- ziecken a écrit:
- Bonne initiative, cela fait belle lurette que je n'avais pas lu cet ouvrage !
Merci !
J'attaque à présent l'introduction de ce très dense ouvrage.
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L'introduction est elle-même divisée en sous-chapitres !
1.
Umberto Eco cite ses références (récapitulée dans une bibliographie en fin d'ouvrage).Du coup, le livre devient une mine pour recenser les langues construites (ou déconstruites).
BORST, Arno : Der Turmbau von Babel. Geschichte der Meinungen über Ursprung und Vielfalt der Sprachen und Völker - 6 volumes. (Stuttgart : Hiersemann, 1957-1963)
...semble être le point de départ de l'étude d'UEco, mais, devant l'ampleur de la tâche, Eco va vite faire le ménage de son propre aveu. L'ouvrage de Borst évoque une quête mondiale, le critère de Eco sera européen. Mais il va resserrer encore plus dramatiquement les mailles de son tamis, après une première incursion dans plusieurs lourds volumes, dont les suivants :
DEMONET, Marie-Lucie : Les voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580) (Paris : Champion, 1992).
COUTURAT, Louis et LEAU, Léopold : Histoire de la langue universelle (Paris, Hachette, 1903).
...qui n'est autre que le volume joyeusement réédité et copyrighté par un autre éditeur (est-ce qu'Hachette est au courant ?), partiellement mis en ligne, dont nous avons discuté ici :
https://aphil.1fr1.net/langues-auxiliaires-f7/histoire-de-la-langue-universelle-livre-t103.htm***
Eco fait un recensement qui intéressera peut-être les bâtisseurs de listes de langues construites :Couturat et Léau citent 19 langages a-priori ; 50 a posteriori ou mixtes.
Monnerot Dumaine cite 360 projets de langues internationales.
Knowlson cite 83 projets de langue universelle nés entre le 17ème et 18ème siècles.
Porset cite 173 projets de langue universelle nés au 19ème siècles.
Alors, le compte est-il bon ?
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Eco (ou son traducteur anglais), lâche un gros mot, semblant désigner l'étude d'une langue possiblement construite :
- Umberto Eco, traduction James Fentress a écrit:
Some (books), by obscure authors*, were entirely dedicated to the glottogonic problem"
*Rassurez vous, par "auteur obscur", Eco parle sans doute de lui-même une fois qu'un siècle aura passé.
Après vérification, Glottogonic ne figure pas dans le prestigieux Oxford Dictionnary of English 2005.
Mais le non moins prestigieux Merriam-Webster est prêt à nous le définir pour une période d'essai gratuite :
http://www.merriam-webster.com/dictionary/Glottogonic
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Heureusement pour moi, d'autres dictionnaires en ligne me l'offrent gratuitement et sans poser de questions :
http://www.thefreedictionary.com/Languages
http://www.faqs.org/ologies-isms/Ide-Lef/Language.html
Glottogony signifie donc
l'étude de l'origine des langues.
...En espèrant que ce mot (ne) nous inspire (pas) dans notre quête pour remplacer Conlangue
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2.
Or, donc, nous dit Umberto Eco, ayant constaté que c'était trop de travail que de synthétiser ce qu'est la quête du langage universel à travers le monde ou même en Europe, notre érudit se lance donc dans un grand coup de balai, histoire de pouvoir travailler plus sereinement.
Comme à la Nouvelle Star, les candidats retenus sont donc :1. La redécouverte des langues dites "parfaites" car anciennes ou mystiques : Hébreu, Egyptien, Chinois.
2. Le reconstruction d'une langue mère de toutes les langues supposées, tel l'Indo-Européen.
3. Les langues construites ayant l'un des trois objectifs suivants :
(a) La perfection - donc les langages a-priori du 17 et 18ème (pas du 19ème ou du 20ème alors ? Ni ceux d'avant, même en Europe), leur idée étant de découvrir de nouvelles relations entre les différents aspects de la réalité (Ah-ha... Eco parlerait-il des Mathématiques, là ? Pas sûr du tout).
(b) La perfection en tant qu'universalité, donc les langages a posteriori du 19ème (donc pas ceux du 20ème ou des siècles précédents, y compris en Europe).
Je commence à avoir l'impression qu'Eco nous fait un digeste des volumes précités et non une oeuvre originale de synthèse.
(c) La perfection en terme de pratique, même si elle est seulement supposée, à travers les Polygraphies (?).
4. Les langues magiques, eut égard à leur nature mystique ou leur secret initiatique.
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A l'opposé, Umberto escamotera :1. tous les langages oniriques, de la transe (éjectée Hildegarde de Bingen).
2. Tous les langages créés dans le cadre d'une oeuvre de fiction (tchao Tokien, de toute façon ton Quenya était trop dur à apprendre pour Eco, et pas reconnu pour l'obtention d'un Doctorat Honoris Causae). Le critère de rejet est l'absence de vocabulaire ou de syntaxe (manque de pot pour Eco, Tolkien fournit ce genre d'objets).
3. Toutes les langues "bricolées" (NDR : restons poli !), à savoir toutes les langues crées par la confrontation des populations (pidgins etc.), parce qu'elles sont (sic) trop simplifiée, trop limitées, incapable d'abstraction, réservés à des activités simples (donc pas évidentes à inclure dans un bouquin bien compliqué, en effet...). Peu importe à Eco que toutes les langues naturelles proviennent de ce genre de brassage, ou que le gentil boy ou le gentil colon aient réussi à un moment ou à un autre à véhiculer par leur langage un énoncé "abstrait".
Eco renvoie carrément à un certain Waldman (Pidgin and Creole Linguistics, Bloomington : Indiana University Press, 1977) pour étayer l'élimination des langues "bricolées", indignes de se rapprocher d'une langue universelle, ce qui est un bête appel à autorité, sans recoupement des sources ni vérification par l'expérience et la contreexpérience personnelle.
Quel mépris.
Sont également éliminés :4. Toute langue naturelle ou jargon qui permettent de se comprendre (y compris de partager l'expérience intellectuelle du plus haut type) dans des zones où beaucoup de langues se cotoient : Eco élimine au passage le Français et l'Anglais, mais pas l'Italien ou le Latin. Lapsus révélateur ?
5. Les langages formels dont l'utilisation se limitent à des objectifs spécifiquement scientifiques, comme la Chimie, l'Algèbre, la Logique. Eco élimine donc les langages Mathématiques, mais c'est un peu logique, car, si cela se trouve, il ne les comprend pas : pourquoi considérer alors comme une langue universelle des langages qu'il ignore lui-même ?
Même si les scientifiques du monde entier arrivent à travailler ensemble avec ce type de langage et à réaliser ensemble de prodigieux projets concrets.
6. Les langages des fous.
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Autrement dit, Eco a éliminé toute réflexion sur les explorations des leviers inconscients du langage, toute création naturelle du langage, et de ce fait tout langage qui avait une chance d'être véritablement universel, et toute tentative récente (20ème siècle).
Bref, il semble bien parti pour se complaire à parler des jeux d'égos et de la nullité des tentatives ratées accumulées par des inventeurs réputés par ailleurs ou "d'obscures" gloseurs.
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C'est d'ailleurs exactement le pli donné par les quatre citations mise en exergue au début de son ouvrage :
La première, égyptienne, tourne en ridicule les expériences des anciens pour découvrir quelque chose.
La seconde, à propos de Frederick II, entâche d'horreur toute tentative de trouver un langage universel.
La troisième sur Leibniz, ajoute un soupçon de corruption, d'escroquerie : c'est pour piquer de l'argent aux gogos qu'on fait rêver d'un langage universel.
La quatrième de Swift, tourne en ridicule toute tentative d'échaffauder un langage universel.
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A ce point de ma lecture, toute la démarche d'Umberto Eco semble se réduire à un simple jeu de dépréciation (je dis du mal des autres pour me sentir mieux moi même, paré d'atours cultureux et d'appels à l'autorité, et l'auteur me parait, de ce fait, non seulement beaucoup moins sympathique, mais également beaucoup moins crédible et digne d'intérêt.
Je continue toutefois ma lecture, en espérant que je changerai d'avis, ou encore que je trouvais cachées dans la masse d'informations, des pistes beaucoup plus intéressantes, qu'Eco se sera garder d'explorer ou de partager avec le lecteur.