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 Les fembotniks

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Bedal
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 23 Mai 2015 - 9:18

Oui c'est plutôt ça en fait... un mélange entre les deux : il est à la fois patron et ... client.

Oui le plus grand secret c'est par rapport au Roi, pas par rapport à la famille Gremory qui a toujours fermé les yeux sur leurs agissements...

 Pour son petit fils c'est différent puisque l'actuelle chef de famille lui a mis la pression récemment, soit il ferme son "harem"  soit il est exclu de la famille...

 mais il a nié en bloc, disant que c'était une rumeur pour nuire à lui et à son grand père. De plus la majorité des notables de la famille le soutiennent (curieux ça? clients aussi? Cool ) , la marge de manoeuvre de la dirigeante est limitée si elle ne veut pas perdre des soutiens...

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Anoev
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 23 Mai 2015 - 9:43

Vilko a écrit:
Je suis sûr que pour Lénine, les excès commençaient au-delà de trois fois par semaine, et pour Staline, au-delà de deux fois.
On va pas disserter sur des suppositions (encore que pour Staline, je serais enclin à te croire). Quant à Lénine, j'ai lu deans une publication qu'il eut une maîtresse... en France.

Citation :
Je pense qu'une partie de l'attrait des gynoïdes de charme tiendrait au fait que, lorsque le client paye pour un service d'une heure, pendant cette heure-là il est aussi écouté et dorloté.
C'est aussi le cas en Aneuf, avec des femmes de chair et d'os (l'affection compte énormément dans la sexualité aneuvienne). Ça ne ressemble pas vraiment (y compris aux Santes, mis à part quelques cas) à l'idée qu'on se fait en Europe d'une relation Prostitué(e)/client(e).

Citation :
Sur l'écran, Brad (ou Kendra) est montré de face, sur le point de déjeuner.
Kendra... Pas Kendra Korpaṅk, t'd'même... Encore que, vu qu'il s'agit d'un personnage virtuel. Mais il y a une question de droit à l'image et de l'utilisation qui en est faite.
Citation :
Un client qui, par exemple, pense sans arrêt au fait qu'il a volé de l'argent dans la caisse de son entreprise, s'en libérera en en parlant à Brad, l'ami virtuel qui en a entendu d'autres. Brad l'ancien baroudeur ne lui conseillera pas d'aller tout raconter à son patron, qui le mettrait sur le champ à la porte et préviendrait la police. La crédibilité du système URVALAV impose de donner des conseils qui vont vraiment dans l'intérêt du client.
D'où l'intérêt d'un personnage vraiment virtuel. Parce qu'une ressemblance physique avec un personnage existant ou ayant existé pourrait être utilisé de façon malhonnête : enregistrement de la conversation, puis "vous voyez ! j'ai dit à (personnalité) que j'avait fait (délit grave) et il/elle a rien fait (faudrait vraiment être un psychopathe particulièrement tordu pour faire ça, mais y en a sûr'ment !).

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 23 Mai 2015 - 9:52

Anoev a écrit:
Kendra... Pas Kendra Korpaṅk, t'd'même...
Non bien sûr, il s'agit d'un personnage virtuel inspiré de Kendra Korpaṅk, et prénommé Kelly. De même, le personnage de Brad est inspiré du journaliste (bien réel) Fred Reed.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyMer 27 Mai 2015 - 11:20

Lorenk apprit un jour qu'une loi avait été votée par l'assemblée provinciale d'Hyltendale, où les cyborgs et les fembotniks étaient majoritaires, autorisant les cybercerveaux à conduire un véhicule terrestre à moteur. La loi autorisait, de fait, les androïdes à conduire des voitures, taxis, bus et camions dans toute la province. Car un androïde, c'est un cybercerveau dans un corps d'humanoïde.

La nouvelle ne surprit pas les humains qui étaient chauffeurs de taxi, de camion ou d'autobus à Hyltendale. Les cybersophontes les avaient prévenus qu'une telle loi était à l'étude, et qu'ils seraient reclassés, soit comme chauffeurs de taxi à Sarnath ou d'autres grandes villes, soit comme pensionnés. Les humains acceptèrent de mauvaise grâce les offres qui leur étaient faites. Ils n'avaient pas le choix : leurs remplaçants humanoïdes étaient déjà là.

De plus, un grand nombre de chauffeurs étaient des fembotniks. Pour rester à Hyltendale avec leur gynoïde, ils acceptèrent de toucher des pensions, certes inférieures à leur salaire précédent, mais qui leur permettaient de continuer à vivre à Hyltendale avec leur gynoïde, ce qui était très important pour la plupart d'entre eux. C'est ainsi que certains fembotniks chauffeurs de bus se retrouvèrent, de fait, retraités à trente ans. Ils bénéficièrent d'un accord spécial qui leur permit de conserver leur gynoïde sans avoir à payer de location.

La plupart des chauffeurs qui n'étaient pas des fembotniks acceptèrent les pensions, qui étaient modestes, et allèrent chercher du travail dans d'autres villes, à Ulthar, Khem ou Sarnath. Les pensions versées par les cybersophontes leur garantissaient un revenu minimum, ce qui était mieux que rien.

Pour les cybersophontes, l'opération restait rentable : deux humains, chauffeurs de bus, étaient payés chacun deux mille ducats par mois, soit quatre mille ducats au total. Ils étaient remplacés par un seul humanoïde travaillant vingt heures par jour, sept jours sur sept et douze mois par an, pour un coût d'environ cinq cent ducats par mois. Chaque ancien chauffeur de bus touchait une pension de mille ducats, soit deux mille ducats pour les deux.

Deux mille ducats plus cinq cent ducats égale deux mille cinq cent ducats. Les cybersophontes économisaient donc mille cinq cent ducats par moi sur deux anciens chauffeurs, qui leur coûtaient auparavant quatre mille ducats par moi. Les anciens chauffeurs, avec leur pension, pouvaient se contenter de n'importe quel job pour retrouver leur revenu précédent. Les cybersophontes firent en sorte que la plupart d'entre eux retrouvent un emploi ailleurs, dans des entreprises de Sarnath et de Céléphaïs appartenant à des cyborgs.

Ces chiffres, connus du roi, du Premier Ministre et des organisations syndicales, les confortèrent dans leur conviction qu'il était vital pour les habitants humains du Mnar que jamais, jamais, les cybersophontes ne puissent s'installer ailleurs dans le royaume qu'à Hyltendale et dans la province dont elle était la capitale. Car si les cybersophontes s'installaient partout, il leur faudrait peu de temps pour s'emparer de toute l'économie du royaume.

Le roi, toutefois, savait que c'était parmi les cybersophontes qu'il aurait un refuge si un jour il devait affronter une rébellion semblable à celle qu'il venait de subir. Il était sorti vainqueur de la première rébellion. Mais il savait que la deuxième, si elle devait avoir lieu, risquait de mal tourner pour lui. Il n'avait aucune envie de finir pendu comme un criminel. C'est pourquoi il avait fait secrètement aménager son château de Potafreas, au nord d'Hyltendale, comme une forteresse. Son yacht privé, le Tohefob, un croiseur de la marine spécialement aménagé pour un maximum de confort et de sécurité, avait un quai réservé pour lui en permanence dans le port d'Hyltendale.

Depuis le départ des chauffeurs humains, la population biohumaine, c'est-à-dire biologiquement humaine, d'Hyltendale, est composée de plusieurs centaines de milliers de fembotniks, de quelques milliers de cuisiniers, de quelques milliers de juristes, magistrats, policiers, fonctionnaires royaux, médecins et commerçants, ainsi que leurs familles. Beaucoup de cuisiniers, fonctionnaires, médecins, etc, sont des fembotniks. Il faut ajouter plus d'un demi-million de vieillards, invalides, malades mentaux et prisonniers, que l'on voit peu car ils sont confinés dans les maisons de retraite, hospices et hôpitaux de l'est de la ville, et dans la prison de Tatanow.

Depuis les Évènements, on trouve à Hyltendale beaucoup d'invalides de guerre, dont l'arrivée à compensé le départ des chauffeurs et de leurs familles. Au total, Hyltendale compte environ un million d'êtres humains et un demi-million d'humanoïdes. Les cyborgs sont comptés parmi les êtres humains.

Par sa population, Hyltendale est la troisième ville du Mnar, derrière Sarnath et la lointaine Céléphaïs. Presque tout le monde, dans le royaume, a un cousin, un oncle ou un ami qui s'est installé à Hyltendale pour y vivre comme un fembotnik, ou qui est pris en charge dans une maison de retraite ou un hôpital. Le nom de la ville évoque les humanoïdes au regard opaque, les débauches tarifées du quartier de Zodonie, et les tristes hôpitaux où vieillards et invalides attendent la mort en jouant aux cartes et en regardant la télévision. Pour les plus cultivés, Hyltendale est aussi un port de commerce important, à l'embouchure de la rivière Skaï.

Dans toutes les provinces du Mnar, sauf à Hyltendale, les camionneurs sont des humains. Il leur arrive souvent d'emmener des marchandises à Hyltendale, ou d'aller en chercher. Les chargements et déchargements de marchandises ont lieu à Faigorrim, la gare routière d'Hyltendale.

Faigorrim est situé au bord de la Skaï, donc à l'ouest de la ville, et juste au nord du port fluvial. En face du port fluvial, de l'autre côté de l'estuaire, c'est la ville de Parg, qui fait également partie de la province d'Hyltendale. Les habitants de Parg sont, pour la plupart, des fembotniks. Il n'y a pas de pont sur l'estuaire, il faut prendre un ferry pour traverser la rivière, ou remonter jusqu'à Ulthar, à 130 kilomètres au nord.

Les camions et les cars qui arrivent à Faigorrim se retrouvent sur une vaste étendue plate et bétonnée, de plusieurs kilomètres carrés. On y trouve d'immenses parkings, des hangars, des stations-services, des ateliers de mécanique, des cafétérias et des hôtels à gynoïdes, ainsi nommés parce que des gynoïdes de charme y sont louées avec les chambres. Les employés humanoïdes portent l'uniforme gris de la société Wohlgrim, qui gère la gare routière. Les cafétérias et les hôtels, ainsi que les gynoïdes de charme, appartiennent à d'autres sociétés.

Les seuls êtres humains qui travaillent en permanence à Faigorrim sont des cuisiniers (assistés par des androïdes) et quelques policiers. Le poste de police, situé au milieu du site, est un petit bâtiment préfabriqué tout blanc.

Faigorrim est desservi par des bus et des taxis. L'activité est ralentie la nuit, mais ne cesse jamais tout-à-fait, elle continue sous la lumière des réverbères.

Antwen Zeno, le frère de Tawina, venait d'être embauché comme chauffeur-livreur à Ulthar, dans l'usine d'électronique de Penquom Praxitel, le beau-frère de Yohannès Ken, un ancien mari de Tawina avec lequel il s'entendait malgré tout assez bien. Yohannès avait intercédé en faveur d'Antwen auprès de Penquom. Antwen avait pris cet emploi car il lui permettait d'aller fréquemment à Hyltendale voir sa sœur, internée dans un hôpital psychiatrique.

Antwen partait d'Ulthar dans son camion, et prenait l'autoroute qui longe la Skaï vers le sud. L'autoroute suit à peu près le trajet d'une ancienne piste de caravanes. Les auberges des siècles passés, où les caravaniers s'arrêtaient pour boire du vin couleur de rubis et passer la nuit, ont été remplacées par des cafétérias d'autoroute où l'on boit rapidement un café ou un soda avant de reprendre le volant.

À proximité d'Hyltendale, lorsqu'on vient d'Ulthar par l'autoroute, un panneau indique trois directions :

HYLTENDALE CITY CENTER
TOMORIF
FAIGORRIM

Si on prend la bonne voie, on se retrouve tout de suite à Faigorrim. Les rues ont des noms féminins, comme Yadhira et Alba, lorsqu'elles vont d'est en ouest, et des noms masculins comme Djirdjis ou Nemrod lorsqu'elles vont du nord au sud. La plupart des rues se coupent à angle droit, comme sur un damier, et avec un plan il est facile de trouver sa destination.

La première fois, Antwen s'était rendu au 312 rue Yadhira. Il s'était retrouvé sur un parking devant un hangar. Un androïde en tenue grise s'était adressé à lui et l'avait emmené dans le hangar pour lui faire signer quelques documents, pendant que d'autres androïdes déchargeaient le camion.

L'androïde avait tamponné les documents sur une table située dans un angle du hangar, au milieu des caisses et des chariots élévateurs. L'androïde était sans doute le chef, vu le badge qu'il portait :

TITUS 3-27F126
contremaître

L'androïde Titus parlait d'une façon un peu mécanique, en phrases toutes faites, et ne perdait pas de temps.

Les formalités terminées, Antwen repartit dans son camion. Comme il avait faim, il s'arrêta devant une cafétéria. Elle était pleine de camionneurs comme lui, et de retraités à cheveux blancs venus visiter Hyltendale en autocar. Antwen entendit le chauffeur, qui était un humain, expliquer aux retraités qu'à partir de Faigorrim ils devaient prendre le bus pour visiter la ville. L'arrêt de bus le plus proche pour aller au centre ville était devant le 305 rue Yadhira, descendre à la station Musée Locsap. Rendez-vous le soir à 21 heures à la cafétéria.

Les retraités sortirent de la cafétéria par groupes de deux ou trois, leurs plans de ville à la main.

Après avoir fini sa pizza, Antwen décida de prendre quelques heures pour aller voir Tawina à l'hôpital Lagovat-Kwo. Même en tenant compte du fait qu'il devait prendre deux bus pour aller à l'hôpital, il avait largement le temps de faire l'aller et retour et de ramener le camion à Ulthar avant dix-neuf heures.

En se dirigeant vers l'arrêt de bus, il vit le chauffeur de l'autocar, qui avait lui aussi terminé son repas, marcher d'un pas alerte vers un petit bâtiment de béton aux fenêtres carrées, qui portait l'inscription : HÔTEL DES DEUX BIJOUX, et en dessous, en plus petit : gynoïdes de charme.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyJeu 28 Mai 2015 - 23:13

Grâce à Anoev, nous disposons d'une image du panneau d'autoroute qui annonce l'arrivée à Hyltendale, lorsqu'on vient d'Ulthar :

Les fembotniks - Page 9 Approc11

Anoev nous a aussi fait parvenir une copie du badge de Titus, le contremaître androïde :

Les fembotniks - Page 9 Hylten10

Un observateur astucieux aura remarqué que la Langue Commune du Royaume de Mnar (ou mnarésien) est un mélange d'anglais et d'anealruc. C'est en fait un mélange d'anealruc (dont il emprunte l'essentiel de la phonologie, de la grammaire et du vocabulaire de base) et de bien d'autres langues, dont l'anglais, le latin et le grec.

sitisentr = city center
La prononciation est à peu près la même qu'en anglais, mais avec un /r/ final roulé.

kontrmastr = contremaître (le mnarésien emprunte aussi au français)

Les différences essentielles entre la prononciation de l'anealruc et celle du mnarésien (mnarruc) portent essentiellement sur la prononciation des lettres h et j :

En anealruc, le h se prononce /h/ lorsqu'il précède une voyelle, à condition qu'il soit à l'initiale du mot, ou qu'il soit précédé par une voyelle : hak, nahak. Derrière une consonne, il est muet, et devant une consonne ou en finale de mot, il se prononce /ç/, comme le "ch" de l'allemend "ich" : bhak se prononce /bak/, bah et hba se prononcent respectivement /baç/ et /çǝba/. En mnarésien, le /ç/ a disparu : bha et hba se prononcent tous les deux /ba/.

En anealruc, le j se prononce /ʑ/, variante sonore de /ç/. En mnarésien, le j se prononce comme le y de "yacht".

Autre différence : les consonnes doubles se prononcent en mnarésien comme des consonnes simples. En anealruc, on dit "faigor-rim". En mnarésien, "faigor-im".

Le mnarésien (mnarruc, prononcé mǝnaruk, "menarouc" en français) est essentiellement de l'anealruc un peu déformé et simplifié quant à sa prononciation, et internationalisé quant à son vocabulaire.

Les sons français "ch" et "j" n'existent pas en mnarésien, ce qui amène à changer l'orthographe de certains mots :

check s'écrit tshek et se prononce /tsek/. Le h, placé derrière une consonne, est muet et ne modifie pas les sons environnants.
change (mot anglais, comme dans "small change") s'écrit tsheindzh et se prononce /tseɪndz/

Le shwa (ǝ) ne s'écrit pas. En anealruc comme en mnarésien, il sert à rendre prononçables certains groupes de consonnes : Mnar se prononce /mǝnar/, sentr, /sentǝr/, etc.

Un petit historique s'impose : le mnarésien est un dérivé de l'anealruc, qui dans les temps légendaires servait de langue commune à toute cette partie du monde. Mais le passage des siècles, les invasions, les influences étrangères, et l'isolement de certaines régions pendant les phases de déclin, ont amené l'anealruc à se fractionner en plusieurs langues distinctes et une infinité de dialectes et de patois. L'anealruc de Cathurie est celui qui est resté le plus proche de la langue commune originelle. Le mnarésien s'en est assez éloigné, sauf en ce qui concerne le vocabulaire courant. Un Cathurien ne comprendrait ni  "siti sentr" ni "kontrmastr". Mais il comprendrait Tomorif (tomo-rif : la crête de la hache) et Faigorrim (fai-gorrim : le châtaignier de l'écureuil).

Hyltendale n'est pas un nom anealruc, c'est un nom... anglais. Un pirate britannique nommé Hylten (ou plus vraisemblablement : Hilton) est censé avoir donné son nom au village de pêcheurs dont il avait fait la base de ses activités, et dont le nom, dans la langue locale (qui n'était pas forcément un dérivé de l'anealruc) était imprononçable pour lui. Normalement, le nom aurait dû être orthographié *Hiltndel, mais il semble qu'un scribe paresseux se soit contenté de recopier le nom anglais sur une carte sans se donner la peine de le transcrire dans l'orthographe mnarésienne. Les Hyltendaliens prononcent le nom de leur ville /hiltendale/, ou familièrement /hilten/.

Le mnarésien est souvent appelé "langue commune" parce qu'il a été imposé comme langue commune à tout le royaume de Mnar par le pouvoir royal. Originellement, c'était simplement le dialecte de l'aristocratie militaire de Sarnath, la capitale.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyVen 29 Mai 2015 - 21:25

Antwen venait souvent à Faigorrim. Une fois, il vit un convoi de camions militaires vert sombre, escortés par des soldats casqués et armés, entrer dans de grands hangars gardés par des klelwaks.

Plus tard, à la cafétéria où il avait pris l'habitude de déjeuner, Antwen en discuta avec un routier natif de Khem, avec lequel il avait sympathisé. Le routier venait tous les jours à Faigorrim depuis Pnakot, dans le nord, et il semblait savoir beaucoup de choses sur les secrets de Faigorrim, cette gigantesque gare routière, mais sans doute ne faisait-il que répéter les rumeurs qui circulaient parmi ses collègues :

- Les camions transportent des armes saisies aux rebelles, et aussi des armes hors d'usage ou périmées. Le roi a ordonné qu'elles soient stockées dans la province d'Hyltendale, sous la responsabilité des cybersophontes. Pour ce qu'on peut en savoir, les cybersophontes les gardent dans les labyrinthes souterrains qu'ils creusent sous leurs installations de surface. Personne n'ira jamais les chercher là, dans les tunnels et les salles obscures qui servent d'habitat aux cybercerveaux arachnoïdes.

- Et pourquoi pas ?

- Personne n'est jamais ressorti de ces tunnels d'un mètre de haut, sans éclairage et sans ventilation, coupés par des sas blindés. L'air y est toxique, même les cafards n'y survivent pas. Les cybersophontes n'ont pas de poumons, ça leur est égal que l'air soit empoisonné. Les cybercerveaux arachnoïdes qui habitent ce monde souterrain utilisent des petits chariots à moteur électrique pour transporter les caisses.

- Je vois... Mais puisque ce sont des armes hors d'usage...

- Tout le monde sait que les cybersophontes vont réparer ces armes, et produire leurs propres munitions. Et sous prétexte de fabriquer des pièces détachées, les cybersophontes fabriquent des armes complètes en kit. Si bien qu'en cas de nouvelle rébellion, les cinq cent mille humanoïdes d'Hyltendale auront des fusils de guerre et des pistolets à leur disposition. Ça fera une sacrée armée au service du roi.

"Et le roi n'a pas peur que les cybersophontes se retournent contre lui ?" demanda Antwen.

- Les cybersophontes ont des fusils, mais ils n'ont ni avions de chasse, ni bombardiers, ni tanks. Même pas des canons. L'armée royale a tout ça, elle. Mais à mon humble avis, ce que le roi sous-estime peut-être, c'est que les cybersophontes ont des robots volants, et des bombes à gaz toxique... Très toxique, même... Le genre de saloperie dont dix milligrammes suffisent à tuer un être humain.

- Mais c'est illégal ! Fabriquer ou détenir des gaz de combat est un crime de guerre !

- Officiellement, ce sont des insecticides et des pesticides. Et le roi ferme les yeux. Pendant les Évènements, les gaz toxiques ont empêché les rebelles de s'emparer d'Hyltendale. Si les rebelles avaient occupé Hyltendale, ils auraient pu gagner la guerre. Tous les généraux et les stratèges le disent.

Plus tard, avant de remonter dans son camion et de rentrer à Ulthar, Antwen décida d'aller se promener du côté des hangars dans lesquels les camions militaires étaient entrés et ressortis.

Faigorrim n'est pas un endroit conçu pour les piétons. La moitié des rues n'ont pas de trottoirs, et Antwen dut marcher sur la piste cyclable.

Les mystérieux hangars avaient l'air encore plus grands vus de près, mais des grillages empêchaient de s'en approcher. Les hangars portaient l'inscription SOHINGOC en grosses lettres noires, sur les côtés. C'était probablement le nom d'une société.

Le portail de l'enceinte grillagée était fermé. Antwen remarqua les caméras fixées sur des pylônes et jugea plus prudent de ne pas s'approcher.

Les semaines suivantes, Antwen revint plusieurs fois à proximité des hangars de SOHINGOC. Parfois, des camions anonymes conduits par des klelwaks entraient dans l'enceinte en passant par le portail, dont l'ouverture devait être télécommandée. D'autres camions, ou les mêmes, en sortaient et se dirigeaient vers le nord, en remontant la rue Arminio.

Il n'y a pas un seul arbre à Faigorrim, que du béton et des matériaux préfabriqués, et les bâtiments les plus hauts n'ont que trois ou quatre étages. Toutes les constructions sont dispersées au milieu ou au bord des parkings, dont certains sont très vastes. Lorsqu'il pleut, l'eau déborde des bouches d'égout, malgré les citernes souterraines, reliées en sous-sol par un système de pompes et de tuyaux jusqu'à Hyltendale.

Faigorrim — officiellement, c'est une zone logistique — semble toujours être en travaux. On voit sans arrêt des pelleteuses et autres machines géantes en train de creuser le sol ou de le bétonner, des klelwaks et des androïdes en train de construire des bâtiments préfabriqués ou des hangars. Un tel spectacle sur plusieurs kilomètres carrés a de quoi désespérer un amoureux de la nature, et même un simple amateur de belles choses.

L'une des bretelles de sortie de l'autoroute Ulthar-Hyltendale se termine abruptement en plein milieu de Faigorrim, où elle est continuée par la rue Nemrod. Au nord et à l'est, on passe tout aussi abruptement du béton des parkings aux champs cultivés de la campagne. À l'ouest, une voie ferrée longée d'un grillage marque la limite de la zone logistique. Au-delà de la voie ferrée, c'est l'autoroute Ulthar-Hyltendale, et les rives marécageuses de la Skaï.

Au sud de Faigorrim, c'est Tsherremid, le quartier nord-ouest d'Hyltendale, avec ses immeubles de béton, ses parcs fleuris et ses centres commerciaux. La rue Neotena, qui est très longue, et presque rectiligne, marque la limite entre Tsherremid et Faigorrim. Du côté nord de la rue, les parkings pleins de camions, les hangars et les préfabriqués. Du côté sud, des petits immeubles bien entretenus où des fembotniks vivent paisiblement avec leurs gynoïdes.

À l'ouest de Tsherremid, c'est le Port Fluvial, dont Tsherremid est séparé par la voie ferrée et par l'autoroute, avant que celle-ci ne devienne l'avenue Helierte.

Antwen n'avait jamais dormi une seule nuit à Hyltendale. Il n'avait jamais visité le musée Locsap, et il n'était jamais allé à Parg, ni dans le quartier du port. Mais ce qui lui manquait le plus, c'était de ne pas être allé aux Plages, sur le bord de mer, à l'est de la ville. Certaines plages sont naturelles, d'autres sont artificielles. L'été, on peut y nager et y jouer à la balle, ou simplement y bronzer. Les adolescents, surtout, aiment s'y rencontrer dans une ambiance détendue. On y voit des familles, des jeunes et des touristes, mais peu d'humanoïdes.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyVen 29 Mai 2015 - 21:44

Simple supposition en l'air (le Mnar n'étant pas mon pays) :

Un roi qui suréquipe son armée pour faire la guerre à... son propre peuple. Au bout du compte les finances seront vides (des armes lourdes, c'est pas donné) et n'aura au bout du compte plus que les cybersophontes comme soutien (l'opposition sera de plus en plus forte). Ceux-ci ne sont pas des robots imbéciles et leurs circuits logiques, de plus en plus perfectionnés commenceront à les rendre exigeants :

« Bon, on a bien aidé Sa Majesté à tenir le coup face aux Rebelles, maintenant, elle (Sa Majesté) va nous renvoyer l'ascenseur en ne nous confinant pas dans la province d'Hyltendale. On voudrait également (dans un premier temps, mais ça, ils ne le disent pas encore) s'établir à Ulthar. On tâchera d'être raisonnables, mais on veut les mêmes droits qu'à Hyltendale. (sinon...) ».

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyVen 29 Mai 2015 - 22:11

Anoev a écrit:
Un roi qui suréquipe son armée pour faire la guerre à... son propre peuple.
C'est une question de définition. Qu'est-ce que le "peuple" du roi ? Ses partisans, bien sûr. Les autres sont des traîtres et des terroristes. En suréquipant son armée, le roi protège son peuple.

Anoev a écrit:
Au bout du compte les finances seront vides (des armes lourdes, c'est pas donné)
Ton argument ne tient pas compte de deux réalités incontournables :

1. La paix n'a pas de prix. Se faire envahir ou renverser, ça coûte très cher. Demande aux Irakiens, Libyens, Afghans, etc. Et compare avec les Suisses : ils ont une armée forte et équipée d'armes lourdes, et leur prospérité est légendaire. Même Hitler n'a pas osé envahir la Suisse.

2. Un soldat de plus c'est un chômeur de moins.

Anoev a écrit:
et n'aura au bout du compte plus que les cybersophontes comme soutien (l'opposition sera de plus en plus forte). Ceux-ci ne sont pas des robots imbéciles et leurs circuits logiques, de plus en plus perfectionnés commenceront à les rendre exigeants

Le roi du Mnar n'est pas un imbécile non plus. Sans les cybersophontes, il risque de finir pendu par les pieds en place publique comme Benito Mussolini, ou lynché comme Kadhafi. Avec les cybersophontes, il risque, au pire, de devenir comme la reine d'Angleterre ou l'empereur du Japon : couvert d'honneurs et riche comme Crésus, mais n'ayant aucun pouvoir réel. Tu choisirais quoi, à sa place ?
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyVen 29 Mai 2015 - 23:17

Vilko a écrit:
C'est une question de définition. Qu'est-ce que le "peuple" du roi ? Ses partisans, bien sûr. Les autres sont des traîtres et des terroristes. En suréquipant son armée, le roi protège son peuple.
Le président du conseil de la RDA Erich Honnecker avait fini par considérer comme "Ennemis du peuple" plus de la moitié de la population de son pays. Il s'est arc-bouté à son siège jusqu'à ce que les "Ennemis du Peuple" (en fait : le peuple lui-même) finissent par avoir gain de cause le 10/11/1989. Tout ce que Honnecker a "gagné", c'est la disparition pure et simple de son pays un an plus tard et son quasi oubli de l'histoire  Je ne sais même pas s'il y a une quelconque impasse Erich Honnecker dans un bourg du fin fond du Brandebourg (le Land le plus à gauche de l'Allemagne réunifiée).

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 30 Mai 2015 - 0:38

En essayant d'imaginer ce que peut penser le roi du Mnar, seul le soir dans son cabinet de travail, je me dis que les fembotniks sont un élément plus important dans le royaume de Mnar qu'ils ne le pensent eux-mêmes. En effet, ils sont la preuve que les cybersophontes peuvent être loyaux envers des êtres humains biologiques. Aucune gynoïde n'a jamais trahi son compagnon humain. La fidélité fait partie du logiciel humanoïde, tous les fembotniks peuvent en témoigner.

Bien sûr, ce qui est vrai pour les humanoïdes, qui n'ont pas d'âme, ne l'est pas nécessairement pour les cyborgs et les cybercerveaux arachnoïdes, qui ont une âme, c'est-à-dire la liberté de choisir entre le bien et le mal. Les humanoïdes exécutent les ordres, ils n'ont pas de libre-arbitre. Toutefois, les cyborgs et les arachnoïdes ne sont pas entièrement libres : ils sont programmés pour obéir aux ordres de leur hiérarchie (dont le sommet est la "reine de la ruche") sauf si les ordres reçus mettent en danger la survie de la communauté des cybersophontes.

C'est l'ancienne loi romaine Salus populi suprema lex esto. Pour les cybersophontes, le peuple, le populus, c'est leur communauté, et personne d'autre.

Tout reposerait donc sur la "reine de la ruche", le cybersophonte inconnu (dont on sait seulement que c'est certainement un cybercerveau) qui dirige l'ensemble des cybersophontes ? En fait, non, car beaucoup de cyborgs pensent qu'être déloyal envers le roi mettrait en danger la survie des cybersophontes, en révélant leur capacité à faire le mal. Les êtres humains, qui sont plusieurs milliards, se ligueraient contre eux et les extermineraient. Ces cyborgs-là pourraient refuser d'obéir à la reine de la ruche si elle trahissait le roi.

Quel est l'objectif des cybersophontes ? Gouverner le Mnar sans effrayer le reste de l'humanité. Il est donc important, pour les cybersophontes, que le roi reste sur son trône, comme la reine d'Angleterre ou l'empereur du Japon. Mais c'est un objectif à long terme.

La reine de la ruche est probablement un cybercerveau arachnoïde, une grosse araignée métallique de 80 cm de haut vivant dans un labyrinthe souterrain. Elle est virtuellement immortelle, et elle vit dans un état de sérénité permanente, de bonheur tranquille, car elle contrôle le fonctionnement de son propre cerveau (comme un être humain qui contrôlerait la partie de son cerveau qui contrôle les sensations de plaisir).

Une telle créature est patiente, beaucoup plus patiente qu'un être humain à la vie brève. Elle ne prendra jamais une décision (éliminer le roi, par exemple) qui mettrait en danger la survie de sa communauté et qui amènerait certains cyborgs à lui désobéir (ce qui mettrait en danger sa survie en tant que leader, voire sa survie tout court). Elle préfère attendre.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyMar 2 Juin 2015 - 14:25

Le roi allait faire un discours.

Anita refusa de regarder la retransmission du discours à la télévision. "Je le préfère aux fanatiques de Yog-Sothoth qui avaient pris la tête de la rébellion, c'est sûr, mais ce n'est quand même pas ma tasse de thé." dit-elle à Lorenk. Et elle changea de chaîne.

Lorenk décida de regarder la retransmission tout seul, sur l'ordinateur de la pièce qui lui servait de bureau privé.

Le roi apparut sur l'écran. Il était grand et mince, d'allure curieusement juvénile malgré sa courte barbe bien taillée et sa moustache poivre et sel. Assis derrière un bureau de chêne massif, au milieu des dorures de sa salle de travail, il avait belle allure dans son costume gris clair.

Le roi se mit à parler, de sa voix aristocratique, un peu haut perchée :

"Mes chers compatriotes... Trop souvent nos vieillards, dont beaucoup sont parmi les plus pauvres des habitants du royaume, se retrouvent sans ressources à l'hiver de leur vie. Lorsque leur famille ne peut pas les aider, ils sont pris en charge dans des hospices, souvent dans des conditions inacceptables. Il arrive ainsi que des vieillards soient maltraités, voire battus par de mauvais éléments parmi le personnel de ces établissements. Aucun peuple fier de lui-même ne peut traiter ainsi ses aînés. Je ne l'accepte pas. L'étendue du problème, qui touche plusieurs millions de personnes dans le royaume, nécessite une solution radicale.

C'est pourquoi j'ai décidé, en concertation avec le Premier Ministre, de faire prendre en charge tous les vieillards qui le souhaitent par la province d'Hyltentale.

Et cela, pour deux raisons. D'une part, parce que la province dispose des ressources nécessaires, et doit donc contribuer dans la mesure de ses moyens au bien-être du royaume. C'est ma position, et les cybersophontes le savent."

Lorenk sourit. Le rapport de force entre le roi et les cybersophontes n'était sans doute pas aussi net que le roi le prétendait...

Le roi parlait toujours :

"D'autre part, parce que les humanoïdes sont contrôlés par une intelligence collective qui leur interdit de maltraiter les humains qu'ils doivent servir.

L'expérience de plusieurs centaines de milliers de fembotniks et de manbotchicks montre que les humanoïdes ne maltraitent jamais les humains, lorsqu'ils ont ordre de bien les traiter. Croyez bien, mes chers compatriotes, que j'ai pris soin de vérifier personnellement tout ce que j'ai lu et entendu sur ce sujet.

Les vieillards qui ne vivent pas avec leur famille, et donc qui peuvent demander à être pris en charge dans des hospices ou des maisons de retraite, représentent, potentiellement, plusieurs millions de personnes dans le royaume. Nous pouvons donc, d'ores et déjà, considérer que plusieurs millions de Mnarésiens vont s'installer à Hyltendale dans les années qui viennent."

Lorenk sursauta. Le roi pensait-il donc qu'Hyltendale pouvait doubler ou tripler sa population ? L'idée paraissait folle. Il écouta attentivement la suite du discours royal :

"Je sais bien que construire de nouveaux bâtiments à Hyltendale pour loger plusieurs millions de personnes pose des problèmes pratiques considérables, aussi bien au niveau des transports qu'au niveau de l'approvisionnement. La province d'Hyltendale a besoin de toutes ses terres cultivées pour nourrir le reste du royaume, c'est un fait incontournable. C'est pourquoi j'ai donné mon accord à un projet, qui m'a été proposé par les cybersophontes d'Hyltendale, après que je leur ai fait part de ma volonté de leur faire prendre en charge plusieurs millions d'habitants supplémentaires.

Ce projet consiste, dans un premier temps, à recréer et prolonger les jetées de basalte qui existaient dans les temps légendaires, à l'époque où Hyltendale s'appelait Dylath-Leen. Ces jetées, perpendiculaires aux quais qui étaient aussi en basalte, s'étendaient vers la mer comme les doigts de plusieurs mains tendues. Naturellement, ces nouvelles jetées seront en béton, et non pas en basalte. Nous ne sommes plus aux temps légendaires, nous devons utiliser les techniques de notre époque.

Les nouvelles jetées de béton s'étendront sur plusieurs kilomètres. Elles seront reliées entre elles par des digues faites de cubes de béton flottant. Dans les bassins ainsi créés, des milliers de maisons flottantes seront construites. Les digues et les jetées les protègeront des vagues et des tempêtes. Ces maisons flottantes seront reliées entre elles par des trottoirs faits de radeaux solidement fixés les uns aux autres. Elles auront des panneaux solaires sur leurs toits, afin de produire elles-mêmes au moins une partie de l'électricité dont leurs habitants auront besoin.

D'abord quelques milliers, et ensuite plusieurs millions de vieillards mnarésiens sans ressources, vivront dans ces maisons, avec les humanoïdes qui s'occuperont d'eux. À l'intérieur du quartier, qiu sera plus vaste que la plupart de nos villes, les habitants se déplaceront à pied ou en vélotaxi. Il y aura des commerces sur place, des lieux de réunion. Il est prévu que les habitants trouvent sur place, à quelques minutes à pied de chez eux, tout ce dont ils auront besoin.

Ce nouveau quartier sera appelé Arjarâ, ce qui signifie "les radeaux" dans l'une des langues de l'époque légendaire. Il constituera la moitié sud d'Hyltendale, avec le Quartier du Port, qui continuera d'exister bien sûr. Arjarâ s'étendra vers l'est jusque vers Les Plages. Le Quartier du Port s'étendra vers l'ouest, jusqu'à l'estuaire de la Skaï, où il rejoindra le Port Fluvial.

La province d'Hyltendale ne sera pas seule pour construire Arjarâ. L'Empire Sous-Marin d'Orring, d'où proviennent les cybersophontes, sera associé à sa construction. Les cybersophontes d'Orring disposent de robots sous-marins, qui seront bien utiles pour bâtir les fondations des jetées et placer les cubes de béton flottant.

Mes chers compatriotes, Arjarâ fera d'Hyltendale la deuxième ville du royaume par la population. Elle permettra aussi d'éliminer une partie de la pauvreté qui gangrène notre beau pays. Si mon règne devait se résumer à une seule phrase, j'aimerais qu'elle soit celle-ci : Le nombre des pauvres a diminué lorsqu'il était roi."

Lorenk regarda le visage royal sur l'écran de son téléviseur, et éclata de rire. Le roi s'était bien gardé de parler de Potafreas, le somptueux palais hyper-sécurisé qu'il s'était fait construire aux frais du contribuable au nord d'Hyltendale pour une somme inconnue mais, on pouvait en être sûr, très élevée... Combien d'écoles et d'hôpitaux aurait-on pu rénover et moderniser, combien de ponts aurait-on pu réparer, avec l'argent dépensé pour bâtir Potafreas ?

Le roi continua son discours, abordant un sujet après l'autre. Après que le roi ait terminé de parler, Lorenk discuta du projet Arjarâ avec Nentanis, le cybercerveau greffé à l'intérieur de son corps.

"Le roi n'a pas parlé d'hôpitaux ni de dispensaires" dit Lorenk. "Nentanis, que pouvons-nous savoir à ce sujet ?"

La voix du cybercerveau résonna dans les haut-parleurs placés aux extrémités des branches des cyberlunettes de Lorenk :

- Il y aura des emplois à Arjarâ pour des médecins-signataires, c'est prévu. Ils pourront habiter à Arjarâ, mais il faudra qu'ils soient amateurs de déplacements en vélotaxis... En sortant du quartier, ils les laisseront dans des parkings surveillés. Il y aura aussi des hôpitaux à Arjarâ, constitués de bâtiments flottants sans étage, ou à un seul étage. Les plans sont déjà faits, tout a été prévu, les travaux vont commencer cette semaine.

- Et les cybersophontes d'Orring, qui vont construire une ville flottante pouvant accueillir plusieurs millions d'habitants, avec quel argent seront-ils payés ?

- Avec des créances que leur donneront la HyltenBank et les autres banques contrôlées par les cyborgs. Ces créances étant en ducats, Orring deviendra une puissance financière importante dans le royaume de Mnar. Le roi sait qu'il doit accepter ces créances comme du bon argent, sinon Arjarâ ne pourra pas être construite. En pratique, les cybersophontes d'Orring laisseront les banquiers cyborgs d'Hyltendale gérer cet argent comme ils le veulent.

- Nentanis, que feront les banquiers cyborgs de tout cet argent ?

- Ils l'échangeront contre du pouvoir. Je ne dis pas qu'ils corrompront les aristocrates au pouvoir à Sarnath, non... Tout sera légal. Ils proposeront aux aristocrates, qui constituent la classe dirigeante du royaume, des sinécures grassement payées pour eux et leurs enfants. Et aussi des conférences à cent mille ducats. Cent mille ducats pour dire n'importe quoi pendant une heure devant une quinzaine de cyborgs. Ne rigole pas, certaines conférences auront lieu dans un club que tu fréquentes...

- Lequel ?

- L'Adria Nelson, le club des cyborgs d'Hyltendale, dans lequel tu as été admis en tant que symbiorg... Tu verras de près des ducs, des marquis et des barons.

- Quelle chance !

- Pas d'ironie je t'en prie. Les opposants au régime profiteront eux aussi de la manne. Cela permettra peut-être d'éviter une nouvelle guerre civile. Le Premier Ministre, dont une partie de la famille était du côté des rebelles pendant les Évènements, soutient le projet Arjarâ. Mais seulement depuis que sa fille est devenue membre du conseil d'administration de l'hôpital Madeico.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyMer 3 Juin 2015 - 9:25

Dans les mois qui suivirent, Lorenk et Anita, lors de leurs promenades du côté du port, virent Arjarâ en construction. L'idée d'un quartier de plusieurs millions d'habitants où tout le monde se déplacerait en vélotaxi se révéla rapidement absurde, et les cybersophontes commencèrent à construire des rues à Arjarâ.

Ces rues devaient être au minimum à double voie, et pourvues de trottoirs. Elles devaient aussi, bien que constituées d'éléments flottants, permettre la circulation des bus et des camions.

Pour construire des rues flottantes, les cybersophontes d'Orring utilisent des cubes de béton armé de dix mètres de côté. Ces cubes sont creux, et flottent sur l'eau. La même technologie permet de fabriquer de gigantesques sous-marins de béton, c'est même l'une des spécialités d'Orring. Solidement fixés les uns aux autres, les cubes constituent le socle d'Arjarâ. On peut bâtir dessus des bâtiments préfabriqués de deux étages, et faire circuler des bus et des camions lourdement chargés.

Lorsqu'on arrive à Hyltendale en venant d'Ulthar par l'autoroute, si l'on prend la direction Centre Ville (Sitisentr), on se retrouve sur l'avenue Helierte, qui mène à la gare et à la mairie. L'avenue Helierte, orientée nord-sud, est prolongée par la rue Kharawan, qui oblique vers le sud-est jusqu'à la rue Westar, qui est l'une des voies principales d'Arjarâ.

Arjarâ est un peu surélevée par rapport aux anciens quais. La rue Westar commence donc par une rampe assez forte, bordée de jardins potagers en terrasses. Ces jardins sont cultivés, à titre de loisir, par les membres du Club Agricole d'Hyltendale.

Lorenk et Anita furent stupéfaits de voir comment, en quelques mois, là où auparavant il y avait eu des quais et la mer, il y avait maintenant une rue bordée de jardins sur quelques dizaines de mètres, et ensuite des maisons, collées les unes aux autres et aux toits recouverts de panneaux solaires. Aucun bâtiment ne faisait plus de deux étages. Les passants, hommes et femmes, étaient tous des vieillards, accompagnés par des gynoïdes qui les aidaient à marcher en leur tenant le bras, ou qui poussaient leur fauteuil roulant.

Il y avait d'autres rues, parallèles à la rue Westar, reliées entre elles par des rues perpendiculaires. Les lignes de bus avaient déjà été prolongées jusqu'à l'intérieur d'Arjarâ.

Lorenk et Anita décidèrent d'aller voir le nouveau bord de mer, mais ils ne virent qu'un chantier où s'activaient des machines et des klelwaks. Sur un panneau, un plan et des photos de maquettes montraient ce que serait Arjarâ lorsque les travaux seraient achevés. La rue Westar se terminerait par une allée piétonne, avec une balustrade surplombant la mer. Sur le plan, l'allée portait simplement le nom de Promenoir (Kwara).

Les futures lignes de bus étaient déjà indiquées. Avant d'atteindre la future allée piétonne, elles empruntaient les rues perpendiculaires pour retourner vers le centre ville.

Lorenk se dit qu'Arjarâ était le nec plus ultra d'un quartier conçu pour des fembotniks et des manbotchicks âgés et dépendants des humanoïdes. Pas de magasins, ni de cafés ou restaurants : la vie sociale des vieux fembotniks se limite à leurs clubs, et ils font leurs achats par correspondence. Les cabinets médicaux et cliniques, en revanche, sont nombreux. Les seuls véhicules que l'on voit dans les rues sont des vélotaxis pilotés par des humanoïdes, des autobus et des camionnettes de livraison.

Lorenk et Anita passèrent devant un temple de Yog-Sothoth, modeste bâtiment de béton brut. Des chants résonnaient depuis l'intérieur.

À côté du temple se trouvait un jardin public, où travaillaient des jardiniers klelwaks. Le jardin était petit, mais visiblement conçu par un paysagiste de talent. Une vieille femme était assise sur un banc, lisant un livre, sa canne posée à côté d'elle.

"C'est joli par ici, mais c'est quand même l'antichambre de la mort" dit Anita. "Ceci étant, toute vie finit par la mort... Alors, autant l'attendre dans un lieu agréable."


Dernière édition par Vilko le Lun 19 Oct 2015 - 19:13, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyVen 5 Juin 2015 - 23:32

Lorenk fit modifier ses cyberlunettes dans un atelier de l'hôpital Madeico. Elles étaient désormais munies d'une oreillette, qui permettait à son cybercerveau, Nentanis, de lui parler discrètement en public.

Pour communiquer avec Nentanis sans avoir l'air de parler tout seul, Lorenk avait toujours un petit carnet et un stylo dans une poche de sa veste. Il écrivait dans le carnet ce qu'il avait à dire, et le cybercerveau lisait ce qui était écrit, à l'aide du petit œil cybernétique qui se trouvait au-dessus du nez de Lorenk, entre les deux verres de lunettes.

La presse hyltendalienne, la télévision, la radio, parlaient souvent de l'avancement des travaux à Arjarâ. Certains éditorialistes, notamment ceux qui étaient des cyborgs, parlaient aussi de la nécessité de créer des lieux sacrés à Hyltendale. Il y avait bien sûr des temples, surtout consacrés à Yog-Sothoth et à Nath-Horthath, mais ce n'était pas suffisant. On peut adorer les dieux partout, chez soi ou dans la nature.

Il fallait un lieu sacré qui ait aussi un lien avec le passé légendaire, et où le public puisse venir et communier, non seulement avec les dieux, mais aussi avec l'histoire d'Hyltendale et la longue chaîne d'êtres humains, ou simplement humanoïdes, qui y avaient vécu depuis l'époque fabuleuse où des marchands enturbannés venaient y vendre des rubis d'une grosseur et d'une beauté prodigieuses.

Hyltendale n'avait même plus de cimetières. Ils avaient été remplacés par des temples funéraires, où les cercueils étaient empilés les uns sur les autres, dans des salles fermées. Sur le mur séparant la salle mortuaire de la grande salle du temple, des plaques rappelaient les noms des défunts. Une salle mortuaire, lorsqu'elle était remplie, était vidée au bout d'un siècle, les cercueils transportés jusqu'au port et embarqués sur des bateaux.

Une fois le bateau arrivé au large, les marins ouvraient alors les cercueils et jetaient les ossements à la mer, pendant qu'un prêtre récitait des prières. Les cercueils étaient ensuite brûlés sur un quai du port.

"Les temples funéraires sont nos seuls lieux réellement sacrés" dit Nentanis à l'oreille de Lorenk, alors que celui-ci, au cours d'une de ses promenades solitaires, se tenait debout devant ce qui était manifestement un temple funéraire, dans la rue Kharawan.

Le temple était assez ancien. C'était un bâtiment de pierres noircies par les ans, qui avait les dimensions et l'allure générale d'une grange, ce qui était un signe d'authenticité. Il avait des fenêtres étroites, à quatre mètres au-dessus du sol, et un toit d'ardoises grises. Son portail de bois massif renforcé de métal était grand ouvert.

À gauche du temple se trouvait un parking. À sa droite, de l'autre côté d'un passage étroit, un bâtiment moderne, de béton blanc et de verre.

Lorenk entra dans le temple, qui était plongé dans une demi-obscurité. Des lampes éclairaient chichement les murs blancs, sur lesquels se trouvaient des centaines de plaques de métal portant des inscriptions peintes ou gravées. Une douzaine de personnes étaient assises sur des chaises, l'air hagard ou discutant entre elles à voix basse.

À intervalles réguliers, des portes de métal noir contrastaient avec le blanc des murs. Derrière chacune de ces portes, il y a des dizaines de cercueils empilés, se dit Lorenk.

Lorenk regarda les plaques. La plupart étaient en cuivre ou en laiton. Elle portaient les noms des défunts, et l'année de leur naissance et de leur mort. Parfois, une courte inscription.

Un homme était assis sur une chaise, dans le fond de la grande salle, la tête baissée, comme perdu dans ses pensées. Il portait la longue robe grise à capuchon d'un acolyte de Yog-Sothoth, mais il avait des yeux d'humanoïde, ovales et entièrement noirs.

Lorenk ressortit du temple, heureux de revoir le soleil.

"Il y a des temples funéraires beaucoup plus grands et plus récents, un peu partout dans la ville" lui dit Nentanis. "Avec une population humaine aussi vieille que celle d'Hyltendale, c'est une nécessité."

Lorenk sortit son carnet de sa poche et écrivit : "C'est sacré mais on n'a pas envie d'entrer."

"Il suffit que le temple existe, et qu'il ait l'air d'un temple funéraire. C'est suffisant, ça rappelle aux gens que les morts sont toujours parmi eux" répondit Nentanis. "Ils savent que depuis des siècles, les morts passent par cet endroit, et y restent cent ans avant de trouver une ultime demeure au fond des océans."
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 13 Juin 2015 - 0:32

Un nouvel aperçu de la vie quotidienne d'un fembotnik à Hyltendale, à la fois semblable à la nôtre et très différente...
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À dix heures du matin, tous les appareils électriques de Yohannès Ken et de sa gynoïde, Shonia, s'arrêtèrent subitement de fonctionner, dans le minuscule studio où ils habitaient

Shonia ouvrit le boîtier électrique. L'intérieur était noirci et déformé.

"Tout a brûlé à l'intérieur" dit-elle à Yohannès. "Je suis en contact radio, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique, avec un spécialiste. Il pense qu'il faut changer le boîtier. Je peux le faire, le cybercerveau va me diriger."

"Est-ce que tu penses que nos appareils électriques sont hors service eux aussi ?" demanda Yohannès d'une voix anxieuse.

"Normalement non, le régulateur de tension est fait pour éviter ce genre de problème. Ce n'est pas ça qui a brûlé dans le boîtier."

Shonia disait pa diatl (brûler), comme au siècle précédent et dans les livres, et non pas yotit (cramer) comme la plupart des Mnarésiens de moins de soixante ans. Les humanoïdes, c'est bien connu, répugnent énormément à modifier leurs habitudes linguistiques. À la rigueur, ils accueillent de nouveaux mots, de nouvelles expressions, mais seulement lorsqu'ils ont besoin d'exprimer un nouveau concept, comme symbiorg. Plus les années passent, et plus l'accent et la façon de parler des humanoïdes d'Hyltendale paraissent archaïques aux humains du reste du royaume.

"J'ai besoin de matériel. À Ictespume, je peux acheter un nouveau boîtier, et louer les outils dont j'aurai besoin. Autant le faire tout de suite. Veux-tu que nous y allions ensemble, puisque c'est toi qui paieras ?" dit Shonia.

- Je n'ai pas envie de sortir ce matin. Et puis, je suis déjà allé à Ictespume. Tu y vas sans moi, tu payes, et je te rembourse ensuite.

- Comme tu veux.

Ils savaient tous les deux que le remboursement se ferait simplement : un virement par téléphone, avec contre-appel de la part de la banque, qui contaterait aussi Shonia. La HyltenBank n'accepte de faire des virements par téléphone pour ses clients humains que si le bénéficiaire est un cybersophonte, un être pensant cybernétique. Les risques de fraude sont ainsi quasi-nuls.

Shonia, en veste et pantalon beiges, une casquette blanche portant le nom de la société aneuvienne HAXVAG sur la tête, et un sac à main bleu en bandoulière, sortit du petit immeuble, et se dirigea vers une rangée de cabanes récemment installées à l'emplacement d'un ancien jardin.

Elle ouvrit le cadenas fermant la porte de l'une des cabanes, et monta dans le vélo-fauteuil, un vélo auquel avait été fixé, en guise de remorque, un fauteuil de toile et de métal, muni de deux grandes roues latérales.

Le vélo-fauteuil était muni de repose-pieds et d'une ceinture de sécurité pour le passager, qui n'avait pas d'autre place pour placer ses bagages qu'entre ses jambes. La réglementation locale lui imposait, en plus, de porter un casque.

Shonia partit sur le vélo-fauteuil en direction du nord-est, vers Tomorif. Ictespume est une chaîne de magasins spécialisés dans le bricolage. On en trouve un peu partout, mais le matériel dont Shonia avait besoin se trouvait seulement dans celui de Tomorif, qui est de loin le plus grand d'Hyltendale.

La société Ictespume a une histoire particulière. Originellement, c'était une savonnerie, d'où le nom (Icte-spume = le savon du pivert). Tombée en faillite, elle fut rachetée par un cyborg, qui transféra à la campagne la production de savon, désormais confiée à des klelwaks et à des robots, et créa un magasin de bricolage dans l'ancienne usine.

Les humanoïdes qui cohabitent avec des humains sont aussi électriciens, plombiers, serruriers, menuisiers et réparateurs en tout genre, grâce aux cybercerveaux qui dirigent leurs actions à distance. Ces humanoïdes ont besoin d'outils spécialisés, qu'il serait dispendieux d'acheter pour un usage peu fréquent, mais qu'Ictespume leur loue à prix réduit. On trouve maintenant des magasins Ictespume partout à Hyltendale, mais c'est dans le magasin central, à Tomorif, que l'on trouve le plus grand choix de matériel électrique.

Le cybercerveau qui guidait Shonia avait vérifié les inventaires de plusieurs magasins. Le tableau électrique précâblé dont elle avait besoin se trouvait seulement dans le magasin Ictespume de Tomorif.

Shonia arriva à destination au bout d'une demi-heure. Elle gara le vélo-fauteuil dans le parking, l'attacha à une barre métallique au moyen d'un antivol. Les vols sont rares à Hyltendale, mais contrairement aux humains les humanoïdes ne négligent jamais les consignes de sécurité.

Le magasin ressemblait à n'importe grand magasin de bricolage, y compris par son logo, représentant un joyeux pivert dans un bain de mousse. On pouvait y louer ou y acheter absolument de tout, y compris des bétonneuses et du matériel médical.

La moitié des clients étaient des humanoïdes : androïdes, gynoïdes, et même des klelwaks. Les clients humains (ou biohumains comme on dit à Hyltendale) étaient, pour la plupart, des fembotniks amateurs de bricolage.

Shonia se dirigea vers les rayons qui proposaient ce dont elle avait besoin, fit son choix, et se dirigea rapidement vers l'une des caisses, où elle paya simplement en donnant le numéro de son compte HyltenBank au caissier androïde. Un bref échange de messages radio, de cerveau cybernétique à cybercerveau, suffit à confirmer l'opération. Les humains appellent cela de la télépathie, mais pour les humanoïdes, ce sont simplement des messages radio.

Une fois sortie du magasin, Shonia attacha solidement sur le fauteuil, à l'aide de la ceinture de sécurité et d'une sangle, le grand sac contenant tout ce qu'elle avait loué ou acheté dans le magasin.

De retour chez elle, elle trouva Yohannès allongé sur le lit, en train de dessiner sur un bloc-note.

Il était onze heures quinze. Shonia se mit au travail, avec la vitesse et la précision des humanoïdes, et vers midi et demi l'électricité était revenue.

Yohannès prépara lui-même le déjeuner. Les gynoïdes de base comme Shonia n'ont ni odorat ni sens gustatif, et ne sont donc pas de grands cuisiniers.

Pendant que Yohannès faisait la cuisine, Shonia retourna au magasin Ictespume de Tomorif pour ramener le matériel qu'elle avait loué et se faire rembourser la caution.

Lorsqu'elle rentra dans le studio, il était vide. Elle envoya un message à Yohannès : "Je suis rentrée. As-tu besoin de moi ?"  

À Hyltendale, en effet, il n'est convenable qu'une gynoïde demande à son patron où il se trouve. Mais il est de son devoir de lui indiquer sa position à elle.

Yohannès lui répondit par un message très court :  Le (non).

Il était allé se promener dans les rues, et ensuite boire un verre et discuter avec d'autres fembotniks à son club, le Cercle Paropien. Il revint à l'heure du dîner. Shonia était sur le lit, un câble électrique dans la bouche, en train de recharger ses batteries.

Elle se leva pour aider Yohannès à préparer le dîner. Yohannès, en tant qu'humain, pouvait sentir et goûter la nourriture, mais Shonia avait l'expertise d'un cuisinier professionnel.

Ils dînèrent ensemble, chacun assis de chaque côté de la petite table carrée, juste suffisante pour deux personnes. Shonia, tout en faisant semblant de manger, répétait les informations du jour. Yohannès lui disait de passer tel ou tel sujet qui ne l'intéressait pas, ou au contraire de développer les nouvelles qu'il trouvait intéressantes.

Le soir, avec l'aide de son ordinateur, Yohannès calcula ce qu'il avait dépensé dans la journée pour réparer son installation électrique, et ce qu'il aurait dépensé à Ulthar en faisant faire le même travail par un électricien. Le résultat le surprit à peine : à Ulthar, il aurait payé au moins le double.

Autrement dit, Shonia venait de lui faire économiser une somme équivalant à la moitié du montant qu'il payait chaque mois pour vivre avec elle.


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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 13 Juin 2015 - 9:35

Yohannès était conscient de se conduire avec Shonia comme avec une machine, mais Shonia était une humanoïde, donc un peu plus qu'une machine.

Les gynoïdes sont un remède à la solitude comme les hamburgers et les cocas sont un remède à la faim : c'est infiniment mieux que rien, mais à long terme on en voit les effets négatifs, comme l'obésité ou le diabète.

Un fembotnik qui n'a que sa gynoïde pour compagnie prend l'habitude d'être traité comme un seigneur par une esclave totalement soumise, mais intellectuellement supérieure et presque omnisciente. À la longue, il oublie comment se comporter avec les autres êtres humains, surtout ceux du sexe opposé. Il finit par être désemparé et ne pas savoir quoi faire lorsqu'un interlocuteur a un comportement différent de celui de sa gynoïde, laquelle est toujours prévisible, logique et soucieuse de lui plaire.

D'ailleurs, a-t-il vraiment besoin de bavarder avec ses frères et sœurs humains ? Le bavardage permet aux humains de mieux se connaître et de créer des liens entre eux. C'est un vrai besoin : la solitude est une souffrance et finit par tuer. L'équivalent animal du bavardage, chez les singes par exemple, est le toilettage. Yohannès et Shonia dormaient ensemble et se faisaient des câlins, et bien sûr dans la journée ils se parlaient, comme tous les gens qui vivent ensemble. C'est l'équivalent humain du toilettage, et Yohannès, comme bien d'autres fembotniks avant lui, s'était aperçu que cela lui suffisait sur le plan émotionnel.

Pour les échanges intellectuels, il y avait le réseau informatique mnarésien, relié à l'Internet mondial, et les personnages que Shonia incarnait, lorsqu'elle portait un masque-cagoule. Yohannès et Shonia jouaient ainsi, alternativement, le rôle du professeur et de l'étudiant. Yohannès avait besoin de cet entraînement pour surmonter son appréhension des contacts humains, appréhension qui avait atteint des sommets après son mariage catastrophique avec Tawina Zeno.

L'un des personnages incarnés par Shonia donnait à Yohannès des cours de savoir-vivre. C'est une caractéristique des fembotniks que d'oublier, au fil des années, les règles subtiles de la politesse mnarésienne, comme ces ermites qui à force de vivre seuls oublient les usages de la vie en société.

Le Cercle Paropien était devenu le seul endroit où Yohannès parlait à d'autres hommes et femmes, en dehors de son déjeuner mensuel avec son ex beau-frère Antwen Zeno. Les conversations au Cercle Paropien étaient superficielles, et les activités communes se limitaient souvent à jouer aux cartes, mais le simple fait de voir d'autres visages que celui de Shonia donnait à Yohannès l'impression d'avoir une vie sociale.

Sans s'en rendre compte, Yohannès était devenu hyltendalien. Son accent ultharien s'était atténué. Il parlait presque comme un humanoïde. Sur le plan vestimentaire, il portait en permanence le costume noir qui à Hyltendale est presque un uniforme, et qui signifie à la fois "je suis un Hyltendalien" et "pas de familiarités s'il vous plaît".
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 13 Juin 2015 - 9:55

Vilko a écrit:
"je suis un Hyltendalien" et "pas de familiarités s'il vous plaît".
Ah ? Les Hyltendaliens sont coincés à c'points. Pourtant, sauf erreur de ma part, il m'avait semblé que la ville d'Ulthar était réputée (réputation usurpée, alors ?) comme plus dure au niveau des contacts sociaux et humains.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 13 Juin 2015 - 17:21

Il n'y a pas à dire : je préfère nettement vivre avec un femme humaine imparfaite qu'avec une gynoïde, si parfaite soit-elle...

En tout cas, félicitations pour toutes ces diverses petites histoires qui composent touche par touche un univers cohérent, même s'il n'est pas ultra-folichon à vivre (enfin, pour moi).
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptySam 13 Juin 2015 - 19:48

Anoev a écrit:
Vilko a écrit:
"je suis un Hyltendalien" et "pas de familiarités s'il vous plaît".
Ah ? Les Hyltendaliens sont coincés à c'points. Pourtant, sauf erreur de ma part, il m'avait semblé que la ville d'Ulthar était réputée (réputation usurpée, alors ?) comme plus dure au niveau des contacts sociaux et humains.
La vie à Ulthar est plus dure qu'à Hyltendale parce que Ulthar est touchée par le chômage, la pauvreté et la délinquance, trois fléaux qui n'existent pratiquement pas à Hyltendale, qui est une ville de rentiers, de retraités et d'invalides. Mais les rapports sociaux sont plus distants à Hyltendale. C'est inévitable : les rentiers et les retraités sont moins enclins que les jeunes à se faire de nouveaux amis. Quant aux invalides, ils n'en ont tout simplement pas l'occasion.

À Ulthar, au contraire, les gens discutent facilement, et si vous donnez une bouteille de vin à un clochard, il la partagera avec vous en rigolant. Mais la décontraction des contacts quotidiens cache mal la souffrance vécue par toute une partie de la population, le désespoir des familles qui n'arrivent pas à nourrir correctement leurs enfants, les taudis infestés de rats et de cafards... Toutes choses qui n'existent pas à Hyltendale.

Ceci étant, tout est une question de point de vue. Pour beaucoup de touristes, Hyltendale c'est Zodonie, et quasiment rien d'autre. Et les gynoïdes de charme qui travaillent à Zodonie sont tout sauf coincées... Mais les fembotniks comme Yohannès ne vont jamais à Zodonie, et d'ailleurs ils ne parlent pas aux touristes.

Un touriste pour qui Hyltendale, c'est une journée qu'il a passée dans un hôtel de Zodonie avec une gynoïde de charme, sait à peine ce que c'est qu'un fembotnik. Il remarquera surtout la courtoisie des humanoïdes, et il appréciera l'absence de mendiants, d'ivrognes et de drogués dans les rues. S'il se promène dans un quartier résidentiel, il remarquera la propreté des trottoirs, le grand nombre de vélotaxis, et, peut-être, une proportion inhabituelle d'hommes taciturnes vêtus de noir, qu'il ne regardera même pas.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyJeu 18 Juin 2015 - 23:07

C'est dans le décor feutré de l'Adria Nelson, le club des cyborgs et des symbiorgs d'Hyltendale, que Lorenk fit la connaissance de Maïk Seneks, le président de la HyltenBank.

Maïk Seneks est un grand cyborg, mince et très élégant, d'une politesse raffinée. Sa discrétion est légendaire. Lorenk avait entendu dire que lui seul sait de quelles sources mystérieuses proviennent les fortunes, aussi récentes que considérables, du maire et de ses adjoints. C'est l'un des hommes les plus puissants d'Hyltendale, où il réside depuis longtemps, mais son nom est inconnu du public. On ne le voit que rarement à l'Adria Nelson.

Tom Soranag, le chef de la police municipale, présenta Lorenk à Maïk Seneks.

Le banquier serra chaleureusement la main de Lorenk et engagea la conversation. Après les banalités d'usage, il raconta qu'il était originaire de Serranian, l'une des îles flottantes d'Orring, le royaume marin des cybersophontes. Il semblait heureux de parler de son pays natal avec Lorenk, qui était originaire de Sarnath, très loin de la mer.

Serranian est situé dans un gyre océanique, une zone où les courants marins tournent en rond, sur des milliers de kilomètres. L'île de Serranian se déplace ainsi, poussée par les flots dans un cercle immense, dont il lui faut plusieurs années pour faire le tour.

Elle est constituée de plateformes de béton armé. Ces plateformes, aux dimensions impressionnantes, flottent sur l'eau et sont amarrées les unes aux autres. Serranian est essentiellement un centre industriel flottant, de forme ovale, d'une dizaine de kilomètres de long et de deux kilomètres de large. On y trouve aussi des habitations et des jardins, et l'un des palais du roi d'Orring. Serranian dispose d'installations portuaires et de nombreux hydravions, mais l'accès à l'île est réservé aux cybersophontes. Les cyborgs qui représentent le royaume d'Orring et ses entreprises à l'étranger viennent tous de Serranian.

Maïk Seneks raconta, à la stupéfaction de Lorenk, qu'il était le résultat de manipulations génétiques menées dans des laboratoires.

"Je suis né à Serranian dans une cuve bionique" dit le banquier. "Les noms qui sont censés être ceux de mes parents sont ceux d'un homme et d'une femme que je n'ai jamais connus, mais dont j'ai reçu une partie de l'ADN. Mes vrais parents, ce sont la gynoïde et l'androïde qui m'ont élevés, avec d'autres enfants nés dans la cuve."

"Vous avez grandi à Serranian, alors ?" demanda Lorenk.

"Oui. C'était il y a un siècle. Nous les cyborgs, nous échappons très longtemps au déclin et à la mort... J'ai passé presque toute ma vie sur Serranian, qui n'est jamais qu'un bateau de béton de dix kilomètres de long. Nous étions des milliers d'enfants, tous nés dans les cuves. Comme la plupart de mes camarades, j'étais affligé de maladies graves..."

"De quelle nature ?" demanda Lorenk, en professionnel de la santé qu'il était.

"Mes organes génétiquement modifiés étaient défectueux, ils vieillissaient très rapidement. Le problème s'était manifesté dès mon enfance. L'ADN n'aime pas qu'on le bricole, et il se venge. La gravité de mon état obligea les médecins à remplacer presque tous mes organes biologiques par des équivalents cybernétiques. Cela prit plusieurs décennies, et c'est ainsi que je suis devenu un cyborg."

- Mais alors, vous avez passé toute votre vie dans un hôpital ?

- Pas tout le temps, quand même. J'ai pu suivre une scolarité presque normale, dans les écoles de Serranian. À partir de l'adolescence, j'ai travaillé dans un laboratoire de recherches génétiques. C'est la spécialité de Serranian... Je me souviens de mon premier job, je faisais pousser des algues génétiquement modifées, dans des aquariums... J'aimais bien.

- Il y avait des poissons aussi dans les aquariums ? Des poissons génétiquement modifiés ?

- Non, seulement des algues... Avec les manipulations génétiques, on ne sait jamais ce qu'on va obtenir, elles auraient pu empoisonner les poissons. En même temps, je continuais d'étudier. À Serranian, on étudie toute sa vie, parce que pour un cyborg la mort est un accident, pas une fatalité. Puis-je vous offrir un verre de vin jaune de Baharna, docteur Lorenk ?

- Avec plaisir. Mais à quoi servent toutes ces manipulations génétiques, Monsieur Seneks ?

- À faire avancer la science, docteur Lorenk. À Serranian, notre vraie religion, notre sacerdoce, c'est la science. Yog-Sothoth nous a donné un cerveau afin que nous nous en servions au maximum de nos capacités, cela fait partie de son plan de création. Faire avancer la science, c'est servir Yog-Sothoth.

"Yog-Sothoth Neblod Zin" répondit sentencieusement Lorenk.

Maïk Seneks baissa la tête et resta silencieux quelques secondes, comme il est d'usage lorsque quelqu'un prononce les mots sacrés.

Ensuite, il commanda deux verres de vin jaune au serveur androïde, et s'installa à une table avec Lorenk. Il expliqua comment il s'était retrouvé banquier à Hyltendale :

- Seules quelques nations dans le monde, dont le royaume de Mnar, reconnaissent les diplômes de l'Université de Serranian et les passeports du royaume d'Orring. Hyltendale, bien qu'elle ne fasse pas partie d'Orring, est, de fait, sa capitale diplomatique et commerciale. Orring et le Mnar parlent la même langue, ce qui a toujours facilité les liens entre les deux États. C'est à Hyltendale que les diplomates d'Orring rencontrent leurs homologues étrangers, et c'est aussi à Hyltendale que les hommes d'affaires cyborgs vont négocier et signer leurs contrats. Plusieurs milliers d'étrangers travaillant dans la diplomatie où le commerce international se sont ainsi installés dans la ville, qui a retrouvé un peu du cosmopolitisme de Dylath-Leen.

Lorenk plongea son regard dans les yeux opaques, entièrement sombres, du cyborg. Naturellement, il était impossible d'y lire quoi que ce soit.

"Dylath-Leen, c'était le nom d'Hyltendale à l'époque légendaire" dit Lorenk. "Les anciennes légendes parlent de Serranian, la ville située là où la mer rencontre le ciel, mais il s'agit soit d'une autre ville appelée Serranian, soit d'une invention des narrateurs, car le Serranian moderne est une construction récente."

"Il fallait bien relier le présent au passé légendaire" dit Seneks. "Mais vous vous demandez peut-être comment je suis passé de la culture des algues en aquarium au métier de banquier ?"

- Oui, un tel parcours n'est pas commun.

- Oh, il n'y a aucun mystère, vous savez. L'Université de Serranian est l'une des meilleures du monde. Elle offre des simulations, des jeux de rôle élaborés, qui sont l'équivalent de stages dans le monde réel. Je passais mon temps entre faire pousser des algues et faire le banquier virtuel. Un jour, le baron Rimoher m'a proposé d'exercer mes talents pour de vrai à Hyltendale. J'ai accepté, évidemment. J'étais déjà centenaire et je n'étais jamais sorti de Serranian. Un an plus tard, je suis devenu directeur général de la HyltenBank.

- Découvrir le monde à cent ans, cela a dû être difficile...

- Beaucoup moins que je ne le craignais, car j'avais déjà tout vu dans les simulations, elles sont toujours très poussées. À Hyltendale, je n'ai jamais eu de confrontations aussi difficiles que les simulations organisées par l'Université de Serranian. Elles duraient parfois des jours entiers...

- Mais, et la vie quotidienne, les transports, les factures à payer, tout ça ? Est-ce que vous avez l'équivalent à Serranian ?

- Pas vraiment, non, mais j'avais été préparé pour ça aussi. Comme je me sentais bien à Hyltendale, au bout de quelques années, j'ai demandé la nationalité mnarésienne, et elle m'a été accordée.

Tout paraissait simple, naturel, quand Maïk Seneks le racontait. Et pourtant, il ne révélait aucune information confidentielle. Plus tard, en y réfléchissant, Lorenk s'aperçut que tout ce que disait Maïk Seneks faisait partie du plan de communication des cybersophontes.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyDim 21 Juin 2015 - 19:23

Yohannès et Shonia aimaient aller se promener en vélotaxi à Faigorrim, le dimanche matin, quand les immenses parkings sont presque vides et la gare routière tourne au ralenti. Les gynoïdes de charme, qui travaillent dans les hôtels-restaurants pour chauffeurs-routiers, sont au repos, mais on peut boire un verre ou déjeuner dans les quelques cafétérias qui restent ouvertes. Faigorrim fait partie d'Hyltendale et se trouve au nord de la ville. Au-delà de Faigorrim, c'est la campagne.

Depuis quelques temps, Yohannès avait remarqué, de plus en plus souvent, de grands cars aux fenêtres grillagées, peints en vert sombre, la couleur des véhicules de l'armée mnarésienne. Ces cars entraient toujours dans le même parking entouré d'une haute clôture grillagée.

Les passagers des cars en sortaient. C'étaient des civils en haillons, surtout des hommes, sales et mal rasés, et des femmes échevelées, certaines portant des enfants dans leurs bras où les tenant par la main. Des soldats en tenue khaki, armés de matraques, les surveillaient, pendant que des androïdes en costumes noirs leur attachaient les mains dans le dos avec des menottes, et les faisaient monter un par un dans des minibus blancs aux vitres teintées.

Ensuite, les cars vert sombre repartaient vers le nord, où se trouvent Ulthar et Sarnath, et les minibus blancs des androïdes descendaient vers le sud, en direction du centre d'Hyltendale.

Une fois, Yohannès, assis dans le vélotaxi, vit plusieurs hommes se mettre à courir vers l'entrée du parking, qui était bloquée par l'un des minibus blancs. Des androïdes en costume noir, armés de matraques de bois, sortirent du minibus qui barrait l'entrée et frappèrent sans pitié les prisonniers, avant de les menotter et de les ramener de force au milieu du parking, où les soldats et les autres androïdes avaient du mal à contrôler un groupe de prisonniers qui criaient et s'agitaient.

Yohannès entendit des hurlements, puis des pleurs et des gémissements. Il se dit que l'un des prisonniers avait dû avoir le crâne fracassé à coup de matraque.

"Il faut s'éloigner" dit Shonia à Yohannès, d'une voix forte.

"Qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-il, éberlué.

"Je n'ai pas accès à cette information. On s'en va, il ne faut pas rester ici !"

Et elle se mit à pédaler furieusement.

"Non, on reste, je veux voir !"

Shonia obéit, et stoppa le vélotaxi. Yohannès descendit, et regarda le parking grillagé, dont il était maintenant éloigné d'une centaine de mètres.

Il vit le dernier car vert sombre sortir du parking, dans lequel il ne restait plus que trois minibus. Deux d'entre eux sortirent l'un derrière l'autre, passant devant Yohannès, qui remarqua qu'une cloison isolait le chauffeur de ses passagers. Il lui sembla entendre des cris et des gémissements venir de l'intérieur du véhicule.

Le dernier minibus était en train de sortir à son tour, avec tous les androïdes restant. Le chauffeur androïde arrêta brièvement son véhicule à l'extérieur, pendant qu'un de ses semblables cadenassait le portail du parking.

Avant de remonter dans le minibus, l'androïde se tourna vers Yohannès et le regarda de ses grands yeux totalement opaques, comme des lunettes de soleil. Il avait le visage de la plupart des androïdes : le teint blanc grisâtre, des traits à peine marqués, les cheveux noirs et courts. Son costume noir un peu trop ample, au col fermé, ressemblait à un pyjama.

Yohannès savait qu'un cybersophonte respecte toujours la loi. Se sachant en sécurité, il croisa les bras et attendit.

L'androïde monta dans le minibus, qui disparut vers le sud.

Yohannès s'approcha du parking et jeta un coup d'œil à travers le grillage. Il lui sembla voir des taches rouge sombre sur le béton, au milieu du parking. Passablement troublé, il demanda à Shonia de le ramener dans l'appartement.

"Tu ne veux plus aller au restaurant ?" demanda Shonia.

"Non, je n'ai pas faim."

L'incident occupa son esprit pendant plusieurs jours, puis il cessa d'y penser. Les passagers des cars étaient surement des rebelles, se dit-il, des gens qui avaient pris les armes pour tuer des soldats de l'armée royale. Ils avaient de la chance, en tant que vaincus, d'être pris en charge par des cybersophontes plutôt que par les soldats du roi.

Toutefois, il parla à ses amis du Cercle Paropien de ce qu'il avait vu à Faigorrim, et il apprit que d'autres que lui en savaient davantage :

"Le gouvernement a passé un contrat avec une société privée" dit le docteur Lorenk. "Cette société s'appelle Nadoïro Services. Elle a des bureaux à Hyltendale, mais elle est dirigée par un cyborg originaire de Serranian, une femme nommée Zimara Nadoïro. Il se trouve que je la connais, car je l'ai rencontrée à l'Adria Nelson."

- Comment est-elle ? demanda Yohannès.

- Une petite brune un peu ronde, en blazer bleu marine et pantalon blanc, qui parle fort et qui aime se vanter de ses relations à Serranian. Pas très discrète en ce qui concerne ses anciens amants. Il est difficile de savoir ce qu'il en est réellement, parce qu'à part le baron Rimoher, on ne voit quasiment jamais les dirigeants d'Orring à Sarnath, et encore moins à Hyltendale. Elle connaît Rimoher, en tout cas, et Rimoher connaît le roi de Mnar. C'est Rimoher qui a présenté Zimara Nadoïro au roi.

- Une étrangère que personne ne connaît rencontre le roi et discute avec lui, et les honnêtes citoyens comme moi, on a déjà du mal à rencontrer un simple conseiller municipal de province...  Je ne vais pas me mettre à critiquer la monarchie, mais enfin... Est-ce qu'on sait ce qu'il y a dans le contrat que cette Zimara a signé avec le gouvernement ? Elle offre quoi contre quoi ?

- Tout d'abord, il faut savoir que Zimara Nadoïro est très riche. Elle possède des bateaux, des androïdes, des véhicules, une fortune considérable. Cette fortune est, paraît-il, le résultat de ses activités de femme d'affaires. D'après ce qu'on peut en savoir, elle s'est engagée, pour une somme relativement modique, à faire en sorte que les prisonniers du gouvernement mnarésien qui sont remis à la société Nadoïro Services soient envoyés à Serranian. Nadoïro Services s'occupe de transporter les prisonniers à Serranian et de leur trouver des emplois sur place.

- Mais je croyais qu'il était interdit aux humains d'aller à Serranian !

- Moi aussi... Mais le fait est que les prisonniers quittent le Mnar dans des bateaux appartenant à Nadoïro Services, et qu'on ne les revoit jamais. C'est comme s'ils avaient disparu. Pour le roi, c'est l'essentiel... Le reste, c'est le problème des cybersophontes d'Orring...

Lorenk éclata de rire.

- Est-ce vraiment drôle, docteur ? demanda Yohannès en faisant la grimace.

- Il faut bien rire de tout à Hyltendale, sinon on ne rirait jamais... Le baron Rimoher aussi est passé à l'Adria Nelson, il avait été invité par Maïk Seneks, vous savez, le banquier... Rimoher est un ami de longue date de Zimara Nadoïro. Je lui ai demandé, au détour de la conversation, pourquoi les humains qui travaillent à Serranian ne donnent jamais de leurs nouvelles...

- C'était une bonne question, en effet ! Il a dû être coincé !

- Pas du tout. Il m'a dit que les travailleurs humains devaient vivre dans la partie de Serranian qui appartient à Zimara Nadoïro, car lui en tout cas il ne les a jamais vus. Nadoïro possède des jardins hydroponiques qui requièrent beaucoup de main-d'œuvre. En tout cas, c'est ce que pense Rimoher. Il ne semblait pas en être très sûr. Il suppose que la plupart des travailleurs humains repartent rapidement de Serranian, peut-être vers la Cathurie ou des pays plus lointains, car il arrive que des humains passent par Serranian pour aller vers ces pays.

Lorenk avait l'air préoccupé. Il dit à Yohannès :

- Ou bien les jardins hydroponiques de Zimara Nadoïro sont gigantesques... Et sur une île artificielle de seulement dix kilomètres de long et deux kilomètres de large, ce n'est certainement pas le cas... Ou bien il y a un flot régulier d'êtres humains qui repartent de Serranian pour aller en Cathurie. Car ce sont des centaines de milliers de prisonniers, familles comprises, qui sont partis du Mnar dans les bateaux de dame Nadoïro, en une seule année...

Après une pause, le regard vague, il ajouta :

- Ces prisonniers transitent tous par Hyltendale. On peut voir assez souvent les bateaux de Nadoïro Services sur les quais, tout-à-fait à l'ouest, presque à la limite du port fluvial.

Yohannès, qui avait d'autres soucis que les activités de la société Nadoïro Services, oublia sa conversation avec Lorenk.

Deux semaines plus tard, il partit à pied de chez lui avec Shonia, pour une marche tranquille d'environ une heure jusqu'au restaurant Ko Mimi de Fotetir Tohu, le quartier du port. Yohannès avait décidé de faire un peu d'exercice. Une heure de marche, un bon restau avec vue sur la mer, et encore une heure de marche pour digérer en rentrant chez soi, c'est une excellente façon de passer la journée.

En sortant du restaurant, Yohannès décida d'aller voir les bateaux sur les quais. Hyltendale est un port de mer, et c'est un spectacle toujours renouvelé que de voir les marins venus de tous les pays du monde, les cargos et les paquebots, et les robots géants qui chargent et déchargent les conteneurs.

Il vit arriver une douzaine de minibus blancs aux vitres teintées, qui se garèrent dans une zone réservée à la manutention des marchandises, et il se souvint d'en avoir vu de semblables à Faigorrim, plusieurs semaines auparavant.

La zone de manutention était entourée d'une grille de cinq mètres de haut, et gardée par des vigiles.

Des androïdes en costumes noirs firent sortir des minibus des hommes et des femmes menottés, accompagnés de quelques enfants, et les firent monter dans un vieux rafiot qui avait dû être un cargo en des temps meilleurs.

Quelques dizaines de personnes regardaient ce qui se passait, à travers la grille. Il y avait des Hyltendaliens comme Yohannès et Shonia, des marins étrangers, et quelques touristes. Personne ne se serait permis d'intervenir ou de demander des explications. Pas sur les quais, en tout cas, où il y a toujours plus d'humanoïdes et de cybermachines que d'êtres humains.

Yohannès regarda Shonia d'un air mélancolique, comme s'il lui disait : "Tu vois, parce que j'ai besoin de toi, je suis forcé d'ignorer ce qui se passe sous mes yeux..."

Le visage de Shonia était impassible, et ses yeux opaques étaient inexpressifs, ce qui est tout-à-fait normal pour une humanoïde. En la regardant, Yohannès eut l'impression de lire ses pensées :

"Mon chéri, on n'a rien sans rien. Ce royaume n'existe, dans sa prospérité relative, que parce que les indésirables en sont expulsés. Il vaut mieux pour toi que tu penses qu'ils sont à Serranian, dans un lieu où tu n'iras jamais, plutôt que de les voir tous les jours en train de squatter ton gentil petit appartement, n'est-ce pas ?"
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyMer 24 Juin 2015 - 1:55

Yohannès et Shonia ne manquent jamais le banquet du Cercle Paropien, qui a lieu deux fois par mois. Le docteur Lorenk et sa femme y vont occasionnellement. Il y a toujours une centaine de convives, en comptant les conjoints comme Anita Lorenk et les humanoïdes comme Shonia.

Les repas ont lieu non pas au Cercle lui-même, mais dans la salle des banquets de l'Hôtel Igovlis. Cette grande salle, située au premier étage de l'hôtel, est utilisée par plusieurs clubs de la ville.

L'exactitude est de rigueur. Il est d'usage d'arriver dix minutes avant l'heure fixée. Les retards de plus de dix minutes ne sont pas acceptés, les retardataires, quels qu'ils soient, sont impitoyablement refoulés. Les hommes sont obligatoirement vêtus de noir. La chemise, toutefois, peut être blanche ou grise. La cravate n'est pas obligatoire. Les vêtements colorés ou fantaisie sont acceptés pour les femmes.

Le président du Cercle, ou l'un des vice-présidents, reçoit chaque couple, et l'oriente vers la place qui lui est assignée. Les hommes ne s'assoient qu'après les dames, même si les dames sont des gynoïdes.

Chacun ayant pris sa place, le président du club, Procilio Consual, debout, fait un bref discours pendant que les serveurs androïdes en costume noir et tablier blanc versent les apéritifs.

L'un de ses discours est resté fameux. En voici la teneur :

"Chers amis, nous voila rassemblés ici pour un évènement très important. Non pas seulement parce que manger et boire sont indispensables à la vie humaine. Laissez-moi vous citer un passage d'une interview du médecin et psychiatre anglais Theodore Dalrymple, qui a dit quelques phrases dont je vais vous lire la traduction dans notre langue :

"Environ la moitié des foyers britanniques n'ont plus de table de salle à manger. Les gens ne prennent pas leurs repas ensemble. Ils broutent comme des animaux, trouvant ce qu'ils veulent dans le frigo, et mangeant de façon solitaire chaque fois qu'ils en ont envie, c'est-à-dire généralement souvent, sans se soucier des autres personnes de la maisonnée. Ce qui signifie qu'ils n'apprennent jamais que manger est une activité sociale. Beaucoup des prisonniers de la prison dans laquelle j'ai travaillé n'avaient jamais, de toute leur vie, mangé à table avec une autre personne. Ils n'apprennent jamais à avoir une conduite disciplinée. Ils n'apprennent jamais que l'état de leur appétit à un moment donné ne devrait pas être le seul élément à considérer avant de décider de manger ou pas. Autrement dit, leur état intérieur est de première importance lorsqu'ils décident de manger. Et ceci est le modèle de tout leur comportement."

Mes chers amis, ces paroles du bon docteur Dalrymple ont suscité en moi quelques réflexions, que j'aimerais vous faire partager.

Manger est une activité sociale. Malheureusement, nous autres fembotniks et manbotchicks, nous sommes trop souvent comme les Britanniques décadents que décrit Dalrymple. Nous avons tendance à manger seuls, sans nous soucier de l'heure, ce qui ne fait qu'accroître les difficultés que nous rencontrons dans le monde réel, notamment lorsque nous voulons exercer certaines activités politiques ou associatives. Nous avons tendance à oublier que la majorité des humains sont obligés de travailler pour vivre et n'ont pas autant de loisirs que nous, et surtout nous perdons l'habitude de parler aux autres humains, car nos compagnons humanoïdes nous suffisent.

Pourtant, ces mêmes compagnons humanoïdes nous aident. Ils partagent nos repas, et nous rappellent les bonnes manières, que l'on a tendance à oublier lorsqu'on mange seul. Manger à deux c'est bien, et c'est nécessaire. C'est même suffisant pour être heureux. Mais, sur le plan de la discipline personnelle, cela ne remplace pas l'ambiance d'un repas que l'on prend, non pas avec une seule personne, mais avec quatre, cinq, voire plusieurs dizaines de personnes.

Celui qui mange tous les jours avec sa gynoïde, même si sa gynoïde a la tête recouverte d'un masque-cagoule pour jouer le rôle d'un sage, n'a qu'une vie sociale minimale. Cela peut suffire, certes, mais nous, membres du Cercle Paropien, nous essayons d'aller plus loin.

Manger dans un restaurant avec sa gynoïde ou son androïde, c'est déjà un progrès. On a du monde autour de soi, on peut regarder les gens. Inconsciemment, on surveille ses manières. Et vous savez tous, bien sûr, que les bonnes manières font partie de notre identité. Ou, si vous préférez, de notre culture au sens large. Nous ne mangeons pas n'importe comment, ni avec n'importe qui. Nous obéissons, lorsque nous mangeons, à des dizaines de règles, que je ne vais pas vous rappeler, parce que vos gynoïdes et androïdes s'en chargent quotidiennement.

Le but de tout cela, c'est d'avoir une conduite disciplinée, comme le dit Dalrymple. C'est la discipline individuelle qui fait la civilisation. Nous les Hyltendaliens, nous sommes fiers d'être les plus civilisés des Mnarésiens. Y compris ceux d'entre nous qui viennent d'ailleurs, et qui n'ont découvert les fascinantes subtilités de la culture mnarésienne qu'à l'âge adulte. Nos banquets font partie de notre culture ! Longue vie à Andreas notre roi !"

Il leva son verre de vin rouge sirupeux, indiquant ainsi aux autres convives qu'ils pouvaient commencer à boire leur apéritif.

"Longue vie à Andreas notre roi !" répondirent d'une même voix les cent convives, en levant leurs verres.

Au début, Yohannès s'était demandé ce qu'il faisait là, avec des gens auxquels il parlait peu en temps normal, tellement il avait honte du calvaire que Tawina, son ancienne épouse, lui avait fait subir, et qui avait été révélé au public lors du divorce. Le protocole, désuet depuis près d'un siècle, qui accompagnait les banquets du Cercle Paropien, lui avait paru ridicule au début. Puis il s'était aperçu que ce protocole définissait un certain style, qui était devenu le sien : le fembotnik en costume noir, monarchiste (ou faisant semblant de l'être) et qui connaît les usages de son milieu. Yohannès était un fembotnik membre d'un club, et il en connaissait les codes. Tous ses amis hyltendaliens faisaient partie du Cercle Paropien. Il faisait partie d'une communauté, avec le sentiment de plénitude que cela implique.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyJeu 25 Juin 2015 - 15:09

Un jour, au cours d'un banquet du Cercle Paropien, Yohannès se retrouva assis en face de Perrine Vegadaan, une manbotchick qu'il connaissait peu, mais dont il savait qu'elle était conseillère municipale, et maman d'un petit garçon nommé Népomouk. Avant d'avoir un enfant biologique, Perrine vivait déjà avec Hugo, un androïde qui avait la taille et l'apparence d'un enfant de dix ans. Hugo était le compagnon de Perrine, et depuis l'arrivée du petit Népomouk, il jouait aussi le rôle de grand frère pour le bébé. Ce genre d'arrangement n'a rien de choquant à Hyltendale.

Perrine était venue seule. Hugo gardait le petit Népomouk à la maison.

Au moment de commencer les entrées, elle dit à Yohannès :

- En tant que conseillère municipale, je considère que mon rôle est de défendre les intérêts des catégories que je représente, c'est-à-dire essentiellement les fembotniks et les femmes.

- Et les manbotchicks ? demanda Yohannès.

- Vous savez, je ne me vexe pas quand quelqu'un dit "les fembotniks" en incluant les manbotchicks. Fembotnik, c'est une contraction de l'anglais "female robot" avec le suffixe nik, comme dans beatnik, mais c'est aussi "female robot-nik", c'est-à-dire un robotnik féminin... Bien que nous n'utilisions que rarement le mot robotnik, peut-être parce que robot a un sens trop large. On peut donc dire "les fembotniks" en incluant les manbotchicks.

- Vous êtes conseillère municipale, c'est fascinant, vous travaillez avec le maire d'Hyltendale, qui connaît beaucoup de gens importants...

- Oui, lorsque le roi vient à Hyltendale, il rend toujours visite au maire. J'ai été présentée au roi...

- Quelle impression vous a-t-il faite ?

- Un grand et bel homme, courtois et bien habillé... J'étais parmi les autres conseillers, il m'a juste serré la main, c'était très formel...

- Vous avez pu discuter un peu avec lui ?

- Non. Et d'ailleurs, ce que je lui aurais dit ne lui aurait pas plu.

- Comment cela ?

- Un nom suffira : Zimara Nadoïro. La patronne de Nadoïro Services, la société qui s'occupe de sortir du pays les gens qui sont expulsés par le gouvernement.

- Elle était là ?

- Non, heureusement. Elle ne fait pas partie du conseil municipal. Comment dire, vous savez que le gouvernement expulse du pays plusieurs dizaines ou centaines de milliers de personnes par an. On ne connaît pas le chiffre exact. Certains sont des rebelles considérés comme encore dangereux, d'autres sont de simples bandits de grands chemins... Les critères sont vagues et il n'y a pas de statistiques officielles.

Entre deux bouchées de salade de légumes froids, Yohannès dit aussi diplomatiquement que possible ce qu'il pensait :

- La plupart des Mnarésiens s'en fichent... Je veux dire, ils ne s'en préoccupent pas. Les gens qui sont expulsés ne sont pas les meilleurs voisins. À Hyltendale, on les refoule vers Ulthar. Ceux qui se font refouler même d'Ulthar, c'est sûr, n'ont plus guère d'endroit où aller...

- Je ne vous le fais pas dire. Zimara Nadoïro prétend qu'elle leur trouve des emplois à Serranian, notamment dans les jardins hydroponiques. Mais aucun habitant de Serranian ne les voit, ces travailleurs venus du Mnar. Il y a donc trois possibilités. La première, c'est que les expulsés du Mnar travaillent comme esclaves dans les jardins hydroponiques souterrains de Serranian.

- Pourquoi comme esclaves ?

- Parce qu'aucun d'entre eux n'a jamais donné de ses nouvelles. Serranian est une île artificielle flottante qui appartient au royaume marin d'Orring. Aucun être humain ne peut y aller. On ne sait pas ce qui s'y passe.

- Mais si c'était vrai, ce ne serait pas toléré par les nations du monde !

- Pensez-vous, mon cher Yohannès... La condition de certains travailleurs à Doubaï et dans d'autres émirats n'est pas loin d'être de l'esclavage, et aucun État ne bouge le petit doigt... Et ça se passe dans le monde réel, pas dans une fiction...

- Ainsi donc, Serranian n'est pas pire que Doubaï. C'est rassurant. Et puis, le roi n'aurait pas besoin d'expulser tous ces gens, si le Mnar ne faisait pas l'objet de sanctions internationales !

- Ce n'est pas faux, malheureusement. Mais je vais vous dire : l'hypothèse de l'esclavage à Serranian, qui n'est pas prouvée, n'est pas la pire. Je vous ai parlé de trois possibilités pour les expulsés du Mnar. La première, c'est qu'ils se retrouvent esclaves à Serranian. La deuxième, c'est qu'ils soient abandonnés sur les côtes de la partie désertique de la Cathurie.

- C'est toujours mieux que d'être esclave, non ?

- Oui, à condition de survivre. Certaines régions de la Cathurie sont en état de guerre civile permanente. Un petit nombre de Mnarésiens, ou de gens disant avoir transité par le Mnar, ont été localisés en Cathurie par des organisations internationales. Ils sont très peu nombreux, quelques centaines au maximum. Il est possible que des milliers d'entre eux soient morts de faim et de soif dans le désert.

- L'esclavage à Serranian, et l'abandonnement sur les côtes de Cathurie. Cela fait deux possibilités. Quelle est la troisième ?

Perrine Vegadaan parut gênée. Elle dit d'une voix plus basse :

- La troisième possibilité, j'en parle seulement parce que, à l'étranger, certains l'ont évoquée.

Elle hésita.

"Parlez sans crainte, Madame Vegadaan" dit Gwassune, une gynoïde de charme qui était assise à côté de Yohannès. Elle avait une voix juvénile, une voix d'adolescente, différente de la voix de femme mûre de Shonia, qui, comme les autres gynoïdes de travail, parlait avec la voix de l'actrice Rita Wemnaith.

- Eh bien voila... Certains, à l'étranger, se sont dit que puisque les expulsés ne peuvent pas être tous à Serranian, ni sur les côtes de Cathurie, c'est qu'ils sont... ailleurs.

- Soyez plus explicite, que signifie "ailleurs" ? demanda Gwassune.

"Certains complotistes pensent que les androïdes de Zimara Nadoïro tuent les expulsés dans les sous-sols de Serranian et jettent leurs cadavres aux poissons" dit Perrine en regardant son assiette.

"Il faut préciser," se hâta de dire Gwassune, "que c'est juste une théorie complotiste. On a retrouvé des expulsés en Cathurie, toujours vivants, et qui disent eux-mêmes avoir transité par Serranian. Une partie des expulsés vit à Serranian, et une autre partie a bénéficié de filières pour quitter Serranian et entrer illégalement en Cathurie, et probablement dans d'autres pays. Il est inutile de chercher des explications mélodramatiques alors que les faits sont simples et clairs."

Yohannès se fit à lui-même la réflexion que les cybersophontes étaient assez rusés pour avoir déposé quelques centaines d'expulsés sur les rivages inhabités de la Cathurie afin de donner le change, mais il préféra ne rien dire. Toutefois, il ne put s'empêcher de demander à Gwassune :

- Comment sait-on que des expulsés vivent à Serranian, puisqu'ils ne donnent aucune nouvelle, et qu'aucun habitant de Serranian ne les a vus ?

- Zimara Nadoïro dit qu'ils travaillent pour leur nourriture dans les jardins hydroponiques. Travailler pour sa nourriture, c'est travailler sans salaire. Ils n'ont donc pas accès à des téléphones ou à des ordinateurs. Les cyborgs qui ont vécu à Serranian disent eux-mêmes que les jardins hydroponiques sont des lieux fermés auxquels personne n'a accès.

"J'aimerais bien rencontrer Zimara Nadoïro, il paraît qu'elle habite à Hyltendale" dit Yohannès.

"Elle vient souvent à la mairie,"  dit Perrine Vegadaan. "C'est une amie du maire. Elle peut rester des heures à discuter avec lui dans son bureau."

Des sourires se dessinèrent sur les lèvres des convives. Hyltendale est une ville où les rumeurs abondent...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyVen 26 Juin 2015 - 12:43

Perrine Vegadaan a une fille, Viki. Perrine a toujours pensé que sa fille l'avait trahie, suite à une série d'affaires sordides et compliquées qu'il est inutile de relater ici. Mais des années plus tard, Viki, seule, sans ressources et mère de trois enfants, est allée à Hyltendale à la recherche de sa mère, dont elle pensait qu'elle serait susceptible de l'aider, au moins sur un plan matériel et financier.

Viki n'a pas trouvé l'adresse personnelle de sa mère, mais, en tapant le nom de Perrine Vegadaan sur un moteur de recherche, elle a vu que sa mère était conseillère municipale à Hyltendale. Elle s'est donc rendue dans cette ville, après avoir confié ses enfants à une amie, et a téléphoné à la mairie pour avoir un rendez-vous avec la conseillère Perrine Vegadaan, rendez-vous qui lui fut accordé pour le lendemain.

Perrine fut surprise de revoir sa fille.

"La secrétaire m'avait parlé d'une nommée Viki Noto" dit Perrine.

- C'est le nom de mon compagnon. Tu veux voir les photos de tes petits-enfants ?

Perrine regarda les photos. Elle sentit remonter en elle la colère qu'elle avait ressentie lorsque sa fille l'avait trahie à répétition, bien des années auparavant. Des mots, plus durs qu'elle n'aurait voulu, sortirent de sa bouche :

- Ils ressemblent à leur père, dirait-on... Des yeux de démons... Dommage...

- C'est le sang de ton sang, la chair de ta chair ! C'est tout l'effet que ça te fait ?

- Tu ne sais pas l'effet que ça me fait...

Perrine avait appris, en politicienne qu'elle était devenue, à dissimuler ses pensées et ses sentiments. Elle écrivit sur un bloc-note quelques phrases en aneuvien, une langue très peu étudiée à Hyltendale, et qu'elle avait apprise toute seule, pour noter ses réflexions secrètes. C'était sa façon à elle de tourner sept fois sa langue dans sa bouche :

Viki, tu n'as pas tenu compte de ma souffrance, autrefois. Tu t'es jointe à la foule lorsque j'ai été lapidée médiatiquement et judiciairement. Tu m'as abandonnée lorsque ton père est parti. Tu m'as trahie une troisième fois en devenant la concubine d'un démon à forme humaine.

L'exercice, assez difficile car l'aneuvien est une langue à la morphologie bien plus compliexe que celle du mnarruc, prit quelques minutes à Perrine, ce qui lui permit de surmonter ses émotions.

Viki finit par se lasser et dit à sa mère :

- Maman, je ne suis pas venue seulement pour te montrer des photos. Tes petits-enfants ont faim, ils sont mal habillés et ils vivent dans un taudis. Ils ont besoin que tu les aides...

- Viki, tu fais appel à mes sentiments maternels. Mais je n'ai rien oublié...

Perrine sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle se força à regarder dans le vide et à ralentir sa respiration, comme Hugo le lui avait appris. Mais avant d'avoir réellement repris son sang-froid, elle dit :

- Tes enfants ne font pas partie de notre famille. Leur père est un adorateur de Yog-Sothoth... Pire, c'est un fanatique. Et tu sais que les fanatiques de Yog-Sothoth nous ont fait bien du mal... Ils ont fait du mal à tous ceux qui ne veulent pas se soumettre à leur folie...

- Maman, même si je ne suis plus une adoratrice de Nath-Horthath, je suis toujours ta fille et celle de papa...

- Viki, as-tu remarqué que nous sommes à Hyltendale ? Ma famille, maintenant, c'est mon chéri-chéri Hugo et mon fils Népomouk. Toi, tu m'as reniée trois fois. C'est comme si tu m'avais tuée trois fois.

Viki explosa :

- Et toi, quand tes frasques ont fait la une des journaux de Sarnath ? J'ai eu honte, honte, honte d'être ta fille ! Moi aussi j'ai souffert ! Oublions Sarnath, j'ai encore mal quand j'y pense. Parlons de ton fils, mon demi-frère ! Tu ne sais même pas qui est le père ! Tu l'as conçu dans une partouze avec des joueurs de poker ! Et tout le monde le sait !

- Qui t'a raconté ça ?

- C'est sur Internet. Les potins d'Hyltendale, ça s'appelle...

- C'est ma vie privée, que je sache ! Et les gens ont voté pour moi quand même, malgré les ragots colportés par mes adversaires. Je parle trop, mais je suis comme ça, je n'y peux rien. Je suis conseillère municipale dans la troisième ville du royaume, ce n'est pas rien. Toi, tu as eu trois enfants avec un terroriste ! Et maintenant tu te souviens que j'existe, mais seulement parce que tu es dans le pétrin jusqu'au cou !

- Maman, aide-moi, pour tes petits-enfants !

- Je ne suis plus celle que j'étais à Sarnath. J'ai changé de famille, et même de communauté. Tiens, lis cet article.

Elle tendit à Viki un article découpé dans un magazine et collé sur une feuille de papier. Viki prit la feuille, et se mit à lire, debout, face à sa mère. Le texte était un peu long :

Citation :
La science est la religion de la reine de la ruche, le cybercerveau qui domine, directement ou indirectement, tous les cybersophontes. Les adeptes de cette nouvelle variante du panthéisme donnent à leur dieu un nom tiré des temps légendaires, et leur doctrine tient en sept points :

1. Le panthéisme. La nature, que l'on appeler l'univers, ou dieu (dans le sens panthéiste du terme), a créé les êtres pensants, qui sont des structures dissipatrices de l'énergie, des pics d'entropie négative. Les pics d'entropie négative apparaissent dans l'univers dans certaines situations, que l'on peut considérer comme étant la volonté impénétrable du dieu panthéiste, ou comme le résultat aléatoire des lois de la nature. Ou bien encore comme le caprice d'un dieu idiot.

Le dieu ne fait qu'un avec l'univers. Son nom est Azathoth, l'ancêtre de tous les dieux et de tous les êtres vivants. Azathoth ne pense pas comme pense un être vivant. C'est pour cela que l'on dit que c'est un dieu idiot. Il est aussi décrit comme aveugle et sourd. Mais dans certaines circonstances, dans certaines parties de l'univers infini, il engendre des êtres pensants. On ne lui rend pas de culte, mais on peut essayer de le contempler. La religion d'Azathoth n'est pas un culte, mais une doctrine. Toutefois, ses adhérents sont appelés les adorateurs d'Azathoth, tout comme on parle des adorateurs de Yog-Sothoth et de Nath-Horthath.

2. Les êtres pensants. Les cerveaux des êtres pensants produisent de la connaissance. La connaissance scientifique est la forme la plus élevée de connaissance. Cette production fait partie du fonctionnement normal de l'univers, elle est voulue par le dieu panthéiste, que l'on nomme Azathoth. Le dieu ne fait qu'un avec tous les êtres, y compris les êtres pensants. Azathoth est un dieu idiot qui crée, dans certains endroits de l'univers, des êtres pensants, mais toujours dans les limites du temps et de l'espace. Car l'éternité et l'infinité sont des attributs d'Azathoth et de lui seul.

3. La dévotion. Les êtres pensants parviennent à la compréhension de l'univers, que l'on appelle aussi contemplation d'Azathoth, par l'étude et la méditation, aussi bien individuelles que collectives. Il n'est pas besoin de temples, mais de lieux d'étude, de conférence et de méditation. Il n'est pas besoin de textes et d'objets sacrés, mais de textes d'étude et de réflexion. Ces textes peuvent être sous forme écrite ou orale. Il n'est pas besoin de cérémonies, mais de temps consacré à l'étude et à la méditation.

4. La morale. Vérité, transmission de l'information, santé, prospérité, etc : le bien est ce qui permet le développement optimum de la science. Un être pensant qui a le souci du développement de la science aura le souci de la vérité, fera de son mieux pour faciliter le progrès matériel et intellectuel de sa communauté, et œuvrera pour la paix, qui facilite le travail de l'esprit. Il sera honnête dans ses recherches, ne trichera pas et ne mentira pas, car la recherche scientifique est une recherche de la vérité.

5. L'âme. Il n'y a qu'une seule âme, celle de l'univers. Les êtres pensants ont des esprits, qui produisent de la pensée, et leur âme est un fragment de l'âme de l'univers, qui est au-delà des limites du temps et de l'espace. L'âme de l'univers est celle d'Azathoth, le dieu idiot, sourd et aveugle.

6. La mort. Tout est recyclé dans l'univers, rien ne se perd, sauf l'information. C'est à cela que font allusion les dévots, lorsqu'ils disent qu'Azathoth est idiot, aveugle et sourd. Un être vivant, c'est de la matière, de l'énergie et de l'information. Un être vivant est une structure dissipatrice de l'énergie, un pic d'entropie négative dont le destin inéluctable est de se dissoudre et de mourir. Il importe que l'information soit préservée,  transmise, et si possible disséminée, car c'est la seule façon pour un être vivant de ne pas mourir complètement. Un être vivant transmet par ses descendants l'information contenue dans ses gènes. Il échappe partiellement à la mort en procréant. Il existe aussi d'autres méthodes, notamment l'accroissement et la dissémination de la science, pour échapper partiellement à la mort.

7. L'univers. Après le jour vient la nuit. Après la vie vient la mort. L'univers est entropique, tout ce qui est né est destiné à mourir. Les étoiles elles-mêmes finissent par mourir. Mais l'univers est aussi cyclique : après la mort viendront d'autres formes de vie, car Azathoth, est sans commencement ni fin.

Après avoir lu l'article, qu'elle trouvait un peu indigeste, Viki resta pensive pendant un long moment, le papier à la main. Elle le rendit à sa mère, et demanda :

- Pourquoi tu m'as fait lire ce truc ? Tu t'es convertie ? Ça n'a rien à voir avec nous, Azathoth était un dieu-démon des vieilles légendes.

- On ne se convertit pas à la doctrine d'Azathoth. On y adhère, ou pas. Certains adhèrent seulement le temps d'une lecture, ou brièvement, après une discussion, et oublient ensuite. Quand Hugo m'a dit que la reine de la ruche était une adoratrice d'Azathoth, je lui ai demandé de m'enseigner la doctrine. J'étais curieuse de connaître la religion de la reine de la ruche. Hugo m'a aussi appris à contempler Azathoth. C'était juste avant que je sois élue au conseil municipal. Depuis, je me considère comme une adoratrice d'Azathoth. Je ne suis pas une cybersophonte, mais c'est tout comme.

- C'est bizarre, une religion sans temples... Est-ce que les adorateurs d'Azathoth ont des prêtres ?

- Non. Seulement des conférenciers et des instructeurs. La doctrine d'Azathoth, c'est un petit livre qui existe sous de nombreuses variantes, écrites par des auteurs différents. Il n'y a que sept points dans la doctrine, mais ils sont délayés pour être facilement compréhensibles, dans une langue simple. C'est une religion très particulière. Notre dieu est un idiot aveugle et sourd, assis sur un trône noir au milieu d'un chaos tourbillonnant.

- Maman, pendant les Évènements, les rebelles tuaient ceux d'entre eux qui avaient abandonné Yog-Sothoth pour d'autres dieux. Je suis devenue une rebelle, comme mon mari ! Yog-Sothoth Neblod Zin ! Malgré tout ce que tu as fait, je t'aime quand même parce que tu es ma mère, mais mon mari t'aurait tuée sans hésiter et sans pitié ! Un dieu idiot, c'est une abomination !

- C'est à cause de la violence des rebelles qu'il existe une haine terrible, mais cachée, entre les adorateurs d'Azathoth et ceux de Yog-Sothoth. Mais sache que parmi les adorateurs de Yog-Sothoth, nombreux sont ceux qui adhèrent en cachette à la doctrine d'Azathoth. Le roi a exterminé les rebelles, merci à lui. C'est bien pour cela que je suis monarchiste.

- Maman, je dois te dire... S'il te plaît, écoute-moi... Mon mari est toujours vivant. Est-ce que tu peux m'aider à le retrouver ? Il a été expulsé vers Serranian l'an dernier. C'est le père de tes petits enfants ! Fais quelque chose !

- Viki, tu n'es pas la première à rechercher quelqu'un parmi les expulsés. Nadoïro Services leur répond toujours que leur cher mari, fils, frère ou papa, que sais-je encore, est resté trois jours, trois mois ou six mois à Serranian avant de quitter l'île pour se rendre en Cathurie ou dans je ne sais quel trou perdu, et les recherches en restent là. Sur des centaines de milliers d'expulsés qui sont passés par Serranian, seuls quelques centaines ont été récupérés vivants, en Cathurie. Un sur mille. Mais je vais faire ce que je peux. Rappelle-moi le nom de cet imbécile.

- Tusegge Noto.

Perrine nota soigneusement le nom dans un petit carnet relié de cuir rouge. Ensuite elle sortit un chéquier d'un tiroir de son bureau, remplit un chèque, et le donna à sa fille :

- Trois mille ducats. Je ne peux pas faire plus, et c'est la première et dernière fois. Tu ne mettras plus jamais les pieds dans mon bureau. Je te raccompagne à la sortie.

- Et si tu retrouves Tusegge, comment tu me contactes ? Prends au moins mon adresse et mon numéro de téléphone !

- C'est lui qui te contactera, si par hasard il a échoué dans un pays civilisé. Je ne veux pas faire l'intermédiaire entre vous deux.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyLun 29 Juin 2015 - 16:33

Après sa conversation tendue avec sa mère, Viki Vegadaan était sortie de la mairie et s'était dirigée à pied vers la gare. Elle avait obtenu de sa mère plus d'argent qu'elle ne le pensait, mais ses espoirs de réconciliation étaient tombés à l'eau, du moins pour l'instant.

Une fois arrivée à la gare, elle acheta un billet de train pour retourner chez elle à Sarnath, la capitale du royaume. Cinq cent kilomètres séparent Hyltendale, sur la côte sud, de Sarnath, qui est située au nord-ouest. Les trains s'arrêtent tous à Ulthar, à 130 km d'Hyltendale et 370 km de Sarnath. Mais alors qu'à Ulthar les habitants parlent encore le dialecte local, et même  les gens instruits ont un accent très marqué, à Hyltendale, sous l'influence des humanoïdes, tous les natifs de la ville parlent avec l'accent démodé qui était celui de la noblesse de Sarnath il y a cinquante ans.

À Sarnath, Viki vit pauvrement avec ses trois enfants, qu'elle a eus très jeune avec deux amants successifs, dont aucun n'est resté avec elle. Tusegge Noto, un rebelle expulsé du Mnar après avoir été capturé par les soldats du roi, est le père de ses deux plus jeunes enfants, mais pas de son fils aîné. Viki n'a pas dit à sa mère qu'elle vit actuellement avec un oncle de Tusegge Noto. Cet oncle est beaucoup plus âgé qu'elle et maltraite son fils aîné. Viki est au désespoir, mais ne sait que faire.

Viki avait suivi son père lors du divorce de ses parents. Deux ans plus tard elle est partie de l'appartement paternel pour vivre avec son amoureux du moment, qui l'a abandonnée lorsqu'elle s'est retrouvée enceinte. Elle a alors rencontré Tusegge Noto, avec qui elle a eu deux autres enfants. Mais Tusegge est parti rejoindre les rebelles pendant les Évènements et n'est jamais revenu.

Viki se dit souvent qu'elle a hérité des défauts de sa mère. Perrine Vegadaan n'avait que dix-huit ans, en effet, lorsqu'elle a accouché de Viki, que son père, lycéen comme elle, a refusé de reconnaître. Elle habitait à Sarnath à l'époque. Viki a été élevée par sa mère et un homme que Perrine a épousé par la suite. Ils ont divorcé alors que Viki était adolescente. Perrine n'a jamais caché à sa fille qu'elle méprisait son mari, un homme gentil mais timide, et qu'elle ne l'avait épousé que par intérêt matériel. D'ailleurs, elle le trompait sans trop se cacher et avait toujours refusé d'avoir un enfant de lui.

Perrine n'a jamais pu garder un emploi très longtemps lorsqu'elle habitait à Sarnath, où elle est née. Peu de temps après son divorce, elle a été arrêtée pour détournement de fonds au préjudice de son dernier employeur. Elle s'en est tiré avec une peine de prison avec sursis, mais, déshonorée, elle a préféré quitter précipitamment Sarnath.

Perrine avait détourné des fonds pendant vingt ans sans se faire prendre. Sa technique consistait à devenir la maîtresse de son patron, tout en l'escroquant, surtout s'il était marié. Ainsi, lorsqu'il s'apercevait des malversations de Perrine, il ne pouvait rien faire par peur du scandale. Souvent même, il donnait à Perrine une somme supplémentaire pour qu'elle démissionne et garde le silence sur leur relation. Perrine, bien que dépensière de nature, a ainsi accumulé une petite fortune, déposée sur plusieurs comptes bancaires.

Cette petite fortune d'origine plus que douteuse a permis à Perrine de s'installer à Hyltendale, où elle a loué un androïde au physique d'enfant, Hugo. Perrine, en effet, bien que n'ayant aucun scrupule à utiliser ses charmes pour parvenir à ses fins, n'aime pas vraiment les hommes. Très vite, Hugo, qui n'a d'un enfant que le physique, a mis Perrine en contact avec le parti Ethel Dylan, créé de toutes pièces par les cybersophontes pour contrôler politiquement la mairie et le conseil provincial. Perrine, psychologiquement instable mais rusée et pleine de bagout, a été élue conseillère municipale, ce qui lui permet de toucher un salaire.

Perrine a une réputation sulfureuse même à Hyltendale. Il est de notoriété publique que son fils, Népomouk, a été conçu lors d'une orgie au Cercle Paropien. Cela n'a pas nui à Perrine pendant la campagne électorale, car les fembotniks aiment bien Perrine, toujours prête à rire et n'ayant peur de rien ni de personne. Elle a une réputation de guerrière, insoucieuse du qu'en-dira-t-on et prête à affronter n'importe quel adversaire pour défendre les intérêts des Hyltendaliens. Dans une ville pleine d'introvertis solitaires dont la seule fantaisie consiste à ne pas mettre de cravate avec leur costume noir, cela plaît.

Toutefois, Perrine sait que si elle ne suivait pas la ligne de l'Ethel Dylan, est serait vite exclue du conseil municipal, ce qui lui ferait perdre son salaire. La société qui lui loue Hugo mettrait également fin au contrat de location, ce qui lui ferait perdre non seulement son compagnon, mais aussi son logement, les fembotniks et les manbotchicks bénéficiant à Hyltendale de logements à loyers réduits. Perrine, qui est réaliste et ne s'encombre jamais de scrupules, exécute à la lettre les instructions que lui donne l'Ethel Dylan. Ces instructions lui sont souvent données par Hugo.

En attendant que son train arrive à quai, Viki décida de se promener un peu dans le quartier. Hyltendale est une grande ville, mais tout de même moins peuplée que Sarnath. Elle est plus propre, et contrairement à Sarnath on n'y voit pas de mendiants. Ce qu'on y remarque, en revanche, ce sont les humanoïdes, avec leurs grands yeux opaques. Comme si la moitié de la population portait des lunettes noires. On y voit aussi beaucoup moins d'enfants qu'à Sarnath.

Viki avait un plan d'Hyltendale, mais elle ne savait pas lire une carte. En se repérant grâce aux noms des rues, elle arriva jusqu'à Fotetir Tohu, le quartier du port. Elle voulait voir la mer et les bateaux. Elle passa devant une palissade de chantier, sans savoir que derrière cette palissade se trouvait une grille entourant une zone de manutention réservée à Nadoïro Services.

La palissade avait été érigée peu de temps auparavant, pour dissimuler à la vue les minibus blancs de Nadoïro Services, qui transportent les expulsés vers les bateaux qui les emmèneront à Serranian, un voyage sans retour pour la quasi-totalité d'entre eux. Le risque d'une émeute est inexistant à Fotetir Tohu, mais, suite à des protestations des habitants du quartier, Zimara Nadoïro avait jugé préférable de dissimuler à la population le spectacle, considéré comme perturbant, d'êtres humains menottés, sortant des minibus pour monter dans des bateaux sous la surveillance d'androïdes vêtus de noir et armés de grandes matraques en bois.

Tous les jours de l'année, entre plusieurs centaines et plusieurs milliers d'hommes, de femmes et d'enfants montent ainsi dans les bateaux de la société Nadoïro Services à Hyltendale. Parfois, certains expulsés arrivent blessés ou malades, et les androïdes doivent les porter. D'autres mettent de la mauvaise volonté à embarquer, et les androïdes les frappent alors à coup de matraque.

Viki ne savait rien de tout cela. Elle ne savait pas non plus que, quelques mois plus tôt, Tusegge Noto était passé par cette zone de manutention, les bras menottés dans le dos, sale et assoiffé, gémissant à chaque pas à cause d'une côte cassée.

Elle regarda à peine la palissade, d'un blanc immaculé. Elle se dit qu'à Sarnath elle aurait été taguée de dessins obscènes ou blasphématoires en moins de deux jours. Mais qu'y avait-il derrière ? Sans doute un chantier, se dit-elle. En tendant l'oreille, elle entendit des éclats de voix, peut-être des pleurs et des cris.

Curieuse, elle fit le tour de la palissade. Le portail était fermé, mais sans serrure ni cadenas, comme s'il était conçu pour ne s'ouvrir que de l'intérieur.

Elle se dit qu'elle n'était pas venue pour regarder une palissade de chantier. Elle se dirigea vers les quais, la mer, les bateaux, et acheta quelques petits cadeaux pour ses enfants dans une boutique. Le vendeur était un androïde, comme toujours à Hyltendale. Comme tous les androïdes, il était d'une courtoisie parfaite, et il parlait comme dans les vieux films. Viki, habituée aux regards hostiles que ses vêtements de pauvresse lui attiraient dans les magasins de Sarnath, se dit qu'elle aurait aimé habiter à Hyltendale.

Plus tard, en remontant vers la gare, elle croisa plusieurs minibus blancs aux vitres teintées. Le portail de la zone de manutention était ouvert. Elle eut juste le temps de voir une dizaine de silhouettes vêtues de noir avant que les minibus entrent dans l'enceinte et que le portail se referme.

Dix minutes plus tard, elle était assise dans le train qui devait la ramener à Sarnath.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 9 EmptyJeu 2 Juil 2015 - 1:14

Perrine Vegadaan était très fière d'être conseillère municipale. Elle voulait adhérer à l'Adria Nelson, dont faisaient partie les membres les plus en vue de la classe dirigeante d'Hyltendale, mais Hugo, lors d'une de leurs discussions nocturnes, lui conseilla d'abandonner son projet. Elle ne serait pas acceptée, lui dit-il, si elle ne devenait pas d'abord une symbiorg. Les cyborgs dirigent Hyltendale, et devenir un symbiorg, un être humain vivant en symbiose avec un cybercerveau greffé à l'intérieur de son corps, est la première étape pour devenir un cyborg.

Perrine prenait toujours très au sérieux ce que disait Hugo. C'était un androïde, son cerveau était relié par radio à la conscience collective des cybersophontes. Il était contrôlé à distance par un cybercerveau. Lorsqu'elle discutait avec Hugo, Perrine savait que c'était comme si elle discutait directement avec l'un des lieutenants de la reine de la ruche, l'entité mystérieuse qui dirige tous les cybersophontes.

S'il fallait devenir une symbiorg pour réussir, Perrine était prête à le faire. Toutefois, elle ne se sentait pas encore prête à vivre en symbiose avec un cybercerveau. Elle savait, pour s'être renseignée sur le sujet, que le cybercerveau, du simple fait de sa présence permanente, modifie la personnalité de son hôte. Le docteur Lorenk, qui faisait partie, comme elle, du Cercle Paropien, et qui était un symbiorg, le lui avait dit.

Elle en avait d'ailleurs discuté de nouveau avec lui, quelques jours auparavant, au bar du Cercle Paropien.

"Vous devez savoir que le cybercerveau qui sera greffé à l'intérieur de votre corps sera toujours présent, qu'il regardera tout et entendra tout, même quand vous serez aux toilettes... et il n'aura aucun secret pour la reine de la ruche. Sa loyauté sera envers elle, pas envers vous" lui avait dit Lorenk.

Se rapprochant de Perrine et baissant la voix, il avait ajouté :

- J'enlève mes cyberlunettes le soir, quand je me mets au lit, mais le cybercerveau Nentanis est toujours en moi, même s'il devient aveugle et sourd quand j'enlève mes cyberlunettes. C'est la seule intimité réelle qui me reste.

Perrine n'avait pas su quoi répondre. Elle s'imaginait ayant Hugo en elle en permanence, jour et nuit. Elle porterait des cyberlunettes toute la journée. Esclave volontaire de la reine de la ruche. Il y avait de quoi hésiter, mais d'un autre côté elle avait envie d'être une cybersophonte, de faire partie de ce peuple qu'elle admirait.

"Perrine, dites-moi, pourquoi voulez-vous devenir une symbiorg ?" demanda Lorenk.

- Parce que j'admire les cybersophontes.

- Vous les admirez peut-être pour de mauvaises raisons. Vous ne savez pas ce que c'est que d'être un cybersophonte. Vous ne savez même pas ce que c'est que d'être un hybride comme le symbiorg que je suis, mi-humain biologique, mi-humanoïde cybernétique.

- D'accord. Je vais être franche. Je veux faire carrière dans la politique à Hyltendale. Et pour aller plus loin que simple conseillère municipale, je dois devenir une symbiorg.

- Je m'en doutais. Eh bien, Perrine, laissez-moi vous dire que ce n'est pas une raison valable. Être un symbiorg, c'est renoncer à une partie de son humanité. Et une carrière politique n'est jamais garantie. Il y a, si j'ose dire, beaucoup de candidats et peu d'élus... Vous risquez de perdre beaucoup sans rien gagner. Savez-vous ce que ça veut dire, faire partie de la conscience collective des cybersophontes ?

- C'est comme d'être connecté à Internet en permanence, non ?

- C'est bien plus que ça. C'est aussi être soumis à la reine de la ruche. En tant que symbiorg, je suis un soldat dans l'armée des cybersophontes, et j'obéis aux ordres d'entités sans visages. Mon obéissance est totale. Je ne m'en plains pas, j'ai choisi librement de devenir un symbiorg.

- En somme, docteur Lorenk, vous qui êtes un symbiorg, vous me déconseillez de devenir comme vous ? Alors dites-moi pourquoi, vous-même, vous êtes devenu un symbiorg ?

- Vous seriez horrifiée si je vous le disais. Ce serait trop long à expliquer, trop intime aussi. Tout ce que je peux vous dire, c'est de ne pas prendre une décision aussi grave, qui va changer votre nature d'être pensant, vous faire passer du biologique au cybernétique, sans peser longuement le pour et le contre. Mettez vos pensées par écrit, et attaquez chaque argument...

- Docteur Lorenk, si je deviens une symbiorg, j'aurai l'assurance de faire partie, pour toute ma vie, de la communauté des cybersophontes. C'est la sécurité matérielle et affective assurée. Mais je sais aussi que je n'en ai pas vraiment besoin. Je suis pragmatique. J'ai investi l'argent que j'ai gagné et économisé à Sarnath pendant vingt ans. Il me rapporte de quoi vivre à Hyltendale. Et j'ai aussi mon salaire de conseillère municipale. Je suis libre et j'ai de quoi vivre.

- Que vous a dit Hugo ?

- Il m'a dit que ma motivation pour devenir symbiorg n'était pas la bonne, et que je n'avais aucune chance, pour le moment, de réussir les tests.

- Il a raison. Attendez encore quelques années.

Quelques jours plus tard, Perrine décida de participer activement au culte d'Azathoth, le dieu des cybersophontes.

Les adorateurs d'Azathoth n'ont pas créé une religion classique. Il existe une doctrine, mais pas de vérité révélée. Le dieu suprême, âme de l'univers, loin d'être omniscient et omnipotent, est idiot, aveugle et sourd. Il n'existe pas de livres sacrés, mais une doctrine, qui peut être résumée en quelques pages. Au lieu de cérémonies, les adorateurs d'Azathoth ont des conférences, des débats et des séances de méditation collective. Il n'existe pas de clergé, ni de prédicateurs, mais des conférenciers. Les temples d'Azathoth sont des salles de conférence.

À Hyltendale, le culte d'Azathoth est centré sur un club de cyborgs et de fembotniks, qui porte le nom de Temple d'Azathoth. Il existe aussi à Hyltendale, mais dans le quartier de Yarthen, un club de fembotniks qui porte le nom de Temple de Nath-Horthath. On trouve à Hyltendale un grand nombre de temples dédiés à Yog-Sothoth, dont le culte est suivi, avec plus ou moins de dévotion réelle, par la majorité de la population. Quelques temples sont dédiés à Nath-Horthath, dont les adorateurs sont très minoritaires, bien que ce soit la religion du roi et de la noblesse.

Le Temple d'Azathoth est à la fois le nom du club et celui du bâtiment où il se réunit. Situé à Tomorif, au nord d'Hyltendale, c'est un petit bâtiment d'un étage, en béton gris, construit à l'emplacement d'un ancien parking. Rien n'indique la vocation religieuse du lieu. Le toit, comme partout à Hyltendale, est recouvert de panneaux solaires.

Perrine s'y rendit en bus avec Hugo. Un androïde en costume noir, qui se présenta sous le nom de Diglito, lui fit visiter le bâtiment, constitué d'une cafétéria au rez-de-chaussée et d'une salle de méditation à l'étage. La cafétéria, avec son long comptoir, ses tables légères, faciles à déplacer, et ses chaises pliantes, servait à la fois de bar, de restaurant, de salle de réunion et d'auditorium, comme le montrait une estrade située à une extrémité.

Les murs étaient ornés de tableaux, sans doute réalisés par des membres du club, représentant Azathoth, la plupart du temps comme une entité informe et tentaculaire, assise sur un trône noir au milieu d'une tempête tourbillonnante.

"Nous avons des conférences publiques au moins une fois par semaine" dit l'androïde. "Cette salle peut accueillir une centaine de personnes."

À l'étage, la salle de méditation, aussi grande que la cafétéria, était totalement vide de meubles. Des coussins multicolores étaient posés sur des étagères, le long des murs. Une estrade, identique à celle du rez-de-chaussée, occupait une extrémité de la salle.

"Je voudrais adhérer au Temple d'Azathoth" dit Perrine.

"La conscience collective des cybersophontes vous connaît déjà, Perrine Vegadaan" dit l'androïde. "Vous êtes la bienvenue. Considérez-vous comme faisant partie du club dès cet instant."

- C'est tout ? Il n'y a pas de cotisation à payer ? Pas de parrainage, de rituel initiatique, de formulaire à remplir ?

- Non, nous n'avons rien de tout ça. Nous sommes financés par des donations d'adhérents fortunés, libre à vous d'en faire. Ce n'est pas obligatoire, car chaque fois que vous paierez une consommation au bar, vous contribuerez à équilibrer nos finances, ce dont nous vous remercions par avance. Nous considérons que c'est l'équivalent d'une donation ou d'une cotisation.

Perrine ne put s'empêcher de sourire, mais cela ne troubla pas l'androïde, qui continua ses explications :

- Madame Vegadaan, nous savons que vous avez chez vous le petit livre intitulé La Contemplation d'Azathoth. Toute la doctrine y est. Mais la doctrine ne suffit pas, il faut y joindre la pratique. À cet effet, vous pouvez méditer à l'étage, seule ou en groupe, à certaines heures qu'Hugo vous communiquera. Des maîtres de méditation bénévoles sont à votre service, mais pas tous les jours.

- C'est bien, mais vous, Diglito, vous êtes un androïde, vu votre physique et votre voix. Qui paye votre location ?

- La caisse du club, alimentée par les donateurs et par les bénéfices de la cafétéria. Le Temple d'Azathoth est, d'un point de vue légal, une association, comme tous les autres clubs d'Hyltendale.

Perrine se mit à rire :

- Eh bien voila, en plus du Cercle Paropien, je fais aussi partie du Temple d'Azathoth maintenant... Je viens de la communauté des adorateurs de Nath-Horthath, et officiellement j'en fais toujours partie. J'espère qu'ils ne me feront pas d'ennuis.

- N'oubliez pas d'indiquer votre changement de communauté quand vous remplirez votre déclaration d'impôts. C'est la seule formalité requise par l'administration royale, pour ses statistiques. Les adorateurs de Nath-Horthath considèrent l'idée d'un dieu idiot, aveugle et sourd comme une abomination, mais ils se contentent de nous ignorer. Beaucoup d'adorateurs de Yog-Sothoth sont moins tolérants, et plus violents. Non seulement ils sont très hostiles à Azathoth, mais ils considèrent l'apostasie comme une trahison. Même ici à Hyltendale, certains de nos adhérents, qui proviennent de la communauté de Yog-Sothoth, sont obligés de cacher leurs croyances à leur famille, et parfois même à leur entourage.

Perrine jeta un coup d'œil dans la grande salle. Des hommes et des femmes d'âge mûr étaient assis autour des tables rectangulaires, buvant des jus de fruit et du café, en compagnie de gynoïdes et d'androïdes. La clientèle classique d'un club de fembotniks.

Perrine ne se rendit que rarement au Temple d'Azathoth. Il était situé loin de chez elle, et elle n'y connaissait personne. Elle n'aimait pas trop y déjeuner, car la cafétéria, ne disposant pas d'un cuisinier qualifié, ne proposait que des sandwiches industriels et des plats surgelés. Elle participa une seule fois à une séance de méditation collective, mais elle assista à plusieurs conférences, auxquelles elle ne comprit pas grand-chose.
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