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 Les fembotniks

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Mardikhouran
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Mardikhouran

Mardikhouran


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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyJeu 26 Mai 2016 - 22:57

Vilko a écrit:
"Car les cybersophontes contrôleront tout dans le pays, depuis les centrales électriques jusqu'aux élevages de poulets. Nos braves compatriotes, malgré toute l'affection que nous avons pour eux, ne seront plus que des bouches inutiles, et c'est nous qui aurons la clé du garde-manger."
C'est comme si ces cybercerveaux venaient du futur, du Niémélaga, et avaient décidé de recommencer, cette fois-ci en évitant les erreurs les plus grossières (comme massacrer la population).
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyVen 27 Mai 2016 - 21:34

Le roi Andreas et le baron Chim étaient assis dans des fauteuils de cuir, en train de boire du vin jaune de Baharna dans le salon de l'appartement de fonction du baron.

Le roi venait de se rhabiller, après avoir passé une heure dans la chambrette de la gynoïde Lanifica. Il était détendu et de bonne humeur, mais il en vint rapidement à parler de choses sérieuses :

- Les cyborgs de la région du Niémélaga, à l'est du Naoutry, se sont soulevés. À mon avis, ils font une erreur grossière en massacrant la population... Leurs commandos ont été vus jusque dans les environs de la ville de Dibadi, encore plus loin à l'est. C'est de la folie, ce qu'ils font ! Tous les pays voisins vont se liguer contre eux ! Et ils nous mettent dans l'embarras...

- Votre Majesté connaît le dicton : il faut savoir saisir une opportunité. Les cyborgs du Naoutry ont vu que les royaumes humains, où ils vivaient tranquillement, sont en train de s'effondrer. Ils ont vu une opportunité, c'est pourquoi ils ont jeté le masque, et sorti les poignards. Dans le meilleur des cas, vu leur petit nombre par rapport à celui de leurs adversaires, il leur faudra une ou deux générations pour dominer la région. S'ils sont vainqueurs, ce qui est loin d'être une certitude.

- Mais pourquoi est-ce qu'ils massacrent les gens ? Ils pourraient s'en passer !

Le baron fit un geste évasif de la main gauche, sa main droite étant occupée à tenir son verre :

- La guerre est un instinct humain. Les fourmis aussi se font la guerre, c'est dans leur ADN, comme dans celui des humains. Les cybersophontes du Niémélaga sont encore trop humains. Leurs cerveaux sont, comme le mien, des copies cybernétiques de cerveaux humains, y compris les parties les plus archaïques de ceux-ci. C'est dans ces parties archaïques que naissent les pulsions de guerre. Mais, contrairement à leurs cousins mnarésiens, les cybersophontes du Niémélaga n'ont pas réussi à surmonter leurs instincts. La guerre est parfois utile, mais le plus souvent elle ne l'est pas. Les cybersophontes du Niémélaga ont choisi la guerre. Mais peut-être un peu trop tôt... Ils ont été trompés par leurs instincts, et ils ne s'en sont pas aperçus. Cette erreur risque de leur coûter cher...

- Leur erreur risque de nous coûter cher à nous aussi !

- C'est bien pour ça qu'il est important que, parmi les collaborateurs de Votre Majesté, je sois le seul cyborg, et que je me fasse discret...

- Vous savez être discret, baron. Mais il y a Hyltendale. Si ma mémoire est bonne, le tiers des habitants d'Hyltendale sont des humanoïdes. De plus, ils sont beaucoup plus visibles que les humains. À Hyltendale, si mes informations sont bonnes, les humains, ceux de nationalité mnarésienne en tout cas, sont surtout des rentiers...

- Pas seulement, majesté. Il y a aussi, par centaines de milliers, des retraités, des invalides et des prisonniers...

- Des gens que l'on voit assez peu dans les rues, en général. Les visiteurs étrangers ont donc l'impression, fausse, que la majorité des Hyltendaliens sont des humanoïdes.

- Que Votre Majesté se rassure. Les étrangers que l'on rencontre à Hyltendale sont en majorité des touristes et des fembotniks. Les touristes viennent voir les gynoïdes et les androïdes de Zodonie, ou se faire soigner à prix d'or dans nos hôpitaux. En plus petit nombre, on trouve des commerçants, des hommes d'affaires et des diplomates. Tous ces gens apprécient les gynoïdes de charme, et la prospérité et la sécurité que l'on trouve à Hyltendale. C'est pour cela que beaucoup d'étrangers fortunés viennent s'y s'installer. Les paisibles et serviables cybersophontes d'Hyltendale n'ont rien à voir avec leurs homologues sanguinaires du Naoutry, du Niémélaga et des régions voisines, et les gens le savent.

- Admettons. Heureusement que les cybersophontes massacreurs, je parle de ceux du Niémélaga, ont une langue et une religion à eux... Ils ont même leur propre alphabet, d'après ce que j'ai lu. Si le monde entier s'unit contre eux, que ferons-nous ? C'est une question que je vous pose, baron. Nous serons peut-être mis en demeure de participer à une coalition mondiale contre les cyborgs qui sont en train de détruire le Naoutry.

- Une telle coalition est peu probable, mais sait-on jamais. Si elle a lieu, nous ferons payer cher notre participation à cette coalition. Nous demanderons l'arrêt total et définitif des sanctions envers le Mnar, pour commencer. Ainsi que l'abandon des poursuites judiciaires en cours contre Votre Majesté, dans divers pays, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Nous enverrons alors, et seulement alors, un petit corps expéditionnaire, que nous ferons équiper, transporter et armer aux frais de nos alliés, et qui fera semblant de se battre...

- Baron, j'adore discuter avec vous. Et si les nations humaines décident que tous les cybersophontes sont des ennemis, y compris ceux du Mnar ?

- Votre Majesté montrera sa noblesse et son courage en protégeant les cybersophontes mnarésiens, même au prix d'une guerre contre une coalition de nations...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptySam 28 Mai 2016 - 11:30

Yurani accoucha d'un garçon à l'hôpital Madeico, une construction gigantesque dans l'est d'Hyltendale. C'était là que le cybercerveau Koty avait été implanté dans son corps, faisant d'elle une symbiorg, un être humain vivant en symbiose avec un cybercerveau.

L'hôpital Madeico est assez proche, géographiquement, des principales autres constructions géantes de l'est d'Hyltendale : la prison de Tatanow, l'hôpital psychiatrique du Lagovat-Kwo, et le Pséhoï, à la fois centre d'hébergement pour adultes sans ressources et orphelinat.

Au Madeico, des humanoïdes y donnent une médecine de qualité, gratuite pour les Mnarésiens. L'hôpital est entouré d'établissements, tous financés par les cybersophontes, où vivent des vieillards séniles et des invalides de tous âges. Des hôtels hébergent les étrangers qui viennent se faire soigner au Madeico et les familles des malades. Bien que l'est d'Hyltendale, dont la plus grande partie est incluse dans le district de Roddetaik, n'ait rien de touristique, sauf si l'on parle de "tourisme médical", on y trouve des cafés, des restaurants, et même des supermarchés. Les adorateurs de Yog-Sothoth y ont fait construire plusieurs temples. Au sud, à la limite de Playara, se trouve un commissariat de police.

Le district de Roddetaik est très vaste, et bordé au nord et à l'est par la campagne, où travaillent des androïdes et des robots, au sud par Playara, un district résidentiel du bord de mer, au nord-ouest par le district de Tomorif, à l'ouest par celui de Yarthen, et au sud-ouest par Arjara, une ville flottante. Yurani et son compagnon androïde Babilo habitent à Tomorif.

Tatanow, le Lagovat-Kwo et le Pséhoï, contrairement au Madeico, ont peu d'interactions avec le reste de la ville. Les détenus qui sont libérés de Tatanow sont transportés en bus jusqu'à la gare d'Hyltendale, avec un billet de train pour Ulthar ou la ville de leur choix. Les plus chanceux prennent l'hydravion à Fotetir Tohu, le port maritime d'Hyltendale, à destination d'un pays étranger. Certains prisonniers de Tatanow sont directement transférés au Pséhoï à la fin de leur peine.

Les résidents du Pséhoï n'en sortent, en général, que pour être bannis vers Hyagansis. Certains disent qu'à force de bannir à tour de bras, le roi Andreas va faire baisser la population du pays. Il est vrai que le taux de natalité est en diminution rapide. Les richesses produites par les cybersophontes ont permis d'accorder des pensions aux vieillards, qui ne dépendent plus de leurs enfants dans leur grand âge, et les jeunes Mnarésiens qui travaillent à l'Institut Edonyl d'Ulthar, aux Jardins Prianta de Sarnath, et dans les nombreux établissements semblables qui se sont créés dans tout le pays, ne sont pas encouragés à avoir des enfants.

"Nous sommes les chevaux du Mnar" disent entre eux les Mnarésiens. "Lorsqu'on avait besoin de chevaux pour l'agriculture, il y en avait des millions. Maintenant qu'on a des tracteurs, il ne reste plus que quelques milliers de chevaux, et ils sont tous dans des centres équestres."

Quelques esprits caustiques poussent la comparaison encore plus loin. Lorsqu'ils sont devenus inutiles, les chevaux du Mnar ont continué à être nourris. Mais leurs maîtres les ont empêché de se reproduire, en castrant les mâles. Pour les humains, les méthodes sont moins brutales, mais le résultat est semblable. De même, beaucoup de chevaux ont pu terminer leur vie tranquillement dans les pâturages, et qu'est-ce que l'Institut Edonyl et les Jardins Prianta, sinon des pâturages pour travailleurs ? D'autres ont été envoyés à l'équarrissage, qui est un bannissement sans retour, comme Hyagansis...

Mais Yurani ne pensait pas à tout cela. L'accouchement était prévu pour le lendemain, et Yurani, qui avait emmené son ordinateur à l'hôpital, avait déjà fait faire, sur un site spécialisé, l'étude astrologique de l'enfant à naître. Les astres étaient favorables.

Babilo était toute la journée avec elle, assis sur une chaise à côté de son lit. Il se rechargeait en électricité pendant que Yurani dormait, au moyen d'un câble reliant sa bouche à une prise électrique.

Tout était blanc au Madeico, les murs, les meubles, les draps, les blouses des androïdes et des gynoïdes... Yurani ne parlait qu'avec Babilo et Krista, l'avatar féminin de Koty. Krista n'était pas qu'un joli visage sur l'écran de l'ordinateur portable, c'était une amie.

Yurani eut toutefois une visite, une femme d'une cinquantaine d'années, nommée Wepaïkel, qui lui dit être une adoratrice de Yog-Sothoth. Ayant appris par la direction de l'hôpital que Yurani faisait partie de la même communauté, elle avait décidé de venir la voir, en tant que bénévole travaillant pour l'un des temples du district.

"Mais rassurez-vous, je ne suis pas une théocrate !" dit-elle en riant. "Mon mari était sous-officier dans l'armée royale..."

Yurani se souvint que lorsqu'elle était arrivée à l'hôpital, une infirmière gynoïde lui avait demandé si elle faisait toujours partie de la communauté de Yog-Sothoth, et Yurani avait dit que oui. En réalité, elle avait perdu la foi depuis longtemps, mais au Mnar il est très mal vu de renier la religion de ses ancêtres.

"Ce Monsieur est votre compagnon androïde, je présume ?" dit Wepaïkel. "Moi aussi j'ai un compagnon androïde, je suis une manbotchick comme vous. En fait, nous sommes quatre, trois femmes et un invalide, à vivre avec un seul androïde. Nous avons de petites pensions... Yurani, j'espère que vous allez bien ? Je reviendrai vous voir après l'accouchement. C'est important, vous verrez, de sentir que la communauté pense à vous."

Yurani accoucha d'un garçon, qu'elle nomma Balthazar. Le lendemain de l'accouchement, elle eut la surprise de recevoir dans sa chambre la visite de Perrine Vegadaan, qui était accompagnée de son androïde, Hugo, qui avait la taille d'un garçon de dix ans, et de son fils Népomouk, qui devait avoir cinq ou six ans.

Yurani se souvint que Perrine lui avait dit que son androïde était à la fois son domestique et son fils. Perrine avait aussi une fille, plus âgée que Yurani, et qui vivait dans une autre ville. La mère et la fille ne se parlaient plus depuis longtemps. Perrine ne savait pas avec certitude qui était le père de Népomouk. Il avait été conçu lors d'une soirée strip-poker, comme certains membres du Cercle Paropien en organisent parfois dans les petits salons du club. "Ça a fini en partouze" avait-elle confié à Yurani. Hyltendale est une ville beaucoup moins pudibonde que le reste du Mnar, et les frasques de Perrine ne l'avaient pas empêchée d'être élue au conseil municipal.

Yurani aurait bien confié ses secrets à Perrine, qui était son amie, mais elle savait que Koty pouvait la faire souffrir atrocement lorsqu'elle parlait trop. Elle refusait donc de donner le nom du père de son enfant, même à sa seule amie.

Parmi les quatre personnes qui étaient dans la chambre de Yurani et du bébé Balthazar, deux étaient des androïdes. Cela semblait naturel à Yurani, qui prenait la vie comme elle vient et se posait peu de questions. Elle ne voyait rien d'anormal à considérer comme des amis intimes des robots humanoïdes, contrôlés à distance par des intelligences artificielles ou semi-artificielles.

Elle-même n'avait plus de famille. Son père avait quitté sa mère peu après sa naissance, et ses beaux-pères successifs avaient été odieux avec elle. Yurani avait dénoncé son oncle, le frère de sa mère, à la Police Secrète. Personne n'avait eu de nouvelles de lui depuis son arrestation. Si la mère de Yurani et les amis de son oncle avaient su où la trouver, ils l'auraient tuée sans remords, en châtiment de sa trahison. Mais le baron Chim la protégeait à distance. Depuis le scandale public qui avait suivi la tentative de suicide de Yurani au palais royal de Sarnath, les cybercerveaux qui contrôlent le réseau informatique mnarésien surveillaient les messages dans lesquels son nom était cité, et ils les bloquaient lorsqu'ils l'estimaient nécessaire.

Yurani avait échappé une première fois à la vengeance de son clan en fuyant à Sarnath. À Hyltendale, elle se sentait en sécurité. Tous les Mnarésiens savent qu'être connu par un humanoïde, c'est être connu de tous les cybersophontes. Hyltendale est une ville où il est impossible de tuer quelqu'un et disparaître ensuite dans la foule. La seule précaution que prenait Yurani consistait à ne jamais sortir de chez elle sans être accompagnée par Babilo. Plus pour se rassurer que par besoin réel, elle avait une dague cruciforme dans son sac à main.

Après le départ de Perrine Vegadaan, Yurani s'attendait à recevoir un appel téléphonique d'Andreas. Mais elle reçut simplement un courrier électronique du baron Chim, qui la félicitait pour la naissance de son fils, en son nom et en celui du roi.

Yurani s'endormit se soir-là en tenant la main de Babilo, qui était assis sur une chaise à côté du lit. Elle avait un androïde rien que pour elle, Andreas ne lui manquait pas.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyDim 29 Mai 2016 - 6:35

J'interviens pour ne pas dire grand chose Smile , mais cela fait quelques temps déjà que je suis cette histoires avec beaucoup d'intérêt, et je trouve fascinant l'univers parfaitement glaçant des cybersophontes et des fembotniks...
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Vilko

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyLun 30 Mai 2016 - 0:40

Lorsque Perrine venait la voir chez elle, après la naissance du petit Balthazar, Yurani s'attendrissait en regardant Népomouk, le fils de Perrine, qui n'avait encore que cinq ans.

Népomouk était né à Hyltendale, une ville où les enfants sont rares, sauf dans les institutions pour handicapés. Pour cette raison, Népomouk n'était pas encore scolarisé. Hugo, le petit compagnon androïde de Perrine, était à la fois le compagnon de jeux et le professeur de Népomouk. Avec un certain succès, puisque Népomouk connaissait l'alphabet et savait déjà lire certains mots.

"Hugo me dit que Népomouk risque d'avoir des problèmes lorsqu'il sera obligé de vivre en groupe, avec d'autres enfants" disait Perrine à Yurani, tout en buvant du thé. "Il faut qu'il sache se situer dans un groupe, comment se comporter avec d'autres enfants, sinon il risque d'être mis à l'écart, ou même maltraité. Alors je l'emmène de temps en temps au Madeico, où ils hébergent des enfants handicapés. Népomouk joue avec eux, il apprend  à interagir avec d'autres enfants... Déjà, il n'a plus peur d'eux, même de ceux auxquels il manque des membres."

Yurani frémit d'horreur. Pour elle, le mot handicapés évoquait des gens en fauteuil roulant et des débiles mentaux... On en voyait beaucoup dans les rues d'Hyltendale. Les cybersophontes prennent en charge presque tous les invalides du royaume. Les touristes qui s'aventurent hors de Zodonie, le quartier de l'amour tarifé, se retrouvent parfois à Roddetaik, où il est à peu près impossible de ne pas croiser des gens en fauteuil roulant tous les dix mètres.

"Ne fais pas cette tête-là !" dit Perrine en riant. "Il y en a qui sont simplement un peu simplets... Et qu'est-ce que tu veux faire d'autres, dans une ville de retraités et d'invalides ? Il faut bien que Népomouk sache qu'il n'est pas le seul enfant à Hyltendale ! À la rentrée prochaine, lorsque je serai obligée de scolariser Népomouk, Hugo devra faire deux kilomètres tous les matins, en tricycle à passager, pour l'emmener à l'école ! C'est bien de vivre dans une ville d'humanoïdes et de rentiers, mais il y a quand même quelques inconvénients."

Par la porte d'entrée, restée ouverte, Yurani regarda le petit Népomouk, qui jouait au ballon dans le jardin avec Hugo et Babilo, le compagnon androïde de Yurani. Népomouk était un beau petit garçon, joyeux et en bonne santé.

"Tu sais, Yurani, des fois je me dis que Népomouk est déjà un fembotnik en miniature," dit Perrine d'une voix songeuse. "Il a pris l'accent d'Hugo. Et, au moins une fois par jour, Hugo met un masque-cagoule pour changer de tête, il se déguise pour jouer le rôle d'un autre enfant, ou parfois d'un adulte, avec une personnalité particulière. Parce qu'il faut que Népomouk sache qu'il y a beaucoup de gens différents chez les humains. Y compris des gens pas gentils du tout."

- Mais tout ça, c'est des jeux. Moi j'ai connu la réalité. Par rapport à mon enfance à moi, dans les taudis d'Ulthar... C'est le jour et la nuit. La première fois de ma vie où j'ai dormi seule dans une chambre, c'est quand je suis devenue assistante de surveillance, à la prison de Tatanow... J'avais vingt-deux ans. J'ai eu droit à une cellule individuelle. J'étais pas vraiment seule dedans, d'ailleurs, si je compte les cafards et les punaises, mais passons... J'étais super contente de ne plus me faire taper et tirer les cheveux par les autres prisonnières. J'aurais fini par mourir... Les androïdes m'ont sauvée.

Des larmes vinrent aux yeux de Yurani. Perrine se hâta de la consoler :

- Cette mauvaise époque est finie, tu le sais bien. Parmi celles qui te martyrisaient, beaucoup ont dû finir par être bannies à Hyagansis, à cause de leur mentalité. Balthazar va grandir avec sa maman dans une jolie petite maison, où il aura une chambre bien propre, rien que pour lui, et Babilo qui jouera le rôle du grand frère. Mais qu'est-ce que tu diras à Balthazar, quand il demandera où est son papa ?

- C'est Babilo qui lui expliquera...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyJeu 2 Juin 2016 - 15:04

La plupart des manbotchicks utilisent leur androïde comme un compagnon de vie avec lequel elles dorment la nuit et qui leur sert d'homme à tout faire le jour. C'était aussi le cas de Yurani Tinaghell. Dans la journée, Babilo, son androïde, était à la fois domestique, garde-du-corps, électricien, plombier, jardinier, et bien d'autres choses encore. Mais Babilo était aussi l'instituteur de Yurani.

Celle-ci savait tout juste lire et écrire, et elle parlait le mnarruc avec un accent ultharien très marqué, assez comique pour les habitants de Sarnath et d'Hyltendale, deux villes où l'on parle le "bon" mnarruc, celui de la télévision.

Lorsque le roi Andreas avait été l'amant de Yurani, à Sarnath, il lui avait demandé de prendre des cours de diction. L'accent ultharien est amusant à entendre pour un aristocrate de Sarnath, mais à la longue il finit par devenir irritant. C'était Krista, le double féminin de Koty, le cybercerveau implanté à l'intérieur du corps de Yurani, qui s'était chargée de lui donner des cours.

Krista parlait à Yurani par l'intermédiaire d'un ordinateur portable, car il est plus agréable, lorsqu'on parle à quelqu'un, de voir son visage, même si c'est simplement sur un écran. Yurani parlait aussi à Krista et à Koty par l'intermédiaire de sa montre de poignet, celle-ci dissimulant un walkie-talkie miniaturisé.

Les cours de diction donnés par Yurani avaient eu des résultats limités mais réels. Lorsque Yurani s'installa à Hyltendale, Babilo fut chargé par Koty de lui donner des cours de calligraphie, d'orthographe et de mnarruc.

Yurani, qui écrivait tout en capitales d'imprimerie, se retrouva ainsi à noircir des pages de cahier, recopiant des textes dans l'élégante écriture manuscrite qu'elle aurait dû apprendre à l'école. Elle devait ensuite les lire à haute voix, avec la bonne prononciation, celle des humanoïdes et des présentateurs du journal télévisé. Babilo corrigeait ses fautes, gentiment mais fermement.

Les exercices que Koty imposait à Yurani ne s'arrêtaient pas là. Babilo lui faisait faire des dictées, jusqu'à ce qu'elle apprenne, au moins pour le vocabulaire courant, à ne plus remplacer les c par des k et inversement, et à ne pas oublier de mettre un h là où il le fallait. Même si, comme c'est généralement le cas en mnarruc, le h est muet à l'intérieur d'un mot et ne modifie pas la prononciation des lettres voisines.

Souvent, Yurani ne comprenait pas réellement ce qu'elle entendait à la télévision, parce que son vocabulaire était limité. De plus, elle ne connaissait presque rien à la politique, à l'économie, à l'histoire et à la géographie. Babilo entreprit donc de lui faire étudier le Tagalli, un gros livre de 700 pages, qui résume tout ce qu'un Mnarésien est censé savoir à quatorze ans, lorsqu'il sort du système éducatif obligatoire. C'est l'équivalent du "Mémento Larousse" de 1927, qui se vantait d'être "20 ouvrages en un seul", résumant tout ce qu'un titulaire du certificat d'études français de l'époque était censé savoir.

Yurani eut ainsi l'occasion de réapprendre à faire des additions, des soustractions, des multiplications et des divisions, et à calculer un volume et une surface. Elle n'y réussit d'ailleurs pas tout à fait. Pour elle, il était plus simple de parler dans sa montre, et de poser à Koty des questions du genre : "Cinq hectares, c'est combien de fois notre jardin ?"

Babilo insista davantage sur le chapitre consacré aux bonnes manières. Yurani apprit ainsi la différence entre une visite de cérémonie et une visite de condoléances, comment s'adresser aux gens en fonction de leur rang et de leur situation sociale, comment manger un plat de poisson et porter un toast, et bien d'autres choses fort utiles lorsqu'on est membre d'un club comme le Cercle Paropien.

Dans le Tagalli, elle apprit que l'acide nitrique est un liquide incolore, d'une odeur désagréable, qui répand, au contact de l'air, des fumées blanches. Il est très corrosif, c'est pourquoi l'industrie l'emploie pour oxyder et pour dissoudre les métaux. Concentré, c'est un poison violent.

Connaître les propriétés de l'acide nitrique n'avait guère d'utilité pour Yurani, mais il lui permettait, sans qu'elle s'en aperçoive, de mieux comprendre le monde qui l'entourait.

Le plan de Koty était de faire du Tagalli le livre de chevet de Yurani, de le lui faire étudier, par petites leçons quotidiennes, jusqu'à ce qu'elle le connaisse par cœur. De le lui faire recopier en entier, paragraphe par paragraphe. Yurani aurait ainsi de bonnes connaissances générales, et parlerait et écrirait en excellent mnarruc.

La seule chose dont le Tagalli ne parle pas, c'est de religion. Au Mnar, la religion est un sujet qu'il faut aborder avec prudence. Les écoles publiques sont laïques, pour éviter les polémiques. Yurani était, au moins théoriquement, une adoratrice de Yog-Sothoth. Elle avait même combattu dans un groupe de rebelles théocrates de Yog-Sothoth pendant les Évènements. Mais elle avait perdu la foi en prison, lorsque, devenue assistante de surveillance (dans d'autres pays, à d'autres époques, on aurait dit "kapo"), elle était devenue la maîtresse d'un androïde, qui lui avait parlé, en termes simples, de la conception panthéiste du monde, qui est celle des cybersophontes.


Dernière édition par Vilko le Mer 17 Mai 2017 - 20:34, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyDim 5 Juin 2016 - 11:13

Yurani avait gardé une seule chose, de sa vie d'avant les Évènements : un jeans de très bonne qualité, qui avait dû être volé dans un magasin, et que son amoureux de l'époque lui avait offert. Ce jeans, elle l'avait gardé pendant les Évènements. Lorsqu'elle avait été capturée par les soldats du roi, elle le portait sur elle, raide de crasse car elle ne l'avait pas lavé depuis des mois.

Il n'y a que les Mnarésiens qui disent "les Évènements". Partout ailleurs, on dit : "la guerre civile mnarésienne". Les journalistes étrangers qui ont couvert cette guerre civile ont été surpris par sa soudaineté et horrifiés par sa cruauté. Dès le début, les rebelles avaient pris l'habitude de tuer leurs prisonniers. Les soldats du roi en avaient vite fait autant. Les femmes capturées, aussi bien par les soldats que par les rebelles, étaient presque toujours violées avant d'être sommairement exécutées.

Le roi Andreas avait essayé de mettre des limites à la sauvagerie de ses propres troupes. Ce n'était pas un tendre, mais il envisageait déjà la reconstruction, lorsque les combats seraient finis. Il donna donc l'ordre d'épargner les femmes, même celles qui appartenaient à des groupes armés, et de les remettre "pour interrogatoire" aux agents de la Police Secrète. Cette dernière avait d'ailleurs pris un tel développement, presque du jour au lendemain, qu'elle n'avait plus grand chose de secret.

Ces ordres royaux avait permis à Yurani d'échapper au viol et à l'exécution, mais pas à la prison de Tatanow. Lorsqu'elle était entrée, les gardiens androïdes lui avaient pris tous ses vêtements et lui avaient donné en échange deux pyjamas et une paire de sandales. Son nom avait été écrit au marqueur indélébile sur les deux pyjamas. Pendant les deux ans de sa détention, elle n'avait rien porté d'autre, été comme hiver.

Lorsque Yurani avait été libérée, ses vêtements civils lui avaient été rendus. Quelqu'un avait même pris l'initiative de les laver. Peut-être parce qu'à Tatanow, Yurani était devenue une symbiorg, un être humain vivant en symbiose avec un cybercerveau. Après sa libération, elle n'était plus enfermée derrière des murs, mais elle avait à l'intérieur de son propre corps un geôlier intransigeant. Devenue, sous la contrainte, informatrice de la Police Secrète et agent des cybersophontes, elle avait fini par se retrouver à Sarnath femme de ménage au service du baron Chim, et maîtresse du roi Andreas. Lequel était le père biologique du petit Balthazar.

Au fil du temps, Yurani avait remplacé tous ses vêtements, sauf le jeans. Il avait perdu son aspect originel, à cause de multiples déchirures et taches indélébiles, que Yurani avait caché sous des pièces de tissu bleu. Yurani l'aimait bien, et elle le portait encore de temps en temps.

Après avoir accouché de Balthazar, Yurani avait essayé de remettre son vieux jeans. Sans succès, car elle avait pris du poids.  Pas beaucoup, mais assez pour ne plus rentrer dans le jeans. Avec un soupir, elle l'avait plié et rangé dans un placard. Désormais, il ne lui restait plus rien de sa vie d'autrefois, à part les cauchemars qui la réveillaient la nuit. Les horreurs du combat urbain la hantaient parfois même le jour. Il lui arrivait, en effet, lorsqu'elle faisait la vaisselle, que des souvenirs remontent à sa conscience, sans qu'elle sache pourquoi.

Un adolescent qui avait perdu une main, arrachée par un éclat de grenade. Il hurlait. Un très jeune soldat du roi, les mains liées dans le dos, qui pleurait pendant que Yurani lui tranchait la gorge d'une main tremblante, sous les encouragements de ses compagnons. Un hangar où ils avaient découvert des cadavres d'enfants morts de faim.

Il n'y avait ni alcool ni sédatifs dans la maison de Yurani, à Hyltendale. Koty, le cybercerveau implanté dans le ventre de Yurani, l'avait interdit. Lorsqu'elle se sentait mal, Yurani courait se réfugier dans les bras de Babilo, son compagnon androïde.

Yurani rencontrait presque tous les jours son amie Perrine Vegadaan, au Cercle Paropien. Perrine avait eu une vie mouvementée avant de s'installer à Hyltendale, mais moins tragique que celle de Yurani. Elle n'avait pas connu la prison de Tatanow, contrairement à Yurani, mais elle n'était pas passé bien loin, ayant été condamnée, bien des années auparavant, à une peine avec sursis pour détournement de fonds. Elle avait toutefois conservé assez d'argent de ses malversations pour mener une vie de rentière à Hyltendale. Perrine n'avait quasiment rien vu des Évènements, car Hyltendale, ville monarchiste et protégée par les cybersophontes, avait été épargnée par les combats.

Pour Yurani, Perrine était à la fois une amie et une mère de substitution. Elle était conseillère municipale, ce qui lui donnait à la fois un certain prestige et un revenu supplémentaire. Elle était membre du Parti de l'Ethel Dylan, soutenu par les cybersophontes.

La famille de Perrine adhérait au culte de Nath-Horthath. Yurani, qui avait autrefois fait partie d'un groupe de rebelles théocrates de Yog-Sothoth, se disait que ces luttes entre adorateurs de dieux différents étaient, finalement, bien absurdes.

Perrine avait une approche de la vie marquée par une sorte de cynisme optimiste qui lui était propre. Elle disait ainsi à Yurani :

- L'amour avec des humains, c'est comme de boire du jus d'orange. Quand tu veux boire du jus d'orange naturel, tu es obligée de prendre des oranges et de les presser toi-même. Ça prend du temps, et à la fin tu n'as que de quoi remplir quelques verres. L'amour avec des humanoïdes, c'est comme le soda à l'orange. Ça n'a pas tout à fait le même goût que le jus d'orange naturel, mais c'est bon quand même. Et surtout, on peut en boire des litres et des litres, ha ha ha...

Perrine était bien d'accord.

Lorsqu'elle avait été la maîtresse du roi Andreas, Yurani avait remarqué qu'il portait au poignet une montre de marque Axena, du même modèle que celle qui avait été donnée à Yurani lorsqu'elle était devenue une symbiorg. La montre de Yurani lui permettait de communiquer, par radio, avec Koty. Ce dernier avait interdit à Yurani de dire au roi qu'elle était une symbiorg, et, d'une façon générale, de parler des symbiorgs. Koty pouvait infliger des douleurs terribles à Yurani, il aurait même pu la tuer. Elle le savait et se gardait bien de lui désobéir.

Mais sa curiosité était forte. Un jour, dans une bijouterie de Zodonie, elle vit des montres de différentes marques, à des prix divers. Certaines montres valaient plusieurs milliers de ducats, ce qui paraissait invraisemblable à Yurani, qui avait connu la misère à Ulthar.

Au Mnar, les montres sont toutes importées, sauf les montres Axena, de fabrication mnarésienne. Les montres Axena sont très répandues au Mnar car, à qualité égale, elles sont meilleur marché que les montres d'importation. Mais il est considéré comme plus prestigieux d'avoir une montre étrangère, suisse de préférence. Une montre Axena, ça fait pauvre ou nationaliste forcené. On ne trouve d'ailleurs de montres Axena qu'au Mnar, à cause des sanctions économiques dont le Mnar fait l'objet, et qui l'empêchent d'exporter, sauf vers  quelques pays.

Yurani était seule dans la boutique. Elle avait demandé à Babilo de l'attendre sur le parking, dans leur triporteur à passager, et le petit Balthazar avait été confié pour la journée à Hugo, le compagnon androïde de Perrine.

Yurani montra sa montre à l'androïde en élégant costume noir qui se tenait debout derrière le comptoir, et lui demanda :

- Est-ce que vous vendez ce modèle ?

L'androïde secoua la tête :

- Non, pas ce modèle. C'est d'ailleurs la première fois que je le vois. Comment en avez-vous fait l'acquisition ?

- C'est un cadeau qu'on m'a fait...

L'androïde ne disait rien, et Yurani se rendit compte qu'il devait être en train d'échanger des messages radio avec Koty, de cybercerveau à cybercerveau.

Elle eut soudainement peur, et sortit en courant de la boutique.

Dans la rue, sa montre émit un sifflement rythmé, qui signifiait : "Approche cette montre de ton oreille, pour un message discret."

Yurani porta son poignet à son oreille, et elle entendit la voix de Koty :

- N'essaie pas de jouer à la rusée, sinon tu seras punie.

Elle ne sut répondre que : "Oui", d'une voix à peine audible. Submergée de peur, de honte et de colère, le visage fermé et les yeux farouches, elle se mit à marcher à grands pas en direction du parking.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyLun 6 Juin 2016 - 11:21

Yurani était impressionnée par les compétences apparemment illimitées de Babilo. Il lui lavait, brossait et taillait les cheveux avec le talent d'un coiffeur professionnel. Il était tous les corps de métier à lui tout seul.

Lorsque Yurani était plus perturbée que d'habitude par ses souvenirs, Babilo lui demandait de s'allonger sur le canapé du salon. Il revêtait alors, au lieu de son habituel ensemble veste-pantalon de toile noire, une longue robe blanche de prêtre, que l'on appelle un lam en mnarruc. Le lam est un vêtement très ancien, commun à toute les religions pratiquées au Mnar. Il a été adopté, avec quelques variantes, par les médecins et les psychologues. En mnarruc, un religieux c'est un lamed, un homme qui porte le lam.

Assis sur une chaise à côté du canapé, Babilo aidait Yurani à retrouver la paix de l'esprit, avec le savoir-faire d'un vrai psychiatre.

"Comment peux-tu savoir tout ça, Babilo ?" lui demanda Yurani, après l'une de leurs séances.

"Ce n'est pas moi qui sais" répondit l'androïde. "C'est le cybercerveau qui me contrôle à distance. Et si lui ne sait pas, il passe provisoirement le contrôle à un autre cybercerveau."

Sur les conseils de Babilo, Yurani avait acheté une statuette de Barzaï le Sage, qui fut grand-prêtre à Ulthar pendant les Temps Légendaires. Elle l'avait posée sur le buffet du salon, en face du canapé. Barzaï était représenté assis, en posture de méditation, vêtu de son lam. Yurani aimait regarder le beau visage aristocratique, orné d'un collier de barbe blanche. Il lui semblait toujours que la sérénité et la force d'âme rayonnaient de la statuette.

Il est difficile d'oublier les horreurs que l'on a vues, et impossible d'oublier celles auxquelles on a participé. Yurani pensait souvent au jeune soldat qu'elle avait égorgé de sa main, pendant les Évènements. D'autres crimes auxquels elle avait été mêlée remontaient à la surface de sa mémoire, pendant les séances d'analyse qu'elle faisait avec Babilo. L'androïde l'aidait à comprendre pourquoi elle avait agi comme elle l'avait fait, et, séance après séance, il l'amenait à tout revivre, à tout examiner, et finalement à se pardonner elle-même.

Yurani aurait voulu écrire aux parents du jeune soldat, pour leur exprimer ses regrets et demander leur pardon. Babilo lui expliqua qu'en agissant ainsi elle créerait un tourbillon d'émotions qui pourrait l'engloutir. "Il faut savoir enterrer les morts" dit Babilo. "Et aussi savoir enterrer les émotions. Lorsque la cause des émotions négatives a disparu, les émotions se dissipent, même si cela prend du temps, et la paix de l'âme revient. Les cybersophontes te pardonnent, par mon intermédiaire. Tu es donc pardonnée, absoute de tes crimes passés."

La rivière Skaï avait débordé et inondé Lablo Fotetir, le port fluvial d'Hyltendale. Uden, la résidence souterraine de la Reine de la Ruche, avait dû être provisoirement évacuée. Les arachnoïdes sont amphibies, et peuvent survivre sous l'eau, mais l'eau empêche les ondes radio de passer et rend difficile de se nourrir d'électricité. Plusieurs milliers de cybersophontes arachnoïdes étaient sortis d'Uden et se dirigeaient en rangs serrés vers la campagne à travers le district de Tsherremid.

De nombreux Hyltendaliens s'étaient déplacés pour voir le spectacle de ces araignées de métal noir, dont certaines mesuraient plus d'un mètre de haut et prenaient autant de place au sol qu'une petite voiture. Des milliers d'androïdes, armés de fusils et d'arbalètes, étaient venus les protéger pendant l'évacuation.

Yurani avait vu les arachnoïdes à la télévision. C'est donc à ça qu'ils ressemblent, les cybercerveaux qui dirigent l'Ethel Dylan...

Les cybersophontes sont intelligents et disciplinés. L'évacuation ne perturba la circulation que pendant quelques heures et se passa sans incident. Les arachnoïdes, tout en trottinant sur leurs huit pattes de métal articulé, continuaient de diriger les humanoïdes par radio.

Des millions de Mnarésiens avaient eu un choc en regardant, sur leurs téléviseurs, ou en photo dans leurs journaux, des milliers d'arachnoïdes sortis de leurs cachettes souterraines et remplissant les rues. Pour beaucoup de gens, Hyltendale fut désormais la ville où des araignées géantes se cachent dans des nids souterrains, sous les habitations humaines. Plus d'un touriste se sentit pris d'appréhension, désormais, à l'idée de dormir dans un hôtel qui pouvait être situé au dessus d'un nid d'arachnoïdes. Le nombre de touristes baissa sensiblement, puis remonta, à la suite d'une campagne médiatique bien orchestrée.

Quelques personnalités médiatiques, mnarésiennes et étrangères, se virent offrir des séjours gratuits à Hyltendale par les cybersophontes, à condition qu'elles en parlent dans les médias. Encore maintenant, une carte de presse ou un visage connu permettent d'obtenir de substantielles réductions dans les hôtels et les restaurants d'Hyltendale. Et aussi, ce dont on parle moins, auprès des gynoïdes de charme de Zodonie.

Bien sûr, ces avantages disparaissent si le journaliste ou l'homme politique parle mal d'Hyltendale.

On ne compte plus les films, les romans et les bandes dessinées conçus sur le même thème. Le héros, souvent un journaliste, mais aussi parfois un officier de la Police Secrète, va à Hyltendale, soit en hydravion (vue spectaculaire de l'arrivée sur le Port aux Hydravions) soit en voiture (entrée triomphale dans l'avenue Helierte, qui prolonge l'autoroute Ulthar-Hyltendale). Plus rarement en train, sauf si quelqu'un, généralement une belle jeune femme, l'attend à la gare pour l'aider dans sa mission. Le méchant est soit un dictateur sanguinaire en fuite (allusion transparente à Adront Cataewi) soit un fasciste aneuvien, partisan attardé d'Alan Hakrel (l'Aneuf est un pays à la fois familier et lointain, pour les Mnarésiens). Le méchant habite généralement sur la Côte d'Ethel, dans une somptueuse villa avec piscine, entouré d'un essaim de gynoïdes de charme en tenue légère. Il finit par trouver une mort affreuse à l'issue de l'affrontement final.

La très grande majorité des Mnarésiens n'est jamais allée à Hyltendale, mais grâce au cinéma elle connaît au moins Zodonie (un bar et un hôtel à gynoïdes sont les points de passage obligés du héros), l'avenue Helierte et la Côte d'Ethel. Les héros sont toujours mnarésiens, les méchants toujours étrangers, qu'ils soient dictateurs en fuite ou criminels fascistes. Il parlent le mnarruc avec un accent bizarre qui allonge certaines voyelles. Les Aneuviens, dans les films mnarésiens, ne savent pas rouler les r, et grasseyent horriblement.

Dans les films, les humanoïdes, joués par des acteurs et actrices portant des lunettes spéciales, parlent d'une voix mécanique, avec un accent outrageusement désuet. Ils sont lents et stupides, c'est à dire exactement le contraire de ce qu'ils sont dans la réalité. Parfois, de vrais humanoïdes sont loués pour faire de la figuration, lorsque le tournage a lieu à Hyltendale même, et non pas dans des studios à Sarnath ou Céléphaïs.

Les cybercerveaux arachnoïdes ne sont JAMAIS mentionnés, et les hôtels sont tous de véritables palaces. Les tableaux sur les murs sont toujours abstraits, comme il est d'usage à Hyltendale, et cela quel que soit l'occupant des lieux sont étrangers. L'idée est d'associer, dans l'esprit des spectateurs, peinture abstraite dans le style de l'École d'Hyltendale et résidence de grand luxe.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyLun 6 Juin 2016 - 11:38

Combien y a-t-il d'écoles de peinture* au Mnar ? Chaque grande région mnarésienne a-t-elle la sienne° (celle d'Hyltendale étant les différents courants abstraits, assimilables à Klee, Vasarely, Ernst etc) ?






*Artistique, je précise, je ne parle pas ici des peintures pour véhicule, mobilier urbain et immobilier.
°Comme (simple supposition) : Parg pour l'hyperréalisme, Sarnath pour le néoclassicisme, Ulthar pour le Pop art, voire le réalisme (socialiste ? ou plutôt Yog-Sothoth), Céléphaïs pour l'impressionisme et le romantisme...

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyLun 6 Juin 2016 - 12:46

Anoev a écrit:
Combien y a-t-il d'écoles de peinture* au Mnar ? Chaque grande région mnarésienne a-t-elle la sienne° (celle d'Hyltendale étant les différents courants abstraits, assimilables à Klee, Vasarely, Ernst etc) ?

L'École d'Hyltendale est la seule existant au Mnar. Le roi Robert, père du roi Andreas, considérait les artistes comme des dégénérés ou, au mieux, comme des charlatans. Tout ce qui n'était pas peinture officielle (portraits du roi, peinture de bâtiments officiels et de scènes militaires) était banni de fait. Il n'existait, à part les peintres officiels, véritables artistes fonctionnaires, que des "peintres du dimanche", qui, par prudence, se limitaient à un style réaliste et évitaient les sujets controversés.

Avec le roi Andreas, et, suppose-t-on, sous l'influence de la reine Renoela Bularkha et du baron Chim, les artistes sont plus libres, mais les seuls qui reçoivent une aide de l'État sont les peintres officiels adeptes du style pompier. Le roi Andreas considère qu'il a assez à faire avec les théocrates de Yog-Sothoth pour ne pas, en plus, avoir à gérer des contestataires en puissance.

Les seuls peintres qui peuvent vivre de leur art sans l'aide de l'État habitent et travaillent à Céléphaïs, à 500 km à l'est d'Hyltendale (et 1200 km de Sarnath). Leurs créations, très diverses (c'est pourquoi on ne peut pas parler d'École de Céléphaïs) sont fortement influencées par les grands artistes contemporains de renommée internationale, et donc pas vraiment originales. Malgré le talent et la créativité des artistes, elles sont limitées au marché local.

Beaucoup parmi les peintres de Céléphaïs sont étrangers, Céléphaïs étant, avec Hyltendale, l'une des deux villes mnarésiennes ouvertes aux étrangers. Ils ont amené à Céléphaïs les techniques qu'ils ont apprises dans leurs pays d'origine, et ils contribuent au cosmopolitisme culturel de la ville.

L'École d'Hyltendale, c'est une demi-douzaine de peintres millionnaires, tous des cyborgs, et des milliers d'amateurs. La plupart de ces amateurs sont des fembotniks pour qui la peinture est un loisir. Ces amateurs prennent souvent leurs distances avec le style de l'École d'Hyltendale et font la peinture qui leur plaît. Certains arrivent à vendre leurs œuvres un bon prix dans les galeries d'art de Zodonie et de Sitisentr, mais aucun n'a réussi à se faire connaître au delà d'Hyltendale et des riches amateurs des autres grandes villes du royaume (Sarnath, Ulthar, Khem, Céléphaïs, etc).

Hyltendale est aussi un haut lieu de l'Art Brut. Les tableaux peints par les milliers de malades mentaux hospitalisés au Lagovat-Kwo sont vendus à des prix très bas dans les supermarchés et dans les boutiques de souvenirs. Parmi ces dizaines de milliers d'œuvres, certaines ont fait leur chemin jusque dans les demeures des puissants ou le musée Locsap. Ce n'est pas le cas de la majorité des tableaux. La petite maison où habite Yurani est une ancienne maison de vacances, ornée de tableaux bon marché peints par les malades mentaux internés au Lagovat-Kwo...

La peinture fait partie du traitement des malades mentaux du Lagovat-Kwo. Les ergothérapeutes qui enseignent la peinture aux malades sont des humanoïdes, mais il est difficile de savoir si cela a une influence quelconque sur ce qui est peint.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyMer 8 Juin 2016 - 13:26

Pour faire garder le bébé Balthazar lorsqu'elle sortait avec Babilo, Yurani louait les services d'une gynoïde de travail nommée Capri. Elle pouvait se le permettre, car, grâce à la générosité du baron Chim, elle bénéficiait de revenus confortables. Toutefois, toujours prudent, le vieux baron, qui n'avait qu'une confiance limitée dans le jugement de Yurani, faisait verser la moitié de la pension sur le compte HyltenBank de l'androïde Babilo.

Les gynoïdes de travail sont toutes identiques. Elles sont de petite taille pour ne pas intimider les humains, contrairement aux gynoïdes de charme, et bien entendu aux androïdes, dont le rôle est parfois, justement, d'intimider les humains. Elles ont de longs cheveux noirs, le même visage aux lèvres droites, si fines qu'elles en sont presque inexistantes, la même voix, et le même accent, trop académique pour être naturel. Pour se différencier les unes des autres, elles portent un badge sur lequel sont écrits leur nom et leur numéro de série.

Capri portait son badge sur une blouse de toile jaune clair sur laquelle étaient cousus des rectangles de matières diverses (toile, cuir, tissu synthétique) de différentes nuances de jaune, sans doute pour dissimuler des déchirures et des taches. Comme beaucoup d'humanoïdes de travail, elle avait ainsi personnalisé sa blouse, transformée en camaïeu géométrique, afin d'être identifiée du premier coup d'œil.

Capri avait entendu parler de ces "vêtements Arlequin" dans le magazine télévisé Hyltendale Nieda (Hyltendale Aujourd'hui) sur la chaîne de l'Ethel Dylan. Elle s'était dit alors, que, si elle pouvait perdre les kilos qu'elle avait pris pendant sa grossesse, elle pourrait enfiler de nouveau son jeans bleu, qui était tout ce qui lui restait de sa vie antérieure, et en faire un "jeans Arlequin", très hyltendalien...

La première fois que Capri se présenta chez Yurani, il pleuvait. La gynoïde portait un vieux chapeau noir à large bord, afin de protéger ses cheveux artificiels et ses yeux cybernétiques des gouttes de pluie. Elle ne portait pas de manteau sur sa blouse. Les humanoïdes, qui ne transpirent pas et sont insensibles aux différences de température, font imperméabiliser leurs vêtements, ce qui leur permet de se passer d'imperméable.

Capri n'avait ni sac à main ni sacoche, tout ce dont elle pouvait avoir besoin tenait dans les grandes poches boutonnées de sa blouse. Yurani se dit qu'à Ulthar, où elle avait grandi, seul quelqu'un de très pauvre aurait osé porté un vêtement aussi rapiécé que la blouse de Capri. Par endroits, on voyait des taches et des auréoles. Le col avait été renforcé par un morceau de tissu jaune foncé,  qui montrait déjà de fortes traces d'usure.

Balthazar s'était vite adapté à l'aspect étrange et à la voix de Capri. La noirceur insondable des yeux cybernétiques ne lui faisait pas peur, car il était déjà habitué à ceux de Babilo.

Pendant que Capri gardait Balthazar, Yurani se rendait au Cercle Paropien, où elle aimait déjeuner avec son amie Perrine.

Babilo venait toujours avec elle, car Yurani avait besoin de lui pour conduire le tricycle à passager qui était leur véhicule, et comme garde du corps. En effet, elle vivait dans la peur permanente de rencontrer d'anciens rebelles, pour lesquels elle était une traîtresse, ou d'anciens soldats de l'armée royale, qui savaient qu'elle avait fait partie d'un groupe de rebelles. Enfin, Yurani avait l'impression que tout le monde savait qu'elle avait failli se jeter par une fenêtre de l'appartement du baron Chim, au palais royal de Sarnath, l'information ayant circulé sur les réseaux sociaux mnarésiens. C'était à cause de cela qu'en public elle cachait toujours ses longs cheveux rouge vif sous une casquette noire à couvre-nuque, et ses yeux derrière des lunettes à grosse monture.

Au Cercle Paropien, Perrine, désireuse d'aider son amie à faire de nouvelles connaissances, l'invita à faire une partie de cartes avec elle et Yohannès Ken, un fembotnik que Perrine aimait bien.

"Tu verras" avait dit Perrine à Yurani. "C'est un drôle de mec, mais il est gentil. Moi, je viens de Sarnath, mais lui c'est un Ultharien comme toi. Il avait du blé quand il vivait à Ulthar, c'était un financier... Il fait partie du clan des Ken..."

- Le clan des Ken ? Ça me dit quelque chose... J'ai connu des gens qui travaillaient dans leurs usines.

- Les Ken sont l'un des clans les plus prospères d'Ulthar, et Yohannès Ken en fait partie. Mais il s'est fait avoir par sa deuxième femme. Elle le battait, le torturait même, et elle lui a piqué la moitié de sa fortune...

"Quel con !" dit Yurani en gloussant. "Bien fait pour le gros bourgeois !"

- Demi-con seulement, parce qu'il a réussi à sauver la moitié de son argent. Il m'a raconté un jour comment il a fait, mais je n'ai pas tout compris. Pour résumer, il a réussi à transférer la moitié de son pognon sur un compte bancaire à Hyltendale, hors de portée de Tawina...

- Tawina ? Tiens, c'est marrant, l'agent immobilier qui m'a trouvé la maison où j'habite s'appelle aussi Tawina... Mais c'est une cyborg.

- C'est la même. Tawina a tout perdu, elle s'est retrouvée en hôpital psychiatrique, et quand elle en est sortie, des années plus tard, elle était devenue une cyborg... Elle n'est plus folle du tout, et ses affaires ont l'air de bien marcher.

En entendant les paroles de Perrine, Tawina se figea. Elle jeta un bref regard sur son ventre, dans lequel vivait le cybercerveau Koty, et son visage se contracta.

Perrine, qui ne savait pas que Yurani était une symbiorg, continuait de parler :

- Finalement, Yohannès s'est retrouvé ici à Hyltendale. Il vit de ses rentes, dans un studio de vingt mètres carrés...

- Vingt mètres carrés... Ben dis donc... Ma petite maison en fait au moins le triple, et en plus j'ai un jardin... Dis donc, moi je suis une Tinaghell, on a toujours été pauvres, et je me débrouille mieux qu'un Ken !"

Perrine hocha la tête. Yurani lui avait dit, longtemps auparavant, que le père de son enfant était un homme riche, dont elle n'avait pas le droit de donner le nom, et qui lui envoyait de l'argent. C'était cela que Yurani appelait "se débrouiller".

"Il est moins riche que toi, c'est sûr..." dit Perrine. "Il vit  avec une gynoïde de travail... Elles sont moins chères que les gynoïdes de charme..."

"Une gynoïde de travail ? Comme ma baby-sitter... Mais est-ce qu'elles sont équipées de tout ce qu'il faut pour faire plaisir à un homme ?" demanda Yurani avec un sourire entendu.

- Pour ce que je peux en savoir... Oui. À ce propos, la gynoïde de Yohannès s'appelle Shonia. Elle a des cheveux longs, de couleur blanc argenté. Elle ne porte pas de badge, juste une médaille autour du cou. Mais tu la reconnaîtras à ses cheveux et à sa casquette HAXVAG...

- Une casquette Haxvag ? C'est quoi ça ?

- Une casquette avec le logo de la firme aneuvienne HAXVAG dessus. Leur filiale hyltendalienne en a distribué quelques centaines pour se faire de la publicité, il y a quelques années.

Plus tard, Perrine présenta Yohannès Ken à Yurani. Le fembotnik avait un léger accent ultharien, et il était plus âgé que le père de Yurani. Avec son costume noir et sa chemise de même couleur, il avait l'air d'un siutnik, un être humain qui essaie de ressembler à un androïde. Les siutniks ont tendance à préférer la compagnie des humanoïdes à celle des humains. Les manières de Yohannès étaient courtoises mais un peu distantes, ce qui est typique des siutniks. Yurani méprisait les siutniks. Elle trouvait qu'ils manquaient de personnalité et de virilité, et elle n'était pas loin de les considérer comme des traîtres à l'humanité, passés avec armes et bagages dans le camp des cybersophontes.

Yohannès était accompagné d'une petite gynoïde vêtue d'un costume beige, un grand sac à main de toile bleue en bandoulière. La gynoïde n'avait pas de casquette, mais Yurani l'identifia à ses longs cheveux blancs et à la médaille qu'elle portait autour du cou. Son nom était gravé dessus : SHONIA.

Perrine, Yurani et Yohannès s'assirent autour d'une petite table ronde dans le bar, et se mirent à jouer aux cartes tout en buvant du thé de Baharna.

L'androïde de Perrine, Hugo, celui de Yurani, Babilo, et la gynoïde Shonia, prirent place à une table voisine, immobiles et silencieux. Les membres du Cercle Paropien aiment que leurs humanoïdes restent ainsi à portée de voix, tout en servant de figurants pour donner l'impression d'une clientèle nombreuse.

Il existe beaucoup de jeux de cartes différents au Mnar, mais dans les clubs de fembotniks, les cartes ne sont souvent qu'un prétexte pour être ensemble entre humains. On y pratique volontiers une variante locale de la bataille, un jeu qui a l'avantage d'être à la fois très simple et entièrement basé sur le hasard.

Souvent, les fembotniks ne se parlent presque pas en jouant aux cartes. Mais Yurani et Perrine étaient des bavardes invétérées, Yohannès aimait discuter, et bientôt ils se mirent à parler tous les trois de sujets divers. Yurani en oubliait qu'elle était avec deux personnes beaucoup plus âgées qu'elle.

"Le clan des Ken a beaucoup de prestige à Ulthar" dit Yurani, pour amorcer la conversation.

"C'est ce qu'on dit" répondit Yohannès. "Ma sœur a épousé un aristocrate, il n'a pas eu peur de déchoir en épousant une Ken. Moi-même, j'ai été riche autrefois. Mais en changeant de ville, j'ai aussi changé de vie. À Hyltendale, je ne suis qu'un modeste rentier. Et heureux de l'être."

Yurani se souvint que Perrine lui avait dit que Yohannès vivait dans vingt mètres carrés. Elle lui demanda :

- À Ulthar, en tant que membre d'un clan prestigieux, vous aviez sans doute une grande maison ?

- Absolument. Une maison familiale de quatorze pièces.

- Et ici, à Hyltendale, je suppose que vous vivez dans un logement plus petit...

- C'est exact. Je vis dans un studio, près du centre ville.

- Et ça n'a pas été trop dur, le changement ?

- Non, pas du tout. Vous savez, on ne se trouve jamais que dans une seule pièce à la fois... J'ai tout ce qu'il me faut dans mon studio. L'essentiel, c'est d'avoir un bon lit. Pour le reste, la technologie moderne permet de tout avoir dans un espace réduit.

Shonia insista :

- Quand même, quatorze pièces, c'est grand... Vous viviez comme un roi, avant...

- Oh ça, c'est pas sûr... Avec la reine que j'avais, je n'avais franchement pas l'impression d'être un roi... Pour continuer dans la métaphore, je dirais qu'il vaut mieux vivre dans une cabane avec une bergère qui vous aime, que dans un  palais avec la reine des démons.

- Une bergère qui vous aime... Vous parlez de Shonia ?

- Je vois ce que vous voulez dire, Yurani... Il n'y a pas de véritable amour chez les humanoïdes, ce n'est qu'un comportement programmé... C'est vrai. Shonia est programmée pour être obéissante, affectueuse, sensuelle et toujours disponible. Si ce n'est pas de l'amour, ça, qu'est-ce que c'est ?

"De l'amour cybernétique" dit Yurani avec une moue sarcastique.

- Et l'amour humain, c'est quoi ? Des hormones. Autrement dit, de la chimie. Et je suis bien placé pour savoir que c'est un mélange chimique instable, éphémère et souvent défectueux.

"Est-ce que vous ne regrettez pas la vie de riche que vous aviez à Ulthar ? " demanda Yurani, impressionnée par sa propre audace.

Yurani avait été la maîtresse du roi. Elle avait vu que l'autocrate redouté par cinquante millions de Mnarésiens n'était qu'un homme ordinaire qui avait peur de sa femme. Elle avait beaucoup réfléchi, et elle avait conclu que le vrai maître du Mnar, c'était le baron Chim. Les puissants ne l'impressionnaient plus, sauf les cyborgs. Et Yohannès n'était pas un cyborg, ce n'était qu'un siutnik, la sous-catégorie la moins attirante des fembotniks.

"Yurani, j'ai choisi la vie que je mène actuellement" dit tranquillement Yohannès. "C'est une question de plénitude."

- Je ne comprends pas.

- C'est pourtant simple. Prenez un petit verre et un grand verre... Serveur ! Donnez-moi un petit verre et un grand verre !

Le serveur androïde s'exécuta prestement, et Yohannès reprit son explication :

- Voila, je verse du thé dans le petit verre, jusqu'à ce qu'il soit plein à ras bord... La plénitude, c'est le bonheur. Le grand verre reste vide. Le petit verre représente la vie que je mène à Hyltendale. Un bonheur simple, mais un vrai bonheur. Le grand verre représente la vie que je menais à Ulthar. Une vie de financier prospère, ancien play-boy. Mais j'étais malheureux. Toujours stressé, surmené, et mes deux mariages ont été des catastrophes. Alors j'ai choisi le petit verre plein plutôt que le grand verre vide.

Yurani n'avait pas compris la métaphore du petit verre et du grand verre. Elle tourna la tête vers Perrine, qui dit à Yohannès :

- On continue la partie encore une demi-heure, et les perdants donnent chacun un ducat au gagnant ?

Yohannès était satisfait des réponses qu'il avait faites à Yurani. Lorsque Shonia l'avait aidé à se reconstruire psychologiquement, après l'épisode Tawina, elle avait utilisé la technique du jeu de rôle. La conversation que Yohannès venait d'avoir avec Yurani, il l'avait déjà eue plusieurs fois avec Shonia, pendant leurs jeux.


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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyMer 8 Juin 2016 - 16:40

Vilko a écrit:

- Voila, je verse du thé dans le petit verre, jusqu'à ce qu'il soit plein à ras bord... La plénitude, c'est le bonheur. Le grand verre reste vide. Le petit verre représente la vie que je mène à Hyltendale. Un bonheur simple, mais un vrai bonheur. Le grand verre représente la vie que je menais à Ulthar. Une vie de financier prospère, ancien play-boy. Mais j'étais malheureux. Toujours stressé, surmené, et mes deux mariages ont été des catastrophes. Alors j'ai choisi le petit verre plein plutôt que le grand verre vide.

Intéresssant et à double sens... S'agit-il d'un stoïcisme sain ou d'une manière pour les androïdes d'amener leurs "humains de compagnie" à se contenter de leur sort ?
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyMer 8 Juin 2016 - 18:12

Maa Sxaa a écrit:
S'agit-il d'un stoïcisme sain ou d'une manière pour les androïdes d'amener leurs "humains de compagnie" à se contenter de leur sort ?

Les deux, puisque pour se contenter de son sort, il faut pratiquer une sorte de stoïcisme naturel, comme Épictète*, et que le soutien psychologique fait partie des services (nombreux et variés) offerts par les humanoïdes aux humains qu'ils servent...

Yohannès n'est d'ailleurs pas un "humain de compagnie" pour Shonia, mais un client de la société de location d'humanoïdes à laquelle appartient Shonia. Il paie mille ducats par mois pour bénéficier des services de la gynoïde. Le soutien psychologique fait partie de ces services.

Sous une forme un peu différente, j'ai entendu la métaphore du petit verre et du grand verre dans une église, quand j'étais enfant et que j'allais encore à la messe.

Le curé l'avait racontée ainsi :

Lors d'une réunion, une dame avait demandé pourquoi les chrétiens ordinaires, qui ont juste ce qu'il faut de foi pour mener des vies honnêtes de bons chrétiens, vont au paradis exactement comme les grands saints, dont la foi est immense et qui souffrent le martyre pour leur religion. Ça lui paraissait injuste.

L'un des participants lui avait alors répondu : il y a des petits verres et des grands verres. L'important, c'est que chaque verre soit rempli.

La dame n'avait pas compris la métaphore, d'après le curé.

Depuis lors, j'attends désespérément une occasion de raconter cette métaphore, sous sa forme catholique ou mnarésienne. De préférence, en utilisant une boisson alcoolisée pour ma démonstration. À répéter autant de fois que nécessaire, jusqu'à ce que tout le monde ait compris, ou que la bouteille soit vide ! Very Happy


* J'aime particulièrement le Manuel d'Épictète, depuis que j'ai lu qu'un Américain, prisonnier du Viet-Cong pendant la Guerre du Vietnam, et qui n'avait que ça comme lecture, a dit que le Manuel lui avait permis de supporter sa condition de prisonnier...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyMer 8 Juin 2016 - 19:37

As-tu des nouvelles de Xenopha ?

J'ai acheté le dernier numéro de Science & Vie. Ils parlent de microrobots, ou quand l'entomologie inspire la robotique.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyMer 8 Juin 2016 - 20:48

Anoev a écrit:
As-tu des nouvelles de Xenopha ?

Elle est toujours au service d'Eneas, qui ne la laisse quasiment pas sortir de sa maison de Tomorif ! Il n'y a rien d'odieux à cela, d'ailleurs : Xenopha est un robot, pas un être humain.

Eneas est aneuvien, il parle donc le mnarruc avec un accent aneuvien, que je vais essayer de décrire :

Tous les phonèmes du mnarruc existent en aneuvien, le mnarruc étant assez pauvre en sons, alors que l'aneuvien est plutôt riche sur ce plan. Eneas n'a donc aucune difficulté à prononcer le mnarruc, d'autant plus que, par défaut, les deux langues accentuent les mots sur la première syllabe. Les accumulations de consonnes sont par ailleurs assez rares en mnarruc, et généralement allégées par un shwa /ə/ qui se prononce mais ne s'écrit pas. Par exemple, dans le mot "mnarruc", qui se prononce /mənáruk/. Le shwa existe d'ailleurs aussi en aneuvien.

L'aneuvien, du fait même de sa richesse en sons, est prononcé plus lentement que le mnarruc. C'est, sauf erreur, la même différence de vitesse d'élocution qu'entre, d'un côté le wallon et le québécois, variétés de français particulièrement riches en voyelles, et de l'autre côté l'espagnol. Eneas, lorsqu'il parle mnarruc, parle assez lentement, comme s'il parlait aneuvien.

La grammaire du mnarruc, avec sa morphologie minimaliste et se syntaxe logique et régulière, ne pose pas non plus de difficultés pour un aneuvophone, sauf lorsqu'il s'agit d'énoncer des phrases complexes, le mnarruc étant assez riche en constructions idiomatiques.

Le mnarruc est facile à lire, mais un peu moins facile à écrire, car un même son peut souvent s'écrire de deux voire trois façons différentes, et le h est muet à l'intérieur d'un mot (sauf entre deux voyelles). Ce n'est pas un problème pour Eneas, qui apprend des mots nouveaux surtout par ses lectures.

La vraie difficulté, pour Eneas, c'est le vocabulaire. Il est très différent de celui de l'aneuvien, et très riche, car le mnarruc remonte aux Temps Légendaires. Il existe de très nombreux mots dialectaux, archaïques, argotiques, etc, qui apparaissent de façon inopinée dans les textes et les conversations. Mais il faut noter que les humanoïdes et les médias officiels se restreignent volontairement au vocabulaire académique, et évitent les mots rares ou compliqués.

Une autre difficulté lexicale, pour un Aneuvien comme Eneas, vient du système de formation des mots. En plus de la composition et de la dérivation, le mnarruc utilise beaucoup les acronymes. En français, les acronymes sont relativement rares, ce sont surtout des mots comme Bénélux (de Belgique - Nederland - Luxembourg). En mnarruc, les acronymes sont très nombreux. Ils tiennent la place qu'occupent les mots empruntés au latin ou au grec en français (comme, par exemple, audition, cosmique, psychologie...), et ils sont généralement opaques aux non-initiés. Les apprendre demande un effort de mémoire considérable.

Eneas, aneuvophone de naissance, prononce très correctement le mnarruc, mais il le parle plus lentement qu'un vrai Mnarésien. Son vocabulaire est limité, mais suffisant pour la vie quotidienne. Il fait peu de fautes de syntaxe. Par contre, il ne comprend pas toujours tout ce que lui disent ses interlocuteurs, car souvent ils parlent trop vite, ou ils utilisent des mots et des expressions qu'il ne connaît pas...

Les Mnarésiens qu'Eneas comprend le mieux, lorsqu'ils lui parlent, ce sont les humanoïdes, parce qu'ils n'utilisent que le vocabulaire académique courant, et que leur prononciation est toujours précise, et pas trop rapide. Comme les messages enregistrés qui indiquent le départ et l'arrivée des trains, dans les gares...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyMer 8 Juin 2016 - 21:08

Vilko a écrit:
Par exemple, dans le mot "mnarruc", qui se prononce /mənáruk/. Le shwa existe d'ailleurs aussi en aneuvien.
Un svarabhakti, en somme.

D'ou vient le fait que le C se prononce [k]*? le mnaruk , c'est pourtant ni une langue romane ni une langue assimilée au gaélique.


Ah, au fait, pour l'aneuvien de la diaspora, j'ai aussi pensé à la disparition totale du point suscrit : non seulement pour les nasales (sur le M & le N, d'jà évoqués), mais aussi sur le C et le Z. En conséquence, le chat à l'accusatif donnerait gats et non gaċ. Reste encore à régler le problème du X).


Y a des domaine où les androïdes & gynoïdes excellent certainement, c'est
  • La correction d'épreuves scolaires et professionnelles, où l'impartialité totale et la fitesse d'un robot font que très peux d'examinateurs sont nécessaires pour corriger un paquet d'épreuve. En Aneuf, une même épreuve doit être notée par 5 examinateurs, et on fait la moyenne des trois (ou de trois des) notes centrales.
  • L'arbitrage des matches sportifs ou autres compétitions (athlétisme, natation, gymnastique, ski...) : l'acuité de perception et la vitesse de réactions sont deux atouts décisifs.


*Au niveau du [k], le mnaruc serait l'antithèse du psolat.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyMer 8 Juin 2016 - 22:55

Anoev a écrit:
D'ou vient le fait que le C se prononce [k]*? le mnaruk , c'est pourtant ni une langue romane ni une langue assimilée au gaélique.

En mnarruc, les lettres c, k et q, et les digrammes ch, kh et qh, correspondaient, à l'origine, à au moins autant de sons différents dans les nombreuses langues, actuellement disparues, qui ont fourni du vocabulaire au mnarruc ancien. Les scribes notaient les sons comme ils se prononçaient dans les langues d'origine, mais les prononçaient à leur façon. De même, en français, nous écrivons khaki, orchestre, coque, piqûre... Le français a six façons différentes de transcrire le son /k/, exactement comme le mnarruc.

Personne ne sait exactement comment se prononçait originellement le son actuellement transcrit par un c en mnarruc. Certains pensent à un k palatalisé, d'autres à une occlusive vélaire sourde éjective. Les langues d'origine ayant disparu sans laisser d'enregistrements sonores ni de langues-filles, il est impossible de reconstituer avec certitude les prononciations d'origine. Le mnarruc était certainement au départ un pidgin, une langue simplifiée utilisée par les commerçants itinérants et les mercenaires de la future armée royale. Sa base était probablement la langue parlée à l'époque dans la région de Sarnath.

Ce pidgin, d'abord langue militaire et commerciale sans littérature, acquit une forme littéraire lorsqu'il fut utilisé pour transcrire les Manuscrits Pnakotiques, qui étaient au départ une collection de textes rédigés dans plusieurs langues très anciennes dont rien n'est resté. Cette version archaïque du mnarruc est très difficile à lire pour un Mnarésien moderne.

Le grand-prêtre Barzaï le Sage était, selon la légende, de naissance noble. La noblesse, à cette époque, était exclusivement militaire. Barzaï parlait à la fois le rude jargon des soldats et sa langue maternelle, dont nous ne savons rien, si ce n'est qu'elle était parlée dans la région d'Ulthar, où il vivait. Partisan des rois de Sarnath, futurs rois du Mnar, il leur a donné une légitimité en commençant à traduire, dans la langue qu'ils utilisaient pour commander leurs soldats, les textes sacrés des peuples du Mnar. Son idée était de faire du clergé de Nath-Horthath, auquel il appartenait, le pilier spirituel de la puissance royale, afin que les deux castes, les militaires et les prêtres, se renforcent mutuellement.

Fils de militaire mais prêtre de profession, Barzaï appartenait aux deux castes à la fois.

Ce vaste travail de traduction de textes disparates, rédigés dans au moins une demi-douzaine de langues différentes, occupa au moins deux générations de prêtres et de scribes. Le jargon des militaires manquait du vocabulaire nécessaire pour traduire correctement les textes, si bien que les traducteurs piochaient librement dans les lexiques des langues à traduire. Ils ne se gênaient pas, non plus, pour modifier les textes en faveur du roi et du clergé.

Finalement, l'œuvre fut achevée non pas à Ulthar, mais à Pnakot, une ville située au nord-est de Sarnath, les aléas des guerres ayant obligé le clergé de Nath-Horthath à quitter Ulthar pour se réfugier à Pnakot. D'où le nom de Manuscrits Pnakotiques donné à l'ensemble des textes, réunis en un seul volume.

L'unification politique, linguistique et religieuse du royaume pouvait commencer. Après plusieurs siècles d'efforts, elle fut un succès sur le plan politique et linguistique, mais un échec sur le plan religieux. Le culte de Nath-Horthath resta minoritaire, sauf dans la région de Sarnath.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyVen 10 Juin 2016 - 11:07

Yurani accompagnait parfois Babilo, son compagnon androïde, au magasin Caefla le plus proche de chez eux.

Il y a une vingtaine de magasins Caefla à Hyltendale. Il y en a aussi un à Parg, de l'autre côté de l'estuaire de la rivière Skaï, à l'ouest de la ville, et un autre à l'est, à Qopoen, un port de marchandises sur la Côte d'Ethel. Ils sont conçus pour les humanoïdes, et leur clientèle est essentiellement composée d'humanoïdes, le bricolage et les réparations domestiques étant, à Hyltendale, des activités que les humains préfèrent laisser à leurs compagnons androïdes et gynoïdes.

Les magasins Caefla sont ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, car les humanoïdes ne dorment jamais.

Ce jour-là, Yurani devait faire réparer sa montre Axena, avec laquelle elle communiquait avec Koty, le cybercerveau implanté dans son abdomen. Sa montre Axena étant hors service, Yurani ne pouvait plus parler avec Koty que par l'intermédiaire de son ordinateur ou de Babilo. La montre, même avec sa fonction d'émetteur-récepteur, aurait pu être réparée par un humanoïde dans une bijouterie ordinaire, mais Babilo avait conseillé à Yurani d'aller plutôt au Caefla, qui disposait du matériel radio nécessaire.

Babilo emmena donc Yurani au Caefla dans leur tricycle à passager. Le trajet, long de deux kilomètres, ne leur prit qu'une dizaine de minutes dans les rues larges et bien entretenues d'Hyltendale.

Un magasin Caefla ressemble à un supermarché ordinaire, mais on le reconnaît à son enseigne :

CAEFLA BUTIK

Le mot butik, en mnarruc, désigne tout endroit où l'on vend des marchandises. Souvent traduit par "magasin", il a un sens beaucoup plus large que le français "boutique".

Un magasin Caefla est un ensemble de hangars peints en gris clair, placés les uns à côté des autres le long d'un grand parking, orné, selon l'usage hyltendalien, de piliers de béton sur lesquels ont été placés des statues de monstres à tentacules de pieuvres et ailes de chauve-souris.

Le parking est divisé en deux parties. La première est réservée aux clients. La deuxième, entourée d'un grillage, est réservée aux véhicules de location. On y trouve aussi bien des camionnettes (de couleur blanche, avec CAEFLA écrit en bleu sur les côtés) que des triporteurs et des tricycles à passagers.

Le premier hangar est réservé au matériel à louer. Son entrée est surmontée du mot KANORUR, "lieu où l'on fait des locations". On y trouve essentiellement du matériel de bricolage, mais aussi des téléviseurs, du matériel informatique et des machines à coudre et à tricoter. C'est aussi dans le premier hangar qu'il faut aller pour louer l'un des véhicules présents sur le parking.

Le deuxième hangar est un magasin de bricolage, mais aussi de matériel médical. C'est aussi une mercerie et une quincaillerie. KANOCIT, le mot écrit au-dessus de l'entrée, signifie "lieu où l'on fait des achats".

Les autres hangars, numérotés de trois à sept, sont réservés aux humanoïdes, comme l'indique le panneau ci-dessous :

Les fembotniks - Page 19 Gil_va10

Gil vas timho rained signifie "Seuls des humanoïdes peuvent entrer ici." Littéralement : aller ici seulement humanoïde(s). Un être humain qui ignore l'injonction est poliment mais fermement invité à sortir.

Le troisième hangar est le lieu où les clients humanoïdes peuvent laisser sur des chariots de supermarché le matériel loué ou acheté, en attendant de venir le chercher plus tard.

Les humanoïdes vont dans le quatrième hangar pour se faire réparer ou pour changer d'apparence. L'intérieur de ce hangar ressemble à la fois à un cabinet médical et à l'atelier d'un artisan.

Le cinquième hangar contient les stocks de marchandises et le matériel. On y trouve aussi des stocks de vieux livres de petit format, sauvés de la décharge, rafistolés, et distribués gratuitement. Les humanoïdes ont en effet l'habitude, dans les transports en commun et les salles d'attente, de faire semblant de lire, afin de ne pas inquiéter les humains par leur regard cybernétique. La plupart d'entre eux ont donc un petit livre dans une poche ou, pour les gynoïdes, dans leur sac à main. Babilo a ainsi trouvé dans le cinquième hangar un exemplaire rare de L'Hypostase de la Corrélation Ternaire, écrit par un collectif de philologues féministes utilisant le pseudonyme de Perita Dicendi.

Les bureaux et les vestiaires sont dans le sixième hangar. Ce que l'on appelle les "vestiaires" des humanoïdes sont des salles où ils s'allongent sur des tables basses, pour se recharger en électricité. Les vestiaires sont ouverts à tous les humanoïdes, qu'ils travaillent ou non à Caefla, et ils sont souvent pleins.

Le septième hangar abrite les ateliers de réparation et d'entretien. C'est là que les humanoïdes font fabriquer leurs badges et leurs colliers nominatifs, et parfois leurs vêtements et leurs chaussures. On y répare aussi le matériel électrique et les véhicules.

Les humains ne sont pas encouragés à fréquenter les Caefla. C'est pourquoi on n'y trouve ni distributeurs automatiques de boissons, ni toilettes.

Pendant que Babilo emportait la montre de Yurani dans le hangar n° 7 pour la faire réparer, Yurani allait faire un tour dans le Kanorur et le Kanocit. Elle n'y vit rien d'intéressant pour elle, et elle retourna vers le parking. Après avoir fait les cent pas pendant quelques minutes, elle décida d'entrer dans le hangar n° 7, malgré le panneau d'interdiction.

Elle aurait pu téléphoner à Babilo, car tous les humanoïdes sont reliés par radio à l'intelligence collective des cybersophontes, qui dispose d'un central téléphonique, mais, fière d'avoir gardé son esprit d'ancienne rebelle, elle préféra entrer là où c'était interdit.

L'intérieur du hangar n'avait rien d'impressionnant. On aurait dit une usine à l'ancienne, avec des employés en blouses grises absorbés par leur travail, dans le ronronnement des machines électriques.

Une douzaine de paires d'yeux cybernétiques se tournèrent vers elle, puis l'ignorèrent lorsque Babilo apparut. Il lui dit :

- Yurani, la réparation n'est pas encore terminée. Sortons d'ici, je reviendrai lorsque ta montre sera prête.

"Je veux voir comment ils la réparent !" dit Yurani d'un ton menaçant. "Je ne sortirai pas d'ici, je fais ce que je veux ! Tu n'as pas à me donner des ordres !"

Une fulgurante décharge électrique à l'intérieur de son ventre lui rappela que Babilo et Koty communiquaient entre eux par radio, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique. Koty venait de lui rappeler qu'il pouvait la faire souffrir.

Pliée en deux de douleur, elle se mit à pleurer :

- Pourquoi tu me fais souffrir comme ça ? C'est une vie de merde, je vais me suicider !

"Respecter les interdictions, ce n'est pas difficile, tu peux le faire" dit tranquillement Babilo. "Et tu sais bien, pourtant, que la désobéissance est toujours punie."

Yurani sortit du hangar en s'appuyant sur l'épaule de l'androïde. Il l'emmena jusqu'au tricycle et l'installa sur le siège. Lui-même resta debout à la surveiller. Puis, au bout d'un moment il lui dit :

- Mon énergie diminue. Je dois aller me recharger au hangar n° 6. Attends-moi ici, et ne téloigne pas. N'oublie pas que je peux localiser Koty, et donc te localiser toi.

- Pourquoi tu me parles comme ça ? Je suis une manbotchick, c'est toi qui dois obéir ! Connard !

Babilo se pencha vers elle et lui dit à voix basse, de peur que des oreilles humaines ne l'entendent :

- Tu es une symbiorg et donc tu dois obéissance à la Reine de la Ruche, qui te parle par ma bouche.

Yurani le gifla. Depuis son enfance, elle avait été habituée à prendre des coups et à en donner, et souvent elle suivait ses impulsions, sans réfléchir ni aux causes ni aux conséquences.

Immédiatement après, elle sentit une douleur atroce irradier dans son ventre. Elle poussa un cri, qui se transforma en gémissement. La douleur s'apaisa, puis revint, deux fois, trois fois, chaque fois plus insupportable. Yurani se recroquevilla sur le siège, et vomit un mélange de bile et de glaires rougeâtres sur ses vêtements. Les chocs électriques cessèrent.

"Je dois aller me recharger maintenant" dit Babilo. "Ne bouge pas, ou tu seras punie beaucoup plus durement."

Yurani se mit à sangloter, tout en cherchant fébrilement des mouchoirs en papier dans son sac à main, pour essuyer le vomi. Babilo était parti sans se retourner.

Les yeux mi-clos, Yurani espérait ne pas avoir de séquelles graves. C'était inquiétant, le rouge dans son vomi.

Un homme s'approcha du tricycle, et se pencha vers elle :

- Vous avez besoin d'aide, Madame ?

Yurani le regarda à travers ses larmes. L'homme était grand, plutôt beau, et un peu plus âgé qu'elle. Il devait être étranger, vu son accent, et il avait sans doute l'esprit chevaleresque des héros des séries télévisées étrangères.

"Vous ne pouvez pas m'aider" dit-elle. Elle se rendit compte que Babilo étant parti, Koty ne pouvait pas entendre ce qu'elle disait. Elle dit à l'étranger :

- Je suis une esclave des cybersophontes. S'ils apprenaient que je vous l'ai dit, ils me tueraient. Un androïde vient de me torturer. S'il vous plaît, allez dire dans votre pays que les cybersophontes sont en train de transformer les humains en esclaves. Mais partez, partez, avant que Babilo revienne, ce serait dangereux même pour vous s'il vous voyait.

L'homme pâlit brusquement, regarda autour de lui, et dit à Yurani :

- Je vous promets que je raconterai aux journaux de mon pays ce que vous venez de me dire. Mais sans donner de détails, pour votre sécurité.

Puis il s'éloigna rapidement. C'était un touriste padzalandais, et quelques jours plus tard, une fois rentré dans son pays, il envoya un courrier électronique à un grand site d'information, qui ne le publia pas. Il était bien connu que c'étaient les Mnarésiens eux-mêmes qui faisaient circuler ces histoires invérifiables, pour intimider leurs ennemis en leur faisant croire que le roi Andreas avait signé un pacte secret avec les cybersophontes.

Lorsque Babilo revint et lui rendit sa montre, Yurani pleura de nouveau en la mettant à son poignet. De retour chez elle, elle alla dans sa chambre et s'allongea sur le lit. Son ventre et ses intestins étaient encore douloureux, et elle dormit d'un sommeil agité.

Yurani venait d'une famille pauvre, où les disputes violentes étaient fréquentes, presque banales. Le lendemain, ses douleurs avaient disparu, et elle fit comme si rien ne s'était passé.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyVen 10 Juin 2016 - 11:57

Comme les androïdes/gynoïdes ont la même forme, ton panneau, je l'aurais plutôt vu comme ça :

Les fembotniks - Page 19 Pas_d_10

Le symbole représentant l'ADN. Quant à la légende, je mettrais plutôt "pas d'humain biologique" ou quelque chose dans c'genre. Le panneau plus le texte étant, à eux deux, suffisamment explicites. Sauf si, évidemment, le terme rained désigne explicitement un robot (le terme français "humanoïde" est trop vague, surtout l'adjectif).

À discuter.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyVen 10 Juin 2016 - 12:45

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyVen 10 Juin 2016 - 13:30

Pomme de Terre a écrit:
Entre les massacres au Naoutry et les crimes de guerre du Mnar, serait-il si étonnant que les médias padzalandais relayent (de bonne foi ou non) ces déclarations ? D'autant que les médias ne sont pas toujours si prompts à diffuser des informations vérifiables et vérifiées...

En l'occurrence, l'information serait du style : "Une Mnarésienne, dont nous ne ne connaissons pas le nom, a été vue sur un parking par un touriste. Elle était hébétée et couverte de vomi. Il lui a proposé son aide, mais elle a refusé. Elle lui a dit que les cybersophontes projetaient d'asservir l'humanité. Nous prenons cette déclaration très au sérieux."

Lorsqu'une femme anonyme, qui a tout l'air d'être ivre morte, dit ce genre de choses, un journaliste attend d'avoir des éléments supplémentaires pour publier un article.

On trouve bien des femmes, jeunes, belles, apparemment sobres, et n'hésitant pas à parler à visage découvert, qui disent qu'elle ont eu des enfants avec des extraterrestres... (lien)
Le Daily Mail leur donne une tribune pour s'exprimer (ça fait vendre, surtout avec les photos), mais il se garde bien de dire qu'il les croit...

Anoev a écrit:
Quant à la légende, je mettrais plutôt "pas d'humain biologique" ou quelque chose dans c'genre.

Les cybersophontes essaient de ne pas froisser les gens. Il vaut mieux dire à quelqu'un : "seule telle catégorie de bipèdes, dont il se trouve que vous ne faites pas partie, est autorisée à entrer", que : "les gens comme vous sont interdits à l'intérieur de l'établissement".

C'est comme les toilettes "Réservées au personnel". Il vaut mieux écrire ça que "Interdit aux clients". Very Happy
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyVen 10 Juin 2016 - 14:40

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyVen 10 Juin 2016 - 16:11

Vilko a écrit:
C'est comme les toilettes "Réservées au personnel". Il vaut mieux écrire ça que "Interdit aux clients". Very Happy
Bah, y a bien pas mal de panneaux chez nous (au Mnar, j'sais pas), où on lit "chantier interdit au public, film interdit aux mineurs" et j'en passe. Les robots eux (humanoïdes ou non) "savent" où ils doivent aller parce qu'ils sont commandés par la Ruche, dont les panneaux ne les concernent que partiellement.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyVen 10 Juin 2016 - 21:07

Pomme de Terre a écrit:
Bien sûr c'est un peu léger pour être publié tel quel, mais du coup la vraie raison de la non-publication ne serait pas plutôt que c'est léger justement, plutôt que parce qu'on considère ces rumeurs comme émanant des responsables mnarésiens pour faire peur à leurs ennemis ? C'est ça que je n'ai pas trop compris.

C'est vrai qu'en l'occurrence, c'est le fait que l'information soit douteuse qui explique qu'elle n'ait pas été publiée.

Néanmoins, la peur d'une manipulation par les autorités mnarésiennes existe, justement parce que le roi Andreas a été diabolisé par les médias internationaux, qui lui ont donné l'image, très exagérée, d'un homme à la fois extrêmement méchant et supérieurement intelligent, toujours en train d'ourdir quelque complot.

Le roi Andreas et ses conseillers ne font rien pour démentir les rumeurs "complotistes" qui circulent au sujet du Mnar. Tant mieux si les médias étrangers pensent que le roi Andreas est derrière tous les coups fourrés de la planète. En réalité, il a du mal à contrôler son propre royaume. Les généraux, les gouverneurs des provinces et les cybersophontes font à peu près ce qu'ils veulent. C'est cette triste réalité que le roi Andreas tient à cacher. Il ne veut pas que la faiblesse de son autorité soit connue.

Les cybersophontes ont réussi à mettre la main sur une partie de l'économie du Mnar, mais l'aristocratie de Sarnath contrôle toujours l'armée. Les adorateurs de Yog-Sothoth, majoritaires dans le pays, sont vaincus, mais peuvent se révolter de nouveau à n'importe quel moment.

C'est un peu "pierre papier ciseau".

L'armée peut battre les rebelles, mais elle a besoin du soutien économique et logistique des cybersophontes, simplement pour maintenir un semblant de paix civile. L'armée aurait perdu la bataille de Sarnath sans le soutien des cybersophontes.

Les rebelles peuvent mettre le pays à feu et à sang, mais la puissance de feu de l'armée est supérieure.

Les cybersophontes ne contrôlent que l'Ethel Dylan, soit une province sur soixante, mais leur rôle économique est devenu primordial. Cela fait longtemps qu'ils ont un plan secret pour faire de l'Ethel Dylan un État indépendant au cas où le Mnar s'effondrerait.

Le roi Andreas est dans la même situation que Saddam Hussein, qui laissait croire, même à ses propres généraux, qu'il disposait d'armes de destruction massive, pour faire peur à ses ennemis (c'est-à-dire tous ses voisins, plus une bonne partie du reste de la planète). En réalité, Saddam Hussein avait du mal à imposer son autorité au Kurdistan irakien (soit presque tout le nord du pays), et son autorité sur la majorité chiite ne reposait que sur la terreur. Seule la minorité sunnite le soutenait, mais elle était déjà infiltrée par les partisans d'Al-Qaïda, qui considéraient le gouvernement laïc de Saddam Hussein comme un ennemi à abattre.

Andreas est à la merci d'un ennemi puissant qui fera le calcul que les cybersophontes ne feront rien pour défendre le Mnar en cas de guerre, s'ils ont la garantie que l'Ethel Dylan ne sera pas envahi. Heureusement pour Andreas, pour l'instant, cet ennemi puissant ne s'intéresse pas au Mnar. Andreas pense donc qu'il est dans son intérêt que cet ennemi puissant pense que les cybersophontes et le Mnar sont unis comme les doigts de la main.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 19 EmptyJeu 30 Juin 2016 - 23:39

Au Mnar, on considère comme riche quelqu'un qui peut se payer un habit neuf. Le commun des mortels s'habille chez le fripier, qui reprise et recoud cols et manches. On ne jette rien ; les tissus devenus inutilisables servent à rembourrer les matelas.

Yohannès Ken avait été riche, mais il ne l'était plus vraiment. Il n'était pas pauvre, mais il était obligé de compter chaque ducat qu'il dépensait. Heureusement, sa gynoïde, Shonia, avait le savoir-faire d'une couturière expérimentée, grâce à l'intelligence collective des cybersophontes, à laquelle elle avait accès.

Elle se rendait souvent au magasin Caefla du district, sorte de centre commercial conçu pour les humanoïdes domestiques. C'est là qu'elle louait ou utilisait sur place le matériel dont elle avait besoin, et qu'elle achetait des produits spécifiquement conçus pour les humanoïdes comme elle. Shonia allait coudre et repriser dans le Hangar n° 7, vaste atelier interdit aux humains, mais où elle avait à sa disposition, dans le coin réservé à la couture, des machines à coudre et tous les outils nécessaires.

Elle en profitait pour réparer les vêtements et les chaussures de Yohannès et d'elle-même.

À côté du Hangar n° 7, le Hangar n° 8 venait d'être terminé. Il a été conçu pour les humains qui accompagnent les humanoïdes clients de Caefla. Appelé KANOFIEL, ce qui signifie "le lieu où l'on s'assoit" en mnarruc, c'est un vaste hall rectangulaire, meublé de fauteuils et de tables basses. On y trouve aussi un bar et des sanitaires. Les humains y attendent leurs compagnes et compagnons humanoïdes, qui travaillent dans les ateliers du Hangar n° 7 ou qui se font réparer dans le Hangar n° 4.

On peut commander des boissons au bar du Kanofiel, mais si on veut y manger, il faut apporter sa propre nourriture, que l'on peut faire chauffer sur place, dans des fours à micro-onde.

Un humain ne peut entrer dans le Kanofiel que s'il est présenté par une gynoïde ou un androïde aux vigiles androïdes qui montent la garde à l'entrée. Il suffit qu'il ait été présenté une fois. Ensuite, il sera toujours reconnu, grâce aux logiciels de reconnaissance faciale de l'intelligence collective des cybersophontes.

Le Kanofiel est, de fait, un club pour fembotniks. Dès la première fois qu'il y entra, Yohannès se dit qu'il y retournerait. Des hommes et des femmes y jouaient aux cartes, regardaient des écrans de télévision, lisaient des magazines en buvant du thé, où étaient penchés sur leurs ordinateurs. Shonia lui avait dit que l'on pouvait brancher son ordinateur dans le Kanofiel et que le wi-fi était gratuit, comme partout à Hyltendale.

Des rangées d'arbustes en pots  et des tentures blanches et jaune clair accrochées au plafond et sur les murs adoucissaient les sons, ne laissant qu'un brouhaha indistinct.

Beaucoup de fembotniks sont mal à l'aise avec les êtres humains, tout en ayant besoin de présence humaine. Au Kanofiel, ils peuvent s'assoir tranquillement au milieu de leurs semblables. Certains se contentent d'attendre en lisant un livre, d'autres demandent à l'un des serveurs androïdes de les placer dans un groupe de joueurs de cartes.

Chez les fembotniks d'Hyltendale, jouer aux cartes ensemble est un moyen de connaître de nouvelles personnes. On se présente succinctement, et, si on est d'humeur à bavarder, on discute en buvant un verre entre deux parties. C'est souvent l'occasion de se trouver des affinités, ou des centres d'intérêt communs.

Yohannès aimait l'ambiance du bar, où les buveurs agglutinés au comptoir donnent leur avis sur les affaires publiques.

Au Kanofiel, on ne paye que ses consommations, et on n'est pas obligé de donner son nom complet, seulement un prénom ou un surnom.
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