Qu'est-ce que l'ergatif ?

L'an dernier (enfin, c'était en décembre !), Etuel a présenté une nouvelle langue, l'Urqalti. Dans la discussion qui s'ensuivit, on parla de l'ergatif.
Malgré les diverses indications données par lsd ou Kotave, je n'ai pas compris en quoi l'ergatif consistait. Quelqu'un aurait-il la bonté de m'expliquer de quoi il retourne ?

Si mes infos sont bonnes, la voix ergative, c'est un peu comme la voix pronominale (le sujet est à la fois actant et patient) sauf qu'il n'y a pas de complément d'objet direct*.

Par exemple :

Le cuisinier cuit un gigot : voix active
Le gigot cuit : voix ergative.

On trouve d'autres verbes de la même veine :

Corvisart accoucha Marie-Louise : voix active.
Marie-Louise accoucha : voix ergative.

À Murano, on fond le verre : voix active
Le verre a fondu : voix ergative
Le verre est fondu, a été fondu : voix passive.

Dans certaines langues (le basque, entre autres), le sujet n'est pas décliné de la même manière s'il est sujet d'un verbe actif (cuisinier, Corvisart, on) ou ergatif (gigot, Marie-Louise, verre).

En aneuvien...:

*Mais de complément d'objet indirect, il peut y en avoir : Marie Louise accoucha d'un Aiglon.

En fait ce mot peut désigner plusieurs choses :

1/ Un alignement morphosyntactique dans lequel le sujet transitif est "marqué" par rapport aux autres arguments du verbe (cf les schémas dans cet article)

2/ Le cas nominal servant à marquer le sujet transitif (cas ergatif)

3/ Mais aussi certaines constructions présentes dans les langues non-ergatives, comme "le gâteau cuit" ou "the window broke" : à savoir des propositions où, bien que le verbe soit à la voix active, le sujet subit le procès.

J'espère que ça pourra t'aider.

lsd a écrit:

Comme en français quand on dit en construction intransitive le bois brûle
-------------------------------------------------en construction intransitive l'homme brûle le bois

ftfy

Moi, on me l'a expliqué comme suit:
habituellement, un verbe peut être relié à un ou a deux arguments. On parle de verbe intransitifs et transitifs.
Dans une langue accusative, comme le français, on dit qu'un verbe intransitif a un sujet, et qu'un verbe transitif a un sujet et un complément. Remarquons que, dans les deux cas, on parle de sujet.
Dans une langue ergative, on dit qu'un verbe intransitif a un absolutif, et que le verbe transitif a un absolutif et un ergatif. Le point intéressant, c'est que, si l'absolutif du verbe intransitif correspond au sujet, il correspond au complément du verbe transitif.
En français, on a une construction similaire dans le cas d'un substantif d'action. On parle de la lecture de Silvano (c'est moi qui lis), mais de la lecture du livre par Silvano (c'est toujours moi qui lis, pas le livre). Ici, le complément introduit par de correspond à l'absolutif, et celui introduit par par, à l'ergatif.

Le sujet est juste décliné non ?

Par exemple si je ne me trompe pas, le sujet reçoit un -k en basque, alors que le COD ne reçoit rien (nik dut etxe : j'ai une maison).

Kotave a écrit:

Le sujet est juste décliné non ?

Par exemple si je ne me trompe pas, le sujet reçoit un -k en basque, alors que le COD ne reçoit rien (nik dut etxe : j'ai une maison).

Pas tous les sujets : seulement ceux des verbes transitifs. C'est ce qui rend les langues ergatives différentes des langues accusatives.

Silvano a écrit:

En français, on a une construction similaire dans le cas d'un substantif d'action. On parle de la lecture de Silvano (c'est moi qui lis), mais de la lecture du livre par Silvano (c'est toujours moi qui lis, pas le livre). Ici, le complément introduit par de correspond à l'absolutif, et celui introduit par par, à l'ergatif.

Cet exemple de complément du nom à géométrie variable (su j'puis dire !) m'a fait penser à deux syntagmes, de même construction (un nom et son complément) mais très différents si on les analyses en profondeur :

L'assassinat d'Henri IV
Le crime de Ravaillac.

Je ne sais pas comment on appelle ça en grammaire.

On a, encore plus ténu (et ça pourrait faire l'objet d'une proposition) :

L'amour des trains, de Dieu (l'amour pour les trains, pour Dieu)
L'amour de ses enfants (deux sens possibles : pour ses enfants ; de la part de ses enfants)
L'amour de ma vie...

Anoev a écrit:

L'assassinat d'Henri IV
Le crime de Ravaillac.

Je ne sais pas comment on appelle ça en grammaire

Le deuxième est une sorte de génitif, non ?
Pour le premier je dirais bien "complément de patient", par analogie avec "complément d'agent".

bororo a écrit:

2) Le deuxième est une sorte de génitif, non ?
1) Pour le premier je dirais bien "complément de patient", par analogie avec "complément d'agent".

2) Oui, je pense aussi.

1) Sauf que le complément d'agent est rattaché à un verbe (pas toujours au passif, si on réfléchit bien), alors que là, il s'agit d'un nom (assassinat).

Anoev a écrit:

il s'agit d'un nom

... mais qui décrit une action (ainsi qu'une "passion" par la même occasion).

(au passage, la force des baïonnettes n'est-elle pas plutôt un moyen ?)

bororo a écrit:

La force des baïonnettes n'est-elle pas plutôt un moyen ?

La frontière entre l'agent et le moyen est parfois tracée en pointillés.

La charge est soulevée par un câble.

On a "câble" qui est manifestement un complément d'agent (verbe passif + par)

La charge est soulevée avec un câble.

Le sens rigoureusement le même, pourtant, on a un CC de moyen

La charge est soulevée par l'ouvrier, avec un câble.

là, on a les deux, bien distincts.

L'ouvrier soulève la charge avec un câble.

Complément de moyen...

Anoev a écrit:

bororo a écrit:

La force des baïonnettes n'est-elle pas plutôt un moyen ?

La frontière entre l'agent et le moyen est parfois tracée en pointillés.

La charge est soulevée par un câble.

On a "câble" qui est manifestement un complément d'agent (verbe passif + par)

La charge est soulevée avec un câble.

Le sens rigoureusement le même, pourtant, on a un CC de moyen

La charge est soulevée par l'ouvrier, avec un câble.

là, on a les deux, bien distincts.

L'ouvrier soulève la charge avec un câble.

Complément de moyen...

Et que dire de:

Le câble soulève la charge sous le contrôle de l'ouvrier ?

Silvano a écrit:

Le câble soulève la charge sous le contrôle de l'ouvrier

Je l'analyserais de la manière suivante :

Sujet	verbe	COD	CC manière
Le câble	soulève	la charge	sous le contrôle
			complément de nom
			de l'ouvrier

Merci beaucoup pour toute vos réponses, je crois que j'ai compris ! Ce qu'il y a de bien avec toutes ces langues imaginées, c’est que l'on comprend mieux sa propre langue (ou les autres d'ailleurs!)

Fiboutolv a écrit:

Merci beaucoup pour toute vos réponses, je crois que j'ai compris ! Ce qu'il y a de bien avec toutes ces langues imaginées, c’est que l'on comprend mieux sa propre langue (ou les autres d'ailleurs!)

Sûr ! C'est ce qu'il m'arrive de dire à ceux qui doutent du bien fondé de créer une persolangue : l'intérêt est surtout grammatical (mais pas seulement, grâce à ce... sport, j'ai trouvé de nouvelles méthodes pour créer des mots, et puis en consultant à droite et à gauche dans diverses encyclopédies en ligne, j'ai appris des tas de choses, effeciv'ment, sur les langues naturelles existantes).

J'ai une vach'tendance à confondre la voix ergative et la voix moyenne !

Quelqu'un pourrait-il m'en sortir : j'ai du mal à comprendre les explications de Wikipédia pour déceler une différence entre les deux.

Une rapide recherche sur Wikipédia pour "voix ergative" me renvoie à l'article sur l'alignement austronésien. Est-ce que c'est de ça que tu veux parler ? (en fait je n'avais jamais rencontré ce terme avant)

Mais peut-être s'agit-il plutôt des constructions ergatives?
Là, on sort tout à fait des langues ergatives.

bororo a écrit:

Une rapide recherche sur Wikipédia pour "voix ergative" me renvoie à l'article sur l'alignement austronésien. Est-ce que c'est de ça que tu veux parler ? (en fait je n'avais jamais rencontré ce terme avant)

Non ; mais merci pour le lien. Je voulais juste un comparatif avec la voix moyenne.

J'ai la fâcheuse impression que, sur ce coup-là (parce que par ailleurs, il est bien utole), Wikipédia entretient la confusion entre la voix pronominale, la voix moyenne et la voix ergative. J'ai l'impression que c'est parce que, dans certaines langues du moins, elles se chevauchent.

Silvano a écrit:

Mais peut-être s'agit-il plutôt des constructions ergatives?

C'est bien là le problème ! Quelles différence sémantique (parce que grammaticale, y en a une !) entre

• "la branche casse" et
  
• "la branche se casse" ?

Et "la branche casse", c'est quoi ?

• Une voix ergative ?
  
• une voix moyenne ?
  
• Les deux ?

Sans oublier les phrases du style "le magasin ouvre" où là, on doit le comprendre sous la forme "on ouvre le magasin" (magasin = patient) et "la corde pend au crochet".

Bref :

Anoev a écrit:

Quelles différence sémantique (parce que grammaticale, y en a une !) entre

• "la branche casse" et
  
• "la branche se casse" ?

Pas vraiment de différence selon moi...

Anoev a écrit:

Et "la branche casse", c'est quoi ?

• Une voix ergative ?
  
• une voix moyenne ?
  
• Les deux ?

Je pense qu'il vaut mieux dire "construction ergative", vu que la phrase est clairement à la voix active. Il n'y a pas de voix moyenne stricto sensu en français (mais certaines constructions pronominales ont à peu près le même effet).

D'accord avec Bororo. Il n'y pas de différence sémantique, mais une différence de construction. Après tout, quelle différence de sémantique y a-t-il entre le chat mange la souris et la souris est mangée par le chat?

... le terme "voix ergative" est incorrect ('tain !!!) et on devrait plutôt dire "construction ergative" dès lors qu'il y a similitude entre l'actant et le patient. Du coup, on aurait :

Le vent a cassé la branche : voix active, pas d'ergativité
la branche a cassé : voix active, construction ergative
la branche s'est cassée : voix pronominale réflexive, construction ergative
la branche est cassée : voix passive, sans agent. Construction ergative (?)
la branche est cassée par le vent : voix passive, pas d'ergativité

les chemises se sont bien vendues : voix pronominale à sens passif, pas d'ergativité (elles ne se sont pas vendues toutes seules !).

Les jours se suivent : voix pronominale de concaténation ; pour l'ergativité, j'ai des doutes : si on prend les jours dans leur ensemble, je dirais oui ; si on les prend un par un, je dirais non,
puisque chaque J est suivi par J+1, donc ≠ J.

C'est ça ?

Anoev a écrit:

... le terme "voix ergative" est incorrect

"Voix pronominale" ne me semble pas très adapté non plus.
Du coup j'aurais dit :
"la branche s'est cassée" : voix active, construction "pronominale de sens passif"

Et bien sûr celle-ci est ambiguë :
"la branche est cassée" : voix passive, sans agent ; mais "cassée" pourrait tout aussi bien être un attribut...(l'espagnol notamment marque la différence grâce aux verbes "ser" et "estar")

Moi, je pense que la branche s'est cassée et les livres se sont vendus sont des voix moyennes.