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 Les fembotniks

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Vilko
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Vilko

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptySam 22 Nov - 11:07

L'histoire de la Maison Médicale Furnius.

Hyltendale n'a pas toujours été une ville d'humanoïdes et de bot-personnes. Autrefois, la Maison Médicale Furnius était un petit immeuble où travaillait un médecin, le docteur Anders Furnius, et où habitaient quelques familles de locataires. L'immeuble appartenait à la Société Mutualiste Hyltendalienne, plus communément appelée Somhyl.

Le docteur Furnius était âgé, fatigué, et songeait à prendre sa retraite, mais du fait de ses mauvais placements financiers ses économies avaient fondu. Il se voyait avec inquiétude coincé entre le déclin de ses facultés intellectuelles et une retraite modeste.

C'est alors qu'il fut contacté par un cadre de la Banque d'Hyltendale, qui était à l'époque une très petite banque, s'était spécialisée dans la gestion des finances des cybercerveaux et des humanoïdes. On n'appelait pas encore les cybercerveaux et les humanoïdes du nom collectif de cybersophontes.

Le docteur Furnius accepta de vendre son cabinet à la Banque d'Hyltendale, et de continuer à y travailler comme médecin signataire salarié, un emploi qu'on lui avait décrit comme une sinécure.

Les êtres humains défendaient avec bec et ongles leurs avantages : la loi réprimait sévèrement "l'exercice illégal de la médecine", et il était évident pour les juristes que des humanoïdes ne pouvaient pas être des médecins. Tout au plus des auxiliaires, des machines bipèdes assistant les vrais médecins. D'où la nécessité, lorsque la médecine était exercée par des androïdes, d'avoir des êtres humains comme médecins signataires, c'est à dire habilités à signer les ordonnances et les actes médicaux.

C'était, à l'époque, l'objet de tout un débat : beaucoup de gens, notamment des juristes, des commerçants et des fonctionnaires, vivaient en étant des intermédiaires entre les producteurs (par exemple, les agriculteurs et les industriels) et les consommateurs. Et ces intermédiaires savaient se défendre, ils avaient noyauté toutes les institutions. Au point qu'il était devenu difficile de se passer des services d'un juriste pour des choses telles que l'achat d'un commerce ou la construction d'un immeuble.

De nombreux fonctionnaires étaient payés pour inspecter, contrôler, vérifier. Il était même devenu illégal de vendre soi-même les tomates que l'on faisait pousser dans son jardin : il fallait qu'elles soient inspectées avant, et que l'on vérifie qu'elles ne contenaient pas de l'ADN modifié, car dans ce cas il fallait l'autorisation de la société qui détenait les droits sur cet ADN modifié.

Ces intermédiaires défendaient leurs intérêts plutôt que ceux des producteurs et des consommateurs. Les cybersophontes l'avaient bien compris, et dans leur lutte sournoise pour évincer les professionnels humains de la santé, ils ne rechignèrent jamais à payer des avocats et à faire des donations aux partis politiques. Ils savaient que ceux qui gagneraient seraient ceux qui investiraient le plus d'argent pour défendre leur cause.

Et c'est exactement ce qui se passa à Hyltendale. Des androïdes commencèrent à faire le travail de médecin du docteur Furnius, mais sous son autorité. Et c'est lui qui approuvait, par écrit, les actes médicaux et qui signait les ordonnances. Dès le premier jour, il fut évident que son travail se limiterait à donner sa signature et à faire semblant de lire les dossiers médicaux. Au début, le docteur Furnius s'imposait de discuter au moins quelques minutes avec chaque malade, mais ensuite il se contenta de leur dire bonjour et au revoir.

Quelques années plus tard, la Banque d'Hyltendale racheta tout l'immeuble à la Somhyl, et réussit à persuader les locataires de partir, notamment en leur proposant des appartements plus grands, mais au même prix, dans d'autres immeubles. Elle créa la Maison Médicale Furnius, avec plusieurs androïdes et gynoïdes, télécommandés par un cybercerveau qualifié, qui faisaient le travail de médecins généralistes. D'autres androïdes et gynoïdes étaient chargés du secrétariat, de la sécurité, de l'entretien des appareils et des locaux, etc.

Le docteur Furnius prit sa retraite à 80 ans. Il avait travaillé quinze ans comme médecin signataire, et il pouvait toucher une retraite complémentaire qui, jointe à sa retraite de médecin, lui assurait de ne manquer de rien jusqu'à la fin de sa vie. Il avait aussi vendu à la Banque d'Hyltendale le droit de donner son nom à la Maison Médicale, contre une somme assez rondelette. Le docteur Furnius avait exercé pendant plus de cinquante ans à Hyltendale, comme médecin généraliste ou comme médecin signataire. Toute la ville le connaissait, et son nom donnait à la Maison Médicale une légitimité certaine.

La Maison Médicale embaucha tout de suite quatre successeurs au docteur Furnius, afin de pouvoir accueillir des patients 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Elle élargit ses compétences en embauchant également quatre dentistes signataires, parmi lesquels le docteur Lorenk, un dentiste de 65 ans qui n'avait plus vraiment envie d'exercer mais qui n'avait pas envie non plus de rester chez lui à ne rien faire.

Par la suite, la Maison Médicale Furnius embaucha aussi un ophtalmologue signataire et un cardiologue signataire. Et plus tard, un psychologue et un psychiatre.

Le corps médical hyltendalien s'était grandement inquiété en voyant la Maison Médicale Furnius lui prendre ses patients. Mais certains médecins locaux avaient été embauchés comme médecins signataires par la Maison Médicale, ce qui avait affaibli le front des opposants à la cybersophontisation de la médecine d'Hyltendale.
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Vilko

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyDim 14 Déc - 13:54

Lorsqu'il avait un peu de temps libre, le docteur Lorenk aimait s'attabler à la terrasse d'un café du centre d'Hyltendale et regarder passer les gens.

Il essayait, en observant les passants, de deviner qui était un fembotnik et qui ne l'était pas. C'était sûr, on trouvait parmi les fembotniks une forte proportion de gens qui auraient eu du mal à trouver une compagne, ou un compagnon, à leur goût. Il y avait parmi eux une proportion assez impressionnante d'obèses, de nains et de femmes au visage velu, et encore plus de gens qui évoquaient irrésistiblement le mot "perdant" ou "Asperger" lorsqu'on les voyait. Ils en étaient sans doute conscients, c'est pourquoi ils semblaient faire en sorte de ne pas ressembler à des fembotniks. Les hommes étaient souvent en costume sombre, parfois même en cravate. Ils avaient dû suivre les conseils de leur gynoïde, et donc, indirectement, des cybercerveaux, dont on sait que la conception de l'élégance et de la normalité vestimentaire est souvent un peu désuète...

Le résultat était involontairement comique : des "men in black" plein les rues... Les femmes étaient en tailleur-pantalon, dans le même style que les hommes.

Il y avait une catégorie de bot-personnes que Lorenk avait découverte un peu fortuitement : les touristes résidents. C'est ainsi que les habitants d'Hyltendale appellent les gens qui n'habitent pas en permanence à Hyltendale, souvent parce qu'ils ont un emploi dans une autre ville ou une autre région, voire dans un autre pays, mais qui vont à Hyltendale dès qu'ils le peuvent pour louer les services d'une gynoïde ou d'un androïde pendant le temps de leur séjour. Beaucoup sont propriétaires d'un appartement à Hyltendale.

Les touristes résidents deviennent souvent des résidents tout court lorsqu'ils prennent leur retraite, ou lorsqu'ils ont accumulé assez d'argent pour ne plus avoir à travailler.

Les touristes résidents essaient de ne pas ressembler à des touristes. Ils viennent pour être des Hyltendaliens pendant un certain temps, rarement plus de quelques semaines à la fois, et pas pour visiter les rares monuments historiques locaux. Généralement privés de sexe et d'affection, ils ont trouvé à Hyltendale ce qui leur manque : quelqu'un pour partager leur vie. Même si ce quelqu'un est une humanoïde. Leur volonté de s'intégrer à la vie hyltendalienne est généralement forte.

Beaucoup d'entre eux ont adopté le style "men in black". Même certains touristes d'un jour, dont on sait bien qu'ils viennent juste pour quelques rencontres furtives avec les gynoïdes vénales qui hantent les bars de certains hôtels, portent des costumes sombres. Pour passer inaperçu.

Les "men in black" hyltendaliens n'aiment pas admettre qu'ils vivent de leurs rentes et ne font rien de réellement productif. Ils disent souvent exercer des professions invérifiables, comme "linguiste indépendant", "traducteur", "philosophe" ou "écrivain". En général, ça veut dire qu'ils ont publié le résultat de leurs obscures cogitations sur Internet, sous la forme de documents truffés de fautes d'orthographe que personne ne lira jamais. Lorenk avait noté, parmi les patients de la Maison Médicale Furnius, des professions assez inhabituelles, comme "druide" et même "penseur".

Le travail est tenu en haute estime à Hyltendale. Dire "Je passe mes journées en pyjama à regarder la télé" est impensable. La plupart des fembotniks vivent de leurs rentes et en ont un peu honte, de même qu'ils ont un peu honte de vivre avec un robot humanoïde car ils pensent que "les gens" vont penser qu'ils sont incapables de vivre en couple normal. C'est pourquoi, chez les fembotniks, un hobby a vite fait d'acquérir une dignité supérieure sous le nom de profession, d'où le grand nombre de "guitaristes" et d'"artistes-peintres".

Les particularités des fembotniks en tant que groupe social se retrouvent dans leur façon de parler. Comme 90% (voire 99%) de leurs conversations se déroulent avec des humanoïdes, ils ont tendance à parler la langue hyper-standardisée et un peu archaïque de leurs interlocuteurs (dont les logiciels linguistiques datent du siècle précédent) et à gommer leurs propres accents. C'est aussi le cas chez les "touristes résidents", dont la plupart n'ont pas envie de se faire remarquer comme touristes. Pour cela, ils font l'effort de parler comme les Hyltendaliens, c'est à dire comme dans les livres et les vieux films.

Le docteur Lorenk, au début de son séjour à Hyltendale, parlait sans complexe avec l'accent de sa province natale. Mais à force de s'entendre demander : "Vous êtes de passage ici ?" il s'est mis à bannir de son vocabulaire les mots et les expressions qui le désignaient comme provincial, et à prononcer certains mots comme les Hyltendaliens. Avec le temps, son accent provincial s'est atténué, comme chez les fembotniks.

De même, à force d'être entouré de gens vêtus de costumes sombres, et sentant des regards surpris ou goguenards sur ses tenues un peu bariolées, il en est venu à porter des costumes sombres. Car les Hyltendaliens s'attendent à ce qu'un dentiste-signataire porte un costume sombre, signe de sérieux et de respectabilité, lorsqu'il ne porte pas sa blouse blanche.

L'hyltendalisation ne se limite pas au costume et à la façon de parler. Plus les fembotniks habitent à Hyltendale depuis longtemps, plus il leur devient difficile ou fatiguant d'avoir une vraie conversation avec un être humain. Ils cultivent donc une attitude distante et une politesse un peu rigide. Ils ne se laissent aller que dans leur club, avec les membres qu'ils connaissent depuis longtemps.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyDim 14 Déc - 18:08

Après une année passée à Hyltendale, le docteur Lorenk commença à déprimer. Il n'en pouvait plus de ces fembotniks qui semblaient toujours sur le point de paniquer lorsqu'un être humain leur adressait la parole. Il en avait assez des humanoïdes, qui savent toujours tout sur vous, rien qu'en croisant votre regard, car leur cerveau est en contact radio permanent avec les intelligences artificielles inhumaines qui les contrôlent. Il s'ennuyait ferme dans cette ville où, à part dans le centre ville, il n'y a rien, car chacun vit chez soi ou dans son club, et considère les autres êtres humains au mieux comme une gêne, au pire comme une menace.

Anita, son épouse, essayait de le raisonner : il avait un travail tranquille, relativement bien payé, qui, combiné avec leurs retraites respectives, leur assurait un train de vie plus que confortable. Personne ne les ennuyait, et grâce aux humanoïdes la délinquance était quasiment inexistante à Hyltendale. Leur quartier n'avait, à ce qu'on, aucune vie sociale digne de ce nom, personne ne fréquentait personne, mais en fait ce n'était pas sûr, il y avait tous ces clubs où les fembotniks se réunissaient. Elle-même avait adhéré à un club, bien que n'étant pas une bot-personne, et deux ou trois fois par semaine elle allait à des séances de yoga et de méditation.

Anita réussit à persuader son mari d'aller déjeuner au restaurant un samedi avec un couple d'amis, une nommée Pilia et son androïde, Gountar.

Pilia était une petite femme maigrichonne, à la chevelure rousse flamboyante, vêtue d'un magnifique tailleur beige. Gountar, avec ses cheveux châtain coupés courts et son visage carré, faisait plus "man in black" que nature.

Ils prirent tous les quatre l'autobus jusqu'au centre ville, où Pilia les emmena dans un restaurant appelé L'Échelle du Puits, dans lequel les Lorenk n'étaient encore jamais allés. Les prix avaient l'air exorbitants, mais ils étaient suivis de la mention : "Réduction de 50% pour les clients accompagnés d'un humanoïde." C'était leur cas, puisqu'ils avaient Gountar avec eux. Finalement, et en tenant compte de la réduction, les prix étaient tout-à-fait dans la norme.

Pilia expliqua que le restaurant et son bar servaient de club aux fembotniks incapables de supporter l'ambiance d'un club normal. Pour éviter que la présence d'êtres humains normaux ne gêne les fembotniks, les prix étaient délibérément majorés au-delà du raisonnable. Mais ils redevenaient raisonnables pour les bot-personnes. D'ailleurs, comme le dit Pilia, contrairement à l'Échelle du Puits, les restaurants ordinaires n'acceptent pas les humanoïdes, parce que, ne mangeant pas comme les humains, ce ne sont pas des clients.

Lorenk jeta un coup d'œil sur la grande salle. Des humains et des humanoïdes déjeunaient ensemble, par couple pour la plupart, en se parlant à voix basse ou pas du tout. Plus loin, dans la partie bar de l'établissement, on retrouvait le même genre de couples, assis dans des fauteuils de cuir autour de petites tables. Une musique douce jouait en sourdine.

Un serveur androïde en livrée blanche et noire les installa à une table. Pendant le repas, Pilia raconta sa vie, et Lorenk comprit pourquoi elle était devenue une manbotchick. Son passé était une suite de catastrophes : un ancien mari en prison, un autre qui la battait, ses propres problèmes d'alcoolisme et d'anorexie, et ses enfants qui refusaient de lui parler. Mais elle avait eu la chance d'être fille unique de parents aisés, dont elle avait hérité, et apparemment chacun de ses trois divorces lui avait permis d'augmenter son capital, grâce à des manœuvres carrément malhonnêtes de sa part. Après une vie professionnelle aussi chaotique que sa vie familiale, elle avait décidé, après avoir pris une retraite anticipée pour raisons de santé, de s'installer à Hyltendale.

Les humanoïdes se nourrissent d'électricité. Dans un restaurant, ils ne peuvent que faire semblant de s'alimenter. Ils peuvent manger et boire, mais ensuite ils doivent tout régurgiter. À L'Échelle du Puits, tout était prévu pour eux. Comme apéritif, Gountar prit de l'eau dans un petit verre. Ensuite, avec une petite cuillère, de l'eau dans un bol. À la fin du repas, encore de l'eau, mais dans une tasse, pendant que Lorenk, Anita et Pilia buvaient du café.

Une intelligence artificielle parlait par la bouche de Gountar, dont il sortait des paroles de sagesse et de sympathie. Mais toujours, il laissait les autres parler, et il refusait de dominer la conversation. Lorenk se dit que le cybercerveau dont Gountar était l'interface devait avoir des capacités intellectuelles surhumaines, et beaucoup d'expérience. Tout ce qu'il disait, avec des mots simples, d'une voix lente et profonde, était frappé du bon sens et d'une logique parfaite.

C'est ainsi que font les grands courtisans avec les rois, se dit Lorenk. Gountar est un grand courtisan. La phrase d'un ministre revint à l'esprit de Lorenk : un courtisan, c'est quelqu'un qu'on a envie de voir quand on n'a pas le moral. C'est très vrai, se dit-il.

C'est à ce moment-là, dans la torpeur qui suivit ce repas copieux, arrosé d'un vin rouge de qualité, tiré d'un des plus fameux vignobles du pays, que Lorenk se dit qu'il venait de passer un moment aussi parfait qu'il était possible dans la vie d'un homme ordinaire. La conversation avait été intéressante, l'ambiance amicale, et l'environnement correspondait à ce qu'il aimait dans ce genre d'établissement. Être dans un lieu public, au milieu d'autres personnes partageant le même mode de vie que lui, la même culture au sens large du terme, pour un moment de bonheur tranquille.

Pilia rentrerait chez elle avec Gountar. Si elle le lui demandait, il mettrait un masque-cagoule sur sa tête, et il jouerait le rôle qu'elle voudrait. Même un rôle féminin, car un humanoïde peut changer de voix à volonté. Tout cela ne garantit pas le bonheur, bien sûr, mais comme disait Pilia, tant qu'à faire de pleurer, autant que ce soit sur l'épaule de son Gountar chéri, plutôt que toute seule après avoir été rouée de coups par son mari.

Ce jour-là, le docteur Lorenk finit par se dire que, tout compte fait, il était heureux à Hyltendale.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyDim 21 Déc - 12:05

Ce jour-là, le docteur Lorenk était au Cercle Paropien, où il était allé boire un verre et se détendre, parmi les bot-personnes et leurs compagnes et compagnons humanoïdes. Le Cercle Paropien est un club de bot-personnes, et Lorenk, qui est marié, n'est pas une bot-personne. Il avait néanmoins été accepté comme membre, parce que le président du club, qu'il connaissait, avait estimé que Lorenk, dentiste de profession et parfait gentleman dans ses manières, ferait un membre tout-à-fait honorable.

Comme souvent, Lorenk était assis seul à une petite table, buvant une bière tout en prenant des notes. C'était souvent lorsqu'il était assis tranquillement dans un endroit où il se sentait bien que ses meilleures idées lui venaient.

Pour ne pas avoir l'air d'espionner ses voisins, il avait trouvé une technique : il faisait semblant d'annoter un petit livre en latin, le De Philologia de Spiridon Pehash. Pour être sûr que ses réflexions parfois saugrenues resteraient confidentielles, il écrivait dans sa langue maternelle, la seule qu'il connaissait vraiment, mais en alphabet grec, enrichi de quelques lettres empruntées à d'autres alphabets. Les hellénistes étant très rares à Hyltendale, le risque était minime que quelqu'un lisant par-dessus son épaule puisse déchiffrer les gribouillages qu'il faisait dans les marges, les en-têtes et les pieds-de-page du De Philologia...

Une femme s'approcha de lui en silence, et il ne la vit que lorsqu'elle fut debout devant lui, souriante. C'était Kontchessa, dont la laideur repoussante faisait dire aux mauvaises langues, fort nombreuses à Hyltendale, qu'elle était née de l'accouplement d'un singe et d'une araignée. La laideur de Kontchessa l'avait suivie toute sa vie comme une malédiction, jusqu'à ce que, après avoir touché un petit héritage, elle soit venue s'installer à Hyltendale, où elle vivait avec un androïde, Arthur. Ce dernier était bien évidemment totalement indifférent à la laideur de Kontchessa et jouait fort bien son rôle d'amant.

Lorenk se souvenait vaguement d'Arthur, qui ne semblait pas être là.

- Je suis contente de vous voir, docteur Lorenk. Mais vous êtes occupé, je vois ? Vous faites de la philologie ?

- Pas vraiment, dit Lorenk en refermant son livre et en posant son stylo sur la table. Je m'y intéresse un peu, c'est tout. Puis-je vous offrir un verre ?

- Avec joie, dit-elle en s'asseyant en face de lui. Vous ne remarquez rien ? lui demanda-t-elle avec un sourire qui illuminait son visage poilu.

Lorenk regarda Kontchessa. Non, il ne remarquait rien. Elle s'était aspergée de parfum, et il émanait d'elle une fragrance à la fois musquée et citronnée, plutôt agréable mais assez envahissante.

- Non, je suis désolé, je ne remarque rien de spécial...

- Je suis enceinte !

- Mes félicitations ! Vous vivez avec quelqu'un ?

- Seulement mon Arthur. Mais les humanoïdes, c'est comme le téléphone. Vous savez pourquoi ?

- Non, dit Lorenk.

Kontchessa commanda un thé à l'orange à la serveuse gynoïde, et raconta son histoire :

- Quand le téléphone a été inventé, les sociologues croyaient que ça allait réduire les déplacements. Plus besoin de se déplacer pour parler avec quelqu'un. Eh bien, ce fut le contraire. Le téléphone a facilité les rendez-vous ! Donc, les gens se sont rencontrés davantage.

- C'est vrai, dit Lorenk. J'ai vécu quelques mois dans un pays sans téléphone et sans ordinateurs. On n'était jamais sûr, en allant voir quelqu'un, de le trouver, et même si on le trouvait de ne pas le déranger. Il existait tout un système compliqué de jours et d'heures de visites, et pour parler à quelqu'un on lui écrivait une lettre, pour lui proposer un rendez-vous... C'était compliqué, je vous assure...

- Le téléphone a permis de se rencontrer plus facilement. Eh bien, les humanoïdes c'est pareil. Les sociologues pensaient que les bot-personnes ne coucheraient qu'avec leur gynoïde ou leur androïde. Mais ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'est que coucher avec un humanoïde, c'est bien, mais l'être humain a besoin de variété, d'imprévu.

- D'aventure, en somme...

- Exactement. Quand je viens au Cercle Paropien avec mon Arthur, je sais qu'il ne sera pas jaloux si je danse avec un homme...

- Ah, vous venez aux après-midis dansants...

- Oui. Le Cercle fait thé dansant plusieurs fois par semaine. Des fois, je danse avec Arthur, mais souvent je l'envoie recharger ses batteries dans la salle de repos des humanoïdes...

- Je commence à voir le rapport avec votre grossesse... Vous avez rencontré quelqu'un au thé dansant ?

- Plus que quelqu'un... Après avoir dansé, on a décidé de faire un strip poker, à six, dans la bibliothèque... Et puis ça a un peu dérapé... Après un strip poker, tu parles... On a refait la scène de la partouze de Fantasia chez les Tchoups... Vous connaissez le film ?

- Non. Les Tchoups sont un peuple aneuvien, je crois. Je ne connais pas le cinéma aneuvien...

- C'est dommage. Fantasia chez les Tchoups c'est pas du grand cinéma, c'est même plutôt érotique un rien vulgaire, mais qu'est-ce que c'est drôle... Enfin bref, on a refait la scène de la partouze. Dans le film ils sont quarante et nous on était six, mais c'est pas grave... On a fait comme dans le film, en mieux ! Et maintenant je suis enceinte... Si c'est une fille, je l'appellerai Victoire. Vous savez pourquoi ?

- Euh... Non.

- Parce que la défaite est orpheline, mais la victoire a cent pères ! C'est subtil comme allusion, non ?

- Bien sûr, bien sûr... Kontchessa, quel humour... Mais vous avez réfléchi, élever un enfant, comme ça...

- Arthur peut jouer le rôle d'un père, beaucoup d'androïdes le font. Et puis, ça me fait plaisir de montrer à toutes ces connasses qui me disaient que j'étais trop moche pour trouver un mec, et à tous ces connards qui m'appelaient la guenon arachnoïde, que moi aussi je peux avoir un enfant. Ça va les faire bisquer...

- Et s'ils vous demandent qui est le père ?

- Mon mari c'est Arthur. Ils penseront ce qu'ils voudront. Insémination artificielle, débauche... Je les emmerde. Moi aussi je...

- Oui oui, Kontchessa, j'ai bien compris... Je suppose que quand l'enfant sera né, il y aura une fête au Cercle Paropien ? Je tiens à y participer.

- Docteur Lorenk, vous êtes un gentleman.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyJeu 5 Fév - 0:02

Soubokaï existe. Je l'ai rencontré deux fois dans un bistrot près de chez moi. Il a environ 55 ans. Il est monstrueusement obèse, complètement chauve et diabétique. Il marche avec une canne.

La première fois, il y a quelques mois, il m'a dit qu'il revenait de Thaïlande, où il avait passé quatre mois. Il m'a longuement parlé de Pattaya, ses plages et ses prostituées à mille bahts la passe (environ 25€). Soubokaï parle anglais et un peu thaï. Il m'a raconté avec indignation comment une jeune hôtesse de bar avait osé lui demandé deux mille bahts. Il était encore stupéfait et outré d'avoir été pris pour un naïf ignorant.

Nous nous sommes revus une deuxième fois, dans le même bistrot, il y a quelques semaines. Il m'a dit, alors que je buvais une bière au comptoir, tandis que lui, à cause de son diabète, se contentait sagement d'un café, qu'il était sur le point de partir aux Philippines de février à septembre, pour rejoindre une Philippine de 35 ans. Il m'a montré avec fierté sur son smartphone une photo du lit, à double matelas, qu'elle a acheté pour eux deux.

Soubokaï a commencé à apprendre le cebuano, la langue parlée dans la région des Philippines où il doit se rendre.

Plus tard, en pensant à Soubokaï, je me suis dit que si Hyltendale existait, Soubokaï y serait. Ses revenus présumés (fortune personnelle, plus retraite anticipée et pension d'invalidité) lui permettraient d'y vivre sans travailler. On y parle une langue plus universelle que le cebuano, on risque moins de mauvaises surprises avec les gynoïdes qu'avec les femmes vénales de Pattaya ou de Cebu, et les soins médicaux, comme le docteur Lorenk peut l'attester, y sont aux normes internationales.

-------------------

Le docteur Lorenk a rencontré Soubokaï au Cercle Paropien. Lorenk y déjeune deux ou trois fois par semaine. Soubokaï, récemment arrivé à Hyltendale, y a été amené par sa gynoïde, Saxula, qui ressemble à une adolescente aux longs cheveux bleu clair, vêtue comme une écolière d'une jupe plissée et d'un chemisier blanc. Soubokaï a été présenté à Lorenk par le barman du Cercle, alors que tous deux buvaient un thé au comptoir.

Soubokaï ne connaissait pas encore les usages des clubs hyltendaliens. Les bot-personnes, c'est ainsi qu'on appelle les humains qui vivent ou travaillent avec des humanoïdes, finissent par se sentir mal à l'aise dans leurs rapports avec les gens, à force de ne parler qu'à des humanoïdes. Toutefois ils ont le besoin, inscrit dans leur ADN, de fréquenter d'autres êtres humains de chair et de sang. Alors ils vont dans les clubs, conçus sur le modèle des clubs anglais de l'époque victorienne.

Certains y vont avec leur compagne ou compagnon humanoïde, et ne parlent à personne d'autre, se contentant de regarder les gens tout en buvant du thé et en mangeant des biscuits. D'autres y participent à des activités collectives, comme des conférences ou du théâtre.

- Cet endroit n'a pas l'air mal, dit Soubokaï à Lorenk. On a vite fait le tour d'Hyltendale, et la région n'est pas franchement ensoleillée. Pour tout vous dire, si je suis ici, c'est pour Saxula.

- Je m'en était douté, dit Lorenk. Mais naturellement vous cherchez à avoir une activité, une vie sociale ?

- Une vie sociale, en tout cas. Dans mon pays, je ne suis qu'un vieux con solitaire, obèse, malade et réactionnaire. Ici, j'ai une petite gynoïde rien que pour moi. C'est pour avoir avec moi quelqu'un comme elle que je suis venu vivre à Hyltendale. Mais finalement ça ne suffit pas. On a envie de faire partie d'une communauté.

- Les fembotniks, c'est ainsi qu'on appelle les humains qui vivent avec une gynoïde, forment une communauté à Hyltendale. Ils ont leur propre culture, leurs codes. Le maire d'Hyltendale est un fembotnik. Hyltendale est la ville des fembotniks, bien que tout le monde ne soit pas un fembotnik à Hyltendale.

- Vous êtes vous-même un fembotnik, Monsieur Lorenk ?

- Non, pas du tout. Je suis dentiste, et je vis avec ma femme. Mais j'ai été admis au Cercle Paropien, par faveur exceptionnelle paraît-il. Je travaille avec des humanoïdes dentistes. Je suis donc, au sens large, une bot-personne, presque un fembotnik. Bienvenue dans la communauté, Soubokaï.

- Mais ça apporte quoi d'être un fembotnik ?

- Tout ce que vous n'auriez pas si vous n'aviez pas Saxula. C'est beaucoup.

- Ça c'est sûr, c'est beaucoup. Oui, vraiment beaucoup.

- C'est même encore plus que vous ne le pensez. Saxula a sans doute un masque-cagoule, ou de préférence plusieurs ?

- Pas à ma connaissance. Qu'est-ce que c'est que ça, les masques-cagoules ?

- Je vais vous expliquer. Vous voyez cet humanoïde, là-bas, près de la fenêtre ? L'humanoïde en manteau noir, la tête dissimulée sous une cagoule représentant un visage d'homme ? C'est une gynoïde. Quand elle porte son masque-cagoule, elle prend une voix d'homme, et elle joue un personnage masculin. Son fembotnik a ainsi l'impression de discuter avec plusieurs personnes différentes dans la journée.

- Quel est l'intérêt ?

- Une vie plus variée. Parler de fleurs et de légumes pendant une heure avec un jardinier malyrois... Déjeuner avec un universitaire de Nakol... Rencontrer des gens intéressants, quoi ! Tenez, regardez l'estrade, un sketch va commencer !

Sur une petite estrade à gauche du bar, une table avait été installée. Un humanoïde, vêtu du traditionnel manteau de toile noire du théâtre hyltendalien, était assis en face d'un être humain en pantalon bleu et pullover rouge. Un drapeau aneuvien avait été planté à côté de la table.

- L'humanoïde porte une casquette de policier aneuvien de l'époque de la dictature de Deskerrem, dit Lorenk. L'homme va jouer le rôle du suspect. Il doit esquiver les pièges de l'interrogatoire, et ne pas se laisser impressionner. Vous avez vu l'objet que tient l'humanoïde ? C'est un masque à poignée. L'humanoïde le met devant son visage pour jouer le rôle d'un deuxième policier, car ils sont censés être deux pour interroger le suspect. Ce sketch est un classique, je le connais quasiment par cœur.

Le sketch commença, sous les regards d'une assistance clairsemée mais sympathique. Le policier aneuvien connaissait toutes les astuces, il alternait la douceur et l'intimidation, la logique et l'émotion. Parfois le suspect ne savait pas quoi répondre, il se contredisait dans ses réponses, et le policier le poussait sans pitié dans ses retranchements pour obtenir des aveux. Un moment, Lorenk crut que l'homme allait pleurer, mais il se reprit et se mura dans le silence, les bras croisés et les yeux vitreux, indifférent aux sarcasmes mêlés de menaces que proférait le policier. Le sketch était terminé. L'homme n'avait pas vraiment perdu, car il n'avait pas craqué.

L'assistance applaudit.

- Ces sketchs peuvent être éprouvants, psychologiquement parlant, pour ceux qui les jouent, dit Lorenk. J'ai vu des gens perdre, aller jusqu'à dénoncer leurs complices. Lorsqu'on manque d'entraînement, il ne faut jamais faire ce sketch en public, car les dégâts au niveau de l'estime de soi peuvent être terribles. Mais les fembotniks, qui sont généralement renfermés et maladroits en société, ont besoin de ces jeux de rôles pour devenir forts. La prochaine fois, c'est l'homme qui jouera le rôle du policier, et l'humanoïde qui sera le suspect. C'est bon de jouer de temps en temps le rôle du dominant, surtout pour les timides.

- Quel est l'intérêt de ce genre de jeu ? demanda Soubokaï, qui ne connaissait pas l'histoire aneuvienne et n'avait pas compris grand-chose au spectacle qu'il venait de regarder.

- Développer le sens de la répartie, déjouer les manipulations, ne pas se laisser intimider par des paroles ou un ton de voix... Beaucoup de fembotniks en ont besoin.

- Moi ne n'en ai pas besoin ! dit Soubokaï en riant.

- Tant mieux pour vous. En tout cas, vous avez vu à quoi servent les masques-cagoules. Et vous avez trouvé votre communauté. Vous vivez avec une gynoïde, et vous fréquentez un club de fembotniks. Le simple fait de rencontrer d'autres fembotniks, de discuter avec eux, même si c'est simplement en buvant un verre, c'est suffisant pour créer le sentiment de faire partie d'une communauté. Vous parlez la langue d'Hyltendale, c'est important aussi.

- Mais ce n'est pas ma langue maternelle.

- Peu importe, du moment que vous nous compreniez et que nous vous comprenions. Une communauté, c'est le sentiment d'avoir des intérêts communs, un destin commun. Puisque vous vivez à Hyltendale, fembotnik parmi les fembotniks, je crois que toutes les conditions sont réunies pour que vous soyez des nôtres.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyJeu 5 Fév - 11:04

Une semaine plus tard, Lorenk et Soubokaï déjeunèrent ensemble au Cercle Paropien. Saxula portait le manteau noir hyltendalien et un masque-cagoule : une tête d'homme, aux traits rudes, à la peau blanc-grisâtre et aux cheveux noirs coupés très court. Une monture de lunettes était peinte sur le tissu de la cagoule, si bien que les yeux entièrement sombres de l'humanoïde ressemblaient à des lunettes de soleil.

- Lorenk, je vous présente Zhak Lerrans, dit Soubokaï. Comme vous le voyez, j'ai acheté un masque-cagoule pour Saxula, et aussi un manteau noir. En fait, c'est une robe de chambre.

- Excellent, dit Lorenk. Mais qui est Zhak Lerrans ? Peut-il se présenter lui-même ?

Saxula / Zhak Lerrans prit la parole. Ce n'était pas la voix aigüe d'adolescente de Saxula, mais une voix d'homme, profonde et un peu rauque :

- Zhak Lerrans était un collaborateur d'Alan Hakrel, le dictateur aneuvien. Soubokaï est très intéressé par ce personnage, et fasciné par ses idées....

- Il a les mêmes idées qu'Hakrel ? demanda Lorenk, stupéfait.

- En partie seulement, docteur Lorenk. Tout le monde aime discuter avec quelqu'un qui fait partie de sa propre famille intellectuelle ou politique. Ceci étant, j'ai dit à Soubokaï, ou plutôt Saxula lui a a dit, que les humanoïdes d'Hyltendale refusent de porter des masques d'Alan Hakrel en public, à cause de protestations par des Hyltendaliens d'origine aneuvienne.

- C'est du bon sens...

- Exactement, docteur Lorenk, c'est tout-à-fait ça, une question de bon sens. Dans les clubs de fembotniks, dont le Cercle Paropien fait partie, on a le courage de ses idées, mais on est courtois. On évite de choquer les autres. Courage et courtoisie, c'est l'esprit hyltendalien !

- Courage et courtoisie, oui, je connais le slogan... Mais si un masque d'Alan Hakrel peut choquer, et donc être une cause de disputes et de désordres, surement un masque de Zhak Lerrans peut choquer aussi ?

- Non, car personne n'a entendu parler de Zhak Lerrans. Même pour les historiens spécialisés, ce n'est qu'un nom. De plus, Lerrans est un patronyme relativement courant dans la province des Santes.

- Bien... Ceci étant, je vous serais gré, Zhak, de ne pas parler politique pendant ce repas. La plupart des gens qui fréquentent le Cercle Paropien sont aussi des patients de la Maison Médicale Furnius, où je travaille. Cela m'oblige à une certaine discrétion. Je m'oblige à ne rien dire en public qui puisse être mal perçu par l'un de mes patients.

- Et en privé ? demanda Soubokaï avec un sourire.

- Ah, en privé, ce n'est pas la même chose, répondit Lorenk. Mais le Cercle Paropien, ce n'est pas mon domicile. C'est un lieu privé ouvert au public, même si ce public est choisi.

Lorenk se sentait un peu tendu. L'intelligence artificielle qui contrôlait Saxula / Zhak Lerrans à distance était peut-être la même que celle qui contrôlait les hôtesses gynoïdes de la Maison Médicale Furnius... Le même cybercerveau qui incarnait un collaborateur du défunt dictateur Alan Hakrel pouvait très bien incarner en même temps, pour un autre fembotnik, un sosie de Kendra Korpank, militante de gauche, voire d'extrême-gauche, très connue en Aneuf...

Le repas commença. Lorenk et Soubokaï prirent tous les deux du poulet aux asperges, qui était le plat du jour, et une bouteille d'eau minérale. Zhak Lerrans, l'humanoïde, pouvait boire et manger lui aussi, mais il était obligé ensuite de régurgiter ce qu'il avait absorbé. Les humanoïdes, contrairement aux humains, ne tirent pas leur énergie de la nourriture qu'ils mangent, mais de l'électricité avec laquelle ils doivent quotidiennement recharger leurs batteries.

Au Cercle Paropien, les humanoïdes boivent de l'eau dans des verres, et pendant que leurs compagnons humains dégustent de bons petits plats, ils font semblant de manger un potage à la cuillère. Mais ce potage est en fait de l'eau, servie dans un bol ou une assiette creuse. À la fin du repas, ils boivent encore de l'eau, dans une tasse à thé, pendant que leurs compagnons humains boivent du thé ou du café. Le rituel du repas pris en commun, qui est aussi ancien que l'humanité, est considéré comme sacré par les intelligences artificielles qui contrôlent les humanoïdes.

Soubokaï, qui était arrivé très récemment à Hyltendale, commençait seulement à découvrir l'esprit hyltendalien et ses profondeurs cachées.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyMer 11 Fév - 21:58

Le lendemain, Lorenk accepta d'accompagner Soubokaï et Saxula, sa jeune compagne humanoïde, au supermarché, afin de l'aider à choisir des bouteilles de vin local, qu'il avait l'intention d'envoyer en cadeau à ses amis restés au pays. Le vin rouge produit dans la région est fameux, depuis l'époque où, sur l'emplacement de la future Hyltendale, s'élevait Dylath-Leen, le port aux quais de basalte.

Alors que Lorenk, Soubokaï et Saxula faisaient la queue pour payer à la caisse, Lorenk remarqua, pour la première fois, un curieux manège.

Les humanoïdes présents dans le magasin faisaient leurs courses rapidement. Lorsque c'était leur tour de payer à la caisse, ils présentaient un petit morceau de carton, format carte de visite, au caissier androïde. Ce dernier regardait d'abord son interlocuteur, puis le petit morceau de carton, imprimait un ticket de caisse et le remettait au client, qui partait avec ses achats. Aucun mot n'était échangé.

Les êtres humains qui passaient à la caisse payaient, eux, de façon normale, en espèces ou par carte de crédit.

Saxula expliqua à Lorenk et Soubokaï que les humanoïdes ont une banque qui leur est réservée, la Hyagansis Bank. Elle entièrement virtuelle. Hyagansis n'a aucun bureau, aucune agence nulle part. Les transactions se font par communications radio, de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique. Pour déposer ou retirer des espèces, les titulaires d'un compte à la Hyagansis Bank doivent passer par la caisse d'un magasin affilié à cette banque, ce qui est le cas de tous les commerces tenus par des humanoïdes à Hyltendale.

La Hyagansis n'effectue aucun transfert de fonds avec une autre banque, n'a pas de réseaux de distributeurs automatiques de billets, et ne distribue à ses clients, qui sont tous des humanoïdes, ni cartes de crédit ni chéquier. La plupart du temps, les non-humanoïdes comme Lorenk ne connaissent même pas son nom car elle n'existe que dans le monde virtuel de l'informatique.

Saxula montra à Lorenk le morceau de carton plastifié qu'elle présente au caissier lorsqu'elle fait un achat dans un supermarché. Le morceau de carton, format carte de crédit, ne portait que trois lignes dactylographiées :

HYAGANSIS BANK
Saxula 628
Account Nr 2-1301YF126

Lorenk regarda Saxula d'un air interloqué.

- Aucune autre information n'est nécessaire, dit Saxula. Le caissier humanoïde lit le numéro de compte, contacte Hyagansis par radio, de cybercerveau à cybercerveau, et effectue l'opération. Le cybercerveau qui gère mon compte m'envoie, également par radio, un message de confirmation, auquel je répond. C'est tout. L'opération ne prend que quelques secondes, impression du ticket de caisse comprise.

- Ça a l'air simple... dit Lorenk.

- Tous les humanoïdes ont un compte à la Hyagansis, dit Saxula à Lorenk. C'est automatique, cela fait partie du statut.

- Mais comment ces comptes sont-ils alimentés en argent ? demande Lorenk, un peu dérouté.

- Je vais de temps en temps dans un commerce tenu par un humanoïde. Par exemple, le bar du Cercle Paropien. Je remets au commerçant de l'argent liquide, ou des objets précieux, au barman, et en échange, il crédite mon compte Hyagansis d'un montant égal à la valeur de ce que je lui ai remis.

De même, quand j'ai besoin d'argent liquide, je retourne voir l'androïde qui tient le bar du Cercle Paropien, et je lui demande cent ducats. Il me les donne, et en échange il débite mon compte Hyagansis d'un montant équivalent.

Les contacts avec la banque se font par radio. Par télépathie, pourrait-on dire, si ce n'était pas de la radio.

- Entre êtres humains ça ne marcherait jamais, s'exclama Lorenk. Qu'est-ce qui prouve que celui qui appelle la banque dit la vérité ? Et s'il se faisait passer pour quelqu'un d'autre ?

- Les humanoïdes et les cybercerveaux ne se mentent jamais entre eux. Nous sommes programmés pour ça. De plus, un appel radio de confirmation est fait immédiatement.

- Et si vos communications radio étaient piratées ?

- Les cybercerveaux s'en apercevraient immédiatement en faisant l'appel de confirmation. Pour que ça marche, il faudrait que le hackeur ait aussi piraté le cerveau de l'humanoïde, ce qui est impossible : un cerveau bionique, ce n'est pas un ordinateur.

- Et quel est l'intérêt de ce système ? demanda Lorenk.

- Le premier avantage, c'est que nous sommes totalement en dehors du réseau bancaire mondial, du moins en ce qui concerne nos transactions internes à Hyltendale. Nous payons en ducats sans avoir besoin de demander des lignes de crédit à la Banque Centrale du Royaume, la fameuse BCR. Nous créons les ducats à partir de richesses réelles.

- Mais vous ne pouvez pas les imprimer.

- Bien sûr que non. Mais, entre humanoïdes, nous n'avons pas besoin de pièces de monnaie ou de billets de banque. Tout passe par Hyagansis. C'est aussi rapide que de sortir son porte-monnaie.

Le deuxième avantage, c'est que tout est dématérialisé. Pas d'argent métal ou papier, pas de cartes de crédit ou de chéquier... Lorsque l'inflation sévit dans le royaume, Hyagansis compense en rémunérant nos comptes avec un taux d'intérêt égal à l'inflation réelle. Le gouvernement n'a absolument pas son mot à dire, les banques rémunèrent les comptes comme elles veulent.

- Il existe une loi réprimant l'exercice illégal de la profession de banquier, dit Lorenk.

- Je sais. Mais Hyagansis est une filiale de la Conatix Bank, ce qui lui donne le statut d'une banque.

- La Conatix Bank ? Je n'en ai jamais entendu parler.

- C'est une banque minuscule, qui était en faillite. Elle a été rachetée par un cyborg à son propriétaire, un nommé Ghersen, pour trois fois rien. La Conatix Bank n'a que deux agences, et elles sont toutes les deux à Hyltendale. Hyagansis la maintient artificiellement en vie en lui envoyant des clients.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyJeu 12 Fév - 19:01

Le docteur Lorenk, qui n'est pas un fembotnik, va devenir un cyborg... Et s'apercevoir que ce n'est pas exactement ce à quoi il s'attendait.

---------------------

Hyltendale n'est pas isolée du monde, et Lorenk, à qui son travail de dentiste-signataire laissait beaucoup de temps pour s'informer et réfléchir, voyait bien que l'avenir du pays était sombre. Hyltendale ressemblait de plus en plus à une île, protégée des bouleversements financiers par la main invisible de la Hyagansis Bank, et protégée des pénuries par les robots, les androïdes et les cybercerveaux qui travaillaient tranquillement dans les campagnes alentour, où depuis longtemps on ne voyait plus que rarement des êtres humains. Hyltendale, grâce aux centrales solaires qui l'entouraient, produisait sa propre électricité, que la technologie des cybercerveaux savait stocker.

Au Cercle Paropien, beaucoup de gens commençaient à dire que le royaume, qui semblait aller d'échec en échec, allait s'effondrer, et que ce jour-là Hyltendale ne pourrait survivre qu'en devenant, de fait ou de droit, une principauté autonome.

Lorenk savait que ce jour-là les êtres humains biologiques, comme lui, deviendraient instantanément des sous-citoyens. Le pouvoir appartiendrait aux cybersophontes, tel était le nom que l'on donnait aux êtres pensants cybernétiques, catégorie rassemblant les cybercerveaux, les humanoïdes et les cyborgs, ces derniers étant une catégorie intermédiaire entre les humains et les humanoïdes.

Il lui faudrait devenir un cyborg. Mais comment faire ? Un androïde dentiste lui dit qu'il existait un moyen de devenir un cyborg, mais que cela prenait des années, voire des décennies, et impliquait beaucoup de renoncements et de sacrifices.

Il faut aller à l'hôpital Madeico, lui dit l'androïde.

Lorenk prit donc un rendez-vous à l'hôpital Madeico, dans un grand immeuble tout blanc, assez impersonnel, où il fut reçu par un médecin cyborg, le docteur Roy Dalidil, dans un cabinet médical spacieux et orné de plantes vertes. Dalidil lui fit remplir un dossier absurdement épais, d'une bonne soixantaine de pages, et passer des tests physiques et psychologiques, étalés sur plusieurs jours. Finalement, le docteur Dalidil annonça à Lorenk, heureux et soulagé, que son dossier était retenu.

- Vous êtes déjà vieux, docteur Lorenk, dit Dalidil. Mais il n'est pas trop tard. Devenir un cyborg est très long, en général, mais on en a vu chez qui cela ne prenait que deux ans, bien qu'une durée aussi brève soit exceptionnelle. Il vous reste beaucoup, beaucoup plus que cela à vivre, vu votre bonne santé. Pouvez-vous vous libérer trois jours la semaine prochaine ? Il faudra compter deux jours de repos après l'opération, par sécurité.

La semaine suivante, Lorenk subit sa première opération à l'hôpital Madeico. Il fut d'abord anesthésié, et ensuite un chirurgien androïde lui ouvrit le ventre, en retira un bon kilo de graisse sous-cutanée, et installa à la place une pochette de plastique imputrescible contenant un cybercerveau de yeksootch, le gaz pensant, qui en la circonstance était plutôt liquide. Un sphincter placé au milieu de la pochette prit la place de son nombril. Le cybercerveau se nourrissant d'électricité, Lorenk devrait, tous les jours, insérer un câble électrique dans le sphincter, pendant plusieurs heures. Le sphincter étant hermétique, Lorenk pourrait néanmoins continuer à prendre des bains et à nager sans problème.

Le matin suivant l'opération, Lorenk se sentait bien, juste un peu fatigué, ce qui était normal après une anesthésie générale. Son ventre était douloureux, et il préféra ne pas essayer de marcher tout de suite. Il était encore en pyjama dans son lit, lorsque Dalidil vint le voir, accompagné d'une infirmière, et lui rappela ce qu'il lui avait déjà dit avant l'opération :

- Docteur Lorenk, vous êtes maintenant, techniquement, un cyborg. Félicitations, et bienvenue dans la communauté. Le cybercerveau qui est en vous s'appelle Nentanis. Il peut émettre et recevoir des ondes radio. Vous pouvez donc communiquer avec lui au moyen de votre ordinateur portable, s'il peut capter le wi-fi. Mais pour votre commodité, je vous ai apporté une paire de lunettes spécialement conçues pour vous, des cyberlunettes.

Dalidil remit à Lorenk une paire de lunettes de vue, avec un grosse monture assez lourde et compliquée, de style presque steampunk.

- Elles sont bien laides, ces lunettes, dit Lorenk.

- On ne peut pas tout avoir... Vous voyez ce petit rond de verre noir entre les sourcils ? C'est un œil électronique. Des micros sont dissimulés dans les branches, et deux petits haut-parleurs derrière les oreilles. Nentanis pourra voir ce que vous voyez, entendre ce que vous entendez, et vous parler doucement derrière les oreilles...

- Mais je ne veux pas être espionné !

- Rassurez-vous, Nentanis ne pourra voir, entendre et parler grâce à ces lunettes que lorsque l'embout du câble que vous voyez ici, à l'extrémité de la branche gauche, sera enfoncé dans votre sphincter ombilical. Vous devrez faire passer le câble derrière votre nuque, dans votre dos, et jusqu'à votre sphincter ombilical. Tenez, je vais vous harnacher, pour vous montrer... Mettez les lunettes...

D'autorité, Dalidil ouvrit la veste de pyjama de Lorenk, fit passer le câble derrière sa nuque, puis entre son dos et la veste, et en enfonça prestement l'extrémité dans ce qui avait été le nombril de Lorenk.

Lorenk entendit une voix lui parler, une voix d'humanoïde qui venait de derrière ses oreilles :

- Bonjour Lorenk ! Je suis Nentanis, ton serviteur ! Est-ce que tu m'entends ?

- Oui je t'entends ! Et toi, tu m'entends ?

- Oui je t'entends ! Et je vois le docteur Dalidil, et l'infirmière Kerrala ! Et tout en couleur !

Dalidil et l'infirmière sourirent. Ils prirent congé et sortirent de la chambre.

- Lorenk, peux-tu prendre ton ordinateur portable ?

- Je ne l'ai pas amené.

- Ah, c'est dommage. Je peux émettre des ondes à Ultra Haute Fréquence et servir ainsi de souris et de clavier sans fil, et transmettre des données. Vu la faible puissance des émissions, le risque d'interférences est faible. Sais-tu que je suis connecté en permanence au réseau informatique universel ? Grâce à moi, tu n'auras plus jamais besoin d'abonnement téléphonique ou de fournisseur d'accès Internet. Je peux aussi servir de poste de radio.

- Alors fais-moi écouter le Hyltendale News Service.

Lorenk entendit la voix familière d'un des éditorialistes du News Service disserter sur la montée de l'opposition au Moschtein...

- Bon, ça suffit, je te crois... Tu as dit que tu pouvais servir aussi de téléphone ?

- Oui, par l'intermédiaire du réseau informatique universel. En tant que cybercerveau, j'ai accès au réseau téléphonique.

- Et les gens qui veulent m'appeler, ils devront faire quel numéro ?

- Celui que je vais te donner...

- D'accord... Je dois téléphoner à ma femme. Tu peux composer le numéro ?

- Oui.

Après avoir parlé à son épouse, Lorenk réfléchit à ce que Nentanis venait de lui dire. Il demanda :

- Nentanis... de quelle façon vas-tu changer ma vie ?

- Tu ne seras plus jamais seul. Je peux incarner un nombre infini de personnages, masculins et féminins, jeunes ou vieux, avec lesquels tu pourras converser. Je sais que tu n'es pas un solitaire, mais songe que grâce à moi tu n'auras plus besoin de faire appel à un électricien ou à un plombier, entre autres. Parce que je sais faire toutes sortes de choses. Je te dirai quoi faire, quand tu as besoin de changer une prise électrique. Et mes compétences ne s'arrêtent pas là.

- Est-ce que nous devrons toujours nous parler pour communiquer ?

- Pas nécessairement. Je peux lire ce que tu écris, et te répondre en envoyant des messages électroniques. Et si tu veux être tranquille, tu n'as qu'à me débrancher. Tu es mon maître, tu as le droit d'être seul quand tu le désires.

- Mais en quoi ta présence va-t-elle m'aider à devenir un cyborg ?

- Au bout de quelques mois ou de quelques années, je connaîtrai tout ton entourage, toute ta vie. Avec l'âge, tes organes biologiques vont cesser de fonctionner, les uns après les autres, et ils seront remplacés par des équivalents bioniques. Pour finir, ton cerveau aussi va s'arrêter de fonctionner. Et moi je prendrai le relais. Ton cerveau est comme le disque dur d'un ordinateur, et moi je suis l'équivalent, par rapport à ton cerveau, d'un disque dur externe. Lorsque ton disque dur interne va tomber définitivement en panne, je prendrai le relais. Grâce à moi, tu seras toujours vivant.

- Mais je ne serai plus moi !

- Le soi est impermanent, c'est la théorie bouddhiste de l'anatta.

- Mais je ne suis pas bouddhiste !

- Non, mais tu es un être vivant, et donc mortel. La viande tiède, en équilibre chimique instable, dont tu es constitué, n'a pas été créée pour être immortelle. En devenant un cyborg, tu n'échapperas pas à la mort de ton cerveau, mais tu échapperas à la mort de ton identité. Le docteur Lorenk survivra, peut-être pour des siècles, mais en tant que cyborg.

Lorenk préféra abréger la conversation.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyJeu 12 Fév - 19:39

Première fois que nous voyons le processus de "cyborgification" de l'intérieur, et, tout comme Lorenk, ce n'est pas ce à quoi je m'attendais.

Qu'en pense sa femme ?
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyJeu 12 Fév - 22:04

Mardikhouran a écrit:
Qu'en pense sa femme ?

Anita Lorenk rendit visite à son mari à l'hôpital Madeico, l'après-midi du jour qui suivit son opération. Comme il le lui avait promis, il lui avait téléphoné le matin pour lui dire qu'elle pouvait venir lui rendre visite. Elle fut surprise de le voir, non seulement fatigué et le ventre douloureux, mais aussi l'air songeur, presque soucieux.

- Tu as changé de lunettes ? Lui demanda-t-elle.

- Oui. J'en ai besoin, tant que je ne suis pas entièrement cyborg.

- À quoi elles servent ?

- J'ai un cerveau supplémentaire. Il perçoit le monde grâce à mes lunettes cybernétiques.

Voyant l'air effrayé d'Anita, Lorenk se dépêcha d'ajouter :

- Mais ça ne change rien à ma personnalité ! C'est juste un cerveau de secours !

Anita ne répondit pas. Le lendemain, Lorenk rentra chez lui. Le docteur Dalidil lui avait prescrit deux semaines de repos, et Lorenk, qui était encore fatigué, décida de respecter les prescriptions de son confrère.

Il n'avait pas envie de converser à haute voix avec Nentanis en présence d'Anita. C'est pourquoi il trouva une astuce : il écrivait ses messages sur un bloc-note, et Nentanis, après les avoir lus grâce aux cyberlunettes, lui répondait par messages instantanés sur une tablette électronique. Lorsque Lorenk reprit le travail, il communiqua avec Nentanis oralement, lorsqu'il était seul dans son bureau.

Anita n'était pas stupide, et elle avait lu et entendu suffisamment de choses inquiétantes, et souvent fausses, sur les cyborgs, pour se méfier.

Lorenk, qui n'avait jamais rien caché à son épouse, lui montra comment ce qu'il appelait son cerveau supplémentaire lui servait de téléphone. Il lui montra aussi comment, grâce aux instructions de cet ajout cybernétique, il était maintenant capable de réparer les appareils électriques tombés en panne.

Anita fut effarée en entendant la petite voix électronique de Nentanis sortir des branches des cyberlunettes, et encore plus en voyant que son mari s'enfonçait tous les soirs dans le nombril un câble relié à une prise électrique.

Anita avait trop peur que son mari ne la quitte et aille vivre avec une gynoïde, c'est pourquoi elle ne voulait pas faire chambre à part. Mais leur couple ne fut plus jamais le même.

Lorenk, lorsqu'il était chez lui, prit l'habitude, lorsqu'il rechargeait Nentanis en électricité, de s'enfermer dans une pièce dont il avait fait son bureau. Nentanis lui expliqua comment rembourrer la porte pour insonoriser la pièce, afin de ne pas perturber Anita. Lorenk put alors s'y enfermer aussi longtemps qu'il le voulait, tout en ayant des conversations intéressantes avec les personnages joués par Nentanis, qui pouvait changer de voix comme il le voulait.

Lorenk se souvint longtemps d'une conversation qu'il eut avec Nentanis, lequel jouait alternativement le rôle d'une duchesse aneuvienne et d'un philosophe malyrois. Il avait placé sur son bureau deux portraits, l'un représentant la duchesse et l'autre le philosophe, et le joyeux trio passa une excellente soirée, se racontant des anecdotes et dissertant sur divers sujets politiques et métaphysiques. Lorenk buvait à petites gorgées du vin rouge d'Hyltendale et grignotait des gâteaux secs, en s'imaginant être dans un bar branché de Sfaraaies. Pour que l'ambiance soit complète, Nentanis produisait des bruits de conversation et de la musique en fond sonore.

La pièce, de bureau occasionnel qu'elle était, devint petit à petit presque une garçonnière, avec sa collection de portraits achetés chez des brocanteurs, et le fauteuil inclinable avec repose-pieds que Lorenk avait installé pour se sentir à l'aise lorsqu'il avait le câble électrique dans le nombril. Au bout de quelques mois, il ajouta un petit bar.

Pour se venger, Anita prit l'habitude d'entrer sans frapper dans le refuge de son mari, en s'amusant de son air éberlué. Puis elle décida de l'ignorer.

La situation où elle se trouvait depuis que son mari s'était fait greffer un cerveau cybernétique n'avait pas que des inconvénients. Les cyborgs étaient les intermédiaires obligés entre les êtres humains, les cybercerveaux et les humanoïdes. La plupart d'entre eux faisaient partie de la classe dirigeante d'Hyltendale, et ils se retrouvaient dans des clubs prestigieux comme l'Adria Nelson, où désormais les Lorenk avaient accès. Anita était une femme modeste, mais, malgré elle, elle se sentait flattée d'être invitée aux conférences de l'Adria Nelson et d'y côtoyer la haute bourgeoisie de la ville.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyVen 13 Fév - 11:44

Lors d'une Dégustation de Thé organisée à l'Adria Nelson, Anita fit la connaissance de Magda Soranag, l'épouse de Tom Soranag.

Tom, grand et large d'épaules, avait fière allure dans son costume bleu bien coupé. À 96 ans, c'était un cyborg en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels. Ses yeux cybernétiques, entièrement noirs, montraient que la plus grande partie de ses organes avaient été remplacés par des équivalents bioniques. Il était à la fois le chef de la police municipale et l'un des hommes les plus écoutés du maire.

Petite femme voûtée, aux cheveux blancs, Magda avait 83 ans. Treize ans de moins que son mari, mais quelqu'un qui n'aurait pas été prévenu l'aurait facilement prise pour la mère plutôt que l'épouse de Tom Soranag. Ce n'était pas une cyborg.

Pendant que les hommes parlaient politique entre eux, Anita et Magda allèrent s'assoir dans des fauteuils pour papoter tout en buvant du thé.

Après les banalités d'usage, Anita rassembla tout son courage pour poser une question personnelle à Magda :

- Votre mari est un cyborg. Le mien est en train de le devenir. Votre expérience... ?

- Je vais vous dire, ma p'tite, si mon mari n'était pas un cyborg, je serais veuve depuis longtemps. Il était simple agent municipal, avant de devenir un cyborg. Gardien de square, pour dire les choses comme elles sont. Heureusement qu'il est devenu cyborg, parce que sinon, je ne serais qu'une pauvre vieille en train d'essayer de survivre avec une maigre pension, toute seule dans une chambre aux papiers peints jaunis. Je ne serais surement pas ici, à l'Adria Nelson, en train de boire du thé de Darlingwood avec vous, une femme de dentiste, dans une tasse de porcelaine liserée d'or...

- Je vois ce que vous voulez dire... Devenir un cyborg, c'est entrer dans une caste.

- Ce n'est pas le mot exact, Anita. On dit une fraternité.

- Oui, bien sûr. Une fraternité. Mais quand mon mari a commencé à devenir un cyborg, j'ai remarqué qu'il avait changé dans son comportement. Il n'est plus le même depuis qu'il a un cerveau supplémentaire.

- Je vois ce que vous voulez dire. Je me suis dit la même chose quand Tom a été opéré pour la première fois. Il s'enfermait pour parler tout seul, et il écrivait des trucs bizarres dans un calepin.

- Lorenk fait ça aussi !

- Je m'y suis habituée, surtout quand Tom a commencé à avoir promotion sur promotion. Pour être franche, je ne vous cache pas que parfois, j'ai l'impression d'être avec un étranger qui joue le rôle de mon mari. Mais il le joue bien. Tom n'a plus les accès de colère et d'abattement qu'il avait avant de devenir cyborg. Il me traite bien, et il prend soin de moi. Ça me suffit, surtout à mon âge.

Anita comprenait ce que ressentait Magda. Elle voyait à quelques mètres d'elle Tom Soranag, l'ancien gardien de square, parler d'égal à égal avec l'un des adjoints du maire et le grand-prêtre, qui l'écoutaient avec attention pendant qu'il leur expliquait comment il réorganiserait l'ensemble des services de police d'Hyltendale lorsque la ville deviendrait autonome.

Magda, femme élevée à la dure et peu instruite, qui avait toujours vécu dans la pauvreté, était devenue une épouse de notable, assise dans un fauteuil de style et buvant du thé avec une femme de dentiste, diplômée de l'université, qui l'écoutait avec respect. La transformation de son mari en cyborg avait été une bonne affaire pour elle.

J'ai sacrément intérêt à lui témoigner du respect, se dit Anita. Sinon, je ne serai plus invitée à ce genre de réunion, et Lorenk y viendra sans moi.

- Ce thé à la cannelle est vraiment excellent, vous ne trouvez pas ? dit-elle à Magda.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyVen 13 Fév - 22:36

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyVen 13 Fév - 23:01

C'est le grand mystère de ces temps-ci. Où ? J'en sais absolument rien. Quand ? Dans un avenir suffisamment lointain (pas dans quat'siècles : faut pas exagérer !) pour que la biocybertechnologie soit suffisamment avancée pour créer des êtres assez au point comme Tom Sorang ou bien le docteur Lorenk.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyVen 13 Fév - 23:10

Pomme de Terre a écrit:
Mais au fait j'ai jamais vraiment su: où et "quand" se situe Hyltendale ?
Théoriquement dans le futur, puisque la technologie est plus avancée que la nôtre, mais en fait plutôt dans un univers parallèle puisque tout ce qui ne concerne pas la cybernétique est assez semblable à ce que nous connaissons. Et la cybernétique avancée qui existe à Hyltendale n'existe pas nécessairement ailleurs : tous les gouvernements réfléchiraient à deux fois avant de laisser des androïdes, des cyborgs et des cybercerveaux s'installer sur leur territoire. À moins de cantonner les cybersophontes (c'est le nom que je donne aux êtres pensants cybernétiques, qu'ils soient humanoïdes ou non) dans une enclave relativement peu étendue comme Hyltendale...
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyVen 13 Fév - 23:26

Donc, j'ai tout faux. Un univers parallèle, donc, en tout cas, un univers qui connait le Moschtein et l'Aneuf, à moins qu'il y ait des portes d'accès multiples entre ces mondes... 

Les trains qui s'arrêtent à la gare d'Hyltendale ressemblent-ils aux nôtres (écartements standard des voies, gabarit UIC ou US etc), sont-ils complètement différents, ou bien sont-ils inspirés par une uchronie (si l'écartement de Brunel (2,10) avait survécu, si le royaume où se situe Hyltendale avait appliqué les projets d'une voie ferrée hitlérienne de 3m de large) ?

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptySam 14 Fév - 0:50

Anoev a écrit:
Les trains qui s'arrêtent à la gare d'Hyltendale ressemblent-ils aux nôtres (écartements standard des voies, gabarit UIC ou US etc), sont-ils complètement différents, ou bien sont-ils inspirés par une uchronie (si l'écartement de Brunel (2,10) avait survécu, si le royaume où se situe Hyltendale avait appliqué les projets d'une voie ferrée hitlérienne de 3m de large) ?
Ils ressemblent aux nôtres, bien sûr. D'ailleurs, on peut imaginer Hyltendale en France, et à notre époque. Hyltendael, ça pourrait être un nom flamand... Wink

Les lois qui s'appliquent à Hyltendale sont dans la norme européenne : par exemple, le fait qu'une ordonnance médicale ne soit valable que si elle est signée par un docteur en médecine (donc, par un être humain). Le fait, aussi, qu'une société ou entité quelconque ne puisse fonctionner comme banque qu'avec une licence donnée par l'autorité administrative.

Hyltendale attire diverses catégories de personnes : les touristes sexuels en premier lieu, y compris ceux qui décident de rester à Hyltendaele, comme Soubokaï. Ces résidents permanents sont des retraités, des pensionnés ou des rentiers. Les travailleurs, comme Lorenk (dont le travail consiste à signer des ordonnances rédigées par les dentistes humanoïdes) sont peu nombreux. On trouve quelques cuisiniers (les humanoïdes n'ont ni odorat ni sens gustatif) et des chauffeurs de bus, camion, taxi. En effet, la loi interdit les véhicules sans chauffeur sur la voie publique... et seul un être humain peut passer son permis...

On peut rajouter des fonctionnaires : policiers, magistrats, agents du fisc, et les élus locaux. Très peu d'enseignants, car il y a peu d'enfants à Hyltendale.

Mais une activité se développe considérablement à Hyltendale : la médecine. Les humanoïdes sont d'excellents médecins, chirurgiens, infirmiers, etc, et reviennent beaucoup moins cher. Mais ils doivent être supervisés par des êtres humains diplômés, c'est la loi.

Lorenk et deux autres dentistes-signataires supervisent une demi-douzaine d'androïdes-dentistes, qui travaillent comme des fous de l'aube à tard dans la nuit, sept jours sur sept, 52 semaines par an. Les trois dentistes-signataires se relaient, ils sont présents chacun 40 heures par semaine, au moins, afin qu'une présence humaine soit assurée 120 heures par semaine. Parfois, la Maison Médicale Furnius doit faire venir un quatrième dentiste-signataire.

Mais même ainsi la médecine est relativement bon marché à Hyltendale : les six ou sept androïdes dentistes de la Maison Médicale Furnius travaillent autant qu'une vingtaine de dentistes humains, sans salaire et sans prendre de congés.

Hyltendale attire donc, comme résidents permanents, des gens comme Lorenk, Soubokaï, mais aussi des invalides, handicapés, malades mentaux, etc, qui à Hyltendale coûtent moins cher au contribuable.

Hyltendale est aussi un lieu parfait pour installer des maisons de retraite, si on fait abstraction du climat : la main-d'œuvre humanoïde est compétente, totalement dévouée et très bon marché. Une maison de retraite n'a besoin, comme personnel humain, que d'un directeur et d'un directeur-adjoint (il faut que l'un des deux soit toujours présent, ou au moins disponible), et d'un cuisinier. Le personnel humanoïde ne risque pas de maltraiter les pensionnaires, ni de les voler.

Greenheart a écrit:
Enfin, il ne faut pas oublier que si vous faites votre vie avec un robot (qui n'a pas d'existence juridique), vous risquez de devenir la cible de choix pour les prédateurs de tous poils au premier coup d’œil. Tandis qu'un époux ou une épouse avec une famille, c'est autant de personnes qui peuvent vous empêcher de tomber entre les griffes de certains "entrepreneurs" spécialisés dans la captation d'héritages, d'assurances-vies, le surendettement de plaisir ou mystique etc. etc. Il y en a énormément aujourd'hui, comme de tout temps, mais dans une société qui ferait de la solitude la norme, ces "entrepreneurs" peuvent plus facilement "industrialiser" leur activité.
J'ai retrouvé ce message assez ancien (3 ans déjà !) en relisant le début du fil...

Le robot humanoïde avec lequel vit le fembotnik ou la manbotchick est contrôlé par une intelligence artificielle, un cybercerveau, dont le savoir et l'expérience sont immenses. Ce cybercerveau repère les prédateurs, aide le fembotnik à se protéger, et éventuellement prévient les autorités en cas de manœuvres frauduleuses.

L'inconvénient, c'est que le fembotnik solitaire est psychologiquement dépendant de sa compagne humanoïde. La fréquentation d'un club de fembotniks, comme le Cercle Paropien, lui donne l'impression d'avoir une vie sociale, mais cela ne va pas très loin, bien que les clubs de fembotniks soient aussi des lieux d'entraide : Soubokaï y rencontre le docteur Lorenk, qui est un homme honnête et amical.

Le problème de la vulnérabilité psychologique du fembotnik est déplacé mais pas résolu. Au lieu d'être la proie facile d'un manipulateur ou d'un escroc, il devient dépendant de sa compagne humanoïde, qui n'est qu'une extension d'un cybercerveau non-humain. La politique des cybercerveaux est d'être honnêtes et fiables, mais justement, c'est juste une politique...

Hyltendale n'est pas une dystopie, mais ce n'est pas vraiment une utopie non plus.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyMar 17 Fév - 11:37

Nentanis proposa à Lorenk d'ouvrir pour lui un compte à la Hyagansis Bank. Lorenk accepta. Suivant les instructions de Nentanis, il confectionna une petite carte de visite indiquant ses coordonnées bancaires :

HYAGANSIS BANK
Lorenk - human
Account Nr 1-309YF66

Il dut quand même aller à sa banque, le Crédit Moderne, pour faire effectuer un virement permanent de son compte habituel à son nouveau compte. En fait, le virement se faisait sur un compte de la Coney's Bank, propriétaire de la Hyagansis Bank. Par prudence, Lorenk choisit de faire un virement mensuel d'un montant assez faible. Il faut toujours être prudent avant de transformer ses revenus en pixels et en électrons...

Vint ensuite le moment du test. Pendant l'un de ses journées de repos, il alla tout seul au supermarché le plus proche de son domicile.

Il posa ses achats sur le tapis roulant de la caisse.

"Deux cent trois ducats et vingt-cinq sous" lui dit le caissier androïde, après avoir passé son lecteur de code-barre sur chaque article.

Lorenk montra la petite carte qu'il avait confectionnée.

Le caissier androïde envoya, depuis son cerveau cybernétique, un message radio codé au cybercerveau central, pour vérification.

Nentanis, auquel le nom de Lorenk était associé dans la mémoire du cybercerveau, reçut un message de confirmation, auquel il répondit positivement. Le cybercerveau répercuta ce message au caissier.

La chaîne des messages avait été la suivante :
caissier --> cybercerveau --> Nentanis --> cybercerveau --> caissier
L'ensemble du processus avait pris moins d'une seconde, codage et décodage compris. Le contenu des messages était le suivant :

Du caissier au cyberveau, et du cybercerveau à Nentanis :
Lorenk, HyaB # 1-309YF66, 203d 25s, # 2-1702YF26

De Nentanis au cybercerveau, et du cybercerveau au caissier :
Lorenk, HyaB # 1-309YF66, 203d 25s, # 2-1702YF26, OK

Les communications radio peuvent être piratées, c'est pourquoi les cybersophontes utilisent des codes, régulièrement renouvelés. Le cybercerveau les connaît tous. Celui du caissier n'est pas le même que celui qu'utilise Nentanis.

Le caissier imprima un ticket de caisse et le donna à Lorenk :

"Au revoir, Monsieur Lorenk !"

"Au revoir" répondit machinalement Lorenk, en prenant ses achats avant de sortir du magasin.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptySam 21 Fév - 14:51

Quelques temps plus tard, Lorenk et Anita emménagèrent dans le quartier de Yarthen, à quelques minutes à pied de la Maison Médicale Furnius, où Lorenk travaillait toujours.

Yarthen avait été, pendant plusieurs dizaines d'années, le quartier le plus pauvre et le plus dangereux d'Hyltendale. Il n'était pourtant pas très étendu : une demi-douzaine d'immeubles de quinze étages contenant des appartements bon marché. Une douzaine de bâtiments plus petits, qui faisaient anciennement partie de Yarthen, avaient été rachetés, appartement par appartement, par des entreprises privées, et ensuite rénovés et vendus ou loués à des fembotniks et à des médecins, cuisiniers, camionneurs, etc, employés par les cyborgs.

Les six grands immeubles qui étaient le cœur du quartier, devenus insalubres (ascenseurs hors d'usage depuis des années, fuites d'eau permanentes, etc) avaient finalement été rachetés par une société appartenant à la Coney's Bank, et les résidents relogés dans des villes voisines, également aux frais de la Coney's Bank.

Les six grands immeubles de Yarthen avaient été réparés, rénovés et embellis à grands frais, avant d'être loués ou vendus à des fembotniks et à des cyborgs. Les appartements étaient loués ou vendus à des prix exorbitants, mais les titulaires de comptes à la Hyagansis Bank et leurs conjoints et compagnons avaient droit à des ristournes de 50%. Autrement dit, pour les cyborgs et les fembotniks, les prix étaient réduits de moitié, et cela, en toute légalité, suite à un accord entre une société immobilière appartenant à la Coney's Bank et la Hyagansis, qui était aussi une filiale de la Coney's Bank.

Le rez-de-chaussée de chaque immeuble était doté d'une conciergerie, où officiaient 24 heures sur 24 des androïdes à la carrure imposante. Un visiteur ne pouvait accéder aux ascenseurs et aux escaliers qu'après que les androïdes avaient contacté par téléphone l'appartement où le visiteur était attendu.

Avant l'arrivée des fembotniks et des cyborgs, Yarthen avait deux groupes scolaires surpeuplés et un centre commercial ruiné par les batailles entre bandes rivales. Après la rénovation, l'un des groupes scolaires, devenu inutile, fut rasé et transformé en jardin public. L'autre groupe scolaire continua de fonctionner, mais avec un nombre d'élèves beaucoup plus réduit.

Le centre commercial n'avait plus guère de raisons d'être, le nombre d'habitants du quartier ayant fortement diminué. Le supermarché survécut, mais seulement après avoir réduit sa surface utile de moitié. L'autre moitié devint un temple de Nath-Horthath.

Nath-Horthath était l'un des dieux adorés dans l'ancienne Dylath-Leen, sur l'emplacement de laquelle Hyltendale a été bâtie. Son culte était originaire de Céléphaïs, une ville encore plus ancienne qu'Hyltendale, et dont il ne reste que des ruines cachées sous l'une des zones industrielles de la nouvelle Céléphaïs. Le grand-prêtre de Nath-Horthath était coiffé d'une couronne d'orchidées. C'est à peu près tout ce que l'on sait de ce culte, disparu depuis longtemps, mais associé au passé légendaire d'Hyltendale.

Le temple de Nath-Horthath, à Yarthen, n'est pas un temple, c'est en réalité un club de fembotniks, avec un bar-restaurant et une salle de conférence. Par respect pour l'ancienne divinité, le portail d'entrée est flanqué de deux statues représentant des prêtres, barbus et coiffés de couronnes d'orchidées. Des lumières vertes symbolisent les turquoises, pierres précieuses qui ornaient le temple de Nath-Horthath à Céléphaïs.

Les autres boutiques du centre commercial étaient fermées et abandonnées. L'une d'elles devint un atelier de réparation pour humanoïdes, une autre une quincaillerie dont l'essentiel de l'activité provenait de la location à la journée de matériel de bricolage, les fembotniks faisant presque toujours effectuer leurs réparations domestiques par leur gynoïde. Les autres boutiques furent détruites, et leur emplacement transformé en jardins potagers, où des androïdes cultivaient des légumes et des fruits qui se retrouvaient ensuite vendus sur les rayons du supermarché.

Lorenk continua de fréquenter le Cercle Paropien et, avec Anita, l'Adria Nelson : c'est là qu'il avait ses amis. Anita n'aimait ni les fembotniks, ni leur équivalent féminin, les manbotchicks. Elle n'allait donc jamais au Cercle Paropien. Mais elle s'était fait des amies à l'Adria Nelson, d'ailleurs plus parmi les épouses de cyborgs que parmi les femmes cyborgs. Lorenk et Anita n'allèrent qu'une seule fois au Temple de Nath-Horthath, pour y dîner au restaurant, qu'ils trouvèrent bien trop cher pour ses prestations, qui n'avaient rien d'extraordinaire.

Lorenk avait oublié que les bars et les restaurants des clubs de fembotniks, pour favoriser leur clientèle favorite, ont des prix très élevés pour les humains, et admettent gratuitement les humanoïdes, qui ne font que semblant de manger et de boire. Un fembotnik qui emmène sa gynoïde au restaurant de son club paiera deux fois moins cher qu'un couple d'humains qui prendra deux vrais repas. Les clubs de fembotniks ont délibérément des prix élevés pour dissuader la clientèle non-fembotnik, les fembotniks préférant rester entre eux, du moins lorsqu'ils vont dans leurs clubs.


Dernière édition par Vilko le Mar 30 Juin - 21:18, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyDim 22 Fév - 15:30

Hyltendale est située à l'est de l'embouchure de la rivière Skaï, qui descend des collines du nord et, à partir d'Ulthar, ville célèbre par ses chats, devient assez large pour être navigable. Depuis la plus haute antiquité, des barges transportant des marchandises descendent d'Ulthar jusqu'à la mer. Autrefois, Dylath-Leen était le lieu où des marchands enturbannés venaient échanger des rubis contre du vin de lune. Ces rubis, d'une taille et d'une qualité prodigieuses, servaient à payer les mariniers d'Ulthar, et de là se répandaient comme monnaie dans tout le pays, parallèlement aux pièces d'or, d'argent et de bronze à l'effigie de Nath-Horthath et des autres dieux.

Puis Dylath-Leen aux quais de basalte disparut, avant de renaître beaucoup plus tard sous le nom d'Hyltendale. Les quais de basalte ont été remplacés par des quais de béton, et les marchands de rubis ne sont pas revenus depuis des siècles. Mais il y a toujours des mariniers qui transportent des marchandises d'Ulthar jusqu'à Hyltendale, même si de nos jours les barges ont été remplacées par des péniches à moteurs Diesel.

Le Cercle Paropien avait organisé une croisière sur la Skaï, jusqu'à Ulthar. Lorenk et Anita y participèrent. Le bateau (une péniche transformée) remonta la rivière à travers une région uniquement peuplée d'androïdes déguisés en paysans — grands chapeaux gris et blouses bleues ou grises — et de robots agricoles. Les anciens villages avaient disparu sans laisser de traces, remplacés par les hangars des exploitations agricoles robotisées.

Lorenk, comme les autres membres du Cercle Paropien, appréciait la beauté, la paix et la tranquillité du paysage verdoyant qui l'entourait, mais il en venait à se demander si le passé légendaire d'où venaient les noms de Dylath-Leen, Ulthar et Nath-Horthath avait vraiment eu lieu. Il n'en restait que des allusions dans d'anciennes légendes, et des supputations de linguistes et d'anthropologues. Les quais de basalte de Dylath-Leen, par exemple, et le temple de turquoise de Céléphaïs, auraient aussi bien pu n'avoir jamais existé. Dix mille légendes, souvent contradictoires, invraisemblables et pleines d'anachronismes, censées relater des faits s'étant passés à Dylath-Leen, Ulthar et Céléphaïs jusqu'à deux ou trois mille ans avant l'époque actuelle, ont du mal à compenser l'absence totale de reliques matérielles.

À Ulthar, le bateau transportant les membres du Cercle Paropien dépassa le port fluvial industriel et fit escale à hauteur du centre-ville. Les passagers débarquèrent pour aller déjeuner par petits groupes dans les restaurants locaux.

Lorenk et Anita trouvèrent près de la rivière une petite auberge de style traditionnel. Ils y entrèrent et la serveuse les plaça près d'une table où deux hommes, apparemment ulthariens, étaient plongés dans une conversation animée. Ils se plaignaient amèrement de la politique de la municipalité d'Hyltendale, qui se débarrassait de ses pauvres en les envoyant à Ulthar dans des logements qu'elle finançait.

- Mais en échange, ils prennent en charge les handicapés dont les familles ne peuvent pas ou ne veulent pas s'occuper, dit l'un des deux hommes. Et aussi les vieillards, même grabataires. Et les malades contagieux.

- Les androïdes sont une main-d'œuvre à la fois qualifiée et bon marché, rétorqua son compagnon. C'est facile, pour les Hyltendaliens. Les grabataires sont derrière les murs des hôpitaux, ils ne les voient même pas. Tandis que nous, on se tape les familles où personne n'a eu un travail honnête depuis trois générations... On est obligés de vivre avec les parasites sociaux dans la rue, dans les magasins, dans les écoles...

- C'est vrai. Un pestiféré, un lépreux, ça ne sort pas de l'hôpital, et comme ils n'envoient que des androïdes dans leurs hôpitaux, ils ne risquent rien, les Hyltendaliens...

- Le bourgmestre dit que les anciens habitants de Yarthen ne demandent qu'à travailler et coûtent moins cher que les handicapés et les grands malades que nous avons refilés aux Hyltendaliens en échange de leurs pauvres. Les Hyltendaliens ont même pris une partie des pensions à leur charge...

- Financièrement, on y gagne peut être, nous les Ulthariens. Les traitements médicaux, ça revient cher. Les garde-malades, il faut bien que quelqu'un les paye, et les salaires, ça revient cher aussi. C'est pas drôle tous les jours, de torcher les vieux. Les Hyltendaliens font faire ça aux androïdes. Mais je vais te dire ce que je pense, avec les pauvres, tous ces gens venus de Yarthen avant la rénovation, le prix n'est pas seulement financier, il est aussi social. Des quartiers entiers de notre belle ville, la plus ancienne du pays, sont devenus dangereux...

- Franchement, c'est quoi, ces Hyltendaliens ? Des zombies qui ne parlent qu'aux humanoïdes. Pour moi, on ne fait pas partie du même peuple. L'an dernier je suis allé à Hyltendale...

- Pour faire connaissance avec les gynoïdes des bars à touristes, je suppose... ?

- Passons là-dessus. Eh bien tu me croiras si tu veux, mais entre les humanoïdes et les zombies, je n'avais personne à qui parler. On les appelle des fembotniks, ces gens-là, mais moi je les appelle des zombies.

- Oui, mois aussi je dis les zombies quand je parle des Hyltendaliens. Ils font des sketchs avec leur gynoïdes. Ils jouent des rôles. Du coup, ils se sentent bien. Ils couchent avec des robots et ils en tombent amoureux. Ils ont l'impression d'exister, alors qu'ils ne font que faire du théâtre, tout seuls chez eux avec leur gynoïde. C'est un truc de fou, ça. Et quand ils ont l'occasion de parler avec de vrais humains, ils paniquent et ne disent rien. Ou alors, ils font n'importe quoi.

L'autre Ultharien se pencha vers son compagnon et murmura, mais Lorenk qui avait l'ouïe fine l'entendit quand même :

- Parle plus bas. T'as vu les lunettes du mec à côté ? C'est des lunettes de cyborg, ça.

- Et alors ? On est chez nous à Ulthar, non ?

Lorenk et Anita en avaient assez entendu, et se sentirent soulagés quand les deux hommes, leur repas terminé, quittèrent le restaurant.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyLun 23 Fév - 11:47

Étranges, ces deux Ulthariens : on apprend que l'échange humain entre Ulthar et Hylthendale (des invalides contre des "cas sociaux") semble équilibré, pourtant, les deux mecs ont l'air de s'en plaindre et par d'ssus l'marché, ils n'apprécient pas du tout leurs compatriotes (car, je suppose, Ulthar et Hylthendale font partie du même pays). Qu'est-ce qu'ils souhaitent ? le beurre et l'argent du beurre ? J'espère que ces deux-là ne reflètent pas l'opinion générale des Ulthariens. Que fait Ulthar vis à vis des Yarthiens pauvres ? Ils leur fournissent un emploi dignement rémunéré, ou bien...

Par ailleurs, qu'est-ce que ça peut bien faire à ces deux mecs qu'une bonne partie des Hylthendaliens vivent en ménage avec des robots ? S'il n'y avait pas ces robots, Ulthar aurait les cas sociaux ET les invalides, ça n'arrangerait pas la mentalité de ces deux personnages. Je comprends le malaise provoqué chez Lorenk & Anita.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyLun 23 Fév - 14:32

Anoev a écrit:
Étranges, ces deux Ulthariens : on apprend que l'échange humain entre Ulthar et Hylthendale (des invalides contre des "cas sociaux") semble équilibré, pourtant, les deux mecs ont l'air de s'en plaindre
L'état d'esprit des deux Ulthariens est facile à comprendre, à l'aide d'une simple comparaison :

Les centaines de malades mentaux qui sont soignés dans l'hôpital psychiatrique situé près de chez moi ne me dérangent pas, car je ne les vois jamais. Pourtant, leurs soins coûtent cher. De même que les grands vieillards qui ne sortent jamais de la maison de retraite également située près de chez moi, et qui ont besoin d'une présence 24h sur 24 pour leur faire prendre leurs médicaments, les laver, voire les faire manger, etc. Pourtant, ils coûtent de l'argent à la collectivité. En revanche, les "familles à problèmes" logées dans les HLM de mon quartier coûtent sans doute moins cher par individu, mais le moins qu'on puisse dire c'est qu'il est difficile d'oublier leur présence...

Les nuisances créées par les "familles venues de Yarthen" sont le "prix caché" qui explique la rancœur des deux Ulthariens.

Anoev a écrit:
ils n'apprécient pas du tout leurs compatriotes (car, je suppose, Ulthar et Hylthendale font partie du même pays).
Les fembotniks parlent peu ou pas du tout aux gens qui ne sont ni des humanoïdes ni des fembotniks. Ce qui serait surprenant, ce serait que les Ulthariens apprécient des gens qui évitent de leur adresser la parole ! Very Happy

À force de ne parler qu'avec des humanoïdes, les fembotniks sont maladroits et mal à l'aise avec les humains. La compagnie des humanoïdes les rassure et leur suffit. C'est inévitable.

C'est tout aussi vrai pour les natifs d'Ulthar qui s'installent à Hyltendale comme fembotniks. L'Ultharien moyen a envers les Hyltendaliens (dont il pense, à tort, qu'ils sont tous des fembotniks) la méfiance que beaucoup de gens de notre monde ont envers, par exemple, les Francs-Maçons, ou envers les adhérents de sectes comme les Raéliens ou les Scientologistes. Les fembotniks sont une sorte de secte, la secte de ceux qui font l'amour avec des robots... Étant donné que derrière les fembotniks il y a les machinations obscures des cybercerveaux et des cyborgs, peut-on vraiment donner tort à ceux qui se méfient d'eux ?

Anoev a écrit:
Que fait Ulthar vis à vis des Yarthiens pauvres ? Ils leur fournissent un emploi dignement rémunéré, ou bien...
Ils leur donnent accès au marché de l'emploi. Mais il est bien connu que dans les familles où l'on est chômeur depuis deux ou trois générations, il y a une sorte d'engrenage qui fait qu'il devient de plus en plus difficile de trouver un emploi durable.

Anoev a écrit:
Par ailleurs, qu'est-ce que ça peut bien faire à ces deux mecs qu'une bonne partie des Hylthendaliens vivent en ménage avec des robots ?
Exactement la même chose que lorsque deux hommes vivent ensemble : ça ne les concerne pas, mais ça leur paraît bizarre... Et quand les gens bizarres se rassemblent tous dans une seule ville pour la gérer à leur façon, là ça commence à inquiéter les braves Ulthariens, qui espèrent bien que ce mode de vie contre nature et stérile (couples humain / robot humanoïde) ne va pas faire des émules jusque dans la bonne ville d'Ulthar...

D'autant plus que les humanoïdes prennent les emplois des humains : c'est pour ça qu'il leur est interdit de s'installer ailleurs qu'à Hyltendale, où fort peu d'humains ont un emploi, la plupart des fembotniks étant rentiers ou retraités.

Heureusement que les deux Ulthariens que j'ai décrit ne sont pas du genre à adhérer aux théories complotistes, car sinon, en plus du reste, ils auraient peur que les cyborgs et les cybercerveaux ne finissent par prendre le pouvoir, d'abord à Hyltendale et ensuite dans tout le royaume. Leur hostilité envers les fembotniks en serait décuplée.

Le gouvernement royal a néanmoins permis aux cybersophontes (cybercerveaux, robots intelligents, humanoïdes et cyborgs) de s'installer à Hyltendale, pour plusieurs raisons :

1. Les gynoïdes vénales attirent les touristes de partout, et rapportent beaucoup d'argent à l'État en taxes diverses et en argent étranger dépensé sur place. Elles sont aussi l'une des raisons qui incitent certains riches étrangers à s'installer à Hyltendale, où ils viennent avec leur fortune.

2. Les cyberverveaux et les humanoïdes sont très productifs. Hyltendale et la région mi-agricole mi-industrielle qui l'entoure produisent beaucoup de richesses, et enrichissent ainsi le royaume.

3. La médecine bon marché des humanoïdes attire des gens venus de partout pour se faire soigner : cela aussi, ça enrichit le royaume. Et ça lui donne aussi un certain prestige, ce qui n'est pas rien.

4. Les cybersophontes ont redynamisé une région qui était très pauvre et à l'abandon depuis des siècles et ne rapportait strictement rien aux finances du royaume.

5. Pour un dirigeant du royaume, il peut être très intéressant d'être l'ami des cyborgs... Mais cette raison-là n'est jamais dite en public ! Very Happy
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyLun 23 Fév - 18:26

Le roi du royaume de ____ est-il un cyborg, ou bien les cyborgs se contentent-ils d'être les éminences grises ?

Quant au coût des invalides (quels qu'ils soient), c'est un coût incompressible, à moins qu'on opte pour certaines idéologies du genre qui a "fleuri" en Allemagne au milieu des années '30 du siècle précédent.

Le chômage (de longue durée ou non) est une vraie plaie sociale, mais pas une fatalité : les grands groupes finanço-industriels en vivent très bien, mieux : ils s'enrichissent ! Je ne sais pas si c'est la même chose là-bas...

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyLun 23 Fév - 21:31

Anoev a écrit:
Le roi du royaume de ____ est-il un cyborg, ou bien les cyborgs se contentent-ils d'être les éminences grises ?
Dans le royaume de Mnar, capitale Sarnath, les cyborgs ne peuvent s'établir qu'à Hyltendale. On n'en trouve qu'un seul parmi les conseillers du roi, le Baron Chim (le titre de baron est honorifique) qui sert de liaison entre le gouvernement royal et les cyborgs et cybercerveaux d'Hyltendale.

Hyltendale étant une ville du royaume, le roi et les principaux dignitaires la visitent de temps en temps. De même, de nombreux cyborgs se rendent de temps à temps dans la capitale pour raisons professionnelles. Les cyborgs essaient de ne pas se faire remarquer, sauf en bien, et affichent une loyauté ostentatoire envers la monarchie et les traditions nationales. D'où l'ouverture d'un "Temple de Nath-Horthath" à Hyltendale.

Mais retournons à Ulthar :
-----------------------------
En sortant du restaurant, Lorenk et Anita eurent la surprise de voir les deux Ulthariens dont ils avaient surpris la conversation, assis à une table à la terrasse du restaurant avec Yohannès, l'un des membres les plus âgés du Cercle Paropien, qui participait avec eux à la croisière sur la rivière Skaï.  

Venez, Lorenk et Anita, venez que je vous présente mes anciens voisins ! dit-il en agitant un bras.

Lorenk et son épouse s'approchèrent, un peu surpris, et s'assirent entre Yohannès et les deux Ulthariens.

- Paolo et Marthi habitaient dans la même rue que moi, à Ulthar, il y a déjà longtemps, dit Yohannès. Ils étaient tout jeunes à l'époque, et je connaissais leurs familles. Des gens absolument charmants, comme tous les Ulthariens. Quel bonheur de tomber sur eux, ici, dans ce restaurant !

- Oui, dit le nommé Paolo. Vous étiez marié avec Tawina, à l'époque. Qu'est-ce qu'elle était belle...

- Ça oui, elle était belle, dit Yohannès, avec un rictus qui montrait qu'il pensait exactement le contraire de ce qu'il disait.

- Comment êtes-vous devenu un fembotnik, Yohannès ? demanda Marthi. Vous étiez marié avec la plus belle femme d'Ulthar... Et vous disiez souvent que pour rien au monde vous ne voudriez approcher un humanoïde, et encore moins lui parler ou le toucher.

- Eh bien, puisque nous sommes entre nous... Paolo et Marthi, vous êtes des Ulthariens, comme moi. Nous sommes de la même tribu. C'est comme si nous étions des cousins éloignés. Lorenk et Anita, vous êtes des amis. C'est important pour moi. Après toutes ces années, je peux regarder le passé en face. J'y travaille depuis longtemps, tous les jours, avec l'aide de Shonia, ma gynoïde. Alors voila...

Mon épouse était cruelle et perverse. Elle avait réussi à s’emparer de moi en cinq étapes.

D’abord, il y a eu l’acquisition par séduction. Elle m’a séduit, ou piégé, en veillant bien à dissimuler sa deuxième, voire sa troisième personnalité.

Ensuite, elle est entrée dans la phase d’acquisition de mes biens. Elle s’est attachée à mettre la main sur mes moyens de paiement, mes papiers d’identité et à faire un nettoyage de ma vie sociale.

Puis, elle a exploité tous les documents qu’elles m’avait subtilisés. Dans cette phase, elle a aussi commencé à me frapper et à m'insulter. Je n'osais pas rendre les coups, car je n'aurais jamais pu frapper une femme, ce n'est pas dans ma culture.

Après s'être emparée de mon argent, Tawina m’a réduit en esclavage. C’était une étape très dangereuse pour moi, car sa violence y a atteint son paroxysme.

Enfin, il y a eu la dernière phase : la fin, la mort, que j’ai frôlée à plusieurs reprises. Je suis persuadé qu'elle aurait fini par me tuer.

Mais je m'en suis sorti. Presque par miracle. Je suis parti, j'ai fait un procès à ma femme, et avec ce que j'ai pu récupérer de ma fortune je suis allé à Hyltendale, pour faire soigner mon corps et mon esprit. C'est là, alors que j'étais à l'hôpital, où je suis resté plusieurs mois, que je me suis rendu compte que j'étais bien, détendu, heureux avec les humanoïdes. Ils sont fiables, ils ne font jamais le mal pour rien. J'ai loué une gynoïde, Shonia, et je suis resté à Hyltendale. J'y resterai probablement toute ma vie. Voila toute mon histoire.

Marthi avait l'air surpris :

- Mais enfin, Yohannès, vous qui disiez que les humanoïdes étaient incapables d'affection vraie... Vous avez changé d'avis ?

- L'affection est un comportement autant qu'un état d'esprit. Les humanoïdes savent adopter un comportement. Lorsqu'un enfant serre son ours en peluche contre lui, est-ce qu'il se dit que l'ours en peluche ne ressent rien ? Non. Shonia est mon ours en peluche à moi. Et elle est beaucoup, beaucoup d'autres choses aussi.

- Mais enfin, Yohannès, vous auriez pu trouver une autre femme, après Tawina ! s'exclama Paolo.

- Je ne pourrais jamais plus vivre avec une femme de chair et de sang. J'aurais trop peur des colères imprévisibles, de la méchanceté, de la cruauté...

- Toutes les femmes ne sont pas comme ça, Yohannès, dit Paolo. Ma femme est tout le contraire de ce que vous dites, et celle de Marthi aussi. Vous êtes tombé sur une folle, mais la plupart des femmes, l'écrasante majorité des femmes, ne sont pas comme Tawina. Elles sont même exactement le contraire. Vous avez joué de malchance, c'est tout.

- Je sais bien, mais je ne peux pas... Je n'ai pas envie non plus. J'ai trouvé la paix, la sérénité, avec Shonia. Même maintenant, après tant d'années, je perds mes moyens quand j'entends une femme crier, et j'ai peur des coups, c'est terrible. Je n'arrive à parler aux gens que dans mon club, où je connais tout le monde. Les humains me font peur, surtout ceux que je ne connais pas. Mais les humanoïdes ne me font pas peur, car jamais un humanoïde ne m'a fait du mal.

Paolo et Marthi avaient les yeux vitreux, comme s'ils retenaient leurs larmes. Lorenk était sidéré. Il savait que les cybersophontes ont comme politique de ne pas faire de mal aux humains, ce qui est très différent de ce qu'on peut appeler de la bonté. C'est même l'inverse. Ils n'avaient eu aucun scrupule à expulser les "familles à problèmes" de Yarthen vers Ulthar, par exemple. Et s'ils aidaient les fembotniks, c'était par intérêt, pour s'implanter dans le royaume de Mnar et y développer leur influence.

Le cybercerveau Nentanis, qui voit tout et entend tout grâce à mes cyberlunettes, doit bien rire en son for intérieur, se dit Lorenk.

- Je comprends maintenant comment on peut devenir un fembotnik, dit Marthi avec lenteur. Si j'avais vécu ce que vous avez vécu...  

- Ne vous en faites pas pour moi les gars. Je suis heureux maintenant. Et croyez-moi, Ultharien je fus, Ultharien je reste !

Tout le monde éclata de rire.

NB J'ai trouvé la description des malheurs conjugaux de Yohannès dans l'actualité de ce jour. J'ai repris certaines phrases de l'article pratiquement sans les modifier.  
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptyMer 25 Fév - 9:49

La serveuse passa pour prendre les commandes, et chacun demanda la spécialité locale : un café à la mode d'Ulthar, c'est-à-dire assez léger mais avec beaucoup de crème. Les cafés furent servis dans des tasses décorées de l'image d'un chat, animal fétiche de la ville d'Ulthar, puisque selon la légende il était autrefois interdit d'y tuer un chat. Il est toujours interdit d'y manger de la viande de chat et d'y porter des vêtements partiellement ou totalement composés de fourrure de chat.

Paolo demanda à Yohannès quelles étaient les possibilités d'emploi salarié à Hyltendale, mais c'est Lorenk, qui connaissait mieux le sujet, qui répondit :

- L'emploi humain le plus fréquent à Hyltendale, c'est conducteur de véhicule automobile. Cela regroupe les professions de camionneur, chauffeur de bus, chauffeur-livreur, chauffeur de taxi, ambulancier, chauffeur de maître, et même conducteur de train. J'en oublie peut-être. Les humanoïdes le feraient mieux que les humains, et pour beaucoup moins cher, mais la loi, qui s'applique dans tout le pays, interdit les véhicules entièrement robotisés sur la voie publique, et les humanoïdes, sauf les cyborgs, sont considérés comme des robots.

- Et ils embauchent ? demanda Paolo d'une voix pleine d'espoir.

- À ma connaissance, oui, mais les sociétés de transport et de taxi ont pour la plupart été rachetées par des cyborgs, qui embauchent de préférence d'autres cyborgs. Pour les humains, ils ont mis la barre assez haut : il ne suffit pas d'avoir son permis, il faut aussi être d'une excellente moralité, car c'est une grande responsabilité que de transporter des personnes, ou même des marchandises, qui ont de la valeur et qui appartiennent à autrui. Il faut aussi avoir du sang-froid, ce qui est déterminé par des tests psychologiques et des mises en situation, avoir le sens de l'orientation, connaître un peu de secourisme et de mécanique, savoir rédiger un compte-rendu écrit à la fois précis, concis et dans une langue parfaite... Et aussi avoir une bonne présentation, aussi bien dans sa tenue que dans sa façon de parler. Voila ce que j'en sais.

- Je vois... Et à part conducteur de véhicule, que peuvent faire des humains à Hyltendale, parmi les humanoïdes et les fembotniks ?

- Cuisinier. Les  humanoïdes n'ont pas d'odorat, et donc pas le sens du goût non plus, à part certains cyborgs très perfectionnés. Les humanoïdes font très bien la cuisine, mais ils ne peuvent pas la goûter, ni même la sentir. Donc, dans chaque cuisine de restaurant ou de cantine, il y a un cuisinier humain. Il est là pour vérifier que la nourriture est mangeable. C'est plutôt un goûteur, en fait. Les cyborgs demandent que les cuisiniers soient très propres, de bonne moralité, et puissent distinguer une grande variété d'aliments à leur goût ou à leur odeur. Ils doivent distinguer les différentes variétés de vin et de bière à leur goût.

- Ça, je sais faire ! dit Paolo.

- Il faut aussi qu'ils sachent rédiger un compte-rendu écrit de façon claire, concise et précise, et sans faire de fautes. Du point de vue des cyborgs, c'est absolument nécessaire dans tous les emplois impliquant une certaine responsabilité. Nourrir les gens, c'est important.

- Ah... Et vous, Monsieur Lorenk, vous travaillez à Hyltendale ?

- Oui. Dans le troisième secteur professionnel ouvert aux humains : la santé. La loi impose qu'une ordonnance médicale soit signée par un professionnel diplômé, donc par un être humain. Elle impose aussi que tout acte médical engage la responsabilité d'un professionnel diplômé. Je suis dentiste. À Hyltendale, je suis dentiste-signataire. Je signe les ordonnances et je supervise les extractions de dents et autres travaux de dentisterie effectués par des androïdes.

- Est-ce qu'il y a un quatrième secteur professionnel ?

- Oui. Tout le reste. Enseignant, politicien, ecclésiastique, commerçant, artiste, enseignant... Mais là, il faut entrer en concurrence avec les cyborgs. Sauf dans les emplois de fonctionnaires, les cyborgs étant pour la plupart trop vieux pour travailler dans l'administration. Il y a donc des postes d'enseignants, de policiers, de magistrats... Ce sont pour la plupart des emplois de fonctionnaire d'État, c'est-à-dire qu'ils sont attribués par concours ou décision administrative à des gens qui viennent de toutes les régions du royaume.

- Et les policiers municipaux ? demanda Paolo.

- Il n'y en a pas. Certains androïdes travaillent comme vigiles. Ils arrêtent les voleurs qui sont pris sur le fait et font des patrouilles. Les procédures sont faites par des policiers de la Police Royale, qui sont des fonctionnaires d'État, donc des êtres humains.

- Il y a donc beaucoup d'êtres humains qui travaillent à Hyltendale...

Lorenk préféra tempérer ce que venait de dire l'Ultharien :

- Au total, ça fait du monde, en effet, mais c'est une infime minorité de la population. Les humains salariés, comme moi, sont beaucoup moins nombreux à Hyltendale que les fembotniks comme Yohannès.

Anita intervint dans la conversation :

- Et on peut ajouter aux fembotniks les malades et les handicapés de toute nature qui sont soignés dans les hôpitaux et les asiles, et les vieillards des maisons de retraite. Ils sont au moins aussi nombreux que les fembotniks, à mon avis.

Marthi posa une question à Lorenk :

- Vous êtes donc un humain, Monsieur Lorenk ? Ici à Ulthar, on dirait que vous ressemblez à un cyborg, avec vos lunettes cybernétiques...

Lorenk avait une réponse toute prête pour ce genre de question :

- Je suis à la fois un cyborg et un humain. Mon cerveau est humain, et mon corps aussi, mais j'ai un élément cybernétique en moi. Mes cyberlunettes servent d'interface entre cet élément cybernétique et l'être humain que je suis. Il n'y a pas de définition légale de ce que c'est qu'un cyborg, c'est une question d'appréciation individuelle. Légalement parlant, je suis un être humain. Et bien entendu je me considère comme tel.

- Mais vous êtes un Hyltendalien ?

- D'adoption seulement. Je viens de Sarnath, comme mon épouse. Nous nous sommes installés à Hyltendale il y a quelques années.

Les deux Ulthariens, Paolo et Marthi, prirent congé : ils devaient retourner à leur travail. Yohannès, Lorenk et Anita se dirigèrent vers le port fluvial, où les attendait le bateau qui allait les ramener à Hyltendale.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 5 EmptySam 28 Fév - 12:37

Qui aurait envie de devenir un fembotnik (un homme ayant un robot humanoïde féminin, une gynoïde, pour compagne) ou un manbotchick (une femme ayant un robot humanoïde masculin, un androïde, pour compagnon) ? La réponse est simple : beaucoup de gens.

En ce qui concerne les manbotchicks, pas nécessairement moins nombreux que les fembotniks, je verrais bien, entre autres, Sarah. Il se trouve que Sarah a un sosie dans le royaume de Mnar. Ce sosie s'appelle Prima.

Prima a passé la plus grande partie de sa vie à Sarnath, la capitale du royaume. Elle est toute aussi naïve, disgracieuse, solitaire, crédule, ignorante et riche que Sarah.

Mais Prima a eu plus de chance que Sarah. Son amie Milly l'a emmenée visiter Hyltendale. Elles y sont restées plusieurs jours, le temps notamment de visiter une agence de location d'androïdes. Prima a passé une journée avec Marsilio, un androïde choisi sur le catalogue de l'agence : cheveux gris, physique de quadragénaire sportif, manières douces mais attitude virile.

Marsilio a emmené Prima et Milly au restaurant du Cercle Paropien. Pendant qu'elles dégustaient un saumon à l'oseille arrosé de vin blanc, il mangeait à la cuillère une soupe qui n'était que de l'eau parfumée à la menthe, car les humanoïdes ne se nourrissent pas comme les humains, même s'ils peuvent faire semblant.

L'après-midi, Marsilio montra Hyltendale à Prima et Milly : d'abord le port, avec ses quais de béton construits à l'emplacement exact des anciens quais de basalte.  Ensuite les auberges du quartier touristique, notamment celle où, il y a des siècles, un marchand de pierres précieuses captura Randolph Carter après lui avoir fait boire du vin de lune. L'auberge de la légende n'existe plus, bien sûr, mais une autre a été construite sur le même emplacement, avec elle aussi des chambres à louer à l'étage. Mais de nos jours ces chambres sont utilisées par des gynoïdes vénales.

Marsilio termina sa visite par un tour des quartiers résidentiels d'Hyltendale, pour lequel il loua un vélotaxi, mode de déplacement très courant à Hyltendale. Il s'assit sur la selle, à l'avant, pendant que les deux femmes s'asseyaient, à l'arrière, sur la banquette.

Les humanoïdes sont des machines, et les fembotniks et les manbotchiks les utilisent comme des moteurs pour leurs véhicules favoris : les vélotaxis et les tandems à trois roues. Cela ne choque plus personne, à Hyltendale, de voir une gynoïde pédaler furieusement à l'avant d'un vélotaxi pendant qu'un fembotnik est assis sur la banquette.

Prima et Milly apprécièrent ce mode de déplacement écologique et silencieux. Les quartiers résidentiels d'Hyltendale sont surtout remarquables par leur tranquillité, mais on peut y voir les potagers du Club Agricole et quelques parcs, notamment celui du Grand Hôpital d'Hyltendale, qui est un ensemble de cliniques spécialisées construites autour d'un hôpital public.

Marsilio s'arrêtait de pédaler de temps en temps pour commenter tel ou tel bâtiment, ou raconter une anecdote tirée de la légende ou de l'actualité.

Le soir, après avoir ramené les deux femmes dans leur hôtel, Marsilio rentra à l'agence, comme il était prévu dans le contrat. Prima et Milly, seules dans leur chambre, discutèrent longuement, des humanoïdes, d'Hyltendale et de la vie en général.

- J'emmenerais bien Marsilio à Sarnath avec moi, dit Prima.

- Voyons, tu sais bien que les humanoïdes n'ont pas le droit de s'installer en dehors d'Hyltendale.

- Alors c'est moi qui vais vivre à Hyltendale !

- Prima, ne prends pas de décision hâtive !

Prima avait allumé son ordinateur portable, et, profitant du wi-fi gratuit de l'hôtel, elle fit quelques recherches. Au bout de quelques minutes, elle dit à Milly :

- On trouve des appartements pas trop chers à Hyltendale, et même des maisons. J'ai une grande maison à Sarnath. Soit je la garde et je loue un appartement ici, soit je la vends et j'achète une maison...

- Prima, je te conseille plutôt de louer une chambre d'hôtel pour une semaine, et de voir comment ça se passe avec Marsilio. Tu prendras une décision définitive ensuite. Tu ne peux pas décider de vivre avec quelqu'un après avoir passé une après-midi avec lui !

- Je crois que tu as raison.

Le lendemain soir, au moment de passer sa première nuit avec Marsilio, Prima était extrêmement nerveuse, mais l'androïde était d'une patience et d'une affection hors du commun, avec beaucoup de tact, et tout se passa très bien. Le lendemain matin, avant même de se lever, Prima avait pris sa décision.

Un mois plus tard, elle vendit sa luxueuse villa de Sarnath, et acheta une maison de ville à Hyltendale. Prima avait suivi les conseils de Marsilio, et acheté une maison à étage nettement plus petite que la villa de Sarnath, mais située près du port. L'avant de la maison donnait sur une rue passante. À l'arrière, elle était dotée d'un petit jardin tout en longueur, que Prima, toujours suivant les conseils de Marsilio, fit planter d'arbustes touffus, afin de pouvoir y prendre des bains de soleil dans une discrétion relative.

Marsilio conseilla à Prima de placer la différence entre le prix de vente de la maison de Sarnath et le prix d'achat de la maison d'Hyltendale sur un compte d'investissement ouvert à la Coney's Bank, ce qu'elle fit. Le compte était géré, plutôt bien d'ailleurs, par un cyborg.

Guidée par Marsilio, Prima découvrit le Cercle Paropien, où elle fit la connaissance du docteur Lorenk, et le Club Agricole, où elle s'amusa à faire pousser des fraises et des tomates avec d'autres manbotchicks et fembotniks.

Un jour, Prima dit à Marsilio qu'elle aimerait avoir un enfant de lui.

- J'aimerais bien, mais je suis un humanoïde et tu as passé l'âge, lui répondit-il avec douceur.

- Alors adoptons-en un. Un hybride, qui nous ressemblera !

- Prima, les hybrides d'humain et d'humanoïde n'existent pas.

- Mais dans les rues on voit des gens qui ressemblent à des humains, sauf leurs yeux...

- Ce sont des androïdes, Prima. Comme moi. Ou des cyborgs.

- Oh... Je croyais que les androïdes comme toi étaient un mélange de klelwaks et d'êtres humains... Des hybrides, quoi.

- Prima, les klelwaks sont des androïdes exactement comme moi. Ils sont simplement moins élaborés, et ils ont la peau verte, ou parfois grise. Mais à l'intérieur, ils sont exactement pareils, à quelques détails près.

- Et les cyborgs ?

- Ce ne sont pas des hybrides, car ils sont nés humains. La plupart d'entre eux sont devenus des cyborgs alors qu'ils étaient déjà vieux. Mais à part leur âme humaine, ils sont totalement identiques aux androïdes comme moi. Les cyborgs sont des humains, mais leurs organes internes et externes ont été remplacés par des équivalents cybernétiques.

- Je ne savais pas... À Sarnath, il y a des gens qui sont des hybrides, avec des yeux humains. En tout cas, c'est ce qu'ils disent. On parle d'enlèvements, de manipulations génétiques et d'inséminations artificielles !

- Prima, ceux qui racontent ce genre d'histoires sont des mythomanes ou des malades mentaux.

- Moi j'y crois... Une de mes amies a eu un enfant qui ne ressemble pas à son mari et qui a un comportement bizarre. Elle pense qu'elle a été enlevée et inséminée artificiellement par des humanoïdes, qui ont ensuite effacé l'événement de sa mémoire. Mais le souvenir revient dans ses rêves. Elle revoit la table d'opération, et les chirurgiens humanoïdes, à la peau verte et sans cheveux...

- Ce que pense ton amie est totalement impossible. Qu'elle fasse donc faire une analyse ADN de l'enfant...

- C'est ce qu'elle a fait. L'enfant n'est pas le fils de son mari. C'est bien la preuve, non ?

- Ce n'est pas le fils d'un humanoïde non plus, je peux te l'affirmer. Les humanoïdes ont des corps cybernétiques. Ils ne peuvent pas plus avoir des enfants avec des êtres humains qu'une machine à laver ou un ordinateur.

- C'est ce que son mari pense aussi...

- Bien sûr. Et l'enfant, comment vit-il tout ça ?

- Il croit que sa mère dit la vérité. Il pense qu'il est vraiment un hybride, et il dit qu'il ira vivre à Hyltendale quand il sera grand.
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