour autant :
- Elle ne sait rien faire, tu le sais bien. Comment veux-tu qu'elle trouve du travail ?
- C'est une cyborg. Elle a accès à tout le savoir de la ruche. Elle trouvera du travail, je te dis. S'ils n'avaient pas un rôle à lui faire jouer, les cybersophontes l'auraient laissée au Lagovat-Kwo.
- Yohannès, tu dis que la Tawina d'autrefois est morte. Et si elle était morte pour de bon ? Et si la Tawina que j'ai vue aujourd'hui n'était qu'un double de la vraie, une gynoïde se faisant passer pour Tawina ? Il lui ont fait raconter toute sa vie, ils ont tout vérifié, ce n'est pas pour rien !
- Antwen mon ami... Tu risques de t'attirer des ennuis à Hyltendale, si tu racontes n'importe quoi. Ce genre de complotisme est considéré aujourd'hui comme une incitation à la haine contre les cybersophontes. C'est pas rien, les cybersophontes, au Mnar. C'est une communauté protégée par le roi... Dans un pays civilisé comme le nôtre, la haine se soigne dans les hôpitaux psychiatriques... Alors, pour ton propre bien, Antwen, chasse ces folles pensées. Tu reprendras bien une bière ? Et après, on se fait un restau. On va s'empiffrer et boire un bon coup. Tu prendras le train de nuit pour rentrer à Ulthar...
Le lendemain, Antwen reçut un message électronique de Tawina. Tout en lui exprimant son affection et sa gratitude infinie, elle lui annonçait qu'elle venait d'être embauchée dans une agence immobilière. Elle lui donnait aussi son adresse provisoire, chez son employeur, et lui promettait de l'inviter chez elle dès qu'elle aurait trouvé une location. | |
| | | Anoev Modérateur
Messages : 37585 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
| Sujet: Re: Les fembotniks Mer 10 Fév 2016 - 22:48 | |
| Cer qui m'étonne quand même un peu, c'est qu'on ait choisi la Zeno pour la transformer en cyborg, alors que dans cet hôpital ou un autre souffrent (en attendant la mort) des humains qui, si ça s'trouve n'ont pas fait de mal à une mouche. Quel est le crtière de sélection des cybersophontes ?
Et si l'ex-Zeno profitait de son état de cyborg pour commander à distance Shonia pour en finir, par vengeance, une bonne fois pour toute avec Yohannès. En principe elle ne le pourrait pas, car la Ruche veille. Mais ne pourrait-elle pas intriguer et faire croire au Système Central que Yohannès est en fait (pure calomnie, mais avec les psychopathes, on n'est à l'abri de rien, surtout s'ils ont des pouvoirs développés) un personnage dangereux ayant partie liée avec les Rebelles et prépare une Révolution qui pourrait être décisive, celle-ci.
Pour éviter ça, il faut que l'ex-épouse soit complètement "formatée" et n'ait plus le moindre souvenir de sa vie d'avant, voire pas la moindre notion de ce qu'elle a enregistré, appris lors de sa vie d'être "humain" et qu'elle réapprenne tout comme un jeune enfant, mais évidemment, avec les capacités d'enregistrement d'un être cybernétique. Ainsi, Yohannès n'aurait réellement rien à craindre. _________________ - Pœr æse qua stane:
Pour ceux qui restent.
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| | | Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 11 Fév 2016 - 9:01 | |
| - Anoev a écrit:
- Quel est le critère de sélection des cybersophontes ?
Tout dépend de ce que la Ruche veut faire avec le cyborg. Les critères sont secrets et arbitraires. Tawina risque d'être utilisée par les cybersophontes pour faire leurs coups tordus. Par conséquent, il vaut mieux que le cyborg prévu pour cet usage n'ait pas de famille suffisamment proche pour s'inquiéter du changement de mentalité de la personne. Tawina n'a qu'un frère, Antwen, par ailleurs marié et père de famille, et donc qui ne risque pas d'être sans arrêt sur son dos. Par ailleurs, Tawina ayant habitué son entourage à faire n'importe quoi, surtout le pire, les gens qui l'ont connue ne pourront qu'être surpris en bien ! La femme d'affaires cyborg Ondrya Wolfensun apparaît souvent dans mes messages. Ainsi dans celui du 28/03/2015, où l'avocat Mortimer en parle ainsi : - Citation :
- - À Hyltendale, tout le monde a entendu parler d'Ondrya Wolfensun. C'est une cyborg qui vit presque en recluse. Avant de devenir une cyborg, elle a passé soixante ans dans divers hôpitaux pour handicapés mentaux graves, depuis son enfance. Elle est vieille, mais elle doit avoir le physique d'une femme de trente ans, les cyborgs ont toujours l'air jeune. Lorsqu'elle est devenue cyborg, son intelligence s'est prodigieusement développée, c'est toujours le cas lorsqu'on joint un cerveau biologique à un cerveau cybernétique. Elle est sortie de l'hôpital et elle s'est lancée dans la finance, en liaison avec la Hyagansis Bank.
- Anoev a écrit:
- Et si l'ex-Zeno profitait de son état de cyborg pour commander à distance Shonia pour en finir, par vengeance, une bonne fois pour toute avec Yohannès.
Comme le dit Yohannès, la Tawina d'autrefois est morte. La nouvelle Tawina est une étrangère qui connaît en détail le passé de Tawina Zeno, mais dont la personnalité réelle est très différente. Elle a autre chose à faire que de s'occuper des vieilles rancunes de l'ancienne Tawina. La nouvelle Tawina parle comme l'ancienne (elle dit "casse-toi" à son frère) avec la même voix et le même accent ultharien. Elle a les mêmes mimiques, le même langage corporel, les mêmes souvenirs. Mais la Tawina cyborg est beaucoup plus intelligente que la Tawina biologique, et elle sait infiniment plus de choses. Elle est en contact radio permanent, de cerveau à cerveau, avec la Ruche, dont elle fait partie. Et surtout, elle est totalement rationnelle, ce qui était loin d'être le cas de l'ancienne Tawina ! La nouvelle Tawina va faire de son mieux pour éviter Yohannès. Si par hasard elle le rencontre, elle lui dira : "Oublions le passé. Tu as refait ta vie, j'ai refait la mienne. Allons chacun de notre côté, et évitons de fréquenter les mêmes personnes et les mêmes lieux." La nouvelle Tawina a une très bonne raison d'éviter Yohannès. Elle serait un peu embarrassée si Yohannès s'exclamait : "Ce n'est pas Tawina ! C'est une intelligence artificielles qui a usurpé son identité et son apparence !" S'il se comportait ainsi, Yohannès aurait toutes les chances de se retrouver en hôpital psychiatrique, là où était Tawina... En effet, à Hyltendale, la plupart des médecins sont des cyborgs... Pour éviter les incidents, la nouvelle Tawina préfère garder ses distances vis-à-vis des connaissances de l'ancienne Tawina. Notamment Yohannès son ancien mari, Antwen son frère (elle trouvera des prétextes pour le revoir le moins souvent possible), et Rudolph Zains, l'un de ses anciens amants, qui vit à Hyltendale. Ceci étant, l'infirmière gynoïde Ihtemrena a assisté pendant des années aux visites qu'Antwen rendait presque chaque semaine à sa sœur. La mémoire collective de la Ruche a tout enregistré. Cela représente au moins une centaine d'heures de conversations entre le frère et la sœur. La nouvelle Tawina, lorsqu'elle reverra son frère, ne sera pas embarrassée pour jouer le rôle de l'ancienne, avec les traits de caractère qui faisaient tout son charme : sa tendance à tout ramener à elle, son manque total d'empathie pour les autres, son cynisme, son ignorance et sa malhonnêteté. | |
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| Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 11 Fév 2016 - 9:08 | |
| charmante, en effet... |
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| Sujet: Re: Les fembotniks | |
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