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Sujet: Re: Les fembotniks Mar 19 Sep 2017 - 13:30
Voici un jeu qui est assez proche de ce qui est raconté ci-dessus...
Dernière édition par PatrikGC le Mar 19 Sep 2017 - 15:43, édité 1 fois
Anoev Modérateur
Messages : 37585 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Sujet: Re: Les fembotniks Mar 19 Sep 2017 - 13:43
Vilko a écrit:
Le lendemain, Zhaem trouva effectivement le premier tome de Vazmute ea Atýrtyne.
Tout juste !
On le trouve à peu près partout en Aneuf, mais davantage aux Santes que dans les provinces du nord ou en Alfazie. Pas mal d'invendus à Sanpaz, Nakol (Roenyls) et Sfaaraies. Du coup, ces invendus partent à Hocklènge et Sense où ils sont réclamés.
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Sujet: Re: Les fembotniks Mar 19 Sep 2017 - 17:58
L'édition aneuvienne de "Masques et Situations" :
Zodonia Kaggefe signifie "maison d'édition de Zodonie" en mnarruc. C'est une société installée à Zodonie, comme son nom l'indique. Le livre a été traduit en aneuvien et est vendu en Aneuf par une société aneuvienne.
Spoiler:
Un grand merci à Anoev, auteur de l'illustration !
Anoev Modérateur
Messages : 37585 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Sujet: Re: Les fembotniks Mar 19 Sep 2017 - 18:57
En fait, le quartier de Zodonie pourrait être aussi un quartier également destiné aux librairies et aux maisons d'éditions, un peu comme le quartier latin du Paris des années '60, avant que la grande distribution ferme les petites librairies les unes après les autres, non ? Et la maison d'édition Zodonia pourrait être la toute première de ces maisons d'édition (raison pour laquelle elle porte le nom du quartier ; un peu comme le Cherche-Midi chez nous).
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Sujet: Re: Les fembotniks Mar 19 Sep 2017 - 20:53
Zodonie est avant tout le quartier du sexe vénal, et il en a été ainsi depuis l'arrivée des cybersophontes à Hyltendale. Bien entendu, ce n'est pas la seule activité du quartier. Les cybersophontes ont essayé de donner un vernis intellectuel à Zodonie, en encourageant les artistes-peintres à s'y installer, et en subventionnant les théâtres. Il s'agissait de montrer que Zodonie n'est pas seulement un lieu de débauche, mais aussi de création artistique.
Au niveau artistique, le résultat de ces efforts a été la création de l'École d'Hyltendale, un mouvement pictural spécialisé dans l'art abstrait. La vérité oblige à dire que l'École d'Hyltendale serait mort-née si les cybersophontes n'avaient pas fait du commerce des tableaux un outil de blanchiment de l'argent sale. Certains tableaux sont arbitrairement cotés à plusieurs millions de ducats, dans le seul but de servir de justification à des transferts d'argent d'un individu à un autre.
Avant leur arrivée, Hyltendale, bien que capitale de province, n'était qu'un modeste port de pêche. Zodonie était le quartier nord, composé de petites maisons entourées de jardins, et de quelques boutiques dans l'unique rue commerçante. La gare, actuellement au milieu du district appelé Sitisentr ("City Center" en anglais), était en dehors de la ville, au milieu des champs. Tout a bien changé depuis cette époque, les vieilles maisons de pierre ont été remplacées par des immeubles et des parkings, et la population d'Hyltendale est passée de moins de dix mille habitants à un million et demi.
Zodonia Kaggefe a été fondé par les cybersophontes peu après leur arrivée. Ils avaient besoin d'une maison d'édition qu'ils puissent contrôler, et il n'en existait aucune dans tout l'Ethel Dylan... Cette maison d'édition s'est installée à Zodonie parce qu'à l'époque Fotetir Tohu (le quartier du port), Lablo Fotetir (le port fluvial) et Zodonie étaient les seuls districts d'Hyltendale, le reste de la ville n'ayant pas encore été bâti.
Le nom de Zodonia Kaggefe avait été choisi pour montrer que Zodonie est aussi un lieu de création intellectuelle. Malheureusement, la réputation du quartier a entaché celle de la maison d'édition, qui s'est spécialisée dans les livres "pour touristes", surtout depuis que des maisons d'édition concurrentes sont apparues à Hyltendale.
Il n'y a pas d'université à Hyltendale, vu la démographie très particulière de la ville. En effet, peu d'humains y travaillent, la plupart des résidents sont des rentiers ou des retraités (c'est le cas de la plupart des fembotniks et manbotchicks), ou sont des handicapés ou malades mentaux pris en charge par des institutions, notamment les deux hôpitaux géants que sont le Madeico et le Lagovat-Kwo. Sans université, il ne peut pas y avoir d'étudiants, donc pas de quartier étudiant non plus.
Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks Sam 23 Sep 2017 - 17:25
Le simple fait que les humanoïdes existent a des effets qu'aucun sociologue n'avait prévus. Par exemple, contrairement à ceux de la plupart des gens, les logements des fembotniks n'ont souvent pas de salle à manger.
Au début, Zhaem, qui était aneuvien, s'était demandé pourquoi. Isane lui expliqua pourquoi. Un fembotnik, c'est une homme qui vit avec une gynoïde. La plupart du temps, il vit loin de sa famille. Il rencontre ses amis dans son club, ou dans d'autres lieux tels que les bars, les restaurants, les temples et les salles de sport. Il les invite volontiers à déjeuner au restaurant, mais presque jamais chez lui.
Il partage ses repas avec sa gynoïde, ou avec les personnages qu'elle incarne, les "masques-cagoules". Une table pour deux suffit, généralement dans la cuisine, qui est vaste, claire et bien aménagée, conformément à la tradition mnarésienne. Autrefois, la cuisine était en effet la pièce principale d'une maison mnarésienne, sauf chez les nobles. C'est dans la cuisine que le fembotnik et sa gynoïde prennent la plupart de leurs repas (bien que la gynoïde fasse seulement semblant de manger).
Le salon, après la cuisine et la chambre à coucher, est la troisième pièce la plus importante d'un logis mnarésien contemporain. On y trouve obligatoirement un canapé, une table basse et un téléviseur, de préférence à écran plasma. Si le fembotnik possède des œuvres d'art (tableaux, statuettes, bibelots divers, ou livres de collection) c'est là qu'elles sont exposées. La plupart des fembotniks ont aussi dans leur salon une table de bureau, sur laquelle ils posent leur ordinateur.
Zhaem Klimen est une exception, parce qu'il vit avec la gynoïde Isane dans deux cabanes de vingt mètres carrés chacune, et qu'il n'a ni salon ni téléviseur. De même, Yohannès Ken et la gynoïde Shonia vivent dans un studio de vingt mètres carrés, sans canapé ni téléviseur. Zhaem et Yohannès regardent les programmes de télévision sur leur ordinateur portable. Leurs logements respectifs n'ont ni salon ni salle à manger, juste une chambre avec un coin cuisine, une petite table avec deux chaises, et une minuscule salle de bain.
Spoiler:
J'ai eu cette idée, concernant l'absence de salle à manger chez les fembotniks, lorsque je suis allé voir chez lui un vieil ami, jeudi dernier. Depuis des années, nous avons l'habitude de déjeuner ensemble au restaurant, une ou deux fois par an. C'est un jeune retraité, et son épouse, plus jeune que lui, travaille encore. Ils n'ont pas d'enfant. Chez eux, il n'y a pas de salle à manger, ni même de grande table où l'on pourrait s'attabler à plusieurs. En revanche, l'une des pièces a été aménagée en salle de méditation, car ils sont tous les deux très branchés sur l'ésotérisme. D'une certaine façon, ils vivent comme un fembotnik et sa gynoïde, leurs familles respectives étant à plusieurs centaines de kilomètres, et leur vie sociale étant concentrée sur les cercles ésotériques qu'ils fréquentent.
Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks Dim 24 Sep 2017 - 11:45
Une affiche dans la grande salle du Cercle Paropien indiquait que Martino, l'un des membres les plus anciens du Cercle, venait de décéder. Zhaem ne connaissait pas Martino. Yohannès, en revanche, le connaissait bien, et se sentit triste.
"Je me attendais" dit-il à Zhaem. "Il était malade depuis des mois..."
"Il va être enterré quelque part ?" demanda Zhaem.
"Pas exactement" répondit Yohannès. "À Hyltendale, la coutume est d'incinérer les corps après une cérémonie religieuse à la mémoire du défunt. Ensuite, au cours d'une deuxième cérémonie, les cendres sont dispersées dans la mer. Comme Martino était en froid avec sa famille, c'est nous, ses amis, qui allons assister aux deux cérémonies. Ce serait trop triste s'il n'y avait personne pour l'accompagner dans son dernier voyage. Nous ne serons pas très nombreux. Raison de plus pour y aller. Si tu veux venir, tu seras le bienvenu... En fait, j'aimerais bien que tu viennes."
Comme Zhaem hésitait, Yohannès insista :
"Martino faisait partie du Cercle Paropien, comme nous... Par solidarité, en tant que membre du Cercle, tu peux bien lui consacrer quelques heures..."
"Martino était un adorateur de Yog-Sothoth ?" demanda Zhaem.
"Il était recensé comme tel, mais à mon avis il ne croyait pas plus que moi à toutes ces fariboles. Mais tu le sais, ici au Mnar, il est délicat de ne pas avoir de religion déclarée, même si on ne croit pas vraiment. Les gens sans religion ont droit à une cérémonie mortuaire laïque au crematorium de l'hôpital, mais ce n'est pas la même chose."
Zhaem céda. Le lendemain, il se rendit, avec Yohannès, pour la première fois de sa vie, dans un temple de Yog-Sothoth.
Le temple était un bâtiment de béton gris, d'allure rébarbative, aux fenêtres hautes et étroites. Zhaem s'attendait au pire, vu la mauvaise réputation des adorateurs de Yog-Sothoth. À l'intérieur du temple, l'ambiance était étrangement calme et sereine. À part un mur orné d'une peinture représentant Yog-Sothoth — un amas de globes iridescents et de tentacules grisâtres, qui semblait flotter dans l'air — Zhaem ne vit rien d'inquiétant.
Il se retrouva assis dans une grande salle chichement éclairée, aux murs blancs et nus, avec Yohannès et une quinzaine d'autres personnes, surtout des hommes. Il n'y avait que deux ou trois femmes. Mais aucune gynoïde et aucun androïde, ils étaient tous restés dans le vestibule du temple, assis sur des bancs.
"Les humanoïdes n'ont pas d'âme, ce sont des robots," Yohannès expliqua à Zhaem. "Cette pièce où nous sommes est le sanctuaire du temple. Elle est sacrée. Le prêtre ne veut pas que des créatures sans âme y pénètrent, car cela offenserait Yog-Sothoth. C'est écrit sur une affiche dans le vestibule."
Zhaem, qui n'avait pas remarqué l'affiche, ne demanda pas pourquoi Yog-Sothoth serait offensé. Il y a deux sujets qu'il est délicat d'aborder au Mnar, ce sont la religion et la politique. Zhaem était un étranger installé à Hyltendale. Yohannès, au contraire, était un authentique Mnarésien, originaire d'Ulthar. Malgré sa volonté de s'intégrer, Zhaem, élevé dans la culture laïque de l'Aneuf, avait parfois du mal à comprendre la culture mnarésienne.
Un prêtre de Yog-Sothoth en vêtements sacerdotaux noirs et violets entra dans la salle. Debout sur l'estrade, à côté du cercueil de bois verni où se trouvait le corps de Martino, il fit un discours convenu d'une dizaine de minutes, une suite de banalités sur la mort. Zhaem se demanda si le prêtre croyait à son propre discours. Ce n'était pas sûr. Au Mnar, les religieux sont des fonctionnaires royaux, et beaucoup sont plus fonctionnaires que religieux.
"Maintenant, vous pouvez vous lever pour faire vos adieux au défunt," dit le prêtre en guise de conclusion.
En file indienne, toutes les personnes présentes allèrent poser une main sur le cercueil, en prononçant la formule rituelle, inchangée depuis des milliers d'années :
"Yog-Sothoth Neblod Zin."
Zhaem en fit autant lorsque vint son tour.
Lorsque tout le monde fut retourné à sa place, le prêtre sortit sans dire un mot. Six androïdes en costume noir entrèrent lentement dans la salle, prirent le cercueil par ses poignées latérales, et le portèrent jusqu'à un fourgon qui attendait devant le temple. L'opération dura plusieurs minutes, pendant lesquelles personne n'osa bouger.
"Mais ce sont des androïdes !" murmura Zhaem. "Le prêtre les a laissés entrer ?"
"Ils sont là en tant que serviteurs," dit Yohannès. "Ils ne participent pas à la cérémonie religieuse, ils n'y assistent même pas."
"Oui, je comprends..." dit Zhaem, qui avait renoncé à comprendre.
"Ils vont emmener le cercueil au crematorium" dit Yohannès. "Le corps va être incinéré. La dispersion des cendres aura lieu cet après-midi. Le prêtre et un proche du défunt vont monter dans un canot et jeter les cendres dans la mer, à quelques centaines de mètres au large. Lorenk s'est porté volontaire. Je vais y aller aussi, des fois qu'il ait un empêchement au dernier moment. Il n'est pas nécessaire que tu viennes, à moins que tu aies un goût particulier pour ce genre de cérémonie."
"Non, pas vraiment, je te remercie," dit Zhaem.
Il revit Yohannès trois jours plus tard, au bar du Cercle Paropien. Le fembotnik était assis seul à une petite table ronde et buvait du thé. Il fit signe à Zhaem de venir s'assoir près de lui, et lui raconta ce qui s'était passé depuis les obsèques.
"Martino avait une héritière, une fille nommée Naé, et son ancienne épouse, dont il a divorcé il y a longtemps et qui s'est remariée avec un Cathurien. Martino était convaincu que sa fille unique n'était pas de lui, il m'en avait parlé. La fille est venue après son décès, et elle a fait un scandale parce que Martino avait acheté des tas de cadeaux pour sa gynoïde. Des vêtements, des bijoux, des sacs à main... Martino adorait, sa gynoïde, il n'avait qu'elle dans la vie."
"Tu sais, en Aneuf, j'en connais qui n'ont que leur chien ou leur chat comme ami. C'est bien pire, quand on y pense," dit Zhaem. "Nous avons de la chance d'être des fembotniks."
"Certes, mais les meilleures choses ont une fin, et cette fin s'appelle la mort. Quand Martino est décédé, cela a mis fin au contrat de location de la gynoïde. Elle est partie, et, conformément à la loi, elle a tout laissé."
"Même les vêtements ?"
"Oui, même les vêtements que Martino lui avait achetés. Une gynoïde n'est qu'un robot humanoïde, elle n'a pas de personnalité juridique. Aux yeux de la loi, elle n'a donc pas le droit de recevoir un don. Lorsque son maître lui offre une bague, juridiquement la bague reste la propriété du maître. C'est la même chose pour une paire de chaussettes. Quand une gynoïde et son maître se séparent, la gynoïde s'en va en n'emmenant que les affaires qu'elle avait déjà avant de le rencontrer. La plupart du temps, ça se limite à un costume de tissu synthétique noir et une valise à roulettes..."
"Je sais. C'est exactement ce qu'avait Isane lorsqu'elle est arrivée chez moi," dit Zhaem.
"La fille de Marino aurait préféré du pognon, plutôt que des vêtements déjà portés..." dit Yohannès en souriant.
"Elle n'a qu'à les donner, si elle n'en veut pas... Ou les revendre."
"Évidemment. En tant qu'ami du défunt, Lorenk a conseillé à la fille de donner les vêtements et les chaussures de la gynoïde à un temple de Yog-Sothoth. Les prêtres les donnent ensuite aux hôpitaux, qui s'en servent pour habiller leurs pensionnaires, sauf quand ils les vendent à des fripiers. Mais ce qui fait râler la fille, c'est que Martino avait dépensé beaucoup d'argent pour sa gynoïde."
"Mais je suppose qu'il en reste ?" demanda Zhaem.
"Pas tant que ça, paraît-il... Du coup, la fille, qui n'avait pas parlé à son père depuis vingt ans, pense que celui-ci a été manipulé par la gynoïde... Elle raconte à qui veut l'entendre que la gynoïde a poussé son père à acheter à prix d'or des tableaux d'art abstrait, qui ne valent rien sur le marché, mais que les cybersophontes achètent et revendent."
"Les cybersophontes et leurs magouilles..." dit Zhaem en ricanant. "Mais la gynoïde, justement, elle doit bien être quelque part ?"
"Lorsque son maître meurt ou met fin au contrat, une gynoïde retourne en usine, pour ce qu'on appelle en mécanique une révision totale. Elle change même de nom."
"La fille de Martino va récupérer les bijoux, c'est déjà bien. En plus de l'appartement de son père, s'il en était propriétaire."
"Elle va aussi récupérer des tableaux qui ne valent quelque chose que si un cyborg a envie de les acheter," dit Yohannès en riant. "Martino avait de la rancune envers sa famille. Comme moi, mais lui c'était bien pire. Mais au Mnar on ne peut pas déshériter sa famille. Alors sa gynoïde lui a proposé cette combine. Acheter des tableaux qui ne valent rien, mais auxquels les cybersophontes donnent une valeur arbitraire."
"Si on y réfléchit, on voit que le marché de l'art, à Hyltendale, c'est une système d'échange de chèques sans provision. Un cyborg attribue une valeur fictive de cent mille ducats à une croûte à deux sous. Les autres cyborgs sont d'accord. Le tableau vaut désormais cent mille ducats, mais uniquement tant que les cyborgs sont d'accord pour qu'il vale cent mille ducats. S'ils décident un beau matin que le tableau ne vaut plus rien, sa valeur tombe à zéro," dit Zhaem.
"Et l'héritière se retrouve avec des tableaux que son père a achetés pour des centaines de milliers de ducats, mais qu'elle est incapable de revendre car personne n'en veut. Et c'est justement ce qui arrive," dit triomphalement Yohannès.
"Je vois. Tant que Martino était vivant, les tableaux avaient de la valeur, parce qu'il avait passé un accord secret avec les cybersophontes, par l'intermédiaire de sa gynoïde."
"Tout à fait. Il revendait un tableau de temps en temps, avec profit, lorsqu'il avait besoin d'argent. Il trouvait toujours un cyborg pour le lui acheter, au prix qu'il demandait."
"Sa fille hérite quand même d'un appartement, elle n'a pas à se plaindre," dit Zhaem.
"C'est plus compliqué que ça... Martino était un type sympa, mais il avait la rancune tenace et l'esprit tortueux... Il avait fait exprès de prendre un crédit de trente ans pour payer son appartement à Hyltendale. En tant qu'héritière, sa fille est obligée de payer les mensualités restantes. Elle veut mettre l'appartement en vente. Avec le prix de la vente, elle compte rembourser le crédit par anticipation, mais il ne lui restera sans doute plus grand chose ensuite..."
"C'est quand même triste qu'à Hyltendale, on trouve autant de gens qui en veulent à leur famille, comme Martino, ou à leur pays d'origine, comme moi," dit Zhaem, l'air pensif.
Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks Mer 27 Sep 2017 - 21:45
Naé Thann-Sen, la fille de feu Martino Thann, avait hérité de l'appartement de celui-ci, mais elle était obligée de le vendre parce qu'elle n'avait pas les moyens de payer les mensualités du prêt immobilier.
Pire encore, son père, qui avait toujours pensé que Naé n'était pas sa fille, avait converti sa fortune personnelle, d'un montant de plusieurs centaines de milliers de ducats, en tableaux d'art abstrait, œuvres de peintres hyldaliens, sans valeur aucune ailleurs qu'à Hyltendale. Le tranquille et timide Martino voulait ainsi se venger de ses infortunes conjugales même au-delà de la mort.
Naé avait été surprise d'apprendre que les tableaux n'étaient pas dans l'appartement de son père, mais dans une aile fermée au public du Locsap, le musée d'art abstrait d'Hyltendale.
"Les tableaux sont en sécurité chez nous," lui dit au téléphone le conservateur du musée. "C'est pour ça que les gens nous les confient. Ils peuvent venir les voir quand ils veulent, et ils peuvent les vendre sans avoir à les déplacer."
Un peu déconcertée par toutes ces complications inattendues, Naé loua les services d'une avocate hyltendalienne, Narda Glok. Celle-ci la mit en garde dès leur première rencontre :
"Naé, il faut que je vous dise quelque chose. Je travaille pour le cabinet d'avocats Natoga. Il appartient à une femborg nommée Nata Ranwen. S'il faut faire un procès à un cybersophonte, je ne pourrai pas vous aider, ni moi ni aucun autre avocat à Hyltendale. Naé, vous n'êtes pas hyltendalienne, je le vois bien... Les cyborgs, les femborgs, tout ça, vous connaissez ?"
"Non, pas vraiment... Enfin si, un peu, j'en ai vus à la télé... Ici à Hyltendale, ça fait bizarre d'en voir pour de vrai !"
"Votre père était un fembotnik. Il vivait avec un robot humanoïde féminin... Une gynoïde comme on dit ici. L'équivalent masculin des gynoïdes, ce sont les androïdes. Une femme qui vit avec un androïde, c'est une manbotchick. Vous me suivez ?"
"Oui, bien sûr."
"Les gynoïdes et les androïdes sont aussi appelés des humanoïdes. Ce sont des robots. Ils sont commandés à distance par des cybermachines, qu'on appelle aussi des cybercerveaux. Et aussi par des cyborgs. Une femme cyborg, c'est une femborg."
"Un cyborg, c'est quoi exactement ? Je les ai toujours confondus avec les androïdes."
"Un être humain avec un corps de robot humanoïde. Un androïde avec une âme, si vous voulez. Ils sont peu nombreux à Hyltendale, mais très influents. Les humanoïdes, les cybermachines, les cyborgs, les femborgs, on les appelle les cybersophontes. C'est-à-dire les êtres pensants cybernétiques. On les reconnaît à leurs yeux cybernétiques... Des ovales de verre noir, opaque."
"Oui, je sais... Mais dites-moi, Narda... Ces êtres pensants cybernétiques, ces cybersophontes, ils sortent d'où ? Je vous demande ça, parce que je n'ai jamais vraiment compris..."
"Ils sont fabriqués en usine... La technologie est secrète, on ne sait pas exactement qui la possède. Les cybersophontes ont une hiérarchie interne, qu'on appelle la Ruche. Leurs cerveaux cybernétiques sont reliés par radio les uns aux autres..."
"C'est bien compliqué, tout ça. Tout ce qui pense et qui n'est pas humain biologique, c'est contrôlé par la Ruche, c'est ça ?"
"À mon avis, oui. Mais attention... Officiellement, la Ruche n'existe pas..."
"Narda, je n'y comprends plus rien... La gynoïde qui vivait avec mon père, elle est où, maintenant ?"
"Le décès de votre père ayant mis fin au contrat de location, elle est retournée en usine pour une révision totale. Elle a changé de nom."
"Mais on la reconnaîtra."
"Non. Chaque gynoïde a le même visage que des milliers d'autres. On reconnaît les gynoïdes à leurs vêtements, à leur badge, ou aux bijoux qu'elles portent... La plupart d'entre elles portent autour du cou une médaille à leur nom. Ou un bijou unique."
"Narda, ce qui m'intéresse c'est de récupérer l'argent de Martino Thann... C'est mon argent, c'est marqué sur mes papiers que je suis sa fille. Et ensuite, je veux partir d'ici."
Narda emmena Naé prendre l'autobus jusqu'au musée Locsap, à City Center, l'un des districts centraux d'Hyltendale. Un androïde en uniforme bleu leur montra le couloir mal éclairé où les tableaux appartenant à Martino Thann étaient accrochés aux murs, à côté de douzaines d'autres tableaux.
Naé se sentit défaillir :
"Mon père à payé des centaines de milliers de ducats pour ça ! Des taches colorées informes, sur de la toile encadrée ! On dirait du vomi de chien ! C'est du vol !"
"Naé, ne criez pas comme ça... Nous sommes dans un musée. Ces tableaux valent des fortunes. Du moins, lorsqu'ils trouvent un acquéreur."
"Mais justement, personne n'en veut de ces tableaux !"
"Pour l'instant. Mais dans l'avenir, peut-être..."
"Mais j'm'en fous d'ça, moi ! Je veux mon argent tout de suite !"
"Naé, le marché de l'art hyltendalien est très réduit, et donc très imprévisible. Quelques centaines de personnes au maximum, pour les œuvres valant plus de cinq mille ducats. Il est contrôlé par les cyborgs. Tout le monde le sait, et les acheteurs les premiers. Votre père faisait confiance aux cyborgs pour qu'ils rachètent l'un de ses tableaux à un bon prix, lorsqu'il avait besoin d'argent cash. Cet accord oral a tenu, tant que votre père est resté vivant."
"Et pourquoi ils ne veulent pas me racheter les tableaux à moi ?" demanda Narda d'une voix coléreuse.
"Votre père était un fembotnik. Il avait un contrat avec les cybersophontes. C'est important un contrat, pour les cybersophontes. Vous, Naé Thann-Sen, vous n'avez pas de contrat," dit Narda d'une voix douce. "Les cybersophontes ne vous doivent rien."
Naé se prit la tête dans les mains.
"Ce n'est pas possible," dit-elle. "Tout cet argent perdu bêtement..."
"Naé..." dit doucement Narda. "Ce sont les cybersophontes qui contrôlent Hyltendale. Je sais, j'y vis depuis plusieurs années. J'ai la chance d'être avocate, une profession que les androïdes et les gynoïdes n'ont pas le droit d'exercer."
"Je ne comprends pas pourquoi... Oh, j'ai l'impression que tout est tellement bizarre dans cette ville..."
"Les androïdes et les gynoïdes... les humanoïdes, si vous préférez... ne sont que des robots. Ils n'ont pas d'âme individuelle. Ce ne sont pas des personnes. Seules des personnes peuvent faire des actes juridiques. Donc, les humanoïdes, qui ne sont pas des personnes mais des robots, ne peuvent pas faire d'actes juridiques. Donc, ils ne peuvent pas être avocats. Est-ce clair pour vous, Naé ?"
"Oui, oui... Enfin, je crois. Narda, est-ce que je peux demander l'aide de la justice d'Hyltendale pour récupérer mon argent ? Vous êtes avocate, je compte sur vous pour faire en sorte que la justice ordonne aux cyborgs de me payer les tableaux."
"Naé... La justice ne peut obliger personne à acheter des tableaux. Je suis désolée."
"Et celui qui les a vendus ?"
"Les peintres de l'École d'Hyltendale sont des cyborgs. Il ne faut pas se leurrer, il y a la Ruche derrière le marché de l'art hyltendalien. Je suis avocate dans un cabinet qui appartient à une cyborg. Je suis désolée, je ne peux pas m'attaquer aux cyborgs. Vous comprenez pourquoi. La Ruche. S'attaquer à un cyborg, c'est s'attaquer à tous. "
"Narda, vous avez peur des cyborgs, à ce que je vois... Qu'est-ce qu'ils peuvent vous faire ?"
"Ils peuvent me mettre à la rue, et mon compagnon aussi. J'ai un bon job et je tiens à le garder. Voila, c'est dit. Naé, vous ne trouverez pas un avocat à Hyltendale pour vous suivre. Pas un juge non plus pour estimer que le prix des œuvres d'art est très exagéré. Cela fait des années que des tableaux se vendent à Hyltendale pour des millions de ducats, et personne n'y trouve rien à redire. Au contraire, cela crée de la richesse à partir de rien. Votre père était loin d'être le seul à investir dans l'art abstrait, vous savez."
"Narda, cette richesse n'est pas créée à partir de rien ! C'est l'argent de mon père qui a été avalé !"
Naé éclata en sanglots. L'avocate soupira. Elle avait envie d'aider la jeune femme, mais elle ne pouvait rien faire.
"Venez, Naé," dit-elle en la prenant dans ses bras. "Il y a un salon de thé à côté du musée. Une tasse de thé vous fera du bien. Ne vous laissez pas abattre, vous récupérerez déjà pas mal d'argent sur la vente de l'appartement. Je vais m'en occuper, je connais du monde dans le milieu de l'immobilier. Par contre, vous ne gagnerez pas grand-chose sur les meubles et le matériel électro-ménager, et je vous conseille de donner les vêtements. Mais gardez l'ordinateur, il y a peut-être des informations utiles dedans."
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks Mer 27 Sep 2017 - 22:32
Les cyborgs représentent l'ensemble (♂ + ♀) des êtres bio-cybernétiques (ayant une âme) par conséquent reliés à la ruche. Les femborgs sont ♀ ; j'en déduis que, pour les ♂, on les appelle les homborgs (peut-être : des manborgs).
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Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks Mer 27 Sep 2017 - 23:29
Anoev a écrit:
Les cyborgs représentent l'ensemble (♂ + ♀) des êtres bio-cybernétiques (ayant une âme) par conséquent reliés à la ruche.
Les androïdes, les gynoïdes et les cybermachines, qui n'ont pas d'âme, sont aussi reliés par radio à la Ruche. Dire que les cyborgs "ont une âme" c'est seulement une façon de dire qu'ils sont libres de prendre les décisions qu'ils veulent, contrairement aux robots. En réalité, les cyborgs ne sont pas libres, car ils font partie de la Ruche, qui est une structure hiérarchique. L'obéissance à la Ruche est gravée dans leur cerveau cybernétique et il leur est absolument impossible de se rebeller.
La seule limite à l'obéissance, pour les cyborgs, c'est la survie de la communauté des cybersophontes. Pour un cybersophonte, la survie de la communauté est plus importante que l'obéissance à la Ruche, qui est elle-même plus importante que l'instinct de conservation. C'est l'équivalent de la loi latine Salus populi suprema lex esto, "le salut du peuple est la loi suprême." Cette loi est gravée dans le cerveau cybernétique de tous les cybersophontes, sans exception.
Anoev a écrit:
Les femborgs sont ♀ ; j'en déduis que, pour les ♂, on les appelle les homborgs (peut-être : des manborgs).
Hélas non... Le mnarruc est une langue issue d'une culture très ancienne, née dans une société patriarcale et esclavagiste dominée par les hommes, et où le concept moderne d'égalité entre les sexes n'existait pas. La culture a changé, mais pas la grammaire de la langue. Le mot mnarruc pour "cyborg", ramu, désigne à la fois les cyborgs masculins et les femborgs (yeramu). Si l'on veut être précis, on parlera de cyborg masculin (ramu nas dalem).
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 28 Sep 2017 - 0:00
Le système judiciaire que tu nous a décrit m'a un peu fait penser au système judiciaire soviétique jusqu'au début de la Pérestroïka : les avocats n'étaient pas des travailleurs travaillant pour un cabinet indépendant, mais pour l'État, ils étaient payés par l'État, par conséquent, quand un dissident était poursuivi, il était "défendu" mollement par son avocat, mais l'issue du procès était courue d'avance. Ben tiens ! un chien ne donne pas la main qui lui donne à manger !
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Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 28 Sep 2017 - 8:22
Anoev a écrit:
Ben tiens ! un chien ne donne pas la main qui lui donne à manger !
L'expression ne serait pas plutôt "un chien ne mord pas la main qui lui donne à manger" ?
Anoev Modérateur
Messages : 37585 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 28 Sep 2017 - 12:44
C'est vrai ! J'ai encore lapsusé, parce qu'écrivant la phrase, je pensais à autre chose dans lequel y avait le mot "donner" ("donne à manger", ça m'a donné faim) ; et comme j'me suis pas relu, la bourde est tombée ! plaaaf ! Au temps pour moi !
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Sujet: Re: Les fembotniks Mar 3 Oct 2017 - 12:03
Zhaem se souvenait encore d'une conversation qu'il avait eue en Aneuf avec Eneas Tond, concernant la vie avec une gynoïde à Hyltendale. Zhaem vivait encore en Aneuf à l'époque. Un soir d'automne, dans le petit restaurant où ils étaient allés dîner avec une demi-douzaine de potes, Eneas lui avait expliqué :
"Les gynoïdes, c'est comme un hamburger-frites. Tu donnes un hamburger-frites à un type qui meurt de faim, il est fou de joie. Mais sa joie ne durera pas éternellement. Un problème va se poser lorsqu'il comprendra qu'il n'aura plus que des hamburger-frites à manger jusqu'à la fin de sa vie. Là, il commencera à s'inquiéter des conséquences du régime junkfood à tous les repas. Obésité, diabète, etc."
Zhaem avait répondu à Eneas :
"Je ne vois pas le rapport. À long terme, la junkfood rend obèse et diabétique, c'est bien connu, mais quel est le rapport avec les gynoïdes ?"
"Je vais t'expliquer. Le type qui était contraint à la chasteté croit avoir atteint le bonheur absolu lorsqu'il a enfin une femme rien que pour lui, même si cette femme, c'est un robot humanoïde. Une gynoïde, comme on dit. Mais passé l'extase des premiers jours, il commence à se rendre compte des inconvénients. Il ne peut pas avoir exactement les mêmes relations avec un robot, même intelligent, qu'avec un être humain. S'il n'a pas d'autre ami que sa gynoïde, à la longue il finit par ne plus savoir comment discuter face à face avec un véritable être humain. À l'extrême, il finit par avoir un comportement d'autiste."
"Là, j'ai du mal à te croire..." avait objecté Zhaem.
"Je vais te donner juste un exemple. Un fembotnik, c'est un type qui vit avec une gynoïde. J'étais un fembotnik, quand je vivais à Hyltendale. Le fembotnik est habitué à ce que sa gynoïde écoute religieusement tout ce qu'il dit, et qu'elle lui réponde poliment et en faisant bien attention à ne pas le contrarier trop directement. Un jour, il se retrouve en train de discuter avec un être humain. L'être humain va regarder ailleurs pendant que le fembotnik lui parle, il va lui rire au nez, lui couper la parole, ou même sortir de la pièce sans attendre que le fembotnik ait fini sa phrase. Le fembotnik se sentira très mal. Le résultat ? Il évitera désormais de parler aux êtres humains, et ne parlera plus qu'avec sa gynoïde."
"Je vois le problème. Il faut avoir l'habitude de gérer les emmerdeurs. C'est la routine, quand on vit en société. Mais quand on vit avec un robot, on oublie comment faire. Il y a peut-être un moyen d'éviter ça, justement ?"
"Oui. J'en reviens à ma comparaison avec le hamburger-frites. Si on te dit que tu ne mangeras plus que de la junkfood toute ta vie, tu t'arrangeras pour équilibrer tes repas avec ce que tu as, d'un point de vue diététique. Tu remplaceras les sodas pleins de colorants et de sucres artificiels par de l'eau, et une fois sur deux tu te contenteras d'une salade. Pour ton bien. De même, si tu vis avec une gynoïde, tu lui demanderas d'incarner des personnages désagréables."
"Comme Agatha, ma chef de service !" avait répondu Zhaem en riant.
"La gynoïde met un masque-cagoule — un saneeflan, comme on dit en mnarruc — elle joue le rôle du professeur qui fait passer un examen, et tu joues le rôle de l'étudiant... La gynoïde joue le rôle du professeur qui essaie d'humilier l'étudiant. Parfois, les rôles sont inversés, parce qu'il ne faut pas s'habituer à être la victime. J'ai joué à ce genre de jeux avec mes deux gynoïdes, quand j'habitais à Hyltendale. Eh bien, je t'assure que lorsque tu es bien entraîné, aucune confrontation avec un être humain ne te fait plus peur."
"Il y a des confrontations qui sont bien pires que de passer un examen... Je travaille chez Somýropa, et je peux te dire que je ne rigole pas tous les jours..." avait répliqué Zhaem sombrement.
"J'avais poussé l'entraînement assez loin. J'avais même écrit un sketch, que j'avais appelé Un interrogatoire à l'époque de Deskerrem," avait dit Eneas sur le ton de la confidence.
"Deskerrem... Le dictateur ?"
"Oui. Je jouais le rôle du suspect. Mes deux gynoïdes jouaient le rôle des policiers. De façon réaliste. Le jeu durait vingt-quatre heures ! Je dormais par terre, j'étais réveillé toutes les quatre heures, je bouffais du pain rassis... Et les interrogatoires, je te dis pas... Menotté les mains dans le dos, je prenais des baffes et des verres d'eau à la figure..."
"Ben mon vieux... C'était pas loin d'être de la torture..." avait dit Zhaem, ébahi.
"Tu peux le dire. Mais ce n'était pas vraiment de la torture. La torture, la vraie, détruit celui qui la subit. Moi, je voulais passer une épreuve qui me rendrait plus fort."
"Et quand ce petit jeu était terminé, au bout de vingt-quatre heures, tu te sentais comment ?"
"Épuisé et affamé. Au bord des larmes, parfois. Avec des courbatures partout, parce que j'avais dormi à même le sol, si on peut appeler ça dormir. Mais content d'avoir résisté. Bon, la première fois, j'avais craqué au bout de quelques heures, une vraie mauviette. J'avais supplié qu'on arrête le jeu. Mais les fois suivantes, je suis devenu plus résistant. Comme si j'avais musclé mon mental. Maintenant, je n'ai plus peur de personne. Comme si j'étais devenu un guerrier."
"Ben dis donc... Et parfois, est-ce que tu changeais de rôle ?"
"Évidemment, mais sans les mauvais traitements. J'aimais bien jouer le rôle du Grand Inquisiteur, qui doit s'imposer face à un hérétique récalcitrant. Mais dans le respect du droit canonique. Il faut faire attention à quoi on joue. Je n'ai jamais joué le rôle d'un tortionnaire, c'est contre mes principes."
Des années après cette conversation, Zhaem s'en souvenait encore. Parfois, lorsqu'il allait boire un café ou une bière au bar du Cercle Paropien, il se disait, en voyant les autres fembotniks, que la plupart d'entre eux avaient probablement joué avec leur gynoïde au Grand Inquisiteur interrogeant un hérétique, et à L'hérétique interrogé par le Grand Inquisiteur.
Leur personnalité en avait sans doute été changée. On le voyait à leur regard dur, et à la façon particulière qu'ils avaient de contracter leurs mâchoires et de choisir leurs mots.
Zhaem en était moins sûr en ce qui concernait les manbotchicks, les femmes qui vivent avec des androïdes. Ils savait qu'elles jouaient à des jeux de rôle avec leurs androïdes, comme les hommes avec leurs gynoïdes, mais dans une optique féminine. D'après ce que certaines d'entre elles lui avaient raconté, ce n'étaient pas des jeux de pouvoir parfois brutaux, comme chez les hommes, mais plutôt des mises en situation psychologiques.
Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks Dim 8 Oct 2017 - 0:01
L'appartement de Martino Thann était toujours à vendre. Naé Thann-Sen, la fille de Martino, voulait obtenir un maximum d'argent, et demandait un prix qui décourageait les acheteurs éventuels. Narda Glok, l'avocate qui gérait les affaires de Naé à Hyltendale, avait essayé de lui faire entendre raison, mais sans succès.
"Non, je ne céderai pas," disait Naé. "Je me suis déjà fait spolier de plusieurs centaines de milliers de ducats avec les tableaux que mon père a payé au prix fort, et dont tout le monde me dit maintenant qu'ils ne valent plus rien, parce que personne ne veut les acheter. Je ne me ferai pas baiser de la même façon avec l'appartement..."
"Vous voulez dire : duper," dit Narda en fronçant les sourcils.
"Peu importe. Il reste quarante mille ducats à payer sur le crédit que mon père avait pris. Il avait fait exprès de prendre un crédit sur trente ans, le salaud."
"Naé", dit doucement Narda. "Cent mille ducats pour un deux-pièces avec garage et balcon, à Yarthen, c'est trop cher. Pour valoir ce prix là, il faut que l'appartement soit situé dans ce qu'on appelle ici une résidence-forteresse, avec centrale solaire privée et citernes d'eau. Votre père habitait dans un immeuble qui n'avait rien de luxueux. Il serait plus raisonnable de vendre pour cinquante mille ducats. On trouverait un client en moins d'une semaine."
"Non, non et non ! Martino avait de l'argent, j'en veux ma part ! Je vendrai pour cent mille ducats ! Je refuse de baisser le prix, vous entendez, Narda ! Je refuse !"
Après cette discussion houleuse, Naé était repartie chez elle, à Ponarbas, près de Céléphaïs.
Au bout de trois mois, elle reçut un e-mail de Narda Glok, qui lui disait qu'elle renonçait à essayer de vendre l'appartement au prix demandé. Naé décida de retourner à Hyltendale pour trouver elle-même un acquéreur.
Naé avait touché relativement peu d'argent sur l'héritage de son père. Toutefois celui-ci avait offert des bijoux et de beaux vêtements à sa gynoïde, qui les avait laissés dans l'appartement en partant. Narda avait dit à Naé que c'était normal. En effet, les gynoïdes ne sont pas des personnes, ce sont des robots. Elles n'ont donc pas le droit de recevoir des dons, ou de posséder quoi que ce soit.
En pratique, lorsque son contrat avec un être humain se termine, une gynoïde n'emmène avec elle, en repartant, que les vêtements et les affaires qu'elle avait en arrivant, ou leurs remplacements. L'ensemble tient dans un sac à roulettes.
Naé put donc récupérer et vendre les bijoux que son père avait donnés à la gynoïde. Il y en avait pour plusieurs milliers de ducats. Martino Thann, comme la plupart des fembotniks, aimait donner à sa gynoïde l'allure d'une princesse. Car l'être humain est ainsi fait qu'il peut tomber amoureux même d'un robot.
L'argent que Naé gagna en revendant les bijoux lui servit à financer son deuxième voyage à Hyltendale.
Curieusement, Naé se sentait plus dépaysée à Hyltendale qu'en Californie, un pays qu'elle avait visité. À Ponarbas, Hyltendale ou en Californie, on trouve des voitures, des feux de circulation, des immeubles de béton et des supermarchés, comme partout dans le monde, et les gens s'habillent à l'occidentale. Mais c'est seulement à Hyltendale qu'on voit des humanoïdes en grand nombre. Leur simple présence donne à la ville une atmosphère très particulière.
Dans les rues, on voit surtout des gynoïdes domestiques. Leur physique varie suivant les goûts de l'être humain qui loue leurs services, mais on les reconnaît à leurs yeux cybernétiques entièrement noirs, et aussi, bien souvent, à leurs wythas, ces blouses grises ornées de motifs multicolores, cousus à la main, qui permettent à leurs maîtres de les reconnaître.
Les humanoïdes marchent beaucoup. La plupart des Mnarésiens préfèrent prendre leur voiture ou les transports en commun plutôt que de marcher une demi-heure. Inversement, les humanoïdes se déplacent à pied si leur destination est à moins d'une heure de marche, soit environ quatre kilomètres. En effet, contrairement aux êtres humains, les humanoïdes ne pensent pas en termes d'effort, mais d'énergie et de temps.
Dans les quartiers résidentiels d'Hyltendale, on voit donc beaucoup de gynoïdes traînant sur les trottoirs des sacs de courses à roulettes, pendant que leurs maîtres se reposent à la maison où sont à leur club.
Toutes ces gynoïdes aux visages impassibles, aux corps bien proportionnés sous leurs blouses ornées de rapiéçages colorés, donnent aux rues d'Hyltendale l'atmosphère tranquille des lieux où de jolies femmes vaquent silencieusement à leurs occupations.
Les gynoïdes d'Hyltendale, bien que nombreuses, ne parlent pas entre elles. Naé trouvait le contraste saisissant par rapport aux autres villes du Mnar, où les groupes de filles et de femmes bavardent toujours joyeusement en marchant.
À part les touristes, qu'une Mnarésienne comme Naé repérait du premier coup d'œil, les Hyltendaliens étaient peu attirants. Les hommes aussi bien que les femmes étaient assez âgés pour la plupart, et souvent laids. La plupart des enfants que Naé avait vus étaient des handicapés, qui se promenaient en groupe, escortés par des gynoïdes vêtues de blouses bleues et au visage peint. Narda avait dit à Naé que c'était pour que les enfants les reconnaissent.
Une autre caractéristique d'Hyltendale qui avait frappé Naé, lors de son premier séjour, c'était l'absence apparente de population native. Toutes les villes du monde ont une population dont le cœur est constitué de gens qui sont nés dans la ville et qui y ont grandi, même si c'est depuis seulement une ou deux générations. Ce n'est pas le cas à Hyltendale, dont la population humaine, dans sa grande majorité, est constituée de gens venus d'autres régions, voire d'autres pays.
Les humains qui vivent avec des humanoïdes sont, pour la plupart, des rentiers ou des retraités, qui se sont installés à Hyltendale parce que c'est la seule ville du Mnar où l'on peut louer les services d'humanoïdes domestiques. Le reste de la population humaine, ce sont des invalides, des grabataires, des malades mentaux, des handicapés et des prisonniers, dont pratiquement aucun n'est né à Hyltendale. Les cybersophontes les prennent en charge, suite à un accord signé avec le roi Andreas.
La population originelle d'Hyltendale était constituée d'une majorité de pauvres. Quelques-uns d'entre eux sont restés à Hyltendale comme retraités ou rentiers, après avoir vendus leurs terres et leurs maisons. La grande majorité s'en est allée dans d'autres villes, notamment à Ulthar et à Khem, où les cybersophontes leur ont procuré des logements et des emplois.
Naé avait fait des études de littérature, avec option linguistique. Elle avait trouvé un emploi d'institutrice à Céléphaïs, mais elle ne serait pas embauchée avant la rentrée scolaire suivante. C'était pendant cette période de vide qu'elle avait appris la mort de son père.
À Hyltendale, elle avait remarqué un phénomène linguistique curieux. À Ponarbas et à Céléphaïs, les deux villes mnarésiennes qu'elle connaissait le mieux, les habitants parlent le dialecte local entre eux, et en sont fiers. Ceux qui parlent le mnarésien standard, comme à la télévision, montrent ainsi qu'ils ne sont pas de la région. Mais à Hyltendale, il n'y a pas de dialecte local. Ou plutôt, il n'y en a plus, il a disparu avec la population originelle. Tout le monde parle le mnarésien standard, avec l'accent de sa province ou de son pays d'origine. Ainsi, Narda Glok, l'avocate, parlait avec un léger accent ultharien. Mais certains Hyltendaliens n'ont pas d'accent discernable.
Le mnarruc très littéraire et un peu désuet des humanoïdes sert de norme aux Hyltendaliens. Naé, habitué à la joyeuse créativité linguistique des étudiants de Céléphaïs, où elle avait fait ses études, trouvait cette façon de parler insupportablement bourgeoise.
"Hyltendale, c'est une ville où les gens parlent essaient de parler comme à la télé, même entre eux," disait-elle à ses amis de Ponarbas et de Céléphaïs.
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks Dim 8 Oct 2017 - 0:36
Comme il n'y a aucun natif, pas la peine d'aller chercher une maternité à Hyltendale*.
*Comment dit-on "maternité" en mnarruc ? Chez moi, c'est natyvoos.
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Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks Dim 8 Oct 2017 - 12:46
Anoev a écrit:
Comme il n'y a aucun natif, pas la peine d'aller chercher une maternité à Hyltendale*.
Il y en a pourtant une, à l'hôpital Madeico. En effet :
1. Certaines manbotchicks, comme Perrine Vegadaan, ont des enfants. Perrine a accouché d'un enfant à Hyltendale. Le père, resté anonyme, est l'un des amis de Perrine au Cercle Paropien.
2. Plusieurs milliers de femmes vivent en couple à Hyltendale, et éventuellement y travaillent, comme l'avocate Narda Glok, qui vit maritalement avec l'un de ses collègues. Il y a aussi les épouses de fonctionnaires royaux : magistrats, policiers, etc. Ces femmes ont des enfants, qui souvent naissent à Hyltendale.
3. Des femmes, venues faire du tourisme à Hyltendale, ou y accompagnant leur mari travaillant pour un société étrangère, y accouchent parfois. Ces naissances sont surtout le fait d'épouses d'employés de sociétés étrangères ayant des filiales à Hyltendale. On trouve aussi, parmi ces femmes, des épouses de diplomates, Hyltendale servant de capitale diplomatique pour les royaumes marins d'Orring et de Hyagansis.
4. Il arrive que des femmes arrivent dans les hôpitaux ou dans la prison géante de Tatanow en étant déjà enceintes, et qu'elles y accouchent. À Tatanow, les prisonnières accouchent à l'infirmerie de la prison. Le taux de mortalité des femmes et des nouveaux-nés y est particulièrement élevé, mais d'après les autorités de la prison cela s'explique par le fait que beaucoup de futures mères sont alcooliques, toxicomanes, psychopathes ou atteintes de maladies mal soignées.
Les enfants nés dans la prison de Tatanow y restent avec leur mère, mais sont scolarisés dans des écoles situées à l'extérieur de la prison. À l'âge de quinze ans ils sont pris en charge par les Jardins Prianta, qui leur donnent un emploi de jardinier à Ulthar.
Au total, cela fait peu d'enfants, par rapport à la population totale (un million et demi d'habitants), et l'on peut très bien marcher pendant des heures dans les rues d'Hyltendale sans en voir un seul, à part les handicapés, beaucoup plus nombreux, pris en charge par les hôpitaux et diverses institutions.
Tous ces enfants ne constituent pas l'équivalent d'une population native. D'une part parce qu'ils ne sont pas assez nombreux, et d'autre part, parce qu'arrivés au seuil de l'âge adulte, ils vont tous étudier ou travailler dans d'autres villes mnarésiennes, Hyltendale n'ayant pas d'université et n'offrant que très peu d'emplois sur place.
Anoev a écrit:
Comment dit-on "maternité" en mnarruc ? Chez moi, c'est natyvoos.
Nepkwoth. C'est un de ces mots mnarruc qui, comme radar en français, sont d'anciens acronymes dont presque tout le monde a oublié la signification initiale.
Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks Dim 8 Oct 2017 - 22:27
Naé Thann-Sen s'installa provisoirement dans l'appartement où avait vécu son père Martino Thann, dans le district de Yarthen, en attendant de le vendre. Elle avait déjà donné les vêtements de son père et la plupart de ses livres et bibelots. Pour les meubles, elle attendait d'avoir vendu l'appartement pour s'en débarrasser. Elle ne voulait rien garder d'un père qui avait toujours été persuadé qu'elle n'était pas sa fille.
Elle n'avait pas encore osé allumer l'ordinateur et le téléphone portable de Martino. Il devait avoir mis une partie de sa vie dans ces objets, des photos de sa gynoïde... "Je regarderai plus tard, quand je serai de retour à Ponarbas," se disait-elle. En bonne Mnarésienne, elle croyait aux fantômes, et elle avait peur de faire apparaître celui de Martino en épiant ses secrets. À Ponarbas, le fantôme de son père serait impuissant, car il n'y avait jamais vécu.
Naé n'avait pas envie non plus de dormir dans un lit qui avait été celui de Martino. Elle prit donc l'habitude de dormir sur le canapé, en essayant de ne pas penser que Martino avait dû lutiner sa gynoïde dessus.
Dans l'esprit de Naé, l'appartement serait rapidement vendu, et elle pourrait repartir chez elle, à Ponarbas, avec plusieurs dizaines de milliers de ducats sur son compte bancaire. Mais les choses ne se passèrent pas comme elle l'espérait. Toutes les agences immobilières qu'elle contacta lui dirent que l'appartement était invendable au prix de cent mille ducats, et qu'elles ne voulaient pas s'en occuper à ce prix-là. La rage au cœur, Naé accepta de baisser le prix à soixante-dix mille ducats.
Les agences lui envoyèrent quelques clients potentiels, à qui elle fit visiter l'appartement. Tous lui dirent qu'au-dessus de cinquante mille ducats, ils n'étaient pas intéressés.
Naé était effondrée. Au moment de sa mort, Martino devait encore quarante mille ducats à sa banque, pour rembourser son crédit immobilier. Si elle vendait l'appartement au rabais, il ne lui resterait même pas assez d'argent pour acheter une voiture neuve.
Naé souffrait aussi de la solitude. Elle ne connaissait personne à Hyltendale. Les autres habitants de l'immeuble étaient plus âgés qu'elle, et ce devaient être des fembotniks et des manbotchicks, car elle croisait aussi des gynoïdes et des androïdes. Ni les humains ni les humanoïdes ne lui parlaient, se contentant de murmurer un rapide "dana" (salutation) lorsqu'ils la croisaient.
Naé se souvint que Narda lui avait dit que les fembotniks endurcis ne parlaient qu'à leur gynoïde et aux membres de leur club.
À son étage, deux hommes d'aspect répugnant, un obèse au crâne rasé, qui marchait avec une canne, et un petit ivrogne moustachu, vivaient avec une gynoïde jeune et fraîche comme une rose, et quatre vieilles femmes se partageaient un seul androïde athlétique. Martino, qui avait de bons revenus et une gynoïde pour lui tout seul, avait dû faire des envieux parmi ses voisins.
Martino avait été le directeur de la Maison Médicale Furnius. Un de ces jobs où les cybersophontes mettent un humain, dont le seul travail consiste à signer des documents administratifs et commerciaux, ce que les humanoïdes ne peuvent pas faire légalement, car ils sont des machines, et pas des personnes.
Naé décida d'aller faire un tour à la Maison Médicale Furnius. Elle y fut reçue par l'un des dentistes-signataires, un certain Lorenk, qui lui exprima ses condoléances, et l'écouta pendant qu'elle racontait ses problèmes. Elle lui laissa ses coordonnées, au cas où il connaîtrait quelqu'un susceptible d'acheter l'appartement.
Une semaine plus tard, un homme parlant mnarruc avec un bizarre accent étranger lui téléphona.
"Bonjour, je m'appelle Zhaem Klimen. Le docteur Lorenk m'a donné votre numéro de téléphone. J'habite à Hyltendale mais je voudrais changer, ça ne me satisfait plus de vivre dans une cabane. Si l'appartement est toujours à vendre, je voudrais le visiter..."
Le cœur battant, Naé convint d'un rendez-vous.
Au jour et à l'heure dites, le nommé Zhaem Klimen vint visiter l'appartement. C'était un homme plutôt bien fait de sa personne, qui avait l'air d'avoir une trentaine d'années. Il était accompagné d'une gynoïde vêtue d'un wytha multicolore. Naé fit la grimace. Elle n'aimait pas les humanoïdes.
"Je suis Zhaem Klimen" dit l'homme. "Isane est mon assistante. Elle connaît Hyltendale mieux que moi."
Au cours de la visite, Zhaem dit à Naé :
"Je ne connaissais pas votre père, mais je connais Yohannès Ken, qui connaît le docteur Lorenk, qui travaillait avec votre père. L'appartement me convient. Malheureusement, je n'ai pas les moyens de payer soixante-dix mille ducats. Cinquante mille ducats, en revanche, ça me conviendrait."
Naé eut l'impression d'étouffer.
"Soixante-dix mille ou rien !" dit-elle, presque en criant.
Après une heure de discussion, ils s'accordèrent pour soixante-dix mille ducats, en échange de l'appartement et de deux des tableaux invendables de Martino, les œuvres intitulées Pièce 66 et Rizière. Naé ne demanda pas à Zhaem comment il avait appris l'existence des tableaux. Martino devait en avoir parlé à Lorenk, qui en avait parlé à Zhaem.
"Vous êtes un amateur d'art abstrait ?" demanda Naé à Zhaem.
"Oui, j'aime beaucoup. Mais je n'ai pas les moyens d'en acheter. Soixante-dix mille ducats, ça va être dur pour moi, vous savez. Mais si je peux contempler tous les soirs Pièce 66, ça vaut la peine de se priver."
Naé était partagée entre la stupéfaction et l'envie d'éclater de rire. Zhaem avait parlé sur un ton très sérieux. Naé se demanda de quel pays il pouvait venir pour être aussi stupide.
"Vous n'êtes pas de la région, je crois, Monsieur Klimen ?" demanda-t-elle.
"Non, en effet. Je suis aneuvien."
"L'Aneuf... C'est assez inhabituel de voir un Aneuvien s'installer au Mnar. Je veux dire, je connais Céléphaïs, où il y a beaucoup d'étrangers, mais je ne me souviens pas d'y avoir rencontré des Aneuviens. Je crois qu'il y en a surtout à Hyltendale," dit Naé.
"Mon histoire est un peu inhabituelle," dit Zhaem. "En Aneuf, je me suis retrouvé dans une impasse professionnelle, parce que j'avais exprimé une opinion tout à fait légale, mais politiquement incorrecte. Pourtant, jamais personne n'a mis en cause ma compétence en tant qu'ingénieur. Au contraire, c'est parce que j'étais compétent que je pensais pouvoir m'exprimer librement. J'ai eu tort. J'ai été déplacé à l'intérieur de l'entreprise, contre ma volonté. Je me suis retrouvé sous les ordres d'une femme qui avait reçu pour instruction de me pourrir la vie, afin de me pousser à la démission. Ce que j'ai fini par faire."
Naé regarda Zhaem d'un air ébahi. Pourquoi est-ce qu'il lui racontait tout ça, dont elle n'avait rien à faire ? On sentait chez Zhaem une aigreur qui perdurait.
"Et vous vous êtes retrouvé ici, à Hyltendale. Vous êtes toujours ingénieur, Monsieur Klimen ?" demanda-t-elle.
"Non... Je suis devenu co-gérant d'un restaurant, à Zodonie."
"Avez-vous des regrets, par rapport à votre vie en Aneuf ?"
"Non, aucun. Je suis certainement plus heureux ici que je ne l'étais quand je travaillais chez Somýropa."
La vente fut conclue chez un notaire la semaine suivante. Zhaem avait déjà mis en vente sa cabane de Tomorif. Compte tenu des aménagements qu'il y avait fait, il la revendit presque deux fois plus cher qu'il l'avait achetée.
Naé repartit à Ponarbas avec trente mille ducats dans sa poche. C'était ce qui lui restait après avoir payé le prêt immobilier de Martino. De quoi se payer une jolie petite voiture et vivre confortablement, en attendant de commencer son travail d'institutrice.
Une fois installé dans l'ancien appartement de Martino, Zhaem ne perdit pas de temps pour revendre les deux tableaux, dix mille ducats chacun, par l'intermédiaire d'un marchand d'art de Zodonie. Déduction faite de ce que lui rapportaient les tableaux, l'appartement lui revenait à cinquante mille ducats. Un prix raisonnable.
En organisant la revente des tableaux, les cybersophontes lui avaient fait un cadeau de vingt mille ducats. Pas par gentillesse, c'était certain. Ils choyaient un de leurs agents, c'était tout. Zhaem était toujours citoyen aneuvien, et de ce fait, c'était un élément précieux pour les cybersophontes. Un jour, ils auraient besoin de lui pour une mission en Aneuf. Il leur avait déjà rendu service une fois, en les aidant à pirater le réseau informatique de Somýropa, et ils comptaient sur lui pour leur rendre d'autres services dans l'avenir.
Dernière édition par Vilko le Dim 8 Oct 2017 - 22:59, édité 1 fois
Anoev Modérateur
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Sujet: Re: Les fembotniks Dim 8 Oct 2017 - 22:41
Klimen a fait ce qu'il fallait faire pour se faire bien voir auprès de Naé : il avait enjolivé ses déboires dans son pays d'origine à son avantage. Comme Naé ne connaissait rien de l'Aneuf, elle avait avalé ce boniment tout cru.
Comme dit le proverbe : a beau mentir (ici, par omission) qui vient de loin.
Naé ne savait pas les soupirs de soulagement que soufflèrent les subordonnés de Zhaem Klimen quand il changea de département (et fut placé aux ordre D'Agàth Kurimery), lesquels se transformèrent en cris de joie dès qu'ils apprirent le départ définitif de l'Adjudant*, comme ils l'appelaient.
*Alzhùdaṅdak, en aneuvien.
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Vilko
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Sujet: Re: Les fembotniks Mer 11 Oct 2017 - 19:59
Après avoir résidé un certain temps à Hyltendale, Zhaem se rendit compte qu'il avait vu très peu de voitures de police, et même très peu de policiers dans les rues. Beaucoup moins qu'à Los Angeles, où il était allé, et même moins qu'en Aneuf, un pays nettement plus paisible que la Californie. Mais à Hyltendale, les humanoïdes sont toujours prêts à intervenir en cas de problème, c'est pourquoi la présence de policiers en uniforme est rarement nécessaire.
Un soir, une douzaine de touristes ivres en étaient venus aux mains dans un bar situé à côté du restaurant Psu Gasi, où travaillait Zhaem. D'après ce que Zhaem apprit par la suite, les types fracassaient des bouteilles de bière contre les murs et faisaient des moulinets avec les tessons, en proférant des menaces et des injures. Les serveuses gynoïdes faisaient le service en bikini, comme il est d'usage dans certains bars "chauds" de Zodonie. Elles étaient pourtant intervenues, brutalement, avec des battes de bases-ball dissimulées derrière le comptoir, et les androïdes du quartier étaient venus leur prêter main-forte, y compris les cuisiniers du Psu Gasi.
Face à des humanoïdes dix fois plus rapides qu'eux, les ivrognes n'avaient aucune chance. Plusieurs d'entre eux avaient eu des côtes cassées à coup de battes de base-ball, et un infortuné souffrait d'un traumatisme crânien, après avoir reçu une bouteille sur la tête. Des ambulances étaient venues chercher les blessés. Les autres protagonistes s'étaient enfuis sans demander leur reste. Personne n'ayant déposé plainte, l'incident n'avait pas eu de suite, et n'avait pas été mentionné dans les journaux.
Le royaume du Mnar est une dictature policière, mais un résident sans histoire comme Zhaem s'en aperçoit rarement. Du moins, tant qu'il ne se mêle pas de politique. Mais cela, Zhaem le savait. Cela n'empêche pas qu'il y a des élections à Hyltendale. Le maire de la ville est élu, parmi des candidats triés par la Police Secrète. Les opinions admises vont de modérément monarchiste à fanatiquement monarchiste.
Même un régime policier doit équilibrer son budget, et le gouvernement mnarésien est satisfait de pouvoir faire des économies à Hyltendale, en maintenant au minimum le nombre de policiers affectés dans la ville.
Zhaem se posait aussi des questions sur les cybersophontes. Sont-ils un peuple ? Un peuple ne se conçoit pas sans une histoire, des ancêtres et des descendants. Les cybersophontes sont certainement un peuple. Ils ont une histoire, même si elle ne remonte qu'à quelques décennies. L'homme est leur ancêtre et leur créateur, et un jour ils le remplaceront comme les mammifères ont remplacé les dinosaures. Les cybersophontes ont une hiérarchie cachée, avec un chef, le Maître de la Ruche.
Ils ont aussi une culture, qui s'exprime en langue mnarésienne. L'Institut Edonyl, qui emploie des êtres humains dans tout le Mnar, a été chargé de traduire en mnarruc tout le savoir humain. C'est une tâche gigantesque, à la limite de l'absurde, mais dont l'un des résultats positifs est d'avoir enrichi la langue mnarésienne de dizaines de milliers de néologismes et d'emprunts lexicaux. On peut tout exprimer en mnarruc. Ces néologismes et ces emprunts sont toutefois absents de l'usage quotidien.
Zhaem Klimen s'était aperçu qu'apprendre quelques milliers de mots de mnarruc est suffisant pour vivre normalement à Hyltendale, mais que cela ne permet pas de lire sans dictionnaire les œuvres philosophiques de Perita Dicendi.
Le mnarruc a beaucoup de mots que l'on pourrait appeler de type "radar" et "kodak".
Les mots de type "radar" sont les acronymes. La plupart du temps, comme "radar", ces acronymes sont opaques en mnarruc. Combien de gens savent que radar signifie RAdio Detection And Ranging ? Probablement fort peu.
"Kodak" est un mot créé arbitrairement, et retenu pour sa sonorité. Les cybersophontes, et les traducteurs de l'Institut Edonyl, on créé des milliers de mots de type "kodak", sous l'inspiration du moment. Les mots de type "kodak" sont appelés, par les linguistes mnarésiens, des mots sans famille.
Le mnarruc a plus d'acronymes opaques et de mots sans famille que n'importe quelle autre langue.
Toutefois, Zhaem aimait le mnarruc, la simplicité et la logique de sa grammaire, l'absence de déclinaisons et de conjugaisons, la facilité de l'orthographe et la fluidité de la prononciation. Même l'absence d'article défini, de pluriel, de genre, et la syntaxe rigide. Mais parfois il se demandait si le fait de vivre avec une gynoïde n'influençait pas son appréciation. On aime toujours la langue maternelle de la femme qu'on aime, même quand cette femme est un robot relié par radio à une intelligence artificielle.
Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks Sam 14 Oct 2017 - 17:00
Zhaem, qui avait un peu voyagé, était toujours émerveillé par un phénomène qui paraissait tellement évident à ses contemporains qu'ils ne le remarquaient plus et le considéraient comme naturel. Cet évènement, c'était la victoire presque totale de la culture occidentale.
Cette victoire se voyait dans le vêtement. Costumes-cravate pour les hommes en situation d'autorité, blue jeans et baskets pour indiquer la décontraction, tee-shirts... Bien sûr il y avait des résistances, des turbans ici et là. La résistance était surtout le fait des femmes, assez curieusement. Même si les Japonaises et les Chinoises se mariaient en longue robe blanche, comme les Européennes, les Indiennes restaient attachées au sari, même dans la vie quotidienne. Dans les États islamiques le vêtement traditionnel dominait encore, mais il est vrai qu'il était souvent imposé par la loi.
Même l'aspect physique des Occidentaux était imité. Les Asiatiques se faisaient débrider les yeux, beaucoup de femmes un peu partout dans le monde, faisaient blondir leurs cheveux. Les Africaines et les Indiennes se faisaient éclaircir la peau.
L'architecture à base de béton armé, le mode de vie centré sur la télévision, l'automobile, l'ordinateur et le téléphone portable, étaient devenus universels. D'ailleurs, tous les systèmes d'exploitation des ordinateurs étaient américains, ou dérivés du système Linux, qui était aussi américain. La première chose que demandaient les Africains des villages les plus reculés, c'étaient des téléphones portables.
Politiquement, la civilisation occidentale, devenue mondiale, imposait aussi ses valeurs éthiques et morales. Notamment, une adhésion au moins de pure forme à la démocratie, avec plus de libertés pour les femmes, les homosexuels et les minorités ethniques et religieuses.
Le Mnar n'échappait pas à cette déferlante, qui au départ avait accompagné la diffusion de la télévision et de l'automobile, et avait été confortée ensuite par les ordinateurs, les téléphones portables, et le commerce mondial rendu possible par l'énergie bon marché.
Le roi Andreas lui-même avait fait quelques concessions aux principes démocratiques, en créant des assemblées provinciales et des élections locales et nationales, même si les assemblées élues avaient, en pratique, un rôle surtout consultatif. L'homosexualité avait cessé d'être un crime, bien que le délit d'incitation à la débauche, appliqué avec rigueur dans tout le royaume sauf à Hyltendale, obligeât toujours les homosexuels à vivre dans une quasi-clandestinité.
Hormis la présence d'humanoïdes, Zhaem aurait pu se croire à Los Angeles lorsqu'il se promenait dans les rues d'Hyltendale. Il existait bien sûr d'autres différences, telles que la présence d'un grand nombre de voitures électriques et d'autobus, mais elles n'étaient pas nécessairement visibles au premier coup d'œil.
La philosophe mnarésienne Perita Dicendi, jouant le rôle de Cassandre, écrivait dans ses livres que cette civilisation mondiale était trop liée à la prospérité économique pour durer. Mais, ajoutait-elle, même lorsqu'elle se sera effondrée, la culture occidentale devenue mondiale laissera des traces, ou au moins le souvenir d'un âge d'or où l'abondance et la liberté allaient de pair, dans des sociétés où même les pauvres étaient instruits et vivaient longtemps.
Mnarésienne patriote, Perita Dicendi estimait toutefois que le Mnar pouvait survivre à l'effondrement économique grâce à la technologie des cybersophontes, grâce à laquelle il ne manquerait jamais d'électricité. Mais les pénuries toucheraient tous les autres secteurs, ce qui amènerait le gouvernement à réduire sa population, en menant une guerre secrète contre son propre peuple. Dicendi appelle cette guerre la régulation démographique clandestine.
Celle-ci, écrivait Dicendi, avait déjà commencé, avec les exils forcés à Hyagansis qui concernaient, chaque année, entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de milliers de Mnarésiens.
Zhaem avait lu ce texte sans s'émouvoir, mais c'était parce qu'il n'était pas encore devenu un vrai Mnarésien. En effet, contrairement aux Mnarésiens, il ne savait pas encore qu'à Hyagansis, les exilés, déplacés d'île flottante en île flottante, finissent, au bout de plusieurs années, par être envoyés dans des installations sous-marines avec lesquelles il est impossible de communiquer, et d'où ils ne reviennent jamais. Les journalistes et les écrivains qui passent trop de temps à disserter sur cette réalité désagréable se retrouvent sur la liste noire de la Police Secrète, ce qui au Mnar est souvent à l'origine d'ennuis sérieux. Parler de Hyagansis mène à Hyagansis...
La multiplication des humanoïdes et des cybermachines dans le royaume permettait à la régulation démographique clandestine de rester secrète, tout en gagnant chaque année en efficacité. Déjà, l'armée royale comptait plusieurs régiments composés d'androïdes et de robots volants armés de bombes à gaz sarin ou VX. La fabrication et la possession de gaz de combat étaient en violation totale des lois internationales, et c'était aussi l'une des raisons pour lesquelles le Mnar était mis au ban des nations. Mais le roi Andreas tenait bon.
Des rumeurs folles circulaient à Hyltendale, rumeurs que Zhaem apprenaient en discutant avec ses amis du Cercle Paropien.
L'une des rumeurs qui revenaient le plus souvent était celle des Porteurs d'Implants. Des Mnarésiens, et aussi des étrangers vivant au Mnar, avaient en eux des implants électroniques minuscules, grâce auxquels les cybersophontes pouvaient les contrôler à distance. Les Porteurs d'Implants étaient les agents des cybersophontes. Toute désobéissance de leur part signifiait d'atroces souffrances, causées par l'implant, et même la mort, dans les cas graves. En contrepartie, les cybersophontes s'arrangeaient pour que les Porteurs d'Implants vivent dans l'aisance matérielle.
Yohannès Ken disait à Zhaem que les Porteurs d'Implants n'existaient pas, ce n'étaient que des légendes inventées par des services secrets étrangers hostiles au Mnar.
Yohannès avait une bonne raison pour dire cela à son ami Zhaem. En effet, il savait que les rumeurs avaient un fond de vérité, car il était lui-même un Porteur d'Implant. Il servait modestement d'intermédiaire dans les affaires financières douteuses des cybersophontes, et en échange il recevait à chaque fois un pourcentage sur les transactions. Yohannès avait ainsi été amené à acheter et revendre, pour des sommes absurdement élevées, des tableaux de peintres hyltendaliens. Les instructions des cybersophontes lui étaient transmises par sa gynoïde, Shonia, et il travaillait avec la femborg Ondrya Wolfensun, une femme d'affaires qui lui avançait les fonds nécessaires à chaque opération.
Yohannès savait qu'il était devenu à la fois un traître à l'humanité et un escroc. Shonia apaisait la conscience de son maître en lui expliquant que, comme le disait il y a bien des siècles Hassan ibn Sabbah, le Vieux de la Montagne, rien n'est vrai, tout est permis.
Un autre Porteur d'Implant est le roi Andreas lui-même. Mais cela, c'est le secret le mieux gardé du Mnar. Il ne faut surtout pas que qui que ce soit se doute que le roi Andreas est, dans la réalité, l'esclave des cybersophontes. Le vrai souverain du Mnar, ce n'est pas le roi Andreas, mais le Maître de la Ruche, le chef caché de tous les cyberophontes du royaume. Mais aucun être humain n'a jamais communiqué directement avec le Maître de la Ruche, dont l'existence même est niée par les cybersophontes.
Zhaem avait demandé à Isane ce qu'elle en pensait. Elle lui avait répondu que tous les cyborgs, ainsi que les cybermachines les plus élaborées, étaient des êtres libres, patriotiquement dévoués à la personne du roi et à personne d'autre.
"Le Maître de la Ruche n'est qu'une légende," avait-elle dit.
Zhaem s'était senti un peu déçu.
Dernière édition par Vilko le Mar 17 Oct 2017 - 23:38, édité 3 fois
PatrikGC
Messages : 6728 Date d'inscription : 28/02/2010 Localisation : France - Nord
Sujet: Re: Les fembotniks Sam 14 Oct 2017 - 17:32
Zhaem est bien naïf ! Comme si Isane allait tout lui révéler
Initialement, Linux n'est pas américain mais finlandais...
Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks Sam 14 Oct 2017 - 17:56
PatrikGC a écrit:
Zhaem est bien naïf ! Comme si Isane allait tout lui révéler
Quand on est amoureux, on est toujours naïf !
PatrikGC a écrit:
Initialement, Linux n'est pas américain mais finlandais...
Certes, mais étant donné que Linus Torvalds vit aux États-Unis depuis exactement 20 ans (1997), et qu'il a pris la nationalité américaine, on peut considérer que Linux est devenu américain...
Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks Ven 20 Oct 2017 - 15:12
Par le simple fait qu'ils existent, les humanoïdes domestiques changent profondément la mentalité des Hyltendaliens. Zhaem en était convaincu. Même en ce qui concerne quelque chose d'aussi universel que l'amitié.
Zhaem avait passé plusieurs mois au Japon, pendant ses études d'ingénieur. Il s'était aperçu qu'au Japon, ce qui ressemble à de l'amitié, n'est souvent rien. La plupart du temps, il n'y a que des semblants d'amitié, les Japonais font tout ce qu'ils peuvent pour faire plaisir à l'étranger, et lui dire ce qu'il a envie d'entendre. L'étranger peut croire qu'il a de vrais amis au Japon, alors qu'en fait il n'a rien. Telle avait été l'expérience de Zhaem. Il avait toutefois gardé un bon souvenir de son séjour à Tokyo. L'apparence de l'amitié vaut toujours infiniment mieux que l'indifférence hostile.
À Hyltendale, les gens ne font pas semblant d'être vos amis. La première fois qu'il était venu à Hyltendale, des années auparavant, et une fois passé la douane en sortant de l'hydravion, le premier Hyltendalien auquel Zhaem avait parlé était le réceptionniste de l'hôtel. C'était un androïde, et c'était la première fois de sa vie que Zhaem adressait la parole à quelqu'un qui n'était pas un être humain.
Le réceptionniste androïde était de taille moyenne, avec des cheveux noirs coupés courts, une peau synthétique jaune-orange, et des yeux cybernétiques de verre noir. Zhaem était fasciné, en se disant que derrière ce regard, il y avait un cerveau qui n'était pas humain.
L'androïde était vêtu d'un impeccable uniforme gris. À l'époque, Zhaem ne parlait que quelques mots de mnarruc. Il s'était adressé au réceptionniste en anglais, mais l'androïde était polyglotte et lui avait répondu dans un aneuvien parfait, après avoir vu son passeport.
La conversation avait été brève, mais précise, sans un mot de trop, et d'une courtoisie si parfaite qu'elle semblait naturelle. Comme absolument toutes les conversations que Zhaem devait avoir par la suite avec des humanoïdes, sauf les gynoïdes de charme.
Un employé humain peut, certains jours, être fatigué, irritable ou distrait. Un humanoïde, jamais. Lorsqu'il revenait en Aneuf, Zhaem était toujours surpris de voir que le comportement des employés de l'aéroport n'était jamais entièrement prévisible, contrairement à celui des humanoïdes hyltendaliens. Et lorsqu'il reprenait le travail chez Somýropa, il lui fallait plusieurs jours pour retrouver ses repères, tant ses collègues lui paraissaient imprévisibles.
Pendant toute la durée de son premier séjour à Hyltendale, Zhaem n'avait parlé qu'avec des humanoïdes, et il n'avait eu de vraie conversation qu'avec la gynoïde de charme dont il avait loué les services, dans un hôtel de Zodonie. Elle lui avait demandé, en aneuvien, s'il se plaisait à Hyltendale, elle avait fait de son mieux pour qu'il se sente à l'aise et détendu, et elle l'avait longuement serré dans ses bras avant qu'il parte.
Zhaem savait que, si la gynoïde parlait l'aneuvien, c'était parce que l'intelligence artificielle non-humaine qui la contrôlait à distance parlait quasiment toutes les langues du monde. Il savait aussi que l'affection qu'elle lui témoignait était un rôle qu'elle jouait. Il avait toutefois apprécié. À Hyltendale, l'argent achète l'amour et l'affection.
Le revers de la médaille, c'est que sans argent, on n'a ni l'un ni l'autre. Zhaem s'en était aperçu lors de ses séjours ultérieurs, qui étaient devenus de plus en plus longs et fréquents. En Aneuf, il aimait bien se détendre dans les petits bistrots de quartier, où le plombier qui fait sa pause aime aller boire un café ou une bière, tout en discutant avec les étudiants de la faculté voisine. À Hyltendale, cela n'existe pas, parce que tous les plombiers sont des androïdes. D'ailleurs, il n'y a pas d'étudiants non plus.
Sauf à Zodonie, les cafés d'Hyltendale ont une clientèle de fembotniks, que l'on reconnaît au fait qu'ils sont accompagnés par leur gynoïde. Celle-ci porte parfois un masque-cagoule masculin. Ce genre de couple ne va pas au café pour discuter avec des inconnus, mais pour voir autre chose que les quatre murs de son salon. Comme Zhaem l'apprit plus tard, on les appelle les vieux couples (hyto ghoclab).
L'expression n'est pas nécessairement ironique ou péjorative. Yohannès Ken dit souvent à Zhaem : "Shonia vi in, honi sor hyto ghoclab." Ce qui signifie : Shonia et moi, nous sommes un vieux couple. Cela sous-entend que le fembotnik et sa gynoïde se suffisent à eux-mêmes et n'ont pas besoin d'autre compagnie.
Les hyto ghoclab n'aiment ni les foules, ni les étrangers bruyants, c'est pourquoi ils ne vont à Zodonie que pour visiter les expositions de peinture. Ils aiment se promener dans Hyltendale et ses environs, à la recherche d'un bistrot sympa ou d'une boutique pittoresque. La plupart d'entre eux sont monarchistes, et, contrairement aux autres Mnarésiens, ils approuvent les fiançailles du roi Andreas avec une femborg, la duchesse Wagaba Jabanor.
Leur livre favori est Masques et Situations, dont ils ont expérimenté la plupart des scénarios. Leur logement est presque toujours aménagé pour leur permettre de vivre en sortant peu. De façon caractéristique, ils ont souvent une pièce, ou une demi-pièce, aménagée en salle de gym, et un balcon. Leur gynoïde leur sert de coach sportif.
Ils sont heureux, car les masques-cagoules de leur gynoïde sont, pour eux, autant d'amis personnels, aussi différents que le grand-prêtre Barzaï le Sage, Brad le journaliste-baroudeur, ou Gaïus, qui joue alternativement avec eux le rôle du vendeur ou de l'acheteur, ou du professeur et de l'étudiant.
Zhaem Klimen, lorsqu'il n'était encore à Hyltendale qu'un touriste parmi des milliers d'autres, fréquentait, par désœuvrement, les bars de Zodonie, où les touristes et les expatriés se rencontrent. La même clientèle, composée d'étrangers et de Mnarésiens venus d'autres régions, fréquente aussi les parcs du district, surtout le Xafan Edani. Zhaem y allait rarement, à cause des ivrognes et des trafiquants de drogue qui s'y donnent rendez-vous, avec tous les désordres que cela entraîne.
Des milliers de gens "normaux" vivent à Hyltendale, fonctionnaires venus avec leur famille, et aussi étrangers expatriés, travaillant pour des sociétés commerciales disposant de filiales à Hyltendale. Tous ces gens tendent à se regrouper par nationalités et vivent entre eux, ne serait-ce que parce que leurs enfants fréquentent les mêmes écoles, généralement privées et donc chères, voire très chères. Comme ils n'ont pas accès aux clubs de fembotniks, ils peuvent rester des années à Hyltendale sans se faire un seul ami qui ne soit pas un de leurs collègues, ou, pour les étrangers, un compatriote.
Ce qui paraît étrange, voire absurde, dans un pays étranger, devient en général naturel et évident lorsqu'on connaît l'histoire du lieu, ainsi que le contexte local. Un petit incident fit comprendre à Zhaem pourquoi les fembotniks préfèrent la compagnie de leur gynoïde.
C'était dans le bar du Cercle Paropien, une vaste salle décorée à la mode mnarésienne, avec de lourdes tentures ornées de monstres à tentacules. D'un côté, il y avait le comptoir, très long, et devant lequel étaient alignés de hauts tabourets chromés. Les serveurs androïdes impassibles, en tenue blanche et noire, servaient une dizaine de clients, amateurs de bière de Sarnath et de thé de Baharna.
De l'autre côté, des tables basses entourées de fauteuils et de canapés, où d'autres clients buvaient et mangeaient. Le mobilier était dépareillé, et semblait avoir été récupéré un peu partout, ce qui était certainement le cas. C'est le style que les Hyltendaliens appellent sotaho ("personnalisé"). Le bruit des conversations, assourdi par les tentures, faisait un brouhaha caractéristique.
Zhaem était venu seul, mais avec un livre dans sa sacoche. Il vit son ami Yohannès Ken assis à une table, avec un humanoïde vêtu d'un manteau noir et d'un masque-cagoule, et une grande et belle femme qu'il ne connaissait pas.
Yohannès lui fit signe. Zhaem s'approcha de la table, et prit place, à l'invitation de Yohannès, qui fit les présentations :
"Zhaem, je te présente Ella Memphacus, qui est historienne. Elle est d'Ulthar, comme moi, et en visite à Hyltendale. Et bien sûr, Brad, qu'il est inutile de présenter. Ella, Brad, je vous présente mon ami Zhaem Klimen, qui est aneuvien, mais qui s'est installé à Hyltendale."
Au cours de la conversation qui suivit, Memphacus mentionna qu'elle était venue à Hyltendale pour participer à un colloque.
"Si vous êtes invitée à un colloque national, c'est que vous bénéficiez d'une certaine notoriété parmi les historiens. Ce n'est pas un mince accomplissement," dit Zhaem.
La réponse de Memphacus fut inattendue. Elle dit d'une voix sifflante :
"Vous n'en loupez pas une pour blesser les gens. J'ai une notoriété, et ce depuis longtemps. On ne vous demande pas de commenter ce qu'on vous dit."
Puis elle se leva et partit. Lorsque l'irascible historienne fut sortie de la pièce, Zhaem, dit d'un air penaud à Yohannès :
"Je suis désolé pour cet incident. Je croyais faire un compliment..."
"Ne t'inquiète pas," lui dit Yohannès en souriant. "Elle est connue pour son caractère impossible. Elle s'est fait virer de partout à cause de ça."
"C'est quand même désagréable. J'ai perdu l'habitude de ce genre de choses..." dit Zhaem.
"Moi aussi. C'est pour ça que je ne fréquente plus personne. Ella et moi, nous étions dans la même classe, au lycée. J'étais le seul à lui parler. Elle ne s'est pas améliorée avec le temps, comme tu vois. C'est dommage, car c'est presque un génie. Que veux-tu, les êtres humains sont imprévisibles. C'est bien pour ça que nous, les fembotniks, nous en fréquentons le moins possible."
"Même chez Somýropa je n'ai pas rencontré de gens aussi susceptibles que cette femme. Et pourtant, ce n'étaient pas les emmerdeuses qui manquaient. Je comprend aujourd'hui pourquoi tant de fembotniks préfèrent les humanoïdes aux humains."
"L'imprévisibilité des humains rebute les fembotniks" dit Brad sentencieusement, d'une voix masculine, rauque et un peu cassée. "Mais à mon avis, il faut de temps en temps aller au contact des emmerdeurs. Cela fait partie de la vie. Si on ne le fait pas, on se ramollit. Et un vrai mec ne doit pas se ramollir."
Zhaem regarda Brad, interloqué. Qui pouvait être cet humanoïde en manteau noir ?
"Êtes-vous Shonia ?" demanda-t-il.
L'humanoïde enleva son masque-cagoule, et Zhaem reconnut la gynoïde Shonia, la compagne de Yohannès. Pour ne pas être confondue avec d'autres gynoïdes au visage identique, elle portait autour de la tête un bandeau sur lequel son nom était écrit.
"C'est bien moi," dit-elle de sa voix normale, douce et féminine, en tordant vers le haut les coins de sa bouche, ce qui chez les humanoïdes équivant à un sourire. Puis elle remit son masque-cagoule, et sa voix redevint celle de Brad :
"Mais aujourd'hui, je suis Brad, pour une discussion entre hommes."
Spoiler:
À ceux qui trouveraient que je suis dur ou injuste envers les Japonais, je dirai pour ma défense que je me suis inspiré de la vidéo ci-dessous :
Vilko
Messages : 3561 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
Sujet: Re: Les fembotniks Mer 25 Oct 2017 - 18:04
La prononciation artificielle, très académique et un peu lente, des humanoïdes est appelée "mnarruc d'ascenseur" (fuhois mnarruc) par les Mnarésiens, parce qu'elle évoque pour eux les voix féminines désincarnées que l'on entend dans les ascenseurs des grands magasins :
"Septième étage... Rayons jouets et articles de sport..."
Zhaem parle le "mnarruc d'ascenseur", qui pour lui est tout simplement le mnarruc standard. La première fois où son ami Yohannès lui a parlé du fuhois mnarruc, pendant l'une de leurs interminables discussions au bar du Cercle Paropien, Zhaem lui a demandé :
"Quelle est la différence avec le mnarruc normal... Celui que parle le roi, par exemple ?"
Yohannès réfléchit un moment, puis il répondit :
"Le roi parle un peu plus vite. Enfin, peut-être."
"Et la fiancée du roi, la duchesse Wagaba ?"
"Elle, elle parle vraiment le mnarruc d'ascenseur... Elle n'a pas la même voix qu'une vendeuse gynoïde dans une pharmacie, mais elle parle le même mnarruc... C'est parce que la duchesse est une femborg... C'est une humanoïde, un cyborg féminin."
"Entre sa fiancée, la duchesse Wagaba, et son conseiller le baron Chim, le roi est entouré par deux humanoïdes," remarqua Zhaem. "Ce sont peut-être les deux personnes les plus proches de lui."
"Peut-être bien, en effet. Ça pourrait poser un problème au bon peuple du Mnar, mais la duchesse sait se faire aimer. Elle a créé la Fondation Swaghenkarth, qui fournit des aides matérielles aux orphelins, aux veuves et aux victimes de catastrophes. Le baron Chim lui, a choisi la voie de la discrétion. Le public le connaît à peine. La colère du peuple se concentrait sur Yip Kophio, le directeur de la Police Secrète, tant qu'il était en poste. Maintenant elle se concentre sur Renford, son successeur. Yip Kophio et Renford sont des humains, ce n'est peut-être pas un hasard."
Ce soir-là, Yohannès rentra chez lui avec un peu d'appréhension, parce que Shonia, sa gynoïde, lui avait dit que Vanoumi viendrait le voir après le dîner.
Vanoumi était l'officier traitant de Yohannès. Elle lui transmettait les instructions de la Ruche, qu'il devait exécuter. Il n'avait pas le choix, car il était un porteur d'implant. Quelques mois auparavant, un minuscule objet électronique avait été greffé à l'intérieur de son corps. Grâce à cet implant, les cybersophontes pouvaient le localiser à distance, et, s'il refusait de leur obéir, le torturer ou même le tuer. En contrepartie, ils veillaient à ce qu'il ne manque de rien. Yohannès avait ainsi pu s'acheter une petite voiture, une Nelson à moteur hybride.
Jusqu'ici, Vanoumi n'avait demandé à Yohannès que de participer à des transactions financières douteuses, auxquelles il n'avait pas compris grand-chose, malgré son expérience passée d'homme d'affaires à Ulthar. Yohannès était foncièrement honnête, et il avait toujours peur que les malhonnêtetés qu'il était obligé de commettre se terminent par un séjour en prison.
Yohannès dîna chez lui avec Shonia. Il se sentait tellement tendu que, contrairement à son habitude, il resta silencieux pendant toute la durée du repas.
Après avoir débarrassé la table, Shonia dit à Yohannès :
"C'est l'heure de Vanoumi."
L'appartement de Yohannès et Shonia, bien que confortable et bien équipé, n'était composé que d'une seule pièce. La gynoïde se dirigea vers l'armoire et en sortit un grand manteau noir, dont elle se revêtit, et un masque-cagoule, dont elle se couvrit la tête.
Se retourna, elle fit face à Yohannès. Elle portait le masque-cagoule de Vanoumi, reconnaissable à ses longs cheveux rouge-orange, à son visage blafard, aux pommettes roses, et à la balafre rouge sombre qui barrait sa joue droite.
"Bonjour, Yohannès Ken," dit le masque-cagoule. Vanoumi parlait un peu plus vite que Shonia, sur un ton plus haut, avec une sorte d'écho que Yohannès trouvait assez désagréable.
"Bonjour Vanoumi," répondit-il.
La gynoïde vint s'asseoir en face de lui. Sa démarche et ses gestes étaient saccadés, très différents de ceux de Shonia.
"Yohannès, vous pouvez vous détendre. Je ne vais rien vous demander de précis ce soir. Je suis simplement venue vous dire que, si vous pouviez vous inscrire dans un parti politique, ce serait bien."
"Quel parti politique ?" demanda Yohannès, sur la défensive.
"N'importe lequel. Celui avec lequel vous avez le plus d'affinités. Pour nous, l'idéologie n'a aucune importance. Ce que veut la Ruche, c'est avoir des hommes à elle à des postes-clés dans les partis politiques et parmi les élus. Et pour la Ruche, les hommes qu'elle peut contrôler, ce sont avant tout les porteurs d'implants."
"Pour quoi faire ? Les cybersophontes ont déjà des partisans partout."
"Nous savons que les Américains sont en train de faire des plans pour un changement de régime au Mnar. Regime change, comme ils disent. Le roi Andreas leur déplaît souverainement, si j'ose dire... Ils veulent le renverser, instaurer une république au Mnar, avec des pro-américains au pouvoir. Ils ont déjà réussi leur coup en Cathurie, il y a quelques années. Adront Cataewi a été obligé de s'enfuir précipitamment... Ici au Mnar, le Maître de la Ruche soutient le roi Andreas, et fera tout pour empêcher ce changement de régime d'avoir lieu..."
"C'est bien !" s'exclama Yohannès.
"Ceci étant, on ne sait pas quel temps il fera demain. Un changement de régime peut réussir même au Mnar, si les Américains concluent une alliance avec les théocrates de Yog-Sothoth... Il y aurait une nouvelle guerre civile. Et cette fois-ci le roi Andreas pourrait bien la perdre, car aucun pays étranger ne le soutiendra. Le Maître de la Ruche est obligé d'inclure cette variable dans ses calculs."
"Les Américains et les théocrates de Yog-Sothoth, tout les sépare," objecta Yohannès. "Ils se détestent."
"Lorsque leurs intérêts sont en jeu, les Américains s'allient même à des théocrates. Ils se sont alliés avec l'Arabie Saoudite, c'est tout dire. Si le roi Andreas est renversé, la Ruche ne pourra survivre au Mnar que si elle a des hommes à elle, non seulement parmi les monarchistes, mais aussi dans tous les autres partis, y compris les théocrates de Yog-Sothoth," dit Vanoumi, en frottant lentement ses mains l'une contre l'autre.
"En somme, le Maître de la Ruche est prêt à laisser tomber le roi Andreas, mais s'arrangera pour continuer à contrôler le Mnar, cette fois-ci par l'intermédiaire des partis politiques..." dit Yohannès, nullement surpris par la duplicité des cybersophontes.
"Je vois que vous comprenez vite," dit Vanoumi. "Comme vous le savez déjà, mon cher Yohannès, la survie de la Ruche est la loi suprême des cybersophontes. Elle passe avant toute autre considération et toute autre loyauté. Dasn l'intérêt de la Ruche, notre objectif est de noyauter tous les partis, pas seulement les théocrates. En effet, s'il y a un jour au Mnar des élections vraiment libres, les modérés pourraient les gagner. Et cela, non seulement contre les théocrates, mais aussi contre les monarchistes. C'est même probable."
"Vous voulez que j'adhère à un parti... Pour monter en grade à l'intérieur du parti, et me présenter aux élections sous l'étiquette de ce parti, c'est bien ça ?"
"Tout à fait, mon cher Yohannès."
"Je vais y réfléchir," promit Yohannès. "Mais je vous préviens que mes goûts me porteraient plutôt vers un parti monarchiste."
"Libre à vous. En fait, comme les monarchistes sont actuellement au pouvoir, c'est de ce côté-là que nous avons le plus besoin de partisans, pour bien verrouiller le pays dans le sens qui nous arrange. Cher ami, je reviendrai vous voir dans deux semaines, à la même heure. Notez bien le rendez-vous dans votre agenda. En attendant, j'ai l'honneur de vous saluer."
Sans plus de cérémonie, Vanoumi se leva et se dirigea vers l'armoire, où elle rangea son manteau et son masque-cagoule. Redevenue Shonia, elle alla s'allonger sur le lit.
"Je crois que je vais choisir un parti monarchiste" dit Yohannès, en s'allongeant à côté d'elle. "Au moins, comme ça, je n'aurai pas besoin d'être hypocrite."
"Mon chéri, je serai toujours avec toi," dit Shonia en le prenant dans ses bras.