Très bonne question...
Je pense que le mieux pour se faire une idée serait bien sûr de discuter de ça avec des aveugles de naissances.
Concernant la sensation elle même (avant de s'entendre sur une convention voyant <> aveugle qui permette de se caler sur la même longueur d'onde lorsque l'on évoque des couleurs), je pense qu'ils ont la notion de la couleur dans la mesure ou le fait de voir le monde extérieur n'est pas le seul véhicule de la couleur. Lorsque l'on ferme les yeux assez fort, on peut ressentir (je ne pense pas que voir soit ici approprié) des points, des étoiles colorées, ou encore des voiles de couleurs abstraites, mélangées.
Je pense que ce peut être du fait de l'inactivité des organes sensoriels en question, alors que les canaux qui les lient au cerveau sont eux bien actifs. Ou du moins la partie du cerveau qui est censé interpréter les informations reçues à ce niveau. Ce serait un peu comme une télé calée sur une fréquence porteuse sans émission, qui interprète les divers parasites et signaux résiduels, présents dans l'air mais également produits par les composants de la télévision eux mêmes, dans un espèce de bouillon visuel, que l'on nomme communément "neige". C'est certes en noir et blanc le plus souvent, mais un cerveau étant incomparablement plus perfectionné qu'une télévision, et la vie qu'une suite de perturbations magnétiques et de signaux micro-électriques résiduels, je comprends aisément pourquoi notre neige cérébrale est plus complexe.
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Quand à trouver un moyen de s'accorder sur une définition commune de ce qui se cache derrière les mots représentant des couleurs, je pense que ça risque d'être un peu plus dur, mais ça doit être faisable (si ce n'est déjà fait) probablement effectivement en faisant appel aux autres sens des personnes.
Je pense par exemple que grâce à des phénomènes comme la chaleur, ou en associant une couleur à une matière, il serait aisé de faire comprendre ce que l'on entend par rouge, jaune et bleu (ou cyan magenta et jaune)... De là, associer au toucher, à la palette de l'imagination, pour en déduire le vert, le marron, etc..., il n'y a qu'un pas.
Ce n'est qu'extrapolation de ma part, mais je pense que c'est plausible.
Effectivement, je crois qu'il est imaginable que le cerveau génère des informations que l'on nomme couleurs avec les autres sens que la vue (et même complètement isolé de tous ses sens probablement), surtout pour un aveugle, chez qui cette partie qui est censée décoder les signaux transmis par nos yeux est potentiellement disponible pour le décodage des autres sens.
Donc partant de cette conclusion, lorsque qu'une flamme de briquet ou d'allumette s'approche d'un non voyant, il se peu qu'il ressente ceci non seulement comme nous le ferions, recevant simplement l'information de chaleur via les capteurs sensoriel du toucher, mais peut-être aussi que son cerveau va projeter des teintes, qui seront alors associées à des sensations, et qui sont, chez les voyants intégralement occupé par la vue. Il se pourrait même que le non voyant puisse "sentir" et "entendre" la flamme , et l'association des signaux de ces trois sens génèreront un phénomène cérébrale que nous interpréterions comme des couleurs, mais qui le renseigneront aussi peut-être sur la taille, la distance et la forme de la flamme... Et peut-être même autre chose que de notre état de voyants nous ne connaissons pas.
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Oulà j'ai l'impression de m'exprimer comme un pied aujourd'hui, je ne crois pas être très clair mais j'espère qu'on se comprendra.
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Ensuite, je me pose la question suivante: serait-il finalement si important que ça qu'un voyant et un aveugle parviennent à se mettre d'accord sur les "couleurs" (comble de l'abstraction... puisque au final ça ne représente que la manière qu'ont nos cerveau, habitués à ce sens qu'est la vue, d'interpréter la capacité d'une entité quelconque à capturer ou à refléter certains fragments de lumière)? Au final, si une flamme provoque chez le non voyant une projection cérébrale de ce que nous appellerions "vert", mais que l'aveugle convient de le nommer "jaune", tant que lorsqu'il est de nouveau confronté à une flamme, il lui vient à l'esprit le mot "jaune", nous restons capable de nous comprendre...
En effet, chez un daltonien qui inverserait rouge et vert (je vulgarise volontairement, car la réalité serait plutôt qu'il ne voit pas ou peu de différence entre ces teintes), si il apprend à l'école qu'un arbre est vert, et que la lumière du bas dans un feu tricolore également, alors ce que nous appellerions "rouge", il l'appellerait "vert", et tout rentre dans l'ordre. Ce n'est qu'une question de conventions.
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En fait, la couleurs, pour nous autres voyants, ne dispense finalement pas d'informations fondamentales sur quelque chose, ce n'est qu'un agrément, un plus, du bonus qui sert de béquille à notre cerveau pour l'aider à reconnaitre les choses plus facilement. Comparé à l'écriture (du moins des langues indo-européennes et sémitiques, n'ayant aucune connaissance d'autres), je pense qu'un parallèle pourrait être fait avec les voyelles, qui ne donnent pas (généralement) d'informations sémantiques mais lui donnent du volume, une certaine esthétique, et nous sert de béquille pour la prononciation (encore plus vrai dans les écritures consonantiques, et on le voit tout particulièrement dans celles qui ont adopté l'usage de matres lectionis).