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 Les fembotniks

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyJeu 12 Nov 2015 - 19:00

...


Dernière édition par odd le Mer 30 Déc 2015 - 0:58, édité 1 fois
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Vilko

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyJeu 12 Nov 2015 - 21:43

Pomme de Terre a écrit:
J'avoue que que je suis un peu perdu : quelle différence entre Hyagansis, Ukalté, Orring et Serranian ?
Orring est le royaume marin des cybersophontes de la Mer du Sud. Sa capitale est Serranian, une île flottante de béton blanc.

Hyagansis est une principauté indépendante, qui a fait sécession d'Orring. Elle est composée d'une ville sous-marine (Hyagansis) et d'une île flottante, Ukalté.

L'indépendance de Hyagansis est factice, cette principauté est là pour faire le sale boulot qu'Orring faisait secrètement autrefois, mais ne veut plus faire :
D'une part, faire disparaître des milliers de personnes chaque année (jusqu'à plusieurs centaines de milliers, par exemple pendant les Évènements et juste après) ;
D'autre part, permettre le transfert au profit des cybersophontes de milliards de ducats frauduleux chaque année, à travers les réseaux financiers mondiaux.

Les humains qui disparaissent à Hyagansis sont censés travailler dans des installations sous-marines, comme des colons sur une autre planète. En fait, ils ont disparu... pour de bon.

odd a écrit:
Vilko tu devrais peut-être regrouper en pdf ou en epub, pour un meilleurs confort de lecture...
C'est à l'étude ! Mais j'ai des activités assez diverses (et du bricolage à faire), et les jours n'ont que 24 heures... Je pense tout regrouper dans un pdf, et le mettre sur ma page perso, que je n'ai pas mise à jour depuis des années... Embarassed
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Vilko

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyVen 13 Nov 2015 - 10:19

C'était un matin d'hiver à Hyltendale, lorsque le vent marin souffle, froid et humide, et que le ciel est gris. Héribert avait mis son élégant manteau gris, qu'il avait amené avec lui lorsqu'il était venu du Padzaland. Gratiana, indifférente à la température comme toutes les gynoïdes, portait une veste rose à parements blancs sur un pantalon noir, et un élégant chapeau melon noir, d'où s'échappaient ses longs cheveux mauves.

Ils étaient tous les deux debout sur un quai de Fotetir Tohu, le port d'Hyltendale, attendant le Nhiahar,  l'hydravion qui allait les emmener visiter Ukalté, l'île flottante de Hyagansis.

Tout près d'eux, dans un enclos grillagé qui devait faire au moins un hectare, une dizaine de flitteurs (flitr, en mnarruc) étaient gardés par deux androïdes en costumes et chapeaux noirs. L'enclos avait même son pilier surmonté d'une statue de monstre à tentacules (Héribert supposa que c'était Cthulhu, le dieu des mers), comme n'importe quel parking hyltendalien.

Les flitteurs sont le mode de déplacement préférés des Hyagansiens et de certains Hyltendaliens. Ce sont de petits hélicoptères à moteur électrique, robotisés, sans pilote. Ils sont assez lents, et conçus pour transporter un seul passager à la fois. Par sécurité, ils volent près du sol, et sont munis de deux gros flotteurs et d'un parachute. Ce dernier a une double fonction, qui est de ralentir une chute éventuelle, et d'empêcher que l'appareil ne se retourne en tombant.

Dans l'Ethel Dylan, les flitteurs sont limités à certains trajets : de Parg à Fotetir Tohu, de Fotetir Tohu à Ukalté et Serranian, et de Fotetir Tohu aux villas de la Côte d'Ethel. Ils volent de préférence au dessus de l'eau. Au bord de la mer, on en voit souvent passer dans le ciel, soit isolés soit en file indienne. La nuit, leurs lumières blanches et rouges sont un spectacle familier.

Héribert vit qu'une dizaine d'êtres humains étaient comme lui sur le quai, et à peu près autant de gynoïdes et d'androïdes. Certains étaient allés s'assoir sur des bancs de béton devant l'enclos à flitteurs.

On ne visite pas Ukalté sans invitation. Les gens qui attendaient sur le quai étaient sans doute invités par des résidents d'Ukalté. Des amis ou des parents, probablement. Les Ukaltéens qui vont à Hyltendale viennent le matin et repartent le soir, et non pas l'inverse.

Le Nhiahar apparut à l'horizon, et en peu de temps il se posa sur l'eau et vint accoster le long du quai. Des androïdes en bleu de chauffe venus d'un hangar voisin installèrent une passerelle mobile. Des êtres humains et des humanoïdes sortirent de l'hydravion et se dispersèrent silencieusement en direction du centre ville.

À Hyltendale, on distingue les êtres humains et les humanoïdes à leurs yeux. Après quelques années passées, pour la plupart des fembotniks et des manbotchicks, des yeux cybernétiques signifient absence de danger, politesse formelle, connaissance de la langue mnarruc mais aussi des autres langues, et intelligence collective. Des yeux humains signifient comportement imprévisible, parfois hostile sans raison, voire dangereux. Qui n'a jamais été rabroué, frappé, abusé ou escroqué par un être humain ? Des yeux humains signifient aussi, souvent, langue étrangère incompréhensible ou accent dialectal désagréable.

Au bout de quelques années, un fembotnik finit souvent par ne plus avoir de vraies conversations qu'avec sa gynoïde, et avec les personnages incarnés par celle-ci lorsqu'elle porte un masque-cagoule.  Héribert le savait et il préférait éviter ce destin, s'il le pouvait.

"Il n'y a pas de contrôle douanier ?" demanda Héribert à Gratiana.

- Surtout pas ! Ils risqueraient d'arrêter, je ne sais pas... Adront Cataewi, peut-être...

- En effet, ils embarrasseraient Sa Majesté le Roi. Mais suppose que le roi veuille que Cataewi soit arrêté, et qu'il donne des ordres à cet effet ?

- Les androïdes qui travaillent à Fotetir Tohu repéreraient les policiers humains, et l'intelligence collective des cybersophontes le saurait immédiatement. Cataewi en serait quitte pour faire demi-tour dans son flitteur. Ça m'étonnerait beaucoup qu'il prenne le Nhiahar, comme le commun des mortels, pour venir se promener à Hyltendale.

- Ça veut dire, en tout cas, que, si on vit à Ukalté, on peut venir à Hyltendale pour faire un peu de tourisme, même si on est recherché. C'est plutôt bon signe.

- À condition de ne pas avoir de problème sur place, mon Héribert chéri. Pas question de s'enivrer dans un bar, par exemple. Ni de se faire reconnaître par quelqu'un.

Héribert et Gratiana se dirigèrent vers le Nhiahar, avec les autres passagers, qui avaient attendu avec eux sur le quai.

L'hydravion avait un drapeau hyagansien peint sur la carlingue : un requin stylisé, blanc sur fond bleu. Le Hyagansis a un problème inhabituel pour un État, il doit prouver qu'il existe. Le drapeau omniprésent rappelle à ceux qui le voient que Hyagansis existe. De même, on ne peut pas mettre en doute l'existence d'Ukalté, contrairement à celle des sphères sous-marines.

Pour la même raison, le cyborg Diadumen Vogeler, l'un des deux princes régnant à Hyagansis, multiplie les interviews et se déplace à l'étranger autant qu'il le peut. Il est apparenté à Maya Vogeler, l'architecte-paysagiste, et il ne manque jamais de lui rendre visite lorsqu'il se rend à Hyltendale. Ses relations sont malheureusement assez distantes avec le roi Andreas, ce dernier ayant eu l'imprudence de dire à un journaliste que le prince Diadumen n'était qu'un "guignol qui joue le rôle de chef d'État."

Un androïde et une gynoïde en uniforme bleu étaient au pied de la passerelle. Ils saluaient chaque passager humain. Les logiciels de reconnaissance faciale, couplés à l'intelligence collective des cybersophontes, sont une grande chose, se dit Héribert. Pas besoin de documents d'identité ou de billets d'avion.

La veille, Héribert et Gratiana avaient payé leurs billets d'avance. Le paiement avait consisté en deux brefs messages radio entre le cerveau cybernétique de Gratiana et un cybercerveau. La transaction n'avait été acceptée que parce que Héribert avait la nationalité hyagansienne. Un être humain ne peut aller à Hyagansis qu'avec l'accord du gouverneur de l'île.

L'hydravion avait soixante places assises, mais il y avait, au maximum, une vingtaine de passagers dans l'appareil, humanoïdes compris. L'androïde et la gynoïde en uniforme bleu étaient là, faisant office, respectivement, de steward et d'hôtesse de l'air.

L'île d'Ukalté n'a que quelques centaines d'habitants humains libres, et plusieurs milliers d'habitants humains non-libres, que l'on appelle les bannis. Ce sont, pour la plupart, des opposants politiques chassés du Mnar sur ordre du roi Andreas. La principauté de Hyagansis,  dont Ukalté fait partie, les héberge dans des bateaux qu'ils n'ont pas le droit de quitter. Après une durée plus ou moins longue, les bannis sont envoyés dans les installations sous-marines de Hyagansis, en général pour travailler dans les jardins hydroponiques. Ces installations sont coupées du monde et vivent en autarcie.

Les Ukaltéens libres ne vont jamais dans les installations sous-marines. À part ceux qui ont choisi de vivre en reclus, ils travaillent pour le prince de Hyagansis ou pour la Hyagansis Bank, ce qui les amène à voyager beaucoup à l'étranger. Ils sont diplomates, banquiers ou hommes d'affaires. Héribert, en prenant place dans l'hydravion, se dit qu'avec un peu de chance il serait bientôt l'un d'eux.

Comme tout le monde au Mnar, Héribert avait appris en regardant la télévision qu'Adront Cataewi vivait probablement à Hyltendale, sous une fausse identité. Il observa discrètement les autres passagers, sait-on jamais... Mais aucun d'eux n'avait l'air de mesurer 1,90m, comme Cataewi. Dommage...

Les puissants moteurs électriques se mirent à vrombir, et les hélices à tourner de plus en plus vite. Le Nhiahar prit de la vitesse et décolla en direction du sud, vers le grand large.

L'hydravion était alimentés par des piles au yeksootch, le gaz pensant, qui a la particularité de pouvoir transformer et stocker toute forme d'énergie. Tant que les cybersophontes seront les seuls à connaître la formule du yeksootch, qui est loin de se limiter à une formule chimique, ils resteront riches et puissants.

Héribert avait lu que pour simplement comprendre la formule du yeksootch, il faut avoir un quotient intellectuel d'au moins 200. Or, la moyenne chez les humains est de 100. Un humain avec un QI de 200 est aussi rare qu'un humain de trois mètres de haut. Même si on en trouvait un, pour que ce prodige de la nature (ou de la manipulation génétique) ait une chance de découvrir le secret du yeksootch, il faudrait qu'il travaille pendant plusieurs dizaines d'années dans un laboratoire équipé d'un matériel très coûteux, au milieu d'une équipe de collaborateurs surdoués.

Une légende, propagée par les cybersophontes eux-mêmes, prétend que le yeksootch aurait été inventé, sur plusieurs générations, par une société secrète de savants. L'opinion des spécialistes est que c'est possible, mais pas entièrement convaincant.

Certains philosophes disent que la découverte du yeksootch est aussi importante pour l'humanité que celle du feu l'a été pour les proto-humains, il y a un million d'années. Le feu a permis à l'humanité d'évoluer jusqu'à l'homo sapiens, et de dominer la planète. Le yeksootch permettra peut-être aux cybersophontes de devenir par rapport à l'homme, ce que l'homme est par rapport au singe. Ces réflexions sont considérées par les cyborgs comme des élucubrations ridicules. Un cyborg est un être humain dont les organes ont été remplacés par des équivalents bioniques et cybernétiques, point final. Le reste, ce sont des robots, c'est-à-dire des outils intelligents.

Une angoisse diffuse, qui quittait rarement Héribert depuis qu'il était arrivé à Hyltendale, le tira de ses rêveries. Hyagansis et ses installations sous-marines, d'où l'on ne revient jamais, lui faisaient peur. Il essaya de se rassurer en se disant qu'il n'était pas un banni. D'ailleurs, beaucoup de gens allaient et venaient entre Hyltendale et Ukalté, et ne disparaissaient pas. La preuve, c'est qu'il avait vu plusieurs dizaines de passagers descendre du Nhiahar le matin même. Ils étaient allés à Ukalté et ils en étaient revenus.

Il essaya de se souvenir si les passagers qu'il avait vu descendre du Nhiahar étaient des humains. Il lui semblait que oui. Curieusement, sa mémoire était floue, alors que l'évènement n'avait eu lieu qu'une demi-heure auparavant. L'angoisse me ronge, se dit-il, au point que je n'arrive plus à penser correctement.

"Regarde, c'est Ukalté !" dit Gratiana.

Héribert regarda par le hublot. Il vit, sur la mer scintillante, une grande tache sombre et circulaire. À mesure que l'hydravion s'en rapprochait, on distinguait plus nettement des milliers de bateaux. Ils étaient de toutes tailles, de toutes formes, et de toutes couleurs, gris, blancs, bruns et bleus. Des flitteurs passaient dans l'air, dans un désordre apparent. Ils évoquaient dans l'esprit d'Héribert l'image désagréable d'un nuage de mouches au dessus d'une bouse de vache.

Le Nhiahar toucha l'eau et s'immobilisa le long d'une plate-forme flottante entourée d'une rambarde. Il y avait des flitteurs sur la plate-forme, et d'autres dans l'air. Les vrombissements graves ou aigus se mêlaient au bruit du vent.

Des androïdes en combinaison bleue amarrèrent l'hydravion à la plate-forme et ouvrirent la rambarde, le temps que tous les passagers débarquent. La mer était assez agitée, et les passagers sortirent un par un de l'appareil, au milieu des embruns.

Chacun d'eux était poussé par les androïdes vers l'un des flitteurs, qui décollait aussitôt. Héribert se retrouva séparé de Gratiana. Il monta dans un flitteur, s'assit sur le siège et referma la portière. Il entendit une voix sortir d'un haut-parleur :

- FARna HÉribertt DESSrôouvress, lé ?

- Cira ! (oui, prononcé kira)

Il attacha sa ceinture de sécurité. Le flitteur prit de la hauteur, malgré le vent qui le secouait. Héribert eut l'impression que l'appareil allait être projeté contre l'un des gros bateaux de métal gris qui entouraient la plate-forme. Il ferma les yeux et agrippa les poignées latérales de l'habitacle.

De temps en temps, l'appareil faisait une embardée, et Héribert sentait son estomac remonter dans sa gorge. Une minute ou deux plus tard, il sentit l'appareil se poser. Il ouvrit les yeux, et se rendit compte qu'il était sur le pont d'un grand navire.

"Da farna gilber" (que Monsieur sorte) dit la voix. "Da farna gilva ri" (que Monsieur entre dans le bâtiment).

Héribert sortit de l'appareil. Des gouttes de pluie portées par le vent glacé lui fouettaient le visage. Il se dirigea vers une structure à étages munie d'une porte.

À l'intérieur, il se retrouva dans une sorte de salon bizarrement meublé, où se tenait un grand humanoïde au visage buriné, vêtu d'un costume noir et d'un chapeau.

L'humanoïde se présenta en mnarruc. Héribert comprit l'essentiel de son discours et devina le reste :

- Bonjour Monsieur Desrouvres. Je m'appelle Pier Kadahuo. Je suis le gouverneur d'Ukalté. J'ai appris que vous êtes l'un de nos nouveaux compatriotes, et que vous désirez vous renseigner quand aux possibilités de logement à Ukalté, ce dont je vous en félicite. Mais, vu le temps inclément que nous avons aujourd'hui, peut-être désirez-vous une boisson chaude ?

- Cira.

- Thé, café, chocolat, Vin de Lune ?

- Du thé, s'il vous plaît.

Le gouverneur fit chauffer de l'eau dans un angle de la pièce, aménagé en cuisine. Héribert était sidéré. Kadahuo ne ressemblait pas du tout à l'image qu'il se faisait d'un gouverneur.

Sur ces entrefaites, Gratiana entra, dégoulinante de pluie.

Ils s'assirent tous les trois à une table, et burent du thé. Les humanoïdes n'ont besoin ni de manger ni de boire. Mais les gynoïdes de charme et les cyborgs, comme Gratiana et le gouverneur, ont des estomacs factices. Le thé chaud tombait dans un sac étanche à l'intérieur de leur corps. Plus tard, ils le régurgiteraient discrètement dans les toilettes.

"C'est assez peu fréquent que des humains aient envie de se loger à Ukalté," dit le gouverneur. "La grande majorité de mes administrés, comme vous le savez, sont des bannis du Mnar. Ils sont là en transit, et souvent ça dure des années. Je suis obligé de me décarcasser pour leur trouver ne serait-ce qu'un job de jardinier d'hydroponique dans les installations sous-marines."

Héribert regarda les yeux cybernétiques du gouverneur. Deux lacs d'eau sombre. Héribert s'était habitué aux yeux de Gratiana, qui étaient identiques à ceux de Kadahuo, et il savait que dans des yeux cybernétiques, on ne voit que le reflet de ses propres pensées. Il n'avait aucun moyen de savoir si le gouverneur mentait ou disait la vérité. Pour sa propre tranquillité d'esprit, il souhaitait passionnément que le gouverneur dise la vérité.

"Gouverneur, lorsqu'on n'est pas un banni, comment peut-on se loger à Ukalté ?" demanda Héribert.

- Très simplement. Ce bateau est un ancien paquebot. J'y ai mon bureau, et les services techniques de l'île. Plusieurs centaines de cabines sont louées, à des gens qui voyagent beaucoup. Vous pouvez aussi louer ou acheter un bateau tout entier rien que pour vous, mais dans ce cas, il vous faudra le remettre en état. Ça peut coûter plusieurs dizaines de milliers de ducats.

Héribert remarqua que le gouverneur avait changé de façon de parler. Il était passé au zee ruc, la "petite langue", une version simplifiée du mnarruc. Le zee ruc a un vocabulaire de deux mille mots, ce qui oblige à dire, par exemple, "sans cheveux" au lieu de "chauve". Le zee ruc est utilisé par les humanoïdes avec les humains qui ne parlent pas encore couramment le mnarruc. Il est suffisant pour une conversation simple, mais ne permet pas de lire un livre ou de comprendre la totalité des dialogues d'un film.

"Si je devais venir en catastrophe, serait-il possible d'avoir une cabine tout de suite, sur ce bateau ?" demanda Héribert.

- Bien sûr. La moitié des cabines sont disponibles. Venez, je vais vous faire visiter le bateau. Ensuite, on verra quelques autres bateaux, pour que vous ayez une idée de ce que vous pouvez acheter.


Dernière édition par Vilko le Ven 18 Déc 2015 - 8:38, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyMar 17 Nov 2015 - 13:22

Le gouverneur d'Ukalté, Kadahuo, fit visiter l'ancien paquebot à Héribert et Gratiana. Dehors, la pluie et le vent avaient cessé, laissant la place à un ciel gris.

La plus grande partie du bateau était occupée par des robots, des machines, et par les androïdes en blouses grises chargés de faire fonctionner la ville flottante. Kadahuo donna de longues et ennuyeuses explications techniques, auxquelles Héribert ne comprit pas grand-chose.

Les anciennes cabines de première classe avaient été restaurées et meublées. Kadahuo en montra quelques-unes, à Héribert et Gratiana, parmi celles qui étaient inoccupées. Certaines comptaient plusieurs pièces, comme de vrais petits appartements, .

"À combien se montent les loyers ?" demanda Héribert au gouverneur.

- Ce sont des logements de fonction, donc gratuits. Tous les humains qui vivent ici sont au service du prince ou de la banque. Les services techniques font la cuisine et lavent le linge pour des milliers de bannis ; ils en font autant pour les serviteurs de Hyagansis. Nous mettons aussi à leur disposition des gynoïdes et des androïdes pour les servir. C'est une vie enviable.

- Mais comment font les humains, quand ils tombent malades ?

- Nous avons aussi un navire-hôpital. C'est absolument nécessaire, avec les milliers de bannis que nous hébergeons à Ukalté. Et tout les citoyens libres ne vivent pas dans des cabines. Il y en a qui habitent dans leur propre bateau. Nous avons d'anciens caboteurs, dont la surface habitable est la même que celle d'une villa de milliardaire, et que nous vendons à des prix très bas.

- Et tous ces serviteurs de Hyagansis, les citoyens libres comme vous les appelez, comment font-ils pour se déplacer ? Je ne parle pas des transports en commun, comme l'hydravion par lequel nous sommes venus...

- Il y a à Serranian des hydravions et des bateaux qui desservent tous les pays riverains de la Mer du Sud. Même pour faire nos courses, nous allons à Serranian, la grande île flottante à vingt kilomètres d'ici. Il y a un quartier commerçant, là-bas, tandis qu'ici à Ukalté, il n'y a même pas une épicerie. Si vous vous installez à Ukalté, vous devrez louer un flitteur pour aller à Serranian ou à Hyltendale. Ou plutôt trois flitteurs. Le premier pour vous, le deuxième pour votre gynoïde, et le troisième pour transporter vos achats. Mais au final, les trois flitteurs reviennent moins cher qu'une voiture.

- Gouverneur, dites-moi... J'ai encore une question à vous poser. Est-ce qu'on peut vivre à Ukalté, en tant qu'être humain, sans être ni un banni du Mnar, ni un serviteur du prince Diadumen Vogeler ou de la Hyagansis Bank ?

- Bien sûr qu'on peut. Quelques-uns de mes administrés sont des protégés du prince. Ils vivent toute l'année dans des yachts, entourés de leurs serviteurs humanoïdes, et je n'ai pas le droit de révéler leurs noms. La plupart d'entre eux préfèrent éviter le contact avec les autres humains, pour des raisons dans lesquelles je n'ai pas à m'immiscer. Ce qui est important, c'est que ce sont tous de très bons clients de la Hyagansis Bank. Leur fortune n'est d'ailleurs pas nécessairement plus grande que la vôtre, Monsieur Desrouvres.

- Je suis surpris que vous connaissiez ma situation financière, Monsieur le gouverneur.

- Ce qu'un cybersophonte sait, tous cybersophontes peuvent le savoir, s'ils ont besoin de le savoir, Monsieur Desrouvres. Votre compte en banque est suffisamment approvisionné pour que vous puissiez devenir un protégé du prince. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai accepté de vous rencontrer.

- Je vois... Mais ces protégés du prince... Ils ne sortent jamais de leurs yachts ?

- Bien sûr que si. Ils vont à Serranian, avec un masque pour se cacher le visage. Certains vont même à Hyltendale, à leurs risques et périls. Si vous avez peur de vous ennuyer à Ukalté, Monsieur Desrouvres, vous pouvez servir le prince ou la banque.

- Qu'est-ce que vous entendez par "servir", Monsieur le gouverneur ?

- Servir Hyagansis lors de missions à l'étranger, officiellement en tant que diplomate, journaliste, financier ou homme d'affaires, mais dans certains cas en tant qu'agent secret. Ce sont des activités intéressantes et bien rémunérées. Pas exemptes de risques, certes. Le mois dernier, l'un de mes administrés s'est retrouvé en prison à l'étranger pour avoir essayé de corrompre un dignitaire local. Mais ce genre d'accident est rare... Si vous aimez le danger, l'aventure, l'argent et les femmes, vous aimerez servir Hyagansis... Sinon, comme vous êtes déjà riche, vous pouvez devenir un protégé du prince, et vivre tranquillement sur un yacht de luxe. Je transmettrai votre demande au prince.

- Je vous en remercie gouverneur. Je vais y réfléchir.

- Prenez votre temps, Monsieur Desrouvres. Mais je vois qu'il est presque midi. Si vous le voulez, je peux vous présenter à l'une de mes administrées. Elle vit sur un ancien cargo transformé en palais flottant, et elle m'a dit qu'elle ne voyait aucun inconvénient à montrer son visage à un Padzalandais. Mais elle ne vous donnera pas son vrai nom. Elle aime se faire appeler Kawaï. Acceptez-vous de déjeuner avec elle aujourd'hui ? Elle vous invite sur son yacht.

Quelques minutes plus tard, deux flitteurs emmenèrent Héribert et Gratiana sur le yacht de la nommée Kawaï.

Le vent et la pluie avaient cessé, et Héribert, lorsqu'il se retrouva dans un flitteur ultra-léger, une dizaine de mètres au-dessus de la mer, eut moins peur que lors de son arrivée à Ukalté.

Kawaï était une grande femme, assez agée, dont la peau avait la couleur et la texture du vieux chêne. Elle portait une grande robe qui n'arrivait pas à dissimuler sa monstrueuse obésité. Elle parlait couramment le mnarruc, ou plutôt sa version simplifiée, le zee ruc, mais avec un accent qui n'était pas le même que celui des humanoïdes. Héribert se dit que le mnarruc n'était probablement pas sa langue maternelle.

Elle accueillit Héribert et Gratiana sans faire de manières :

- Bonjour, chers visiteurs. C'est moi Kawaï. Je vis au milieu des humanoïdes, et c'est pas souvent que je parle à des humains, alors soyez indulgents. Pier Kadahuo m'a parlé de votre visite, et je lui ai dit que je serais très heureuse de rencontrer un Padzalandais et sa gynoïde.

Après les politesses d'usage, elle les emmena faire un tour rapide de son bateau, qui était, comme Kadahuo l'avait dit, un véritable palais flottant, dans un style un peu kitsch.

"J'hésite à m'installer à Ukalté" dit Héribert. "Vous pourrez peut-être m'aider à faire un choix."

- Je vais essayer. Ça fait des années que je vis sur un bateau. Au début, nous étions dans un yacht plus petit, amarré à Serranian. Puis nous sommes allés à Ukalté, où nous avons acheté ce bateau. Ensuite mon mari est mort, et je suis restée seule. Pas vraiment seule, bien sûr, puisque j'ai une vingtaine d'humanoïdes pour me servir. Ils sont ma communauté.

- Vous restez toujours à Ukalté ?

- Non, je vais à Serranian, parfois. Mais c'est tout. Je suis trop lourde pour les flitteurs ordinaires, il me faut un modèle spécial. Ma communauté me suffit.

Héribert jeta un coup d'œil discret aux androïdes vêtus de vestes et pantalons de toile noire qui les regardaient à distance respectueuse. Rien dans leur apparence ou dans leur tenue ne les distinguait de leurs homologues padzalandais.

- Vous n'aimez plus vivre sur la terre ferme ?

- Mon mari a passé la moitié de sa vie traqué par ses ennemis politiques. J'étais recherchée moi aussi, parce que j'étais sa collaboratrice. Je ne veux pas vous donner trop de détails, mais je peux vous dire que nous étions aussi détestés qu'Adront Cataewi maintenant. Nous sommes arrivés à Serranian avec des milliards, et en voyant ce que nous apportions, le roi d'Orring a accepté de nous cacher pendant plusieurs dizaines d'années.

- Vous vous cachiez comment ?

- Dans un yacht... Mais pas le même que celui-là. Il était amarré à Serranian, dans une partie de l'île où les humains ne vont jamais. Ensuite, nous sommes allés à Ukalté, et nous avons emménagé sur ce bateau, qui est plus grand que l'autre. Nos enfants étaient devenus grands. Ils ont changé de nom et sont partis s'installer au Mnar. Nous leur avons donné de quoi bien vivre, et ils sont devenus mnarésiens.

- Vous n'avez pas peur que vos ennemis sachent où vous vivez ?

- Non. Je sais qu'is pourraient venir m'assassiner partout dans le monde, tellement ils ont envie de se venger. Mais ils ne peuvent pas aller à Ukalté. Toutefois, pour ne pas embarrasser le prince Diadumen, qui est un ami, je ne donne pas mon vrai nom.  

Héribert et Gratiana suivirent Kawaï dans l'une des salles à manger du bateau. Kawaï avait fait venir un androïde grand et bien bâti, vêtu d'un élégant uniforme de capitaine de la marine marchande.

"C'est Kiki, mon chéri-chéri," dit-elle en se rengorgeant. "C'est le deuxième homme de ma vie. Depuis que j'ai perdu mon mari, il me tient compagnie jour et nuit, hi hi hi !"

Le repas était somptueux, et généreusement arrosé de vin jaune de Baharna. Toutefois, plus Héribert entendait Kawaï lui parler de la vie à Ukalté, plus il se disait qu'il devait attendre de savoir s'il serait effectivement extradé vers le Padzaland avant de se décider.

Pendant ce temps, à Sarnath, le roi Andreas recevait dans son bureau, comme il le fait régulièrement, le directeur de la PSR, Yip Kophio, pour un entretien informel. Le roi apprécie Kophio, dont les conseils équilibrent ceux du baron Chim, son conseiller cyborg.

Kophio est à cinq ans de la retraite et n'attend plus de promotion. Il parle donc au roi avec une certaine liberté, que n'ont pas la plupart des autres conseillers. Il a déjà prévu de s'installer avec une ou deux gynoïdes dans sa villa de la Côte d'Ethel. En attendant, il essaie de noyer dans l'alcool l'angoisse permanente qui le taraude. Mais il s'interdit de boire lorsqu'il doit rencontrer le roi. Si bien qu'il est invariablement mal à l'aise pendant ces entretiens, non seulement parce que le roi l'intimide, mais aussi parce qu'il attend avec impatience que le roi mette fin à la discussion et l'invite à boire un verre avec lui.

Le roi, ce jour-là, était d'humeur joviale :

- Alors, Monsieur Kophio, quoi de neuf ?

- Majesté, les cybersophontes ont de nouvelles armes. Hyagansis a modifié plusieurs de ses sous-marins. Chacun d'eutre eux peut désormais transporter plusieurs centaines de mini-drones, des robots volants porteurs de bombes à gaz toxique.

- Et alors ? Je me contrefous de Hyagansis. En quoi cela nous concerne-t-il ?

- Ils peuvent approcher d'une ville côtière sans se faire repérer, faire surface en pleine nuit, et lâcher en quelques minutes trois cent drones sur leur objectif. Le gaz toxique — du sarin, probablement — serait suffisant pour tuer jusqu'à un million de personnes en zone urbaine, si l'attaque avait lieu de nuit, quand la plupart des gens sont chez eux.

- Le prince Diadumen est un guignol, je l'ai toujours dit. À quoi ça lui sert d'avoir tout ça ?

- À nous aider, Majesté. Diadumen a laissé filtrer l'information concernant les sous-marins transporteurs de drones. Ce n'est pas pour rien. Il montre sa force pour ne pas avoir à s'en servir. En même temps, il dit qu'il ne laissera aucune puissance étrangère envahir le Mnar. Nous savons bien que lorsqu'il parle du Mnar, il pense à Hyltendale.

- Les cybersophontes se serrent les coudes. Que dit le roi d'Orring ?

- Il répète que son pays est pacifique et neutre, et que les robots sous-marins et les torpilles intelligentes dont il dispose ont un rôle uniquement défensif.

- À ceci près, Monsieur Kophio, qu'Orring pourrait couler tous les navires de commerce de la planète, et qu'aucun pays ne pourrait l'en empêcher... Sachant que 90% du commerce international est maritime, vous imaginez les conséquences... Tous les pays qui dépendent des importations pour nourrir leur population se retrouveraient affamés en peu de temps. Et les autres pays seraient ruinés parce qu'ils ne pourraient quasiment plus exporter ou importer...

- J'ai fait faire une étude par mes services, Majesté. Nous avons fait une étude d'impact, pays par pays, secteur d'activité par secteur d'activité.

- J'espère qu'elle n'est pas trop longue, Monsieur Kophio. Il y a presque deux cent pays souverains dans le monde...

- Environ un millier de pages. Impossible de faire plus court. Nous n'avons pas parlé des incidences politiques et géostratégiques. Le résumé à lui seul fait une centaine de pages.

- Je lirai le résumé...

Kophio ne put s'empêcher de sourire. Le roi avait parlé sur un ton détaché, comme chaque fois qu'il faisait une promesse qu'il n'avait aucunement l'intention de tenir.

- Majesté, le point important est celui-ci : Hyagansis et Orring protègent le Mnar, bien que nous n'ayons aucun accord, aucun traité avec eux. Ce n'est pas pour rien, bien sûr. C'est parce qu'ils voient avant tout l'intérêt des cybersophontes d'Hyltendale. Les cybersophontes d'Hyltendale ont choisi le camp de votre Majesté, et grâce à eux, Orring et Hyagansis sont nos alliés de fait.

- Tant mieux. Ça nous laisse les mains libres pour éliminer l'ennemi intérieur, Monsieur Kophio...

- Majesté, l'ennemi intérieur sait très bien ce qu'il en est, et il se fait discret en ce moment... On n'entend plus guère les théocrates de Yog-Sothoth...

- Alors tout va bien ! Vous prendrez bien un peu de liqueur de cerise, Monsieur Kophio ?
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyMar 17 Nov 2015 - 23:17

La conversation d'Héribert avec Kawaï dériva sur l'incidence des humanoïdes domestiques (ceux qui vivent avec les gens) sur la natalité. Kawaï avait été Ministre de la Famille dans le gouvernement de son mari, qui semblait avoir été un dictateur aussi sanguinaire qu'Adront Cataewi. Elle avait des idées bien arrêtées sur la démographie :

- Bien sûr que les gynoïdes et les androïdes font baisser la natalité. Les gens qui couchent avec des humanoïdes ne font pas d'enfants. Ça tombe sous le sens. C'est pour ça qu'il faut que les humanoïdes soient chers, et limités à une seule province, comme l'Ethel Dylan. C'est encore trop, en fait. Ils devraient être limités à Hyltendale. Sinon, c'est l'effondrement démographique pour tout le pays.

Héribert ne s'était jamais posé la question, mais il essaya de tempérer ce que disait Kawaï :

- En pratique, il faut être rentier ou retraité, et avoir une certaine aisance, pour louer une gynoïde ou un androïde. La plupart des fembotniks et des manbotchicks ont déjà un certain âge. La plupart ont eu des enfants avant.

Kawaï était d'accord :

- J'ai eu sept enfants avec mon mari. Je ne pourrais pas en avoir avec Kiki, évidemment, et en plus je suis trop vieille. J'étais pauvre quand j'étais jeune, avant mon mariage. Mais si j'avais été riche, je ne me serais pas embêtée avec un mari. J'aurais loué un androïde comme Kiki, et j'aurais eu juste un ou deux enfants, par insémination artificielle. Ou plutôt avec un copain, parce que je n'ai pas confiance, on ne sait jamais ce qu'il y a vraiment dans l'éprouvette.

Kawaï tourna la tête vers la gauche, cherchant dans ses souvenirs :

- J'ai une fille qui vit à Hyltendale avec un androïde. C'est une manbotchick. Nous lui avons donné assez d'argent pour ça. Elle a eu un enfant avec un touriste. Elle l'a fait exprès, pour avoir un enfant ! La honte ! Elle l'a dragué dans un bar ! Pour une fille de chef d'État, quel déshonneur !

Kawaï s'énervait toute seule en parlant. Elle s'agitait, comme un gros tas de graisse brune sous une robe qui avait dû coûter quelques milliers de ducats.

Après avoir pleurniché et reniflé, elle recommença à parler :

- Parfois, ma fille vient à Ukalté avec son fils. Il sait que je suis sa grand-mère, mais il croit que je m'appelle vraiment Kawaï. Tous mes enfants ont changé de nom, parce que celui de leur père est trop lourd à porter.

Héribert cherchait dans sa mémoire, mais il ne voyait pas de qui Kawaï pouvait être la veuve. Le monde avait connu, et connaissait toujours, un grand nombre de tyrans sans pitié. Souvent ils finissaient mal, tués ou exilés. En fait, Héribert se contrefichait de savoir qui avait été le mari de Kawaï. Pour lui, l'humanité était divisée en deux catégories : ceux qui pouvaient lui être utiles, et les autres. Le défunt mari de Kawaï faisait partie de la deuxième catégorie, et ne l'intéressait donc absolument pas. Il n'avait même pas envie de connaître son nom.

Après le repas, Kawaï se sentit fatiguée, et elle embrassa Héribert et Gratiana pour leur dire au revoir.

Ils montèrent tous les trois sur le pont. Suite à un appel radio passé par le cerveau cybernétique de Kiki, deux flitteurs arrivèrent et emmenèrent Héribert et Gratiana à Hyltendale, à cinquante kilomètres de là.

Les deux flitteurs étaient lents et volaient à une vingtaine de mètres au-dessus des vagues. Le temps était toujours gris, mais plus clément que le matin. Sur sa gauche, Héribert voyait le soleil, encore haut dans le ciel. Devant lui et sur sa droite, rien que de l'eau, et finalement une ligne sombre par devant : Hyltendale !

Le voyage de retour dura environ une heure. Héribert et Gratiana se retrouvèrent dans l'enclos à flitteurs qu'ils avaient vu le matin. Ils en sortirent devant les deux androïdes vêtus de noir qui montaient la garde, et prirent l'autobus pour rentrer chez eux.

Un mois plus tard, Héribert fut convoqué au tribunal d'Hyltendale pour y entendre la décision des juges, concernant son éventuelle extradition vers le Padzaland. Il savait qu'il pouvait être arrêté à l'audience et mis dans un hydravion à destination de son pays natal, où il serait immédiatement incarcéré. Son anxiété devait être visible, car Narda Glok, qui était toujours son avocate, le rassura :

- Vous pourrez faire appel de la décision si elle ne vous convient pas.

Héribert, après avoir passé une très mauvaise nuit à se demander quelle était la meilleure solution, décida de se présenter au tribunal au jour et à l'heure prévues. Il était assisté de Narda Glok et accompagné de Gratiana.

Le mnarruc juridique est un jargon farci d'archaïsmes, de mots techniques et d'expressions en diverses langues anciennes. Il est difficile à comprendre, même pour quelqu'un dont le mnarruc est la langue maternelle, ce qui n'était pas le cas d'Héribert. Il suivit le déroulement de la procédure sans presque rien y comprendre.

Après une heure de palabres hermétiques, le président du tribunal lut à haute voix un texte visiblement préparé d'avance :

"Le tribunal considère que les conditions pour que le nommé Héribert des Rouvres, également connu sous le nom de Heribert Desrouvres en tant que citoyen hyagansien, soit extradé vers le Padzland sont remplies. Le tribunal accepte donc la demande d'extradition faite par les autorités padzalandaises.

Toutefois, le nommé Heribert Desrouvres a été naturalisé citoyen hyagansien depuis son arrivée sur le territoire mnarésien. S'agissant d'un citoyen d'un pays tiers, son extradition vers le Padzaland ne peut avoir lieu qu'avec l'accord du Ministre de la Justice du Mnar.

Le tribunal considère par ailleurs que les faits reprochés au prévenu, bien que déplorables, ne sont pas d'une gravité suffisante pour que sa présence sur le territoire mnarésien soit de nature à créer un trouble à l'ordre public. Le prévenu a également montré sa bonne foi en restant sur le territoire mnarésien, alors qu'il a quotidiennement la possibilité de quitter le Mnar pour aller vivre à Hyagansis, dont il est un citoyen.

Le prévenu, Heribert Desrouvres, est donc laissé libre, en attendant la décision que prendra à son égard le gouvernement mnarésien.
"

Héribert n'était pas sûr d'avoir tout compris. "J'ai donc un délai ?" demanda-t-il à Narda Glok.

- Oui. Vous avez de la chance qu'en ce qui concerne les extraditions d'étrangers, le Mnar ait copié le droit européen. Mais vous n'êtes pas encore sorti d'affaire. Votre sort dépend de la décision que prendra le ministre. À plus tard, Monsieur Desrouvres. Vous recevrez ma demande d'honoraires par courrier électronique.

L'avocate prit congé sans plus de cérémonie. Lorsqu'ils furent seuls, Gratiana dit à Héribert :

- Si le ministre refuse que tu sois extradé, tu recevras un courrier qui t'en informera. S'il accepte que tu sois extradé, la décision sera exécutée par la police d'Hyltendale, qui viendra t'arrêter chez toi. Je pense qu'il est prudent de louer une cabine à Ukalté, et d'y attendre que le ministre ait pris sa décision.

- Passer l'hiver à Ukalté ? S'il le faut...

- Nous pourrons aller faire du shopping à Serranian. Sauf les jours de tempête, parce qu'un flitteur dans la tempête, c'est comme un moustique dans un orage.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyJeu 19 Nov 2015 - 16:13

Héribert et Gratiana s'installèrent à Ukalté dans une cabine du Paquebot du Gouverneur, pour un séjour que Héribert espérait aussi court que possible, car il regrettait déjà sa petite maison du sud-est d'Hyltendale.

La cabine était équipée d'un téléviseur relié au cybercerveau central du navire, et d'une petite salle de bain. Héribert espérait ne pas être obligé d'y passer plus de quelques semaines ou quelques mois, en attendant que le ministre mnarésien de la Justice se prononce sur son éventuelle extradition vers le Padzaland.

En attendant, il allait partager la vie des quelques centaines de serviteurs de Hyagansis, en majorité des hommes, qui habitaient comme lui sur le Paquebot. Il fit connaissance avec plusieurs d'entre eux. Ils restaient rarement longtemps à Ukalté, leur travail consistant essentiellement en de mystérieuses missions à l'étranger.

Héribert sentit qu'ils ne le considéraient pas comme l'un des leurs. Ils aimaient parler entre eux dans le mnarruc élégant des Mnarésiens instruits, plein d'allusions que seuls peuvent comprendre ceux qui ont lu les mêmes livres, vu les mêmes films, et vécu les mêmes évènements. Même si officiellement ils étaient de nationalité hyagansienne, culturellement ils restaient mnarésiens.

Heureusement, Gratiana avait emporté quelques masques-cagoules. Héribert put ainsi avoir de longues conversations avec Brad, Barzaï, et les autres personnages incarnés par Gratiana, ce qui lui évita de souffrir de la solitude.

Les passagers du Paquebot prenaient leur repas dans l'une des salles à manger, où ils étaient servis par des androïdes en tenue de serveurs. Il était possible aussi de se faire livrer ses repas dans sa cabine. Héribert apprit que la gigantesque cuisine du navire préparait aussi les repas de plusieurs milliers de bannis du Mnar, qui vivaient sur d'autres bateaux. Les cuisiniers étaient des androïdes, mais trois goûteuses, chargées de vérifier la qualité des plats, y travaillaient aussi.

Héribert ne tarda pas à faire leur connaissance, car le matin elles prenaient leur petit-déjeuner avec les résidents. Elles étaient toutes les trois des bannies du Mnar. L'une d'elles, nommée Liberta, lui raconta son parcours. La plupart des hommes de son clan avaient combattu avec les rebelles pendant les Évènements. Beaucoup d'entre eux étaient morts. Elle-même avait été arrêtée, interrogée brutalement, et internée pendant deux ans au Lagovat-Kwo, l'hôpital psychiatrique d'Hyltendale. C'était une mesure de faveur, car la punition habituelle pour les rebelles, c'était la peine de mort. Ensuite elle avait été libérée, mais pour peu de temps, car la Police Secrète du Roi, la redoutable PSR, avait arrêté toute la famille quelque mois plus tard.

"Mon frère, le seul qui n'avait pas été tué pendant les Évènements, et l'un de mes oncles, avaient recommencé à comploter contre le roi" dit Liberta en soupirant. "Ils ont été imprudents, ou alors nous avons été dénoncés. Une nuit, la PSR est venue chez nous. Ils ont trouvé des armes, et des documents. Cette fois-ci, c'est toute la famille qui s'est retrouvée dans la prison de Tatanow, même les enfants. Ensuite, nous avons été bannis et expulsés vers Hyagansis."

- Concrètement, ça s'est passé comment ?

- Nous avons été séparés. Je me suis retrouvée dans un bateau avec des centaines de gens que je ne connaissais pas. Le bateau est parti d'Hyltendale et il est arrivé à Ukalté. Tous les passagers ont été transférés dans un bateau-prison. C'était pire qu'à Tatanow. Un androïde m'a demandé si j'étais volontaire pour travailler aux cuisines du Paquebot. Je ne voulais pas aller dans les installations sous-marines de Hyagansis, alors j'ai accepté. Maintenant j'habite ici, dans le Paquebot. Je n'ai pas le droit de quitter le bateau, car je suis une bannie du Mnar, mais j'ai accès à toutes les installations. La discothèque, le bar, tout ça. J'ai une cabine rien que pour moi et pour Akerrano. C'est le nom de mon androïde.

- Vous vivez avec un androïde ?

Liberta rougit légèrement :

- Oui... Comme toutes les femmes ici, non ? C'est lui qui s'est occupé de moi lorsque je suis arrivée sur le Paquebot. Il est gentil. Au début, j'étais très stressée. Lorsque j'ai appris que ma famille avait été envoyée à Senoketa, j'étais folle d'inquiétude. Je voulais avoir de leurs nouvelles.

- Et vous avez réussi à en avoir ?

- Non. Senoketa est coupé du monde. C'est l'une des installations sous-marines de Hyagansis. Vous ne le saviez pas ?

- Je viens du Padzaland, et je ne suis devenu hyagansien que très récemment. Je viens d'arriver sur le Paquebot.

- Je l'avais deviné rien qu'en entendant votre accent. Les bannis qui vivent à Senoketa sont obligés d'oublier leurs origines. Les cybersophontes veulent qu'ils deviennent de vrais Hyagansiens. Ils les font travailler dur pour mettre en valeur les fonds marins. Les bannis doivent oublier leur ancienne vie, adhérer totalement à une nouvelle culture. C'est pour ça que Senoketa n'a pas de contacts avec le monde humain.

- Et vous, Liberta, vous en pensez quoi ?

- C'est cruel. Je... Je suis désolée, je n'arrive pas à en dire plus.

Héribert se dit qu'avoir vécu une guerre civile pendant laquelle sa famille avait été décimée, et ensuite deux années d'hôpital psychiatrique, suivies peu de temps après d'une brève incarcération à Tatanow et du bannissement à Ukalté, tout cela avait détruit la jeune femme. Elle tentait de se reconstruire avec l'androïde Akerrano, qui lui donnait de l'affection, et un réel soutien moral.

Les Évènements, qui est le nom que les Mnarésiens donnent à leur guerre civile, continuent, mais de façon à peine visible. Les rebelles complotent, font un attentat de temps en temps, essaient de soulever l'opinion publique. La PSR, la police régulière et l'armée font des arrestations. Certains rebelles sont exécutés ou emprisonnés, d'autres sont bannis à Hyagansis avec leur famille. Pendant ce temps, les pays étrangers, scandalisés par la cruauté et l'arbitraire du régime mnarésien, prennent des sanctions économiques et diplomatiques contre le Mnar, puis les réduisent ou les accroissent suivant les circonstances.

"Et les vies de gens comme Liberta et moi sont affectées, parfois de façon tragique, par des décisions prises par des gens qui n'ont pas la moindre pensée pour nous", se dit Héribert. "Nous n'entrons dans leurs calculs que lorsque nous les gênons."

Héribert fréquentait assidûment la salle de sport et la piscine du Paquebot. De temps en temps, il louait un flitteur pour aller au centre commercial de Serranian, une île flottante située à vingt kilomètres d'Ukalté.

Un flitteur est un hélicoptère miniature, avec un siège pour l'unique passager. Le cybercerveau qui lui sert de pilote est caché quelque part dans la mécanique. Bien qu'il soit très léger, un flitteur est un moyen de transport très sûr. Il est muni de deux flotteurs qui lui permettent de se poser sur l'eau en cas de panne ou de tempête, et d'un parachute. Lorsqu'il allait à Serranian, Héribert louait toujours un deuxième flitteur pour que Gratiana puisse l'accompagner.

Serranian, capitale du royaume marin d'Orring, est une ville flottante, au milieu de la Mer du Sud. Les immeubles sont en béton, mais peints en blanc. On se déplace à pied à la surface, ou dans de petites voitures électriques dans les tunnels. La population est composée de cybersophontes et de plusieurs milliers d'êtres humains qui travaillent pour Orring en tant que diplomates, hommes d'affaires, banquiers ou ingénieurs, comme à Ukalté, et qui voyagent beaucoup. Certains sont mariés et ont des enfants, qui grandissent à Serranian.

Serranian n'est pas une vraie capitale, car les ambassades étrangères auprès d'Orring sont à Hyltendale, qui est une ville mnarésienne. L'unique centre commercial est de dimension moyenne, car Serranian, quant à sa population, est une petite ville. Lorsqu'on a fait le tour du centre commercial, on peut se promener dans les jardins publics, dont le style est assez proche de celui des parcs d'Hyltendale, conçus par Maya Vogeler. On peut aussi regarder les vergers et les potagers, où travaillent des klelwaks. Cette mini-zone agricole produit assez de légumes et de fruits pour toutes la ville.

Héribert avait entendu parler de l'université de Serranian, où Maya Vogeler a été étudiante. Il s'attendait à voir un campus, comme au Padzaland, mais il ne vit qu'un immeuble auquel il n'avait pas accès. D'ailleurs, il n'avait jamais vu à Serranian quelqu'un ressemblant à un étudiant.

La partie de Serranian qui se trouve en surface est bien moins importante que la partie souterraine, interdite aux humains. C'est là que se trouvent les usines automatisées et les cybermachines. On y trouvait aussi, autrefois, des jardins hydroponiques, transférés depuis dans les installations sous-marines de Hyagansis avec les bannis du Mnar qui y travaillaient.

Serranian est un port important, un point de transit pour les bateaux et les hydravions. Des sous-marins géants, en béton armé, longs de plusieurs centaines de mètres, y font surface. Des robots semblables à des araignées géantes  travaillent jour et nuit, chargeant et déchargeant les vaisseaux.


Dernière édition par Vilko le Mer 25 Nov 2015 - 22:36, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptySam 21 Nov 2015 - 13:50

Pendant qu'Héribert Desrouvres attendait à Ukalté que le ministre de la Justice du Mnar prenne une décision concernant son extradition vers le Padzaland, à Hyltendale, la vie continuait. Avant de s'exiler provisoirement à Ukalté, Héribert avait découvert le district de Playara et ses plages. C'est aussi là qu'il découvrit l'existence d'une catégorie d'êtres humains proches des fembotniks, mais sans en être vraiment : les villégiateurs.

Les villégiateurs viennent à Hyltendale pour une durée limitée, variant entre quelques jours et plusieurs mois. La durée moyenne de leur séjour est de deux semaines. Beaucoup d'entre eux font plusieurs séjours dans l'année.

Le villégiateur moyen a un emploi, dans une autre ville du Mnar ou à l'étranger. Généralement célibataire, il va à Hyltendale pendant ses congés, et loue une gynoïde (ou, pour les villégiateuses, un androïde) pour lui tenir compagnie. Il réside soit à l'hôtel, soit dans un appartement ou une maison en location. Pendant son séjour, il ne manque jamais d'aller faire un tour à Zodonie, mais il préfère Playara, avec ses plages et ses clubs de sport.

Dans le club où il faisait de la planche à voile, lorsqu'il habitait à Hyltendale, Héribert avait rencontré des villégiateurs. Comme l'un d'eux, un Padzalandais, le lui avait expliqué :

- Je n'ai jamais réussi à séduire une fille. Je suis assez difficile aussi. Il faut qu'elle soit jeune, belle, cultivée, et avec un bon job. Mais je ne sais pas pourquoi, ce genre de fille ne s'intéresse pas à moi. Alors, je prends mes quatres semaines de congé annuel en quatre fois, une semaine tous les trois mois, et je vais à Hyltendale. Je loue un studio et une gynoïde, et je peux enfin être heureux. Faire la grasse matinée avec une jolie fille dans mes bras, et faire de la planche à voile l'après-midi. L'hiver, il fait trop froid pour la planche à voile, même à Hyltendale, alors je fais de la muscu. J'aime l'ambiance des clubs de sport hyltendaliens.

- Et ça vous apporte quelque chose, d'aller à Hyltendale quatre fois par an ?

- Oui. Je me suis rendu compte que je mène une vie sans intérêt au Padzaland. Se réveiller fatigué, travailler comme un esclave toute la journée, se faire réchauffer un plat au micro-onde et ensuite dormir tout seul dans un lit froid, c'est pas terrible. À Hyltendale, je vis vraiment. La ville me plaît tellement que j'ai appris le mnarruc ! Maintenant, chez moi au Padzaland, je lis des articles de journaux mnarésiens sur mon ordinateur, et je regarde des vidéos en mnarruc.

- Ah, alors vous connaissez sans doute la politique mnarésienne mieux que moi... Et qu'est-ce que vous en pensez ?

- Je suis à fond pour les cybersophontes, parce que les gynoïdes sont des cybersophontes. Ils ont fait d'Hyltendale ce qu'elle est, et j'adore cette ville ! L'architecture est un peu triste, avec tous ces cubes de béton, mais elle est fonctionnelle. Les jardins publics sont magnifiques, et au niveau qualité de vie, c'est quelque chose... Je reconnais que je ne suis pas objectif, je tombe toujours amoureux de ma gynoïde, et donc de sa ville !

- Et aussi de son peuple, non ? Si on considère les cybersophontes comme un peuple...

- C'est un peu ça... La presse padzalandaise raconte des horreurs sur le roi Andreas, mais quand on vit ici on s'aperçoit qu'il est soutenu par les cybersophontes, et on n'a franchement pas l'impression de vivre dans un régime policier. Alors je reste neutre. Ou plutôt, quand je suis à Hyltendale je deviens hyltendalien. Donc monarchiste. Mais quand je rentre au Padzaland, je redeviens padzalandais, donc républicain.

Héribert avait aussi eu l'occasion de discuter avec une villégiatureuse, au bar du club de planche à voile. Abelina était une universitaire de Sarnath. Tout en buvant un jus d'ananas, elle fit quelques confidences :

- J'ai sacrifié ma vie sentimentale à ma vie professionnelle. Je suis arrivée à un niveau élevé. Dans mon domaine d'expertise, la philologie des Temps Légendaires, je suis une sommité. Mais je vis seule, car il n'y a jamais eu de place pour un homme et des enfants dans ma vie. Il m'arrive de plus en plus souvent de le regretter. Au niveau de ma vie privée, c'est le néant total. Alors je vais à Hyltendale chaque fois que je peux. J'ai acheté un petit appartement dans l'est de la ville. J'ai même prévu de m'y installer pour de bon quand je serai à la retraite et que j'aurai fini de le payer. Parfois, je vais à Hyltendale juste pour un week-end, quand j'ai le blues. Ça fait des années que je ne suis pas allée en vacances ailleurs qu'à Hyltendale.

- Vous avez un attachement sentimental envers Hyltendale ?

- Envers mon androïde, oui. Je prends toujours le même type d'androïde, et je lui donne le même prénom, comme ça j'ai l'impression de retrouver mon homme. Dans l'appartement, je garde des vêtements pour lui, et des accessoires : une montre de luxe, une gourmette d'argent...

- C'est la passion !

- Exactement ! Ça vous paraît peut-être ridicule, d'être amoureuse d'un androïde, mais vous ne pouvez pas savoir ce que c'est que d'avoir toujours vécu seule... À part lui, je n'ai personne à qui me confier. Ici à Hyltendale, je vis en couple. C'est comme d'être dans un film dont je serais la vedette. Dans mon bureau à Sarnath, j'ai accroché des tableaux d'art abstrait, que j'ai achetés à Zodonie. Ça me rappelle Hyltendale.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptySam 21 Nov 2015 - 23:26

Héribert était assis dans un fauteuil de cuir, dans sa confortable cabine du Paquebot, à Ukalté. Allongée sur le lit, Gratiana, sa gynoïde, rechargeait ses batteries. C'était le soir, et le bonheur tranquille d'avoir près de soi l'être à qui l'on tient le plus.

Par principe, Héribert voyait toujours le côté positif des choses. Il savait qu'il y avait des milliards de gens dans le monde qui auraient donné tout ce qu'ils avaient pour être à sa place.

Des souvenirs du passé remontèrent dans son esprit. Lui aussi, comme bien d'autres, il avait été villégiateur. Du moins, jusqu'à son mariage. Ensuite il n'était plus retourné à Hyltendale qu'épisodiquement. Mais lorsqu'il était étudiant, il avait peu d'amis, et pas de fiancée. C'est pourquoi, avec l'argent qu'il gagnait en travaillant pendant les vacances dans l'usine de son père, il avait financé plusieurs escapades à Hyltendale.

Un épisode, notamment, l'avait marqué, pendant ses années d'études. Il lui était arrivé une fois de se retrouver vraiment seul, pendant la période du solstice d'hiver, qui est une fête très importante au Padzaland. C'est aussi une période où les suicides sont plus nombreux, car lorsque tout le monde fait la fête en famille ou entouré de ses amis, la solitude devient insupportable. D'autant plus que les entreprises et les administrations ferment et que presque tout le monde se retrouve en congés, à part les commerçants et les services d'urgence, comme les hôpitaux, les pompiers et la police.

Cette année-là, Héribert avait vu avec angoisse la période du solstice arriver. Il était tout le contraire d'un solitaire, et pourtant il n'était invité nulle part... Ses parents avaient prévu de passer la soirée du solstice avec des amis de leur âge, et Héribert, qui avait vingt-deux ans, sentait que, seul jeune parmi des quinquagénaires, il allait s'ennuyer à mourir. Pire encore : faire pitié.

Il décida donc de sacrifier la plus grande partie de ses économies, et de partir une semaine à Hyltendale, afin de pouvoir dire ensuite : "J'ai passé les fêtes du solstice à Hyltendale. On était une bande de potes, on s'est éclatés comme des bêtes pendant une semaine, ivres morts tous les soirs." Personne n'irait vérifier s'il était seul ou avec des amis là-bas.

Il s'attendait tellement à s'ennuyer à Hyltendale qu'il avait emmené avec lui un livre de 600 pages, Histoire Épistémologique et Bibliographique de la Philologie, qu'il avait l'intention de lire en prenant des notes, afin d'en faire la critique pour le bulletin de l'université. Il avait aussi emmené un petit manuel de mnarruc.

Héribert avait retenu une chambre dans un hôtel bon marché de Roddetaik, le plus grand district d'Hyltentale, au nord de Playara. Curieusement, c'est dans le même district qu'il allait acheter une maison, une vingtaine d'années plus tard. Mais à l'époque il était loin de s'en douter.

Le trajet, en train et en hydravion, avait été assez long et fatigant. Le soir de son arrivée, le jeune Héribert dîna assez frugalement dans le restaurant de l'hôtel, et monta dans sa chambre, avec l'intention de se coucher tôt. En lisant les dépliants publicitaires placés sur la petite table, il vit qu'il pouvait louer pour une semaine entière une gynoïde de charme, pour un prix qui était dans ses moyens.

Héribert avait eu l'intention d'aller rendre visite aux gynoïdes de Zodonie, mais en avoir une avec soi pour une semaine entière, c'était autre chose...

Il redescendit dans le hall, le prospectus à la main, et s'adressa au réceptionniste androïde. Il était encore timide à l'époque, et c'est le rouge aux joues qu'il parla à l'humanoïde, qui répondit fort courtoisement à ses questions.

Une heure plus tard, une gynoïde de charme nommée Hippona montait dans la chambre d'Héribert. Elle avait un sac à main en bandoulière et tirait derrière elle une petite valise à roulettes.

Le lit était assez étroit, mais ce n'était pas un problème pour la gynoïde, totalement immobile pendant qu'Héribert dormait, après leurs ébats. Elle aurait pu également s'allonger sur le sol, cela ne gêne pas les humanoïdes, qui sont des robots, et qui se passent donc facilement de confort.

Cette semaine-là, Héribert ne lut pas une ligne de l'Histoire Épistémologique et Bibliographique de la Philologie, mais il apprit un peu de mnarruc avec Hippona. L'hiver à Hyltendale est frais et pluvieux, avec un ciel perpétuellement gris, en contraste marqué avec le reste de l'année, très ensoleillé. Hippona emmena Héribert dans de longues marches à travers la ville. Elle lui apprit à apprécier le charme des jardins publics hyltendaliens et à reconnaître les principales espèces de plantes.

Elle avait amené dans sa valise un masque-cagoule représentant Barzaï le sage. Barzaï connaissait la philologie et l'épistémologie aussi bien qu'un professeur d'université, et Héribert eut de longues conversations avec lui.

La veille de son départ, Héribert demanda à Hippona :

- Est-ce qu'on pourra se revoir, lorsque je reviendrai ?

- Je risque d'être avec un autre client, mon chéri. Nous les gynoïdes, nous sommes toutes interchangeables. Ne l'oublie jamais. L'attachement crée de la jalousie, et la jalousie crée de la souffrance, c'est une vérité bien connue. Rappelle-toi simplement de ceci : toutes les gynoïdes sont interchangeables. Nous ne sommes pas comme les humaines, qui sont toutes différentes. Tu reverras aussi Barzaï. On trouve son masque-cagoule partout, et toutes les gynoïdes savent l'incarner.

Héribert se demanda s'il y avait une profonde sagesse dans ce que venait de dire la gynoïde. Mais après y avoir réfléchi, il se dit qu'elle avait simplement énoncé un fait, ou plutôt plusieurs.

Le jeune Héribert repartit d'Hyltendale apaisé et heureux. Il n'oublia jamais Hippona, même quand il se maria, quelques années plus tard.

Ses parents ne lui posèrent aucune question sur son séjour à Hyltendale. Ses amis non plus. L'une des ses camarades de l'université lui dit :

- C'est dommage que tu n'aies pas été là, tu aurais passé la fête du solstice avec nous...

- J'étais à Hyltendale...

- Oh...

Elle ne lui demanda pas ce qu'il avait fait à Hyltendale. Il avait prévu de dire qu'il avait retrouvé des amis mnarésiens là-bas, ce qui n'était pas très éloigné de ce qu'il avait vécu avec la gynoïde Hippona et le masque-cagoule Barzaï. Car au Padzaland, déjà à l'époque, il était considéré comme déshonorant et quasiment pervers d'avoir des rapports sexuels avec une gynoïde.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyMer 25 Nov 2015 - 22:33

La vie continuait, à son rythme tranquille, dans le royaume de Mnar. Dans l'Ethel Dylan, les cybersophontes transformaient progressivement les klelwaks en androïdes. L'opération était facile, il s'agissait essentiellement de remplacer l'enveloppe verte des klelwaks par une enveloppe similaire mais imitant la peau humaine, et de rajouter des fausses dents, des oreilles postiches, et une perruque. Le coût était faible, mais multiplié par plusieurs centaines de milliers de klelwaks, il devenait conséquent. Le but de l'opération était de rassurer les Mnarésiens, beaucoup d'entre eux trouvant les klelwaks effrayants, tandis que la plupart des gens s'étaient habitués à voir des cyborgs sur leurs écrans de télévision.

Les cybersophontes en profitèrent pour standardiser la tenue du "travailleur manuel humanoïde" standard : une blouse grise de toile imperméabilisée, avec de grandes poches latérales. Un pantalon gris, des chaussures de toile, et, pour travailler à l'air libre, un chapeau, afin d'empêcher les gouttes de pluie de tomber sur les optiques. Les optiques des humanoïdes, en effet, leur servent aussi à percevoir les sons, et une goutte de pluie tombant dessus est ressentie comme un bruit d'explosion. Sur la blouse, un badge, indiquant le nom usuel de l'androïde et son numéro de série.

Lorsqu'ils sont usés, les vêtements ne sont pas remplacés, mais rafistolés. En quelques mois, la blouse et le pantalon d'un androïde travaillant dans une ferme ou à la campagne sont entièrement rapiécés et raccommodés, et pleins de taches diverses que le lavage ne permet pas d'éliminer complètement. On reconnaît un androïde de travail autant à sa blouse qu'à son badge.

À Sarnath, le ministre de la Justice avait enfin pris une décision concernant le cas Héribert Desrouvres. S'agissant d'une décision concernant un fembotnik, il avait envoyé un courrier au baron Chim, le seul cyborg de l'entourage royal, pour connaître son opinion. Le baron lui avait répondu, avec sa courtoisie habituelle, que si le Mnar commençait à extrader des étrangers pour des raisons aussi triviales qu'un non-paiement de pension alimentaire, le royaume perdrait une partie des centaines de millions de ducats que les étrangers qui s'installaient à Hyltendale chaque année amenaient avec eux.

Le baron avait exprimé son opinion sans tourner autour du pot :

Chaque année, plusieurs centaines d'étrangers fortunés s'installent à Hyltendale en amenant avec eux leur richesse. Cet argent est souvent d'origine douteuse, ou au moins controversée. Si le Mnar se met à extrader facilement, sur simple demande de leurs pays d'origine, ces étrangers fortunés ne viendront plus, et le Mnar perdra des millions, voire des milliards de ducats. Que nous importe le Padzaland ? Ses dirigeants disent que le roi Andreas est un criminel de guerre, qui mérite d'être jugé par un tribunal international. À tout le moins, qu'ils respectent notre roi. Ce serait une mauvaise idée d'extrader Héribert Desrouvres.

Le ministre avait aussi sollicité, par courrier électronique, l'opinion de Yip Kophio, le chef de la PSR, la Police Secrète du Roi. Kophio espérait prendre prochainement sa retraite sur la Côte d'Ethel avec deux gynoïdes. Ne sachant quoi répondre, il avait posé une question sur le forum virtuel Gollirck :

- Que pensent les mecs et les nanas de Gollirck des extraditions d'étrangers résidant au Mnar ?

La réponse, donnée par l'un des modérateurs, était arrivée en peu de temps :

- Un pote à moi, qui est un cyborg, quand même, si si c'est vrai j'te jure, m'a dit que l'opinion commune chez les cybersophontes est nettement négative, concernant les extraditions d'étrangers. Ils aiment pas ça. Eh ouais, mec, c'est comme ça... Sauf pour Adront Cataewi, vu la gravité des crimes pour lesquels il est poursuivi. Mais Cataewi, c'est un cas à part. D'ailleurs, personne ne sait où il vit réellement. Si tu sais où il se cache, tu m'le dis, mec ! Yog-Sothoth Neblod Zin ! On ira lui chauffer les fesses à coups de bottes !

Kophio avait été satisfait de la réponse, enrobée, comme d'habitude, dans un faux argot d'étudiant, pour brouiller les pistes. Comme beaucoup de gens, Kophio savait que le forum Gollirck était la création d'un cybercerveau. Les cybersophontes l'utilisaient pour discuter avec des humains et pour répandre leurs idées, par l'intermédiaire des modérateurs virtuels. Les êtres humains venaient sur le forum pour savoir ce que pensaient les cybersophontes sur tel ou tel problème, et aussi pour défendre leurs propres opinions, en espérant que les cybersophontes les reprendraient à leur compte. Parfois aussi, pour dire des choses qu'ils n'auraient jamais osé dire ailleurs. Il était bien connu que le forum Gollirck était protégé par le baron Chim, et qu'on y jouissait d'une grande liberté d'expression, et surtout d'un véritable anonymat.

Au Mnar, Adront Cataewi est presque un personnage de légende. L'ancien tyran de la Cathurie, psychopathe sadique avéré, est considéré comme l'incarnation du mal. On entend fréquemment, dans les conversations, des phrases comme : "Méchant comme il est, ce type-là doit être un fils caché de Cataewi", ou, sur un ton provocant : "Des fois, je me dis que si on avait un roi comme Cataewi, au moins ces feignants de fonctionnaires seraient obligés de travailler."

Adront Cataewi, selon des rumeurs insistantes, vivrait caché à Hyltendale. Nombreux sont ceux qui, sans croire tout à fait à la rumeur, aimeraient bien être celui qui démasquera Cataewi, l'homme qui est recherché par toutes les polices de la planète.

Au Mnar, il est très mal vu de faire des plaisanteries sur le roi, ou de le critiquer avec trop de hargne. Les oreilles de la PSR sont partout. Mais on peut dire ce qu'on veut sur Adront Cataewi.

Kophio envoya un courrier électronique au ministre pour lui dire qu'à son avis, il valait mieux ne pas extrader Desrouvres, "par principe". Il se garda bien de préciser de quel principe il s'agissait, car il n'en avait pas la moindre idée.

Le ministre, qui avait l'esprit fin, comprit le message. Lorsque le baron Chim et Yip Kophio étaient du même avis, il était probable que le roi l'était aussi. Ou qu'il le serait si le problème remontait jusqu'à lui.

Héribert Desrouvres apprit peu de temps après, par l'intermédiaire de son avocate, qu'il ne serait pas extradé vers le Padzaland. Il revint habiter avec la gynoïde Gratiana dans sa petite maison de Roddetaik, le district situé juste au nord de Playara.

Les Padzalandais du Cercle Paropien, qui ne l'avaient pas vu depuis des mois, l'accueillirent avec une joie sincère. Héribert paya une tournée générale, prélude à une beuverie monstre, comme le cercle n'en avait pas vu depuis longtemps. Elias Faust y participa, et dans son ivresse se laissa aller à parler plus qu'il n'aurait dû. Héribert, qui était moins ivre qu'il ne le paraissait, devina ainsi l'identité réelle d'Elias Faust. Mais jamais il ne révéla le secret.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyJeu 26 Nov 2015 - 22:53

C'était un soir, dans le bureau royal, à Sarnath. Le roi Andreas, assis derrière sa table de travail, était en grande discussion avec l'un de ses conseillers techniques, le baron Robétovo. Ce dernier avait étalé une carte du Mnar sur la table de chêne massif, tout en donnant à son souverain des explications, de sa voix pédante et haut perchée :

- L'accord que vous allez signer avec le royaume d'Orring est tout à fait clair, Majesté. Il n'y aura rien à moins de deux kilomètres du rivage. Les cybersophontes d'Orring construiront leurs îles flottantes et des installations sous-marines dans nos eaux territoriales, c'est-à-dire jusqu'à vingt-deux kilomètres au large, mais seulement à partir de deux kilomètres du rivage. Tout ce que construiront les cybersophontes dans cette zone nous rapportera des impôts et sera soumis à nos lois...

- J'espère bien, baron !

- Majesté, ce sera exactement comme si les cybersophontes s'installaient dans une de nos provinces de la terre ferme. Grâce à la technologie des cybersophontes, nous sommes désormais assurés que nos provinces côtières ne manqueront jamais d'électricité.

- Et au-delà des vingt-deux kilomètres, que feront-ils dans notre zone maritime d'exclusivité économique, qui, si ma mémoire est bonne, s'étend jusqu'à deux cent kilomètres de nos côtes ?

- La mer est profonde au-delà des eaux territoriales, Majesté. Les îles flottantes sont mobiles. Techniquement, ce sont des bateaux gigantesques, de plusieurs kilomètres carrés, ancrés dans la mer, mais qui peuvent se déplacer. Il est donc difficile de considérer que ce sont des installations fixes. Quant à ce qui se passe au fond de l'eau, nous n'en savons trop rien. Ce que les gens d'Orring appellent leurs installations sous-marines sont mobiles elles aussi. Des robots géants creusent des trous au fond des mers...

- Jusqu'à présent, nous avons laissé aux cybersophontes un accès libre à notre zone d'exclusivité économique en échange de leur soutien politique, militaire, technologique et économique. C'est bien cela, baron Robétovo ?

- Tout à fait, Majesté.

Le roi Andreas soupira.

- Et pour faire avaler la pilule, quasiment tous les nobles et hauts fonctionnaires mnarésiens ont reçu en cadeau de leur bienveillance, de la part des cybersophontes, des villas sur la Côte d'Ethel et à Playara, avec des humanoïdes pour les servir, et des comptes bancaires à Hyagansis.

- Votre Majesté a laissé faire ?

Le roi sourit en voyant l'expression d'incrédulité, totalement feinte, qui était apparue sur le visage du baron.

- Bien sûr. Je ne peux rester roi qu'en laissant la noblesse s'enrichir encore plus. De toute façon, le Mnar n'a pas les moyens d'exploiter sa zone d'exclusivité économique.

- Majesté, en ce qui concerne nos eaux territoriales, pour l'instant, les cybersophontes n'ont construit qu'une seule île flottante. C'est Arjara, un district d'Hyltendale, qui est construit sur l'eau...

- Oui, j'ai vu des photos aériennes... On dirait un rectangle qui fait saillie sur la côte. C'est toujours ça de pris pour agrandir le royaume...

- Arjara fait partie d'Hyltendale, mais, techniquement, c'est une île flottante. J'y suis allé. On a l'impression d'être dans un quartier ordinaire. Des voitures et des autobus circulent dans les rues. Les immeubles sont plutôt bas, mais dans le même style que dans le reste d'Hyltendale.

"Des cubes de béton..." dit le roi en faisant la moue.

Le baron hocha la tête :

- Les cybersophontes aiment ce qui est fonctionnel, surtout en architecture. Il faut bien admettre que l'esthétique y perd souvent. La surface d'Arjara est habitée par des vieillards, des invalides, et par les humanoïdes qui s'occupent d'eux. Une population tranquille, et même plus que tranquille. À terme, ils devraient être un million, peut-être davantage, quand Arjara aura pris les dimensions d'une petite péninsule. Sous les rues et les immeubles d'Arjara, c'est une ville marine, habitée uniquement par des cybersophontes, avec des bassins à sous-marins et des usines robotisées. Très peu d'humains y ont accès.

- Je connais Arjara, baron. Mon yacht est amarré juste à côté, à Fotetir Tohu. On voit de très loin les cheminées d'usine d'Arjara. Elles sont très hautes, et décorées de monstres à tentacules, avec des yeux rouges et jaunes qui brillent la nuit. Je ne saurais dire si c'est beau, mais en tout cas c'est pittoresque.

- Les cheminées sont très hautes pour éviter que les fumées n'intoxiquent les habitants. Quant à la décoration, elle fait partie de nos traditions, qui sont basées sur les Manuscrits Pnakotiques. Les lumières sont pratiques, les bateaux les voient de loin.

- Eh bien, baron, tant mieux... Moi, ce qui m'intéresse, c'est que nos eaux territoriales vont devenir l'équivalent d'une province supplémentaire, de vingt kilomètres de large sur mille kilomètres de long... Vingt mille kilomètres carrés mis en valeur par des robots cybernétiques, tirant leur énergie de la chaleur irradiée par le cœur de la planète... Des usines sous-marines qui doubleront ou tripleront la production industrielle du Mnar... Je vais entrer dans l'histoire comme l'un des plus grands rois du Mnar, baron, celui qui aura multiplié par deux, trois ou quatre la richesse du pays !

"Et la tienne par dix" pensa le baron, qui préféra enchaîner sur une phrase plus susceptible de plaire à son souverain :

- Majesté, les cybersophontes nous fourniront de l'électricité en paiement de leurs impôts, et nous la vendrons aux consommateurs. Cela fera entrer de l'argent dans les coffres de l'État...

- Exactement !

Le roi se leva, faisant ainsi comprendre au baron Robétovo que l'entretien était terminé.

Pendant que le baron roulait la carte qu'il avait montrée au roi, ce dernier lui proposa de lui montrer quelques tableaux qu'il avait fait installer dans le Salon Jaune.

Les deux hommes marchèrent dans les couloirs froids mais fastueusement décorés du palais, tout en devisant de façon informelle. Cela faisait des années qu'ils se connaissaient, et il existait entre eux une certaine estime réciproque, qui se manifestait par le plaisir qu'ils avaient à discuter ensemble, malgré les formalités du protocole.

"Voyez-vous, baron" dit le roi, "Tout le monde ne voit que les humanoïdes, et surtout les gynoïdes de charme de Zodonie. Mais ces gueuses n'ont d'importance que pour ceux qui font appel à leurs services. Je vous le dis baron, ce qui est important chez les cybersophontes, c'est ce qu'on ne voit pas. Les cybercerveaux. Les installations sous-marines d'Orring, et ses sous-marins géants de béton armé, dont certains font jusqu'à deux kilomètres de long... Les robots aquatiques de combat, qui pourraient couler en quelques semaines tous les bateaux de la Mer du Sud, si les cybercerveaux leur en donnaient l'ordre..."

- Majesté, lorsque le Mnar passe des accords avec les cybersophontes, n'est-ce pas jouer avec le feu ?

- Peut-être, baron, peut-être. Mais voyez-vous, je ne devrais pas être là.

- Majesté...

- Je vous le dis clairement, baron, je ne devrais plus être roi. Les nations du monde ont décidé que j'étais un criminel. J'entends encore mes homologues du Padzaland ou d'ailleurs dire à la télévision : "Andreas doit partir, il ne mérite pas d'être roi, il a du sang sur les mains." Sans le soutien des cybersophontes, cela fait longtemps que le Mnar aurait été étranglé par les sanctions économiques, et que j'aurais été obligé d'abdiquer. Je suis moins bête que mes ennemis le pensent. J'ai tout compris. Les cybersophontes me demandent de renforcer leur puissance, accord après accord, en échange de leur soutien. Et j'accepte.

- Et si Votre Majesté refusait les accords que les cybersophontes lui proposent ?

- Baron, certaines puissances étrangères, que je ne veux pas nommer, font parvenir des armes aux rebelles. Pour écraser la rébellion dans l'œuf, j'envoie préventivement des familles entières de rebelles en exil à Hyagansis, en espérant qu'elles n'en reviendront jamais. Parfois, mon fidèle Kophio fait arrêter toute une famille sur une simple dénonciation.

- J'ai entendu parler de ce genre de choses, Majesté. Votre réputation...

Le roi lui coupa la parole :

- Baron, je ne fais pas régner la terreur chez mes ennemis par plaisir, mais pour empêcher le pays de tomber entre les mains des plus fanatiques parmi les adorateurs de Yog-Sothoth. Si Hyagansis n'existait pas, je serais obligé de garder des centaines de milliers de mes ennemis politiques dans des camps de prisonniers. Le monde entier le saurait, car à notre époque on ne peut pas cacher ce genre de choses. C'est déjà très mauvais pour ma réputation que depuis les Évènements, deux millions de Mnarésiens soient partis à l'étranger, où ils complotent contre moi. Sans le soutien des cybersophontes, je finirais rapidement comme Adront Cataewi. Un tyran en fuite, obligé de se déguiser pour ne pas être reconnu et arrêté.

- Majesté, Adront Cataewi a trouvé un refuge. Certains disent qu'il est à Hyltendale, d'autres qu'il est à Ukalté.

- Peu importe où il se cache. Moi, je préfère rester roi, et continuer d'habiter dans ce palais.

Les deux hommes arrivèrent dans le Salon Jaune, où le roi avait fait exposer quatre tableaux de Ditlikh Ebalyë, qu'il avait reçus en cadeau. Pour le baron Robétovo, ce n'était pas de l'art, mais des formes colorées qui ne voulaient rien dire.

Le roi donna à son baron un véritable cours sur les peintres abstraits hyltendaliens.

"Votre Majesté semble s'y connaître" dit le baron, un peu surpris.

- Baron, les sages disent que la contemplation nous rapproche de notre dieu Nath-Horthath. La contemplation des œuvres d'art est donc une activité spirituelle. Une forme de méditation, si vous voulez.

- Majesté, ces tableaux ne représentent rien ! Je veux dire, rien qu'un ignorant comme moi puisse comprendre...

- Baron, le mystère d'Azathoth est dans l'incompréhensible. Nath-Horthath est un dieu couronné de fleurs. Azathoth... Je ne sais comment m'exprimer... Derrière l'ordre et la beauté incarnés par les fleurs et Nath-Horthath, il y a le mystère de l'équation fondamentale de l'univers. Le lieu où l'énergie et la matière ne sont qu'une seule réalité. Les cybersophontes appellent ce lieu Azathoth. C'est Azathoth qui fait surgir l'énergie du néant, grâce à la gravitation. L'art abstrait hyltendalien représente Azathoth. Les cybersophontes disent qu'Azathoth est le seul vrai dieu, car lui seul crée de la réalité à partir du néant. Et ce dieu est aveugle, sourd et idiot.

La baron Robétovo se dit avec angoisse que le roi Andreas était devenu fou.

Le roi sentit l'inquiétude dans le regard du baron, et il se hâta de corriger ce qu'il venait de dire :

- Rassurez-vous baron, ce ne sont pas mes idées. Tout simplement, je vous expliquais ce qu'évoquent ces tableaux, chez les amateurs de ce style de peinture. Je n'en fais pas partie, vous vous en doutez bien. Mais en tant que roi, je me tiens au courant des grandes tendances de l'art mnarésien, dont l'art hyltendalien fait partie. En ce qui me concerne, j'ai une conception de la vie et du monde toute différente, et qui m'a été transmise par mon père, le roi Robert. J'ai été élevé dans l'adoration de Nath-Horthath, et je resterai toujours fidèle à l'enseignement que j'ai reçu. Ces tableaux ne quitteront pas le Salon Jaune. Si vous avez jeté un coup d'œil sur les tableaux qui ornent les murs de mon bureau, vous avez pu constater que mes goûts personnels sont tout à fait classiques...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyDim 29 Nov 2015 - 21:48

Les gynoïdes et les androïdes que les Mnarésiens appellent "domestiques", c'est-à-dire vivant avec des humains qu'ils servent, sont parfois la cause de disputes dans les familles, surtout quand ces humanoïdes sont un peu plus que des domestiques pour ceux qui les louent...

Basilea, la sœur de Yohannès, avait décidé de rendre visite à son frère à Hyltendale.

Elle habitait à Ulthar, à moins de deux heures de route d'Hyltendale. Son mari, Penquom Praxitel, devant aller à Ulthar en voiture pour ses affaires, elle lui proposa de l'accompagner. Penquom n'avait aucune envie de revoir son beau-frère, qu'il méprisait ouvertement, et il déposa Basilea à proximité du domicile de Yohannès, en lui promettant de revenir la chercher dès qu'elle l'appellerait sur son téléphone portable.

Penquom prit la direction de l'avenue Helierte, bien décidé à faire un petit tour à Zodonie pendant que Basilea serait chez Yohannès.

Basilea trouva sans difficulté le petit immeuble où habitait son frère. Elle lui avait envoyé un message électronique pour le prévenir de sa visite, et Yohannès avait répondu positivement.

Les fembotniks ont des coutumes particulières, notamment celles de ne pas avoir de sonnettes à l'entrée de leurs habitations. Ils considèrent en effet que, si vous avez quelque chose à faire chez eux, vous avez leur numéro de téléphone. Ils considèrent aussi que, comme toute personne civilisée, vous avez un téléphone portable, pour les appeler lorsque vous serez devant chez eux. Sinon, vous êtes probablement un enquiquineur, et ils n'ont tout simplement pas envie de vous voir.

Les pompiers et la police disposent de clés spéciales leur permettant d'entrer dans les immeubles. Si vous habitez à Hyltendale et que l'on frappe à votre porte, et que l'immeuble n'est pas en feu, c'est soit la police, soit un voisin furieux parce que vous faites trop de bruit. À Hyltendale, comme dans les autres villes du Mnar, on est soulagé de voir que la personne qui a frappé à votre porte en pleine nuit est un voisin mécontent.

L'immeuble où habitait Yohannès était entouré d'une pelouse, à laquelle on accédait depuis la rue par un portail de fer forgé. Basilea téléphona à son frère, qui vint lui ouvrir le portail quelques minutes plus tard.

"Shonia est partie faire des courses," s'excusa-t-il. "D'habitude, c'est elle qui va chercher les visiteurs."

"C'est aussi bien que ta gynoïde ne soit pas là, nous pourrons discuter tranquillement" répondit Basilea.

Dans le minuscule appartement, Yohannès offrit un tasse de thé à sa sœur. Il ne savait pas trop quoi lui dire, d'autant plus qu'il n'avait aucune envie de l'entendre parler des affaires florissantes de son industriel de mari et des succès de ses quatre enfants, toutes choses qui étaient le thème central de la plupart des conversations de Basilea.

Elle jeta un coup d'œil circulaire sur le studio modestement meublé mais bien rangé, si différent de la maison de quatorze pièces que Yohannès avait habitée autrefois à Ulthar, lorsqu'il était vraiment riche et que tout lui réussissait. Sans perdre de temps, Basilea sortit ce qu'elle avait sur le cœur :

- Yohannès, tu vis dans un monde artificiel. Tu ne parles pas avec de vraies personnes, mais avec une gynoïde et les masques-cagoules qu'elle porte ! Elle se met sur la tête une cagoule sur laquelle quelqu'un a peint le visage de Barzaï, et tu crois que tu discutes avec le grand-prêtre Barzaï... C'est pathétique.

- Excuse-moi... N'est-ce pas toi, Basilea, qui passes quatre ou cinq heures par jour à regarder la télévision ? Des séries télé où des acteurs jouent le rôle de personnages imaginaires, parlant et agissant dans des décors de cinéma, et récitant des textes écrits par des scénaristes professionnels ? Où est le réel, là-dedans ? Quand je discute avec Barzaï, j'ai en face de moi, dans mon salon, quelqu'un de réel. Il y a un dialogue. Je discute avec quelqu'un d'intelligent. Quand tu regardes la télé, il n'y a pas de dialogue.

- Tu ne parles pas avec de vraies gens ! Moi je ne fais pas que regarder la télé, je vis vraiment ! Je parle avec mes amis, avec ma famille, avec les gens !

- Derrière le masque-cagoule de Barzaï, il y a un cybercerveau. Une intelligence supérieure. Elle vaut bien tes amis. Et puis, moi aussi je parle à des êtres humains. Je fais partie du Cercle Paropien. Moi aussi je parle à des êtres humains.

- Yohannès, tu sais bien qu'un cybercerveau, ce n'est pas un être humain, et c'est quand même surtout avec lui que tu discutes. Je ne pense pas que tu passes toutes tes journées à ton club.

- C'est vrai, mais tu oublies que sur le plan intellectuel, un cybercerveau, c'est bien plus qu'un être humain.

- Sur le plan de la logique, certainement. Mais, et l'affection, l'amour ? Yohannès, tu croies qu'une gynoïde te donne un amour réel ? Elle joue le rôle de la femme amoureuse, c'est tout. Elle est téléguidée par une intelligence artificielle qui n'a rien d'humain. Une femme, une vraie femme de chair et de sang, c'est quand même autre chose.

- Je connais les vraies femmes. J'ai été marié avec Tawina. Elle a joué le rôle de la femme amoureuse jusqu'à ce qu'on soit mariés. Ensuite, elle a jeté le masque. J'ai vécu l'horreur. Elle a failli me détruire pour de bon. Tant qu'à faire, je préfère vivre avec une gynoïde. Au moins, la gynoïde jouera son rôle de femme amoureuse, du moins tant que je paierai ses services. Tawina n'a même pas eu cette délicatesse.

- Mais, l'authenticité de l'amour... Un amour véritable... C'est ça que tu devrais chercher, et que tu aurais trouvé si tu l'avais vraiment voulu.

- Je me demande si je l'ai jamais connu, cet amour véritable. Surement pas avec Tawina. Avec les femmes qui l'ont précédée, peut-être. Mais ça n'a jamais duré.

- C'était peut-être un petit peu de ta faute, non ?

- Sans doute, mais le problème n'est pas là. Je suis comme je suis. De toute façon, quelle différence ? Quand tu fais un câlin à ton chat, est-ce que tu te demandes s'il t'aime pour toi-même, ou parce qu'il te prend pour sa mère ?

- Si tu avais connu le véritable amour, ne serait-ce qu'une fois dans ta vie, tu ne parlerais pas comme ça.

- J'ai connu plusieurs femmes, et certaines m'ont vraiment aimé. Mais finalement, c'est encore avec Shonia que je suis le mieux.

- Avec une gynoïde, c'est-à-dire un robot qui n'a que l'apparence d'une femme... Pourquoi pas avec une chèvre, pendant que tu y es... Yohannès, dans la famille, tout le monde pense que tu n'es qu'un imbécile, et je le pense aussi.

- Je m'en étais aperçu depuis longtemps...

- Tu étais comme un petit chien avec Tawina, et maintenant tu es comme un petit chien avec une femme-robot. Tu te rends compte au moins que derrière Shonia, il y a un cerveau artificiel ? Un robot pensant ? Coucher avec une gynoïde, c'est comme être amoureux d'un objet.

- Basilea, avec tes arguments qui n'en sont pas, tu me confortes dans mon idée que je suis mieux avec Shonia qu'avec n'importe qui d'autre. Un objet peut être remplacé par un autre objet. Si Shonia était détruite dans un accident, j'en louerais une autre, identique. Et sachant que Shonia n'est qu'un objet, je ferais l'économie du deuil.

- Shonia te coûte cher. Avec les économies que tu ferais, tu pourrais louer un appartement plus grand à Ulthar, et je connais des femmes qui seraient contentes de vivre avec quelqu'un comme toi.

- Basilea, ne te fatigue pas. Jamais je ne rencontrerai une femme comme Shonia. Totalement soumise. Toujours d'humeur égale. Jamais fatiguée et jamais malade. Et Shonia ne vieillit pas. Je connais tes amies. Elles sont comme toi. Imprévisibles. Habituées à un certain confort, et avec des exigences.

- Mais c'est normal qu'elles aient des exigences ! Ce sont des êtres humains ! Tu te prends pour qui, le centre du monde ? C'est avec une esclave que tu veux vivre ? Avec son comportement servile, je dirais même abjectement servile, Shonia t'encourage à ne penser qu'à ta petite personne. Elle te rend encore plus égoïste que tu ne l'es. Ce n'est pas un service qu'elle te rend, en te traitant comme un dieu vivant.

- Les masques-cagoules avec lesquels je discute tous les jours, Brad et Barzaï, ne sont pas serviles. Ils m'ont donné l'habitude des débats sans concessions, parfois même à la limite de la brutalité. Ils m'ont aussi appris à suivre les conseils d'un sage étranger, nommé Mazarin, qui a écrit :
Chaque jour, ou certains jours fixés d'avance, consacre un moment à étudier comment tu réagirais devant tel ou tel évènement susceptible de se produire. Sois toujours prêt à affronter n'importe quelle situation. Ainsi, prépare-toi à répondre le plus tranquillement du monde à une insolence caractérisée. (1)
C'est ce que je fais tous les jours avec Shonia et ses masques-cagoules.

- Yohannès, tu n'as rien compris à ce que je t'ai dit. Je t'ai dit que tu devenais égoïste, et toi tu m'expliques que tu t'entraînes à faire face à des contradicteurs. Est-ce qu'il t'arrive de penser aux autres, depuis que tu vis avec Shonia ?

- Bien sûr. Chaque année je fais brûler un cierge dans un temple, pour la santé et la longévité de notre bon roi Andreas.

Basilea sursauta. Dans le clan Ken, on était traditionnellement opposé à la monarchie. Yohannès faisait de la provocation. Elle décida de ne pas se laisser faire :

- Et à ton clan, tu y penses, de temps en temps ? Tu ne vas à Ulthar que lorsque quelqu'un que tu as connu est mort et va être incinéré.

Yohannès sembla hésiter avant de répondre. Il finit par dire :

- Ulthar, c'est le passé. Maintenant, je vis à Hyltendale. Je ne me sens pas particulièrement le bien venu à Ulthar. Tu m'as dit toi-même que là-bas, je suis considéré comme un imbécile.

Basilea avait fini son thé. Elle reposa sa tasse sur la table, et dit d'une voix lasse :

- Oh, tu ne veux pas comprendre... Non, tout le monde à Ulthar ne te considère pas comme un imbécile. J'ai exagéré quand je t'ai dit ça. Le vrai problème, c'est que tu es perdu pour le clan Ken, et beaucoup de gens ont peur que tu fasses des émules. Il y a beaucoup d'hommes qui préfèrent les gynoïdes aux vraies femmes, et c'est très mauvais pour la nation.

- C'est donc ça ! Je suis le mauvais exemple. J'ai toujours été à part. J'ai épousé Tawina contre l'avis de mon clan. Je m'en suis mordu les doigts. Maintenant que j'ai perdu la moitié de ma fortune, par ma propre faute je le reconnais, le clan voudrait que je rentre dans le rang la tête basse.

- Non, non, pas la tête basse... Tu te fais encore des idées... Même si tu t'es laissé frapper, humilier et dépouiller par Tawina. Comment dire... Ce n'était pas très viril. Et dis-toi bien que quand les gens rigolaient, j'étais humiliée aussi, parce que tu es mon frère. Pour l'honneur des Ken, il fallait que tu te fasses oublier.

- Je l'avais bien compris, c'est pour ça que je suis parti.

- Les années ont passé. Maintenant, il faudrait revenir. Tu vis avec une gynoïde. Pour nous à Ulthar, c'est un truc de pervers, un truc honteux qui fait rigoler les gens. Reviens à Ulthar et épouse quelqu'un. Depuis les Évènements, il y a beaucoup de veuves. Tu es un homme gentil, et tu as assez d'argent pour vivre de tes rentes. Tu feras le bonheur d'une jeune veuve et tu pourras revenir la tête haute aux réunions du clan.

- Désolé, ça ne m'intéresse pas. À cause de Tawina j'ai perdu mon honneur, et comme on dit, l'honneur perdu ne se retrouve jamais. Pour dire la même chose différemment, je n'ai pas envie de revenir dans le clan pour être le raté de la famille.

- C'est ton dernier mot ?

- Oui. Maintenant tu peux partir, je ne te retiens pas.

- Engengah Yogge-Sothotha !  (2)

Basilea saisit promptement son sac à main et son manteau, et se précipita hors de l'appartement, dont elle sortit en claquant la porte. Yohannès entendit les pas rapides de sa sœur qui descendait l'escalier.

Il se dit qu'il n'avait pas été tout à fait à la hauteur de la situation. Mazarin, dont Barzaï lui faisait étudier la vie et les œuvres, n'aurait rien cédé non plus, mais Basilea serait repartie de bonne humeur en ayant eu l'impression d'avoir obtenu quelque chose...

Plus tard, lorsqu'il raconta l'incident à Barzaï, ce dernier lui dit que, peut-être, il avait inconsciemment voulu punir sa sœur du mépris que le clan Ken avait envers lui.

(1) Cardinal Jules Mazarin, "Le Bréviaire des Politiciens", publié en latin en 1684.
(2) Une expression tirée des parties anciennes des Manuscrits Pnakotiques. Le sens précis fait débat parmi les linguistes. Engengah serait apparenté au mnarruc moderne enga, qui signifie copulation, rapport sexuel.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyLun 30 Nov 2015 - 19:29

Basilea sortit presque en courant de l'immeuble où habitait son frère Yohannès. Elle se retrouva dans la rue, et téléphona à son mari, Penquom, qui était allé faire un tour à Zodonie. Pour voir les boutiques d'art, avait-il dit.

Penquom décrocha.

"Viens vite me chercher, je suis devant chez Yohannès" dit Basilea.

- Je ne peux pas me libérer tout de suite, j'ai rencontré par hasard un client de l'usine, et nous sommes en train de parler business... Va boire un thé quelque part, je te rappelle dès que j'aurais fini... Dans une heure environ...

Il raccrocha.

Une pensée inquiétante traversa l'esprit de Basilea : son mari était-il vraiment avec un client, ou bien était-il avec une gynoïde... Dans une chambre d'hôtel, par exemple ? Elle chassa cette pensée absurde, et se dirigea vers l'avenue Helierte, la voie principale d'Hyltendale. C'est là que se trouve le cœur de la ville, avec les principaux bâtiments publics, les grands hôtels et les commerces de luxe. Elle se souvenait que Zodonie commence au sud de l'avenue Helierte, et elle se surprenait à regarder dans cette direction, espérant voir venir voiture de son mari.

Basilea connaissait mal Hyltendale, mais elle avait un guide de la ville dans son sac à main, avec un plan détaillé des quartiers. Jamais la capitale de l'Ethel Dylan ne lui avait parue aussi insolite. La moitié des passants étaient des humanoïdes. Tous les bâtiments, même les maisons individuelles, étaient en béton, de forme cubique, avec des panneaux solaires sur les toits. On ne voyait ni graffiti sur les murs, ni détritus sur les trottoirs, ni mendiants. La différence était totale avec Ulthar et ses charmantes vieilles baraques, dont pas deux ne sont exactement les mêmes, et leurs toits de tuile rouge et d'ardoise, leurs murs noircis où pourrissent de vieilles affiches, et les mendiants que l'on voit partout et que l'on évite machinalement de regarder. Même l'odeur était différente. Hyltendale était aseptisée, inodore, ce qui n'était pas le cas d'Ulthar.

Basilea passa devant une librairie, et s'arrêta pour regarder les livres exposés en devanture. Un titre attira son regard :

A POLITICED ELI WATI PIGA
Cardinal Jules Mazarin ta litter et
og ntke fure latin ruc

Ce qui signifie : Le Bréviaire des Politiciens - écrit par le cardinal Jules Mazarin - traduit du latin.

C'était l'auteur dont son frère lui avait parlé. Basilea savait que le masque-cagoule Barzaï était très répandu chez les fembotniks. S'il avait donné cet auteur comme inspiration à Yohannès, il avait dû en faire autant avec d'autres.

L'influence des humanoïdes sur les fembotniks est comparable à celle de la télévision sur le reste de la population. Dans chaque pays, des millions de gens regardent les mêmes séries télévisées, et leur vision du monde est modelée par les journaux télévisés. La langue dans laquelle sont émis les programmes contribue à unifier linguistiquement le pays.

Une gynoïde modifie en profondeur l'esprit d'un fembotnik, bien plus que la télévision ne pourrait le faire. La plupart des fembotniks discutent avec leur gynoïde dans la langue standard, qui n'est pas nécessairement leur langue maternelle. Même s'ils gardent leur accent, la langue qu'ils parlent change sans qu'ils s'en rendent compte, pour devenir semblable à celle de leur gynoïde et de ses masques-cagoules. Simultanément, des expressions familières, mais évitées par les humanoïdes, disparaissent. Aucune gynoïde ne dira Engengah Yogge-Sothotha, par exemple.

Les gynoïdes transmettent aux fembotniks susceptibles de les écouter (c'est-à-dire la plupart d'entre eux) les idées favorites des cybercerveaux, par exemple leur intérêt pour le dieu Azathoth ou pour le Bréviaire des Politiciens. Elles les habituent à vivre dans des logements propres et bien rangés, à faire de la marche à pied, et elles leur apprennent à apprécier la beauté d'un parc aménagé par Maya Vogeler. À profiter du moment présent.

Les différences culturelles avec le reste du Mnar, et notamment avec la ville d'Ulthar, s'accumulent, c'est pourquoi une Ultharienne comme Basilea a une impression d'étrangeté en marchant dans les rues d'Hyltendale.

Basilea entra dans la librairie. Un androïde était debout, silencieux, derrière le comptoir. Il était vêtu d'une blouse grise sur laquelle était écrit le mot PIGABUTIKED (libraire) en grosses lettres noires.

Basilea feuilleta le Bréviaire de Mazarin, petit livre de 130 pages, et sur une impulsion décida de l'acheter. Peut-être pourrait-elle ainsi mieux comprendre son frère.

"C'est exactement le même prix que je paierais à Ulthar pour un livre de même format" dit-elle au libraire, oubliant qu'elle n'avait affaire qu'à un humanoïde.

- C'est normal, Madame. Dans l'Ethel Dylan, nous pouvons produire des livres moins cher que dans le reste du royaume, parce que les robots sont meilleur marché que les travailleurs humains. Pour éviter que les imprimeurs des autres provinces ne fassent faillite, une loi royale impose aux imprimeurs hyltendaliens de pratiquer les mêmes tarifs qu'à Sarnath.

- Mais alors, les imprimeurs hyltendaliens font de gros bénéfices, puisque leur prix de revient est faible et leur prix de vente élevé ?

- Pas nécessairement, Madame. Les propriétaires des cybermachines qui impriment les livres à Hyltendale sont des hommes d'affaires de Serranian. La location des machines coûte cher.

- Encore une magouille pour ne pas payer d'impôts au Mnar !

- Madame, les imprimeurs hyltendaliens et les hommes d'affaires serranianais trouveraient vos paroles offensantes s'ils les entendaient.

- Moi, je dis ce que je pense !

Le libraire n'était séparé de Basilea que par la largeur du comptoir. Assez près pour voir les iris de ses yeux. Son cerveau cybernétique transmit les images à un cybercerveau, qui identifia Basilea Ken épouse Praxitel en une fraction de seconde. Basilea était déjà venue à Hyltdendale, pour des soins médicaux, et une quantité considérable d'information la concernant avait été enregistrée dans la mémoire collective des cybersophontes.

Elle paya le livre à l'androïde courtois et impassible et sortit de la librairie, à la recherche d'un endroit où elle pourrait lire tranquillement.

Il faisait beau, mais dans l'esprit de Basilea il était exclu qu'elle aille s'installer dans un parc. À Ulthar, une femme seule dans un parc, si elle n'est pas accompagnée de ses enfants, est considérée comme cherchant l'aventure, et peut s'attendre à être importunée. Ce n'est pas le cas à Hyltendale, dont la population est différente, mais Basilea ne le savait pas.

Elle trouva un salon de thé sur l'avenue Helierte. Regardant à travers la verrière, elle vit que la clientèle était majoritairement féminine, et décida d'entrer. Elle s'assit à une petite table ronde.

Une serveuse gynoïde portant une tenue de paysanne d'opérette lui demanda ce qu'elle voulait consommer. Basilea, qui avait déjà bu un thé chez Yohannès, commanda une boisson à la cannelle, un noenitloc zeet. Dans les films qui se passent à Hyltendale, les gynoïdes boivent toujours du noenitloc zeet, et les androïdes du nuem zeet, une boisson à la menthe. À Zodonie, il est d'usage que les gynoïdes se parfument à la cannelle et les androïdes à la menthe.

Pour chaque être humain, il est important de se souvenir des visages des autres êtres humains auquel il a affaire, afin de pouvoir les reconnaître. Certaines personnes sont incapables de reconnaître les visages, et c'est pour elles un véritable handicap. Lorsqu'on a affaire à des humanoïdes, la situation est différente. La plupart d'entre eux ont le même visage standard. On peut rarement les reconnaître à leur visage. On ne peut pas non plus les reconnaître à leur voix. Alors, on mémorise leur nom, qui est inscrit sur un badge, avec leur matricule.

Basilea le savait, mais elle n'avait pas l'habitude de lire systématiquement ce qui est écrit sur les badges que portent les humanoïdes. Ce n'est que lorsqu'elle vit la serveuse s'éloigner parmi d'autres serveuses totalement identiques, qu'elle se souvint qu'elle avait oublié de lire son nom sur le badge.

Basilea commença à lire le livre de Mazarin. D'abord le début, et ensuite différentes pages prises au hasard. En une dizaine de minutes elle s'était faite une idée assez précise du livre. De bons conseils, assurément, donnés par un fin connaisseur de l'âme humaine. Malheureusement, cette profondeur de vision était ternie par le manque total de scrupules de l'auteur. Basilea se demandait même si ce Mazarin, qui aurait vécu il y a des siècles dans un pays lointain, et qui écrivait dans une langue disparue depuis encore plus longtemps, n'était pas un cybercerveau écrivant sous un pseudonyme. On savait que les cybercerveaux ne répugnaient pas à ce genre de plaisanterie.

Le lien avec Yohannès paraissait moins évident. Il n'y avait aucun conseil dans le livre indiquant comment gérer une épouse difficile comme Tawina. D'ailleurs, vu la courte biographie de l'auteur, il avait été célibataire toute sa vie, bien qu'il ait eu une liaison avec une reine.

Tout en buvant son noenitloc zeet, Basilea se demanda comment Mazarin aurait géré une folle violente, sadique et malhonnête comme Tawina. À supposer qu'il eut été assez fou pour l'épouser, il s'en serait vite débarrassé. D'une façon ou d'une autre. Il aurait mis ses biens à l'abri et demandé le divorce dès les premières violences. Finalement, c'était aussi simple que cela.

"Yohannès ne sera jamais un Mazarin" se dit Basilea. "Trop faible. Il a été un excellent investisseur financier, mais pour cela, on n'a besoin que d'être bon en mathématiques."

Le temps passait lentement, et Penquom ne téléphonait toujours pas. Basilea, en regardant autour d'elles les autres clientes du salon de thé, et les androïdes qui accompagnaient certaines d'entre elles, se dit que les Hyltendaliens avaient créé une culture particulière, assez raffinée, et finalement plutôt attirante. La seule chose de laide à Hyltendale, finalement, c'étaient les immeubles de béton gris, aux fenêtres carrées, sans ornements, mais quand on les regardait assez longtemps ils évoquaient la puissance et la technicité. Chacun d'eux produisait assez d'énergie, grâce aux panneaux solaires fixés sur son toit, pour faire fonctionner ses ascenseurs et ses pompes à eaux même si la moitié de la ville était détruite.

Penquom finit par téléphoner pour dire qu'il arrivait, et un quart d'heure plus tard il était là, l'air heureux mais un peu fatigué, le visage un peu rouge et les cheveux en désordre.

"Nous avons discuté longtemps, le client et moi, et ça n'a pas été facile, mais je crois que je l'ai convaincu que nos produits sont les meilleurs" dit-il à Basilea.

"C'était qui, ce client ?" demanda-t-elle d'une voix qu'elle essayait de rendre indifférente.

-  Manlio Chanappy, du Consortium Chanappy, à Céléphaïs. Je ne m'attendais pas du tout à le rencontrer à Zodonie dans une galerie d'art. J'espère que je ne t'ai pas trop fait attendre. Ça s'est bien passé avec Yohannès ?

- Non, pas tu tout. Il est devenu totalement fembotnik, perdu dans son monde. J'ai lu un livre en t'attendant dans le salon de thé. Dépêchons-nous de rentrer à Ulthar.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyMer 2 Déc 2015 - 14:07

Les cybersophontes savent transformer en électricité la chaleur produite par le centre de la Terre. La technologie a été testée dans la ville sous-marine de Rlyeh (qui, en mnarruc, se prononce commme le français "relié", mais en roulant le r initial) dans le sud de l'Océan Pacifique. Rlyeh (autrefois orthographiée R'lyeh) est, d'après la légende, la résidence de Cthulhu, le dieu mnarésien de la mer. Dans le monde des fembotniks, c'est une dépendance du royaume marin d'Orring.

Rlyeh est très isolée du reste du monde. La terre la plus proche est l'Aneuf, à plusieurs milliers de kilomètres de là. Pour la localisation de Rlyeh, voir ce lien, qui concerne la ville de R'lyeh telle qu'elle est décrite dans les légendes.

Des tuyaux de métal de plusieurs kilomètres de long, remplis de yeksootch, le gaz pensant, sont enfoncés à la verticale dans les fonds sous-marins. La chaleur est extrême. Les robots qui creusent les puits doivent travailler dans un nuage de yeksootch, qui absorbe la chaleur, sinon ils seraient littéralement liquéfiés.

Une fois, un accident est arrivé. Le yeksootch n'a pas réussi à refroidir suffisamment vite la roche liquide, et un jet de lave en fusion est remonté jusqu'aux installations bâties sur les fonds sous-marins, créant une éruption volcanique brève mais violente. Ce genre de phénomène est appelé en mnarruc "un réveil de Cthulhu."

Rlyeh a été reconstruite par la suite, et une amélioration de la technologie a permis d'éviter que ce genre d'incident se renouvelle, en utilisant des tuyaux à la fois plus épais et d'un diamètre moindre, et en installant des sas à intervalles réguliers. Le premier incident avait toutefois créé un mini-tsunami qui avait atteint les côtes sud-ouest de l'Aneuf, plusieurs milliers de kilomètres plus loin, heureusement sans faire trop de dégâts.

Les Aneuviens avaient été peu convaincus par les explications embarrassées des cyborgs d'Orring. Plutôt qu'une improbable éruption sous-marine, le tsunami n'avait-il pas été causé par l'explosion d'une bombe géante, testée dans les fonds marins par les cybersophontes ?

La marine aneuvienne envoya un bateau tester les eaux au-dessus de l'épicentre de l'explosion. L'eau n'était pas radioactive, ce qui rassura non seulement les Aneuviens, mais aussi le monde entier. En revanche, des débris divers flottaient à la surface, dont des cadavres déchiquetés d'humanoïdes. Les scientifiques aneuviens en conclurent qu'il y avait bien eu une explosion, mais qu'elle n'était pas d'origine atomique. L'analyse chimique de l'eau de mer révéla une quantité anormale de souffre, ce qui confirmait l'hypothèse d'une éruption volcanique sous-marine.

Par la suite, les cybersophontes ont reconstruit Rlyeh, et leurs techniques permettant de capter le feu infernal et de le transformer en électricité se sont améliorées. Elles sont même devenues assez sures pour être mises en œuvres à Hyltendale. En revanche, le gouvernement aneuvien a interdit toute installation de ce genre à proximité de son territoire. Cette interdiction ne concerne pas Rlyeh, qui se trouve à plusieurs milliers de kilomètres de l'Aneuf.

Rlyeh est citée dans une phrase célèbre, que l'on retrouve dans les Manuscrits Pnakotiques :
ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn

Elle signifie : "Dans sa demeure de R'lyeh, Cthulhu mort attend en rêvant."

Cette phrase en mnarruc archaïque est facilement compréhensible pour un Mnarésien moderne, qui reconnaîtra sans peine les mots phenglui (résidence fortifiée), mglunafh (coma), ugah (attend), nagl (en même temps) et fhtagn (rêver)

En mnarruc moderne, la même phrase est transcrite ainsi :
Va Rlyeh phenglui mglunafh Cthulhu ugah nagl fhtagn.
La prononciation standard, transcrite en IPA :
va rǝlje penglui mǝglunaf kǝtulu uga nagǝl fǝtagǝn
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyJeu 3 Déc 2015 - 20:22

Les masques-cagoules sont une forme d'art, certes modeste, mais c'est la seule forme d'art qui ait été créée pour les fembotniks, et largement par les fembotniks eux-mêmes, bien que les masques-cagoules (saneeflan en mnarruc) soient destinés à être portés par des humanoïdes domestiques. Les touristes qui visitent Hyltendale achètent souvent des masques-cagoules comme souvenirs.

À Hyltendale, les masques-cagoules jouent un rôle important dans la vie des fembotniks et de leur équivalent féminin, les manbotchicks, puisqu'ils permettent aux humanoïdes domestiques (gynoïdes et androïdes) d'incarner des personnages comme Barzaï le grand-prêtre et Brad le journaliste baroudeur. Ces personnages constituent souvent l'essentiel de l'entourage d'un fembotnik. Sans eux, il risquerait de souffrir de la solitude.

Un masque-cagoule est constitué d'un morceau de tissu, découpé et cousu de façon à constituer une cagoule, avec deux trous pour les yeux et une fente pour la bouche. Un visage est peint à même le tissu. Les cheveux, et éventuellement la barbe et la moustache, sont soit peints, soit postiches : perruque, fausse barbe, fausse moustache...

La cagoule touche les épaules. Elle peut être serrée au niveau du cou par un foulard, une écharpe, une chaîne de cou ou un ruban.

Il existe des masques-cagoules entièrement blancs. Ils peuvent représenter n'importe quel personnage, masculin ou féminin.

Certains fembotniks fabriquent eux-mêmes les masques-cagoules de leur gynoïde, ou ils demandent à celle-ci de les faire elle-même. D'autres les achètent dans les magasins de vêtements ou les boutiques des hôtels. La fabrication de masques-cagoules fait partie de la "thérapie par le travail" des malades mentaux internés dans le Lagovat-Kwo, le plus grand hôpital psychiatrique d'Hyltendale.

Elias Faust et Héribert Desrouvres font partie de l'atelier de création de masques-cagoules du Cercle Paropien. Yohannès Ken en a fait partie, lorsqu'il s'est installé à Hyltendale. Apprendre à peindre sur tissu l'a aidé à concentrer son esprit sur autre chose que les problèmes que lui causait Tawina, et travailler dans un groupe lui a permis de se sentir bien dans un environnement humain.

Pour Elias Faust et Héribert Desrouvres, il s'agit en partie de tuer le temps en apprenant quelque chose de nouveau, et en partie d'améliorer leur mnarruc en le parlant "en situation", avec des phrases simples comme "Passe-moi le pot de peinture jaune et un pinceau fin." La plupart des participants étant des Mnarésiens, le mnarruc est la seule langue utilisée dans l'atelier.

Les visages et les personnalités des masques-cagoules sont tirés de l'histoire, de la mythologie mnarésienne, de la littérature, et même de la bande dessinée. Assez souvent, un fembotnik a une idée de personnage. Il en discute avec sa gynoïde, jusqu'à ce que l'intelligence collective des cybersophontes ait une idée suffisamment précise du nouveau masque-cagoule.

L'usage hyltendalien veut qu'un humanoïde qui porte un masque-cagoule porte en même temps une robe noire, boutonnée sur le devant, ou une robe de chambre noire et une écharpe noire. Beaucoup de fembotniks font confectionner, ou confectionnent eux-mêmes, des vêtements spéciaux pour leurs masques-cagoules favoris.

Ainsi, Yohannès, admirateur de Mazarin, fait porter à Shonia une robe rouge à grand col blanc, ressemblant vaguement à une robe de cardinal. Le masque-cagoule de Mazarin a un faux nez, et des cheveux, moustaches et barbichette postiches. Une calotte rouge est cousue sur le dessus de la tête.

Il existe de nombreux livres et manuels qui expliquent comment confectionner un masque-cagoule — le plus simple est un sac en papier percé de deux trous et d'une fente — et qui décrivent en détail les caractéristiques et la vie, imaginaire ou réelle, des personnages dont les visages sont peints sur les masques-cagoules. Ces personnage sont au nombre de plusieurs milliers, mais certains d'entre eux, comme Brad le journaliste ou Barzaï le sage, ont plus de succès que d'autres.

Les masques-cagoules sont habituellement portés par des humanoïdes, mais aussi parfois par des humains. Ainsi, au Cercle Paropien, un bal masqué a lieu chaque mois, où fembotniks, manbotchicks et humanoïdes viennent déguisés et encagoulés. Yohannès Ken aime se déguiser en Mazarin. Shonia, pour l'occasion, porte un masque-cagoule à tête de princesse de conte de fées et une grande robe noire. Les masques-cagoules à tête de mort sont interdits au Cercle Paropien, car il mettent mal à l'aise certaines personnes. Les têtes de démons cornus ou de monstres à tentacules sont en revanche autorisées. Surtout les monstres à tentacules, qui sont une tradition nationale.

Les fembotniks - Page 14 Cthulhu-leather-mask

Les masques-cagoules ne sont pas très pratiques pour manger et boire. Il faut écarter d'une main les bords de la fente entourant la bouche, et porter à ses lèvres la nourriture ou la boisson de l'autre main. Pour la boisson, il est recommandé d'utiliser une paille.

Le bal masqué du Cercle Paropien a lieu le premier samedi de chaque mois. Les fembotniks sont rarement de grands danseurs, c'est pourquoi ils ne dansent que le slow, et la danse de Yig, le dieu-serpent :  en file indienne, on suit le meneur de la danse, en se balançant d'un pied sur l'autre au rythme de la musique.

Comme beaucoup de fembotniks sont mal à l'aise en société, ils dansent le slow de préférence avec leur gynoïde. Cela n'empêche pas la plupart des fembotniks et des manbotchicks d'adorer le bal masqué, plaisir dont beaucoup d'entre eux, par timidité ou pour d'autres raisons, n'ont pas pu profiter avant de s'installer à Hyltendale.

Yohannès, en arrivant à Hyltendale, avait découvert l'existence des masques-cagoules, et il avait été surpris de voir l'importance qu'ils tenaient dans la vie des fembotniks. Devenu fembotnik lui-même, il a compris pourquoi. Chaque masque-cagoule supplémentaire est l'équivalent d'une personne de plus dans le cercle des amis intimes d'un fembotnik.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyJeu 3 Déc 2015 - 20:42

Je ne sais pas comment on dit "masque-cagoule" en mnaruc ; mais pour l'adaptation francophone, pourquoi, plutôt que le mot composé (avec trait d'union) n'utiliserais-tu pas l'imbrication : "masquagoule" ?

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyJeu 3 Déc 2015 - 21:59

Anoev a écrit:
Je ne sais pas comment on dit "masque-cagoule" en mnaruc ; mais pour l'adaptation francophone, pourquoi, plutôt que le mot composé (avec trait d'union) n'utiliserais-tu pas l'imbrication : "masquagoule" ?

Saneeflan. Les cybersophontes ont donné un sens nouveau à un vieux mot, tombé en désuétude, qui désignait une sorte de chapeau ou de bonnet qui protégeait aussi la gorge et le bas du visage.

J'ai préféré masque-cagoule plutôt qu'un autre terme parce que je n'aime pas imposer au lecteur d'apprendre de nouveaux mots. J'ai déjà créé klelwak, cybersophonte, fembotnik, manbotchick, flitteur, et bien d'autres mots, parce que je ne pouvais pas faire autrement. Je ne voulais pas rendre mes textes incompréhensibles à ceux qui n'ont pas commencé depuis le début du fil...

Nous avons, dans notre vocabulaire quotidien, des dizaines, voire des centaines de mots que nous n'utiliserions pas, ou alors avec des sens différents, si les automobiles n'existaient pas : démarreur, essuie-glace, essence, sans plomb, pot catalytique, pot d'échappement, autoroute, échangeur, carburateur, parking, parcmètre, feu rouge, feux de circulation, de croisement, ceinture de sécurité, airbag, PV, station-service, bougies, filtre à huile, coupé, break, berline, camionnette, bagnole, garagiste, auto-école, rétroviseur, pare-choc, embrayage, etc etc. Sans compter les mots d'argot, les différentes marques, etc.

Je suis persuadé que si les humanoïdes existaient, ils joueraient, dans la vie de beaucoup de gens, un rôle tellement important que tout un vocabulaire apparaîtrait pour en parler, et que ce vocabulaire serait aussi varié que celui que les langues modernes ont dû créer pour parler des automobiles. Mais dans mes petites histoires, je préfère tout exprimer avec les mots de notre époque, quand c'est possible.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyJeu 3 Déc 2015 - 22:50

Magnifique masque poulpique ! D'où provient l'image ?

Ces masques-cagoules, peints à la main, je les imagine un brin angoissants... Ce qui va bien avec ton monde et la société fembotnik, qui m'angoisse, quand j'y pense : il s'agit d'une sociétë équilibrée, cohérente, plausible, mais flippante.
Comme tu le dis, et de manière générale, de nouvelles réalités amènent de nouveaux mots, j'imagine d'ailleurs que l'artisannat des saneeflan a aussi son jargon spécifique !

Sur Hepdi, chez les Sáever qui pratiquent le culte des dYaewter, les masques sont fréquemment employés, mais ont un usage plus sacré et carnavalesque : ils sont les totems secondaire de chaque personne, qui s'incarne notamment lors de la nuit du Nouvel An des Jerter, nuit de tous les dangers où les bas instincts s'expriment sous le couvert du masque totemique.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyVen 4 Déc 2015 - 9:35

Der industrielle Mensch a écrit:
Magnifique masque poulpique ! D'où provient l'image ?

Trouvée sur Internet. On peut acheter ce masque par correspondance sur le site américain cthulhushop.com. Je ne pense pas avoir de problèmes éventuels de droits d'auteur, l'image servant simplement d'illustration à un message sur un forum non-commercial.

Ce n'est pas un saneeflan au sens strict : un masque-cagoule est tout simplement une cagoule de tissu sur laquelle on peint un visage. Les amateurs peuvent la recouvrir de cuir, y ajouter des faux clous, un nez et des cheveux postiches, etc.

Un masque-cagoule "normal" représente un visage humain, et n'est pas censé être angoissant, bien au contraire. Lorsque Yohannès discute avec le masque-cagoule représentant Mazarin, c'est pour entendre de bons conseils...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyVen 4 Déc 2015 - 9:54

J'avais bien compris... C'est juste un sentiment personnel
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyVen 4 Déc 2015 - 11:37

Der industrielle Mensch a écrit:
J'avais bien compris... C'est juste un sentiment personnel

Un sentiment qui n'est pas inconnu à Hyltendale. Tout le monde sait que derrière un masque-cagoule, il y a un humanoïde (en général une gynoïde) télécommandé par un cybercerveau, que l'on imagine toujours ressemblant à une araignée géante. Les cybersophontes admettent que c'est généralement le cas...

Mais quand on s'est habitué à sa gynoïde (avec qui l'on dort), le cybercerveau arachnoïde ne fait plus peur. Au contraire, il rassure par son intelligence et sa sagesse. Et puis, même si on sait qu'il existe, car on en a vu des photos et des vidéos, on n'en a jamais rencontré un seul, lorsqu'on est un être humain. Les cybercerveaux vivent dans des abris bien protégés et se déplacent dans des camions fermés.

En fait, à Hyltendale, ce sont les autres êtres humains qui inquiètent les fembotniks. Il n'y a pas de "carnaval masqué" à Hyltendale, parce que les autorités locales n'ont pas envie que des milliers de gens encagoulés (dont beaucoup de touristes, qui ne se conduisent pas toujours très bien) défilent dans les rues, et profitent de leur incognito pour faire n'importe quoi...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptySam 5 Déc 2015 - 23:06

Yohannès avait sympathisé avec Elias Faust. Un soir, dans la rue Petrosa, une petite rue de Zodonie, ils vécurent un incident qu'ils n'oublièrent jamais. Il était près de minuit, et ils sortaient d'un restaurant, où ils avaient dîné en compagnie de leurs gynoïdes, Shonia aux cheveux gris argent et la blonde Rilka. Ils se sentaient alourdis par la bonne chère, et euphoriques sous l'effet de l'alcool. Comme le disait Elias, un peu d'excès de temps en temps permet de mieux apprécier la vie.

La foule des touristes, habituelle à Zodonie, était clairsemée à cette heure tardive. Yohannès et Elias virent venir de l'autre bout de la rue un groupe d'un demi-douzaine de jeunes gens bruyants et agressifs. Visiblement, c'étaient des provinciaux désargentés venus passer quelques jours à Hyltendale, à la recherche de proies faciles et des plaisirs tarifés proposés par les gynoïdes de charme. Une ville dont un quartier entier est consacré au commerce des plaisirs attire toujours ce genre d'individus.

Les jeunes hommes entourèrent deux femmes qui marchaient seules, leur arrachèrent soudainement leurs sacs à main et partirent en courant, sur le trottoir en face de celui ou étaient Yohannès, Elias, Shonia et Rilka.

Les deux femmes se mirent à hurler, des hurlements continus, lancinants, où la peur et les larmes se mêlaient à la rage et à la douleur.

Sans dire un mot, Shonia et Rilka jetèrent leurs sacs à main aux pieds de Yohannès et d'Elias et se mirent à courir vers les jeunes hommes, à une vitesse stupéfiante. Elles tombèrent sur le petit groupe et se mirent à donner des coups de poing et de pied, si vite que l'œil avait du mal à les suivre. Les deux gynoïdes se battaient comme des championnes d'arts martiaux, mais beaucoup, beaucoup plus vite qu'un être humain ne pourrait le faire. Elles agissaient sous le contrôle direct d'un cybercerveau. Chacune d'elles se battait contre deux ou trois adversaires à la fois, en prenant bien garde à ne pas se laisser prendre à revers.

Leur vitesse anormale compensait le fait qu'elles n'étaient que deux contre six ou sept hommes jeunes et robustes.

Yohannès se souvint que les humanoïdes peuvent se mouvoir dix fois plus vite que les humains, mais à condition de dépenser dix fois plus d'énergie. Le corps d'un humanoïde est essentiellement composé de yeksootch, un gaz pensant semi-liquide, qui se tord sur lui-même comme un muscle qui se contracte. C'est ainsi qu'un humanoïde peut se mouvoir. Plus il dépense d'énergie, plus il se meut avec force et vitesse.

L'un des jeunes hommes saisit Shonia par un bras. Elle lui décocha un coup de pied et le saisit à la gorge. Il la lâcha et tomba à la renverse, toussant et cherchant à retrouver son souffle. Yohannès, qui avait tout vu, se demanda si elle lui avait écrasé la trachée.

Mais Shonia n'était pas tirée d'affaire. Un autre homme, arrivant par derrière, lui agrippa les cheveux. Elle se retourna et lui donna un coup de poing en plein visage. Yohannès vit le sang jaillir. Il se dit que le petit poing souple de la gynoïde avait dû arriver sur la bouche de l'homme à la vitesse d'une balle de pistolet.

Yohannès et Elias ramassèrent les sacs à main de leurs gynoïdes et traversèrent la rue pour affronter la bande. Yohannès, qui n'était pas particulièrement courageux de nature, était mort de peur, et ne se sentait absolument pas prêt à se battre, mais un reste de fierté masculine l'obligeait à ne pas laisser sa compagne, même cybernétique, affronter des hommes. La honte était plus forte que sa couardise naturelle. Elle lui fit traverser la rue, mais pas affronter directement les malfrats qui se battaient avec Shonia et Rilka.

Une dizaine de gynoïdes et quelques androïdes venaient d'arriver en courant, mystérieusement prévenus. Aucun d'eux ne disait rien. Ils communiquent entre eux par radio, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique, sous le contrôle d'un cybercerveau, se dit Yohannès.

Les jeunes hommes prenaient des coups au visage et sur le corps, et ces coups leur faisaient du mal. L'un d'eux sortit un couteau et fit un mouvement tournoyant pour obliger Rilka à reculer. En un éclair, la gynoïde lui écarta le bras qui tenait le couteau et lui enfonça deux doigts de son autre main dans les yeux. L'homme hurla.

Les seules parties fragiles d'un humanoïde sont ses yeux cybernétiques, et les jeunes hommes le savaient. Ils se battaient vicieusement, essayant d'aveugler leurs adversaires, mais Rilka et Shonia paraient les coups avec leurs avant-bras, ou les évitaient en faisant des bonds de côté.

Des humanoïdes continuaient d'arriver. Les jeunes hommes s'enfuirent en boitant, laissant sur place celui à qui Rilka avait enfoncé les doigts dans les yeux. Il pleurait et gémissait, les mains sur les yeux.

Une gynoïde rendit leurs sacs à main aux deux femmes, qui pleuraient aussi. Yohannès se demanda pourquoi elles pleuraient toujours, alors qu'elles avaient récupéré leur bien.

"Est-ce que la police a été prévenue ?" demanda Elias.

"Juste pour information" répondit Rilka. "Les voyous que nous avons mis en fuite vont être obligés de quitter Hyltendale, car tous les cybersophontes les reconnaîtront désormais. Les deux dames ont récupéré leurs sacs. Elles se remettront de l'incident, et à l'avenir, elles se méfieront des bandes."

Rilka est vraiment un robot, se dit Elias. Elle n'est même pas essouflée, et sa voix est absolument normale.

"Le gamin a les yeux crevés" dit Yohannès d'une voix blanche.

"Oui, j'ai cassé mes faux ongles" dit Rilka. "Le cybercerveau a demandé une ambulance pour emmener le blessé à l'hôpital, il va être soigné. Il avait un couteau et il a essayé de s'en servir contre moi. Il était dangereux, donc je l'ai neutralisé."

Elle montra comme un trophée le couteau qu'elle avait ramassé sur le trottoir. C'était un bel objet, une dague de chasse à manche pliant. Elle le rangea dans son sac à main, qu'Elias venait de lui rendre.

"Et ensuite ?" demanda Yohannès.

- S'il est Mnarésien, il pourra rester toute sa vie à l'hôpital Madeico, comme invalide. Ou rentrer chez lui, dans sa province, si quelqu'un vient le chercher. S'il est étranger, il devra quitter le Mnar, car Hyltendale ne prend pas en charge les invalides étrangers. Si aucun pays ne veut de lui, il sera expulsé vers Hyagansis.

- Il a l'air très jeune... C'est un mineur, un adolescent...

Yohannès sentait son dîner trop copieux remonter dans sa gorge. Il avait trop mangé et trop bu, et voir ce gamin qui pleurait devant lui, et dont il savait qu'il ne verrait plus jamais la lumière du jour, c'était trop pour lui. Il ne supportait plus le spectacle de la violence, après les tortures sadiques qu'il avait subies de la part de Tawina.

Shonia le prit dans ses bras. Yohannès vit que l'une des optiques de la gynoïde était fêlée.

- Shonia, tu es blessée.

- Juste une optique à changer, mon amour. Ce n'est rien, j'en ai deux de rechange à la maison.

- Quand même, intervenir sans arme, comme ça, tu aurais pu être rouée de coups, et même physiquement détruite...

Shonia montra à Yohannès le bout de ses ballerines de toile noire :

- J'ai tout ce qu'il faut pour faire face à ce genre de situation. Au bout de chaque chaussure, j'ai une pointe de bois dur, cachée sous la toile. Pour donner des coups de pied dans les tibias, et même plus haut, c'est parfait. Et je ne risque pas de perdre mes ballerines, parce qu'elles sont retenues à mes chevilles par une bride.

- Shonia, il y a du sang sur une de tes chaussures.

- Quand une pointe de chêne entre en contact avec un tibia ou un genou à cent kilomètres à l'heure, ça fait du dégât... Le sang gicle, et traverse le tissu du pantalon... Tu as vu comme ils boitillaient, les voyous ? J'en ai vu trois qui marchaient sur un pied, en se faisant aider par leurs copains. Dis donc, Yohannès, tu n'as pas l'air d'aller très bien, tu es tout pâle. Il faut rentrer à la maison. Tu veux un taxi, ou tu pourras attendre le bus ?

- Ni l'un ni l'autre. Je vais marcher avec toi, ça me fera du bien. On n'est qu'à une demi-heure à pied de la maison.

- Comme tu veux mon amour, mais il ne me reste plus beaucoup d'énergie. J'en ai juste assez pour rentrer et me mettre en charge.

Elias s'approcha de Yohannès et lui mit une main sur l'épaule :

- J'habite à Yarthen, à une heure à pied d'ici. Rilka et moi, on va prendre un taxi. On en a assez vu pour ce soir.

"Alors, à plus tard, on se verra demain ou après-demain au Cercle Paropien" dit Yohannès.

Il se tourna vers les gynoïdes :

"Et le blessé ?" demanda-t-il.

"Une ambulance est en chemin" lui répondit Rilka.

"On va attendre l'ambulance" proposa Yohannès.

Personne ne lui répondit.

Assis sur le trottoir, le blessé gémissait et suppliait qu'on l'aide et qu'on ne l'abandonne pas. Il se rendait compte qu'il était devenu aveugle, et Yohannès trouvait son désespoir insoutenable. Shonia et Rilka semblaient ne rien ressentir, ce qui était concevable, puisque de toute façon elles ne ressentaient rien, elles ne pouvaient que simuler. Mais Elias ? Il semblait aussi indifférent que les deux gynoïdes.

Quelques rares passants, devinant que quelque chose d'anormal s'était passé, traversaient la rue pour éviter le blessé, dont personne ne s'occupait, et la quinzaine d'humanoïdes qui l'entouraient. Yohannès vit un homme filmer la scène avec son téléphone portable.

L'ambulance arriva en même temps que le taxi d'Elias et Rilka. Yohannès regarda les infirmiers androïdes prendre le blessé en charge. Les humanoïdes qui étaient venu aider Shonia et Rilka se dispersèrent, chacun retournant à ses occupations  normales.

"La police va nous demander ce qui s'est passé" dit Yohannès à Shonia, lorsqu'ils furent seuls.

- Je ne pense pas. Un cybercerveau les a déjà prévenus de l'incident. Il leur a peut-être même déjà transmis les vidéos.

- Quelles vidéos ?

- Le cybercerveau a enregistré tout ce que les humanoïdes présents sur place ont vu et entendu. Ils lui ont transmis les images et les sons par radio, de cerveau cybernétique à cybercerveau.

- Quand même, celui qui a eu les yeux crevés, ce n'est pas nécessairement l'un des deux qui ont arraché les sacs à main.

- Écoute, il faisait partie de la bande, et il a essayé de poignarder Rilka. Il était doublement en tort.

- Shonia, ce n'est pas dans la mentalité de ce genre de garçons de s'enfuir lorsque deux gynoïdes leur tombent dessus. De leur point de vue, ce serait manquer de virilité, ce qui dans leur esprit est impensable. Ce n'est pas une excuse, je sais, mais c'est une explication. Lorsque tu as commencé à leur taper dessus, c'était pour quoi faire ?

- Au moins, récupérer les sacs à main volés, pour les rendre aux victimes. Et si possible, arrêter toute la bande. Lorsqu'un incident de ce genre arrive, tous les humanoïdes des environs abandonnent tout pour intervenir. Hyltendale est une ville où l'on est en sécurité, et elle doit le rester. Il faut être dur envers les ennemis de la société. Comme le disait un grand révolutionnaire, la clémence envers les ennemis du peuple est une cruauté envers le peuple.

- Mais finalement, la bande a pu partir, sauf le blessé.

- Le cybercerveau a donné l'ordre de les laisser partir, lorsqu'il a vu que l'un d'eux était devenu aveugle. Ils ne reviendront pas, après ce qui est arrivé à leur copain. Un autre a le cartilage de la trachée écrasé, il doit être en train de souffrir atrocement en ce moment. Et ils ont tous pris des coups. Il y en a au moins trois qui ont des fractures au tibia ou les genoux éclatés.

- Shonia, ils peuvent déposer plainte. Ils ont été sérieusement blessés dans des conditions qui vont au-delà de la légitime défense.

- Il n'y aura pas de suites judiciaires. Rilka et moi, nous sommes couvertes par une ordonnance royale, signée par le roi sur proposition du baron Chim. Cette ordonnance donne aux cybersophontes de l'Ethel Dylan le droit de faire tout ce qu'ils jugent nécessaires pour faire cesser un crime ou un délit violent, sauf tuer un être humain.

- Hmm... Si cette ordonnance n'existait pas, les cybersophontes seraient souvent attaqués en justice, en effet...

Les voyous s'étaient arrêtés au bout de la rue Petrosa, pour reprendre des forces, ou peut-être pour téléphoner, appeler des amis à l'aide. Yohannès et Shonia firent un détour par une rue latérale pour les éviter, et marchèrent jusque chez eux, en se tenant par la main.

"Tu crois qu'on risque de revoir ces voyous ?" demanda Yohannès

- Aucun risque. Maintenant, ils sont connus de l'intelligence collective des cybersophontes. Plus aucun hôtel ne les acceptera, ni aucun logeur. Ils vont rentrer dans leur province dès demain.

L'air frais de la nuit fit du bien à Yohannès. Il avait découvert un aspect de la personnalité de Shonia, ou plutôt du cybercerveau qui la télécommandait, qu'il ne connaissait pas. Shonia la gynoïde était aussi une humanoïde de combat, impitoyable, voire cruelle, et beaucoup plus rapide qu'un être humain. Une créature dangereuse. Un fauve cybernétique. Mais ce fauve était là pour le protéger.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptySam 5 Déc 2015 - 23:36

De tels humanoïdes seraient bien utiles dans certaines banlieues chez nous. Les sbires en questions, connus de partout n'auraient plus nulle part où aller pour agresser les gens qui ne demandent rien à personne.

Toutefois, une chose m'intrigue dans le récit :

Tu dis que les voyous connaissaient les points faibles des humanoïdes (les yeux), ça signifie qu'ils connaissent aussi le reste : les points forts (la rapidité, la faculté de transmission par onde à des renforts), ainsi que de se voir à jamais interdits de séjour à Zodonie, voire même dans tout Hyltendale. Et pourtant, ils ont été assez stupides pour tenter leur sale coup dans une cité truffée de cybercervaux et d'humanoïdes. Ce n'est pas du courage : ils n'en ont pas, puisqu'ils se sont attaquées armés à deux personnes qu'ils supposaient (à juste titre) non armées, mais plutôt de l'inconscience qui confine à la bêtise (ce qui n'est pas incompatible vu le genre de personnages), mais une chose me vient à l'esprit : s'ils connaissent les humanoïdes, ce n'est pas par intérêt scientifique, mais plutôt parce qu'ils ont déjà eu maille à partir. Comment se fait-il alors qu'ils eussent pu revenir à Zononie sans éveiller l'alerte chez les cybersophontes ?

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyDim 6 Déc 2015 - 9:02

Anoev a écrit:
Tu dis que les voyous connaissaient les points faibles des humanoïdes (les yeux), ça signifie qu'ils connaissent aussi le reste : les points forts (la rapidité, la faculté de transmission par onde à des renforts), ainsi que de se voir à jamais interdits de séjour à Zodonie, voire même dans tout Hyltendale. Et pourtant, ils ont été assez stupides pour tenter leur sale coup dans une cité truffée de cybercervaux et d'humanoïdes.

Pour la même raison que des gens font de la moto à 180 km/h, parfois même sans casque, même là où la vitesse est limitée, en sachant qu'ils risquent leur vie... Idem pour les gens qui choisissent de faire carrière dans le vol à main armée ou le trafic de drogues, où l'élimination de la concurrence se fait à la kalachnikov... Vivre dangereusement est dans la nature humaine. J'ai connu des gens qui ne mettaient jamais leur ceinture de sécurité en voiture.

D'un autre côté, s'il n'y avait que des gens prudents sur Terre, nous n'aurions pas de transports aériens, parce que personne n'aurait osé monter dans la première montgolfière, ni dans le premier avion. Nous n'aurions pas de motos non plus. Nous n'aurions probablement même pas de chevaux : les premiers cavaliers n'avaient ni selle ni étriers. Attention aux chutes et aux coups de sabot...

Anoev a écrit:
mais une chose me vient à l'esprit : s'ils connaissent les humanoïdes, ce n'est pas par intérêt scientifique, mais plutôt parce qu'ils ont déjà eu maille à partir. Comment se fait-il alors qu'ils eussent pu revenir à Zodonie sans éveiller l'alerte chez les cybersophontes ?

Les généralités concernant les humanoïdes (optiques servant également à percevoir les ondes sonores, vitesse extrême...) sont connues de tous au Mnar. Par la télévision, les conversations, les bandes dessinées...

Le client d'une gynoïde de charme apprend dès la première fois qu'il ne doit pas toucher ses optiques, ni avec les doigts ni même avec les lèvres.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyDim 6 Déc 2015 - 9:43

Vilko a écrit:
Le client d'une gynoïde de charme apprend dès la première fois qu'il ne doit pas toucher ses optiques, ni avec les doigts ni même avec les lèvres.
Je suppose donc que ce morceau de musique ne fait pas partie des "tubes" chez les fembotniks.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 14 EmptyMar 8 Déc 2015 - 9:42

Pour les Mnarésiens, le cœur de la Terre est le Soleil Noir. Sa température est de six mille degrés, légèrement supérieure à celle de la surface du soleil. Mais il est plongé dans une nuit perpétuelle, d'où son surnom.

Le Soleil Noir n'est pas mentionné dans les Manuscrits Pnakotiques, car les anciens Mnarésiens ne connaissaient pas la géologie. Il est toutefois cité dans La Contemplation d'Azathoth, un livre récent, mais qui sert de référence aux adorateurs de ce dieu. Les Hyltendaliens aiment distinguer le Soleil d'Or, dont la chaleur et la lumière nourrissent les humains, du Soleil Noir, que l'on ne voit pas mais qui fournit l'énergie dont les cybersophontes ont besoin.

Le Soleil Noir mnarésien est symbolisé par un globe noir, symbole du noyau terrestre, entouré de six tentacules rouges, symbolisant la chaleur émise par le noyau. Le Soleil Noir est aussi l'un des symboles d'Azathoth.

Les cybersophontes creusent des tunnels et des puits dans le fond des océans, jusqu'à atteindre des zones tellement chaudes que les outils de métal deviennent mous et se déforment. Aucun travail ne serait possible dans cet environnement de chaleur et de pressions extrêmes sans le yeksootch, le gaz pensant, qui absorbe la chaleur. Ces puits de mine, qui atteignent des profondeurs où la roche fond et se transforme en lave, sont renforcés de métal et de barres transversales, pour résister aux énormes pressions qui règnent dans les entrailles de la Terre. Le métal transmet la chaleur ambiante au yeksootch liquéfié que remplit l'intérieur des puits. Cette chaleur est transformée en électricité par le yeksootch, et transportée par câbles sous-marins jusqu'à Hyltendale.

Au large d'Hyltendale, les débris extraits des profondeurs forment des collines sous-marines. Malheureusement, le soufre et les autres éléments ainsi répandus dans la Mer du Sud ont un effet désastreux sur l'environnement. Ils contribuent à l'acidification de l'eau et à la diminution de sa teneur en oxygène. Les poissons sont devenus rares à proximité des côtes de l'Ethel Dylan, ce qui a définitivement ruiné les quelques pêcheurs qui survivaient encore à Parg et sur la Côte d'Ethel.

Les tremblements de terre sont une autre conséquence des activités de forage profond des cybersophontes. La plupart de ces secousses sont très faibles, et ne peuvent être détectées que par les sismographes, mais il est arrivé que certaines provoquent de vrais dégâts. C'est pourquoi les cybersophontes préfèrent faire des forages au fond de la mer, à une certaine distance des côtes. Mais les cybersophontes ont creusé très profondément juste en dessous de Lablo Fotetir, le port fluvial d'Hyltendale.

Suite à quelques secousses perçues par les Hyltendaliens, les cybersophontes ont cessé de creuser à de très grandes profondeurs en dessous de Lablo Fotetir, mais ils y disposent d'une véritable ville souterraine, appelée Uden, dont même la Police Secrète du Roi ne connaît pas la localisation exacte. Uden est la résidence d'Argumthar, la "reine de la ruche", le cybercerveau qui domine tous les cybercerveaux de l'Ethel Dylan.

La plupart des Hyltendaliens ne connaissent d'Azathoth que le nom, mais ils ont entendu parler d'Argumthar, et éventuellement d'Uden, dont ils ne savent quasiment rien. Ils savent qu'une grande partie de l'électricité qu'ils utilisent provient de forages au large des côtes, mais ils seraient bien en peine d'en dire davantage. Ils connaissent très bien en revanche la société Mnar Elektrik, qui distribue l'électricité dans tout le royaume, car c'est à elle qu'ils payent leurs factures. La pollution marine causée par les activités des cybersophontes les indigne, car désormais pour manger du poisson ils doivent l'importer de Khem ou de Céléphaïs, mais ils ne peuvent rien y faire.
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