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 Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue

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Greenheart




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MessageSujet: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptySam 26 Jan 2019 - 16:12

Je viens de lire Science & Style ou Conseils à un jeune écrivain de l'abbé Moreux (1936) et j'ai été surpris de constater à quel point les exigences de l'auteur de ce manuel correspondait avec les exigences d'un créateur de langue, ou en tout cas les obstacles à lever quand on crée une langue - bien qu'à ma connaissance, l'abbé Moreux n'a pas écrit sur la création de langue et n'avait certainement pas lu Tolkien en 1936.

Bien sûr, l'ouvrage a ses limites : l'Abbé Moreux semble ignorer ou ne pas tenir compte de l'idée qu'un narrateur puisse être supposé : il juge l'auteur sur la couverture comme seul responsable des défauts stylistiques, alors que l'auteur peut choisir de ne pas écrire dans le meilleur style, parce que le personnage de l'auteur supposé n'utilise pas le meilleur style etc.

Voici, en suivant le plan de l'ouvrage, mes remarques relatives à la création de langue.
Bien sûr, il s'agit de mes commentaires - et non des propres mots de Moreux, même si je vais le citer.

***

1. Style et science

L'auteur, sous forme de lettres à un lecteur supposé explique ce qu'il entend par science appliquée au style et devinez quoi ? c'est de linguistique appliquée dont il s'agit, même si Moreux se garde bien de le dire ainsi : il va enchaîner les exemples et les contre-exemples, ce qui nous permet de savoir exactement de quoi il parle en analysant les extraits littéraires qu'il nous livre, son analyse et ses corrections.

***

Chapitre 2 : Le mot propre ou l'exactitude

L'abbé Moreux reviendra souvent sur le point qu'il soutient : pour qu'un style soit bon, il faut que les mots utilisés correspondent à la réalité qu'ils décrivent - lexicalement, et qu'ils soient employés de manière cohérente avec la réalité qu'ils décrivent.

Du point de vue du créateur de langue (ou du traducteur), cela correspond à construire un vocabulaire capable de s'interfacer avec la réalité qui nous entoure (et tout ce qui ressemble à la réalité de l'univers de fiction).

En gros, 1°) il faut savoir appeler un chat, un chat - donc savoir que le mot "chat" désigne l'animal familier, donc créer ce mot quand il n'existe pas encore dans notre langue construite, ne pas utiliser un mot plus précis ou moins précis à la place de "chat" (félidé, tigre etc.) au risque de semer ou d'entretenir une confusion qui n'était pas voulue au départ par le narrateur supposé, l'intrigue etc.

Et 2°) Il ne faut pas former avec "chat" des associations impossibles, à quelque degré (1er, 2nd, 3ème) que ce soit.

***

Application selon l'Abbé :

Je reproduis deux citations, parce que cela permet de mesurer la distance de nos jours à 1936, et surtout c'est ce qui va nous permettre de revenir à la réalité de la linguistique et de la construction de langue :

Citation :
On dit ce jeune homme non seulement joli garçon et talentueux, mais fils unique et fortuné.

(c'est Moreux qui souligne)

Moreux note que "Talentueux" est un barbarisme (à son époque), autrement dit un mot inventé ou importé mais pratiqué, qui en 2018 est dans le dictionnaire, sauf erreur de ma part.

En terme de création de langue, c'est la différence qu'il y a entre du Klingon signé / validé par le créateur de la langue, et du Klingon forgé dans une fanfic puis repris dans d'autres fanfics. Le style de ce Klingon n'est donc pas bon parce qu'il n'est pas officiel.

Puis Moreux note que "Fortuné" n'est pas synonyme de "riche" au sens où l'auteure de l'extrait l'entend. "Fortuné" signifie "heureux".

*

En terme de créateur de langue, nous en sommes au point où le mot klingon est officiel, mais sa définition est étendue d'une manière qui ne l'est pas.

dans Alice au Pays des Merveilles, Lewis Carroll fait dire à Humpty Dumpty, qui représente une figure d'autorité prétentieuse, qu'il définit ses mots comme bon lui semble, ce qui lui permet ensuite de contredire à l'infini la jeune Alice, qui elle croit pouvoir faire la leçon à tous ceux qui n'utilisent que la définition officielle des mots du dictionnaire.

Le "bon" style donne alors en langue construite un récit qui n'utilise que des mots qui existent dans le dictionnaire officiel, et dans la limite de la définition officielle du créateur de langue. Ce qui implique que le mot juste pour l'objet réel existe toujours, et que l'auteur ne soit pas contraint à décrire l'indescriptible ou la nouveauté ou l'inconnu du créateur de langue. Or, c'est le propre du fantastique ou de la Science-fiction au sens large, et de la Science dès qu'il s'agit de découvrir de nouveaux outils, de nouveaux objets, de nouvelles lois ou résultats.

***

Second extrait :

Citation :
L'averse s'intensifia dans une odeur humide[i] et chaude qui montait du sol... Les champs exhalaient une odeur [i]sapide de pain chaud.

L'abbé se demande alors ce qu'est "une averse qui augmente dans une odeur", je suppose parce qu'une averse étant de l'eau qui tombe et pas une odeur, en quoi l'eau tomberait davantage dans une odeur donnée, par exemple celle du poivre ou celle des lilas ?

Moreux se demande ensuite que signifie l'adjectif "sapide" ou "humide" appliqués à une odeur.
L'odeur étant censée être captée par le nez, non par le toucher (contact humide) ou la langue (goût).

*

Du point de vue du créateur de langue, le problème est celui des mots grammaticaux et de la syntaxe, combiné aux classes d'objets désignés par les mots : si un mot désigne un objet d'une certaine classe (ensemble), il ne peut être désigné comme "égal à" un objet exclu de cette même classe.

Or en langue construite, nous construisons tout : les classes, les mots-étiquettes, la logique derrière les mots grammaticaux et l'organisation des mots en phrase (syntaxe).

Le problème que stigmatise Moreux peut alors survenir à n'importe quel étage si la langue construite a des classes qui confondent certains objets réels, ou si les liens grammaticaux entre les mots forcent cette confusion contre la volonté de l'auteur / locuteur et surtout contre l'entendement du lecteur / interlocuteur.

Donc le "bon style" que définit Moreux par opposition au "mauvais" style relève en terme de créateur de langue (ou de traducteur) à des questions qu'il faut impérativement trancher : la liste des classes grammaticales de noms qui seront à relier logiquement dans la phrase, la liste des classes sémantiques (ou des objets de la réalité, qu'il va falloir étiqueter avec des mots), la liste des mots grammaticaux servant à lier les mots lexicaux, et à quelle partie de leur définition, si un même mot relève de plusieurs classes.

Et nous ne parlons même pas encore des métaphores, de la partie pour le tout, des connotations et dénotations etc.

*

(à suivre)


Dernière édition par Greenheart le Sam 26 Jan 2019 - 18:30, édité 1 fois
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Anoev
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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptySam 26 Jan 2019 - 16:55

J'ai eu tendance à décrocher vite fait. Si pour "chat" j'ai compris ce qu'il voulait dire, pour "fortune", j'ai eu une sacrée période de flottement !

J'ai frtùn pour les deux, car, contrairement à l'abbé Moreux, j'ai :

rènem frtùn = grande fortune (d'actualité, puisque le retrait de l'ISF exaspère les plus pauvres d'entre nous).

Le sens gardé par l'abbé est traduit chez moi par reenem frtùn destinée favorable, voire prestigieuse.

Les deux sens sont confondus chez moi au comparatif et au superlatif, puisque ces deux degrés (remmert) sont communs aux deux adjectifs.

Comme tu l'as si justement fait remarquer, j'ai l'impression que ce document est un poil suranné, car "talentueux" est main'nant bel et bien dans tous les dicos d'France et d'Navarre (du moins, j'présume : j'ai pas consulté d'dico dans une librairie de St-Jean-pied-de-Porc, mais j'présume que oui). J'l'ai même chez moi : thalon).


Citation :
L'abbé se demande alors ce qu'est "une averse qui augmente dans une odeur", je suppose parce qu'une averse étant de l'eau qui tombe et pas une odeur, en quoi l'eau tomberait davantage dans une odeur donnée, par exemple celle du poivre ou celle des lilas ?
Là, cependant, j'suis d'accord avec l'abbé : pour moi, une averse qui augmente dans une odeur, ça veut absolument rien dire. On dirait que l'auteur a joué une partie de cadavre exquis. Dyantres !

Pour moi, le "bon" ou "les bons" styles, ce sont ceux qui ne rendent pas un texte abscons ou ambigu. Qu'importe qu'on parle en argot ou en langage enfantin, pourvu que l'idée qu'on veut faire passer soit perçue sans détour. À moins, bien sûr qu'on veuille faire passer un message secret incompréhensible pour les services d'occupation (par exemple), mais alors il n'est plus question d'édition de romans, mais de consignes pour la Libération de la Patrie.

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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptySam 26 Jan 2019 - 20:05

Chapitre 2 : La phrase et la clarté

Pour l'abbé, "écrire c'est savoir fixer ou exprimer sa pensée, mais cela suppose que l'on peut penser... (ce qui) suppose d'abord la traduction exacte d'une pensée, même complexe : ... nous nous retrouvons dans l'obligation de construire une phrase." (un sujet + un verbe + un attribut / un sujet + un verbe + un complément).

J'ai pu vérifier plus loin que l'Abbé n'est vraiment pas fan de l'Idée Informel, un procédé narratif qui traduit la confusion ou la pensée brute du narrateur, souvent afin de le représenter en train de somnoler, délirer, submergé par les émotions ou la douleur, le coup de foudre, l'émoi, la panique, l'horreur etc. Dans ce cas, il n'y a pas de traduction de la pensée et on retombe sur la phrase de l'apprenant étranger composée seulement d'une suite de mots isolés : "moi ... mange ... croissant... café". Cette narration par l'idée indéfinie fonctionne très bien et peut même séduire ou hypnotiser le lecteur, parce qu'il cherche et ajoutent les manquant, ou répond émotionnellement sans réfléchir.

Premier extrait :

Vous aimez les fleurs.

Selon l'abbé, cette phrase (simple) ne suffit pas à exprimer une pensée complexe.
Je remarque de mon côté que par contre, la combinaison de cette phrase simple et de son contexte peut parfaitement suffire à exprimer énormément de chose.

Imaginons par exemple que le début du chapitre où nous allons lire la phrase "vous aimez les fleurs" se passe dans un athanée que visite un vieil homme alors que la femme qu'il a toujours aimé sans jamais avoir pu se déclarer et encore moins épouser ou (censuré). Supposons qu'au chapitre suivant, nous apprenons que c'est le vieil homme l'assassin et qu'il a empoisonné la vieille dame avec un bouquet de fleurs.

Mais dans ce cas, c'est bien le contexte, et non la phrase "Vous aimez les fleurs" qui communique les informations manquantes. Donc, au sens linguistique pur, l'abbé Moreux a raison jusqu'à un certain point : pour exprimer une pensée complexe avec une phrase simple, il faut lui ajouter ce qu'il appelle des "phrases incidentes" ou "subordonnées".

L'abbé ajoute cette phrase : "chaque mot devient apte à recevoir des additions", qui en toute logique excitera l'imagination du créateur de langue ou au contraire sa frustration vis à vis des langues naturelles ou des langues construites des autres : pourquoi un verbe n'aurait pas d'adjectif à la manière d'un nom ? pourquoi l'interlingua interdirait une préposition devant un infinitif ? etc.


Second extrait

Citation :
J'ai aperçu l'auto de la comtesse ; elle était peinte en vert.

Et l'abbé de demander : "qu'est-ce qui était peint en vert ? l'auto ou la comtesse".
Et de conclure "Phrase ambigüe".

***

Côté construction de langue à présent.

Nous retombons en plein sur le débat de comment fonctionne les pronoms et reprises plus ou moins élégantes.

(1) Pour ajouter des phrases subordonnées, ou "phrases incidentes", il faut déjà savoir où commencent et où finissent les simples et les subordonnées.
(2) Il faut avoir des déterminants et des adjectifs qui associés au nom le présentent et le suivent à travers le texte.
(3) Puis il faut avoir des pronoms, et/ou un système de reprises, élégantes ou autres. Par exemple un diminutif, un nom de famille est une reprise.

Par exemple :

... une voiture verte arrivait, c'était celle de la comtesse. Une voiture rouge, celle du comte, était déjà garée à la place où la comtesse rangeait d'ordinaire sa décapotable. De dépit, elle recula brutalement le long de la façade, sans prendre gare à l'échafaudage sur lequel le factotum avait posé un pot de peinture verte...

Le problème souligné par l'abbé Moreux tient à la collusion entre les trois systèmes  : en français "elle" reprend aussi bien "la voiture" que "la comtesse", mais cela n'arriverait pas dans d'autres langues.

en anglais :

a) I saw the Countess' car; it was painted green.
b) I saw the Countess' car; she was painted green.

Et le créateur de langue peut définir à volonté les règles d'influence des reprises (qu'est-ce qui reprend quoi avec quelles limites), à la condition d'arriver à un système qui élimine raisonnablement les confusions. Ce qui entraîne forcément autant de "bons styles" clairs distincts (par opposition à ambigu, que de langues dans lesquelles on peut écrire.

On peut par exemple imaginer une langue qui grammaticalement bannirait les reprises donc les pronoms afin de garantir que jamais un objet ne pourra être confondu avec le même pour peu que son déterminant soit lui-même clair, ce qui se traduira la phrase de départ ainsi

a) J'aperçus l'auto de la comtesse ; la voiture était peinte en vert.
b) J'aperçus l'auto de la comtesse ; la comtesse était peinte en vert.

Et l'abbé criera alors à la lourdeur du style et toutes les phrases doubleront probablement en longueur, ce qui peut poser un problème en cas d'urgence ou de temps de discours limité.

***

Troisième exemple de l'abbé :

Citation :
Les gardes, après s'être retirés, il ne reste sur la scène que Polyeucte.

C'est l'abbé qui souligne, pour ensuite observer que "Les gardes" n'ont aucune fonction dans la phrase, et restent "en l'air" (sic).
Selon l'abbé, la phrase n'est pas française et appartient au langage familier.

*

Du point de vue du créateur de langue, c'est un point je crois extrêmement intéressant.

Comment le lecteur peut-il savoir que la phrase est incomplète ?

Cela dépend de ce qu'il est autorisé de sous-entendre ou bien présumé. Par exemple, l'auteur a sous-entendu "retirés (de scène)".

Cela dépend aussi de comment la phrase est borné : par exemple, s'il y a trois points de suspension juste après "retirés", on sait que la phrase n'est pas terminée, donc elle est correcte.

Cela dépend aussi de comment fonctionnent les reprises, car supposons que "les gardes" soient repris par un mot inconnu de la phrase "incidente", plus de problème. Par exemple, une scène suppose des loges, ou des coulisses dans lesquelles "les gardes" attendent, ou bien dans l'histoire, si la scène est un lieu occupé, les gardes s'étant retirés, on peut imaginer en langue construite un mot "etc", utilisé au locatif, et reprenant "les gardes", et les gardes ne sont plus "en l'air", mais "logés".

L'abbé ne fournit pas de correction, mais je suppose qu'il faudrait plutôt dire :

"Les gardes se retirent, tandis que Polyeucte reste sur scène"

Et si l'on veut vraiment être clair, il faudrait rajouter que ce sont des acteurs, donc en français l'adjectif "prétendu" ?

"Les prétendus gardes se retirent (dans les coulisses), tandis que le prétendu Polyeucte reste sur scène".

Avec le même problème pour le décor, si nous sommes au théâtre. Et si nous ne sommes pas au théâtre, il faudrait éviter de dire "scène" et plutôt dire :

"Les gardes se retirent et Polyeucte reste seul."

***

Plus loin, l'abbé Moreux pointe du doigt des adjectifs ou des adverbes ou des prépositions qui vont engendrer la confusion.
Je vous laisse seulement apprécier cette citation :

Victor Hugo a écrit:
... Sanglant, mais respirant encore
Tu me tins suspendu hors des barreaux de fer.

Et l'abbé demande : "qui est sanglant ?" pour répondre "Tu, selon la grammaire ; me, d'après le contexte".

L'abbé qualifie donc de style "obscur"

a) les reprises ratées ou qui ne reprennent rien,
b) les antécédents qui n'ont pas de reprises alors qu'ils sont présentés comme antécédents
c) les subordonnées dont on ne sait plus à qui ou à quoi elles se rapportent
d) d'une manière plus générale, l'abus de subordonnées possiblement enchevêtrées.

***

Mais les auteurs qui veulent éviter de se perdre dans les subordonnées sombrent alors dans une nouvelle manie, que l'abbé qualifie de "littérature en pilule".

Exemple :

Citation :
Elle l'écoute muette et transportée. -- L'auto va toujours. -- Elle les contient, mais ne les transporte plus. -- Ils sont les proies bienheureuses du Rêve. -- Maintenant le soleil s'est couché. -- Le soir tombe. -- Les voiles de brumes s'étirent dans la campagne. -- Voici les fées légères, ma vibrante ! ... Elles dansent pour nous... - Regardez ! -- Claude voit les fées... Le paysage s'évanouit ! -- La nuit vient. -- Le ciel se remplit d'étoiles.

Aujourd'hui, on parlerait peut-être de littérature instagram ou twitter, et à toutes les époques, on pourrait très peu charitablement, suggérer qu'il s'agirait plutôt d'écriture sous influence, sachant que c'est de toute manière le cerveau qui produit tout ce que peuvent induire les influences et qu'il n'a pas besoin des influences pour produire n'importe quelle prose qu'il puisse imiter ou générer par recettes ou algorithmes.

*

Du point de vue du créateur de langue, j'ai l'impression que la "littérature en pilule" risque d'être diagnostiquée comme une fausse langue : en effet, ce qui frappe et probablement déplait à l'abbé, c'est la cohérence supérieure du texte : le premier indice est l'absence progression (logique, géographique, historique etc.) à l'échelle de l'extrait, sinon la juxtaposition ou la concaténation des phrases, quelque chose que produit très facilement le reimai aléatoire ou une intelligence artificielle, mais également un devin en transe...

Et la progression logique se situe à d'autres niveaux que les "phrases incidentes".

(1) Il s'agit par exemple des compteurs (la fameuse barre pipi des sims, une avancée cohérente du temps, défilement du jour et de la nuit, etc.)

(2) Il s'agit aussi de la ponctuation des actions qui tient compte des phases de l'action (cause de l'implication du héros dans l'action, implication effective donc entrée en scène, prise de décision, initiative c'est-à-dire intervention, tentative ou réflexe, synchronisation avec le reste du monde qui peut faire des trucs autour, incertitude, dénouement, conséquences).

(3) Il s'agit de la vraisemblance et de la caractérisation du narrateur (que sait-il, quand le sait-il, quand le raconte-il, comment il raconte, est-il de bonne fois, quelles émotions l'animent etc.). C'est le narrateur qui choisit les articulations (mots qui indiquent la logique de l'enchaînement des phrases principales du récit) et qui sème à l'intérieur des propositions les indices (implants plus ou moins discrets) et les drapeaux (agités pour montrer au lecteur quelque chose et à quel point on est de l'histoire).

(4) Il s'agit de la présentation du texte (découpage en chapitre, typographie, jeux avec le lecteur par les chapitres fantômes ou des illustrations décrivant la réalité tandis que le narrateur ment ou l'inverse etc.)

***

En terme de récit, il n'y a pas d'interdit à raconter un texte disjoint et incohérent, mais cela peut lasser, surtout si le lecteur ou la lectrice ne sont pas eux-mêmes sous influence ou très fatigués, ou conditionnés du cerveau après avoir trop regarder ou lu des écritures médiocres de remplisseurs de grilles de programmes / écrans vides. Il y a toujours eu des "littératures" à plusieurs vitesses, ou une nourriture qui ne sert qu'à remplir, même pas à nourrir.

En revanche, le créateur de langue peut imposer certaines règles grammaticales qui impactent sur la cohérence générale du texte : par exemple, le narrateur devra indiquer ce qu'il sait faux par une marque grammaticale ou bien il mentira. En français, c'est le conditionnel et le subjonctif, qui une fois supprimés de la phrase fait forcément mentir par exemple un journaliste qui raconte des choses qu'il n'a jamais vérifié, ou un correspondant qui n'est jamais allé sur place, ou un intervieweur qui n'a jamais interviewé la personne en question et invente complètement questions et réponses. Il suffit donc au créateur de novlanguer sa langue construite au niveau des éléments de la cohérence générale des textes, pour que d'un coup tous les héros se mettent forcément à parler comme s'ils étaient drogués, souls ou plus ou moins idiots, vu qu'ils se retrouvent privés des éléments de la langue qui traduisent la vision en mode hélicoptère (survoler le paysage que l'on explore, donc pouvoir indiquer ce qui précède, ce qui suit, et ce qui n'existe pas une fois qu'on peut voir en relief le terrain etc.).

***
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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyDim 27 Jan 2019 - 0:19

Greenheart a écrit:
Premier extrait :

Vous aimez les fleurs.

Selon l'abbé, cette phrase (simple) ne suffit pas à exprimer une pensée complexe.
Je remarque de mon côté que par contre, la combinaison de cette phrase simple et de son contexte peut parfaitement suffire à exprimer énormément de chose.

Imaginons par exemple que le début du chapitre où nous allons lire la phrase "vous aimez les fleurs" se passe dans un athanée que visite un vieil homme alors que la femme qu'il a toujours aimé sans jamais avoir pu se déclarer et encore moins épouser ou (censuré). Supposons qu'au chapitre suivant, nous apprenons que c'est le vieil homme l'assassin et qu'il a empoisonné la vieille dame avec un bouquet de fleurs.

Mais dans ce cas, c'est bien le contexte, et non la phrase "Vous aimez les fleurs" qui communique les informations manquantes. Donc, au sens linguistique pur, l'abbé Moreux a raison jusqu'à un certain point : pour exprimer une pensée complexe avec une phrase simple, il faut lui ajouter ce qu'il appelle des "phrases incidentes" ou "subordonnées".

L'abbé ajoute cette phrase : "chaque mot devient apte à recevoir des additions", qui en toute logique excitera l'imagination du créateur de langue ou au contraire sa frustration vis à vis des langues naturelles ou des langues construites des autres : pourquoi un verbe n'aurait pas d'adjectif à la manière d'un nom ? pourquoi l'interlingua interdirait une préposition devant un infinitif ? etc.

Là, j'avoue ne plus rien comprendre du tout !!!


Greenheart a écrit:
Second extrait

Citation :
J'ai aperçu l'auto de la comtesse ; elle était peinte en vert.

Et l'abbé de demander : "qu'est-ce qui était peint en vert ? l'auto ou la comtesse".
Et de conclure "Phrase ambigüe".

(...)

en anglais :

a) I saw the Countess' car; it was painted green.
b) I saw the Countess' car; she was painted green.

Et le créateur de langue peut définir à volonté les règles d'influence des reprises (qu'est-ce qui reprend quoi avec quelles limites), à la condition d'arriver à un système qui élimine raisonnablement les confusions. Ce qui entraîne forcément autant de "bons styles" clairs distincts (par opposition à ambigu, que de langues dans lesquelles on peut écrire.

On peut par exemple imaginer une langue qui grammaticalement bannirait les reprises donc les pronoms afin de garantir que jamais un objet ne pourra être confondu avec le même pour peu que son déterminant soit lui-même clair, ce qui se traduira la phrase de départ ainsi

a) J'aperçus l'auto de la comtesse ; la voiture était peinte en vert.
b) J'aperçus l'auto de la comtesse ; la comtesse était peinte en vert.

Et l'abbé criera alors à la lourdeur du style et toutes les phrases doubleront probablement en longueur, ce qui peut poser un problème en cas d'urgence ou de temps de discours limité.

D'où l'intérêt d'avoir plus de deux genres quels qu'ils soient (neutre-masculin-féminin ou vivant-artefact-abstrait ou c'que vous voulez, à condition de faire une distinction entre un être vivant et une chose). En aneuvien :

Eg syvèdjă àt xeliys à greavkaden; a cem ere peṅtes hrænev
Eg syvèdjă àt xeliys à greavkaden; ka cem ere peṅtes hrænev.

(j'vous laisse deviner laquelle des deux correspond à la voiture verte)

Citation :
Les gardes, après s'être retirés, il ne reste sur la scène que Polyeucte
Moi, j'comprends, d'instinct, cette version : Les gardes s'étant retirés, Polyeucte resta seul sur scène. Je ne vois pas ce qu'il y a d'extraordinaire. Ça donne, chez moi : àr geràdake dem abtráguna, Poljeukt stana sol plaṅchev.

J'ai lu la suite, mais là, franch'ment, j'ai pas eu l'courage d'analyser. J'f'rai pt't'êt ça d'm... tout-à-l'heure.

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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyDim 27 Jan 2019 - 1:40

Anoev a écrit:
Greenheart a écrit:
Premier extrait :

(1) Vous aimez les fleurs.

(2)Selon l'abbé, cette phrase (simple) ne suffit pas à exprimer une pensée complexe.

(3) Je remarque de mon côté que par contre, la combinaison de cette phrase simple et de son contexte peut parfaitement suffire à exprimer énormément de choses.

(4) Imaginons par exemple que le début du chapitre où nous allons lire la phrase "vous aimez les fleurs" se passe dans un athanée que visite un vieil homme alors que la femme qu'il a toujours aimé sans jamais avoir pu se déclarer et encore moins épouser ou (censuré). Supposons qu'au chapitre suivant, nous apprenons que c'est le vieil homme l'assassin et qu'il a empoisonné la vieille dame avec un bouquet de fleurs.

(5) Mais dans ce cas, c'est bien le contexte, et non la phrase "Vous aimez les fleurs" qui communique les informations manquantes. Donc, au sens linguistique pur, l'abbé Moreux a raison jusqu'à un certain point : pour exprimer une pensée complexe avec une phrase simple, il faut lui ajouter ce qu'il appelle des "phrases incidentes" ou "subordonnées".

(6) L'abbé ajoute cette phrase : "chaque mot devient apte à recevoir des additions",

(7) qui en toute logique excitera l'imagination du créateur de langue ou au contraire sa frustration vis à vis des langues naturelles ou des langues construites des autres : pourquoi un verbe n'aurait pas d'adjectif à la manière d'un nom ? pourquoi l'interlingua interdirait une préposition devant un infinitif ? etc.

Là, j'avoue ne plus rien comprendre du tout !!!


Quel paragraphe tu ne comprends pas ?

***
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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyDim 27 Jan 2019 - 9:21

J'ai l'impression que tout ça, c'est de l'implicite :

Citation :
(4) Imaginons par exemple que le début du chapitre où nous allons lire la phrase "vous aimez les fleurs" se passe dans un athanée que visite un vieil homme alors que la femme qu'il a toujours aimé sans jamais avoir pu se déclarer et encore moins épouser ou (censuré). Supposons qu'au chapitre suivant, nous apprenons que c'est le vieil homme l'assassin et qu'il a empoisonné la vieille dame avec un bouquet de fleurs.

Comment peut-on deviner, dans une simple phrase (Vous aimer les fleurs) que quelqu'un ait occis quelqu'un d'autre au moyen d'un bouquet de fleurs.

Pour moi, "vous aimez les fleurs" ne peut avoir que deux sens ; et encore, à cause de l'ambigüité de sens du verbe "aimer" en français :
  • Soit vous aimez recevoir des fleurs, parce qu'elle sont jolies et qu'elles sentent bon, et chez moi, ça donne : or làjden gòlase.
  • Soit parce que jous êtes dingue de botanique, et que vous savez que les fleurs sont utiles pour la pérennité des espèces végétales, que ce sont des signaux pour les  insectes, et que par conséquent, vous n'en cueillez aucune et que vous préférez les voir sur la branche ou au sol, et les prendre en photo en gros plan, et chez moi, ça donne or klim gòlase.
Voilà. J'vais pas chercher ailleurs.

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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyDim 27 Jan 2019 - 11:02

Anoev a écrit:
J'ai l'impression que tout ça, c'est de l'implicite :

Citation :
(4) Imaginons par exemple que le début du chapitre où nous allons lire la phrase "vous aimez les fleurs" se passe dans un athanée que visite un vieil homme alors que la femme qu'il a toujours aimé sans jamais avoir pu se déclarer et encore moins épouser ou (censuré). Supposons qu'au chapitre suivant, nous apprenons que c'est le vieil homme l'assassin et qu'il a empoisonné la vieille dame avec un bouquet de fleurs.

Comment peut-on deviner, dans une simple phrase (Vous aimer les fleurs) que quelqu'un ait occis quelqu'un d'autre au moyen d'un bouquet de fleurs.

Pour moi, "vous aimez les fleurs" ne peut avoir que deux sens ; et encore, à cause de l'ambigüité de sens du verbe "aimer" en français :
  • Soit vous aimez recevoir des fleurs, parce qu'elle sont jolies et qu'elles sentent bon, et chez moi, ça donne : or làjden gòlase.
  • Soit parce que jous êtes dingue de botanique, et que vous savez que les fleurs sont utiles pour la pérennité des espèces végétales, que ce sont des signaux pour les  insectes, et que par conséquent, vous n'en cueillez aucune et que vous préférez les voir sur la branche ou au sol, et les prendre en photo en gros plan, et chez moi, ça donne or klim gòlase.
Voilà. J'vais pas chercher ailleurs.

De mon point de vue, il n'y a pas de message sans contexte, et comme le contexte est marqué par des éléments de grammaires, comme les particules de thème, et dans toutes littérature par un très grand nombre de procédés portés par le lexique et renforcés par les éléments grammaticaux, et la progression logique (sens général de logique) du récit.

Donc pour moi, il est impossible d'écarter le contexte d'une analyse grammaticale, ou stylistique ou de la compréhension du texte (ce que l'auteur veut dire et ce que le lecteur / auditeur / spectateur en retient).

***

Citation :
Comment peut-on deviner, dans une simple phrase (Vous aimer les fleurs) que quelqu'un ait occis quelqu'un d'autre au moyen d'un bouquet de fleurs.

"Fleur" est un hyperonyme qui inclue les fleurs toxiques ou empoisonnées.

Plus il existe un langage des fleurs et un langage des bouquets de fleurs qui, si le lecteur visualise la scène, devrait au moins le faire s'interroger : quel genre de bouquet, quel genre de fleurs.

Enfin, dès que nous entrons dans un domaine littéraire (cinématographique etc.), à moins d'être un tout petit enfant, et encore, nous avons une expérience de tout ce que nous avons déjà lu/vu/entendu sur le thème, et en ce qui me concerne, dans un récit policier, les fleurs participent à certaines scènes, et dans un récit romantique, à d'autres scènes. Dans un policier, il y a toujours un meurtre ou une tentative ; dans les tragédies, il y a toujours des morts.

Et la notion de domaine littéraire ou autre n'est pas exclue par la linguistique à cause de la sémantique : par exemple, on parlera du lexique du policier, ou du lexique de la tragédie. Dans les bons manuels de français (j'en ai au moins un), l'auteur va jusqu'à lister les éléments grammaticaux combinés aux lexicaux associés à tel genre, car cet auteur demande ensuite à l'apprenant de rédiger ou jouer théâtralement une scène inédite. Un exemple : parmi les éléments de la tragédie, il y a la menace.

Du côté du créateur de langue, on peut très bien par exemple, inventer une particule de menace, ou un mode verbal de la menace.

***

Un autre élément de la phrase qui devient vite suspect selon le contexte, c'est le vouvoiement en français : il implique non seulement le respect, mais également la froideur et la crainte pas forcément respectueuse. Le vouvoiement de politesse peut être supprimé (en Suède) ou forcé par défaut (en Angleterre). A l'opposé, le tutoiement suggère l'intimité, l'égalité de classe, ou paradoxalement, le mépris de celui que l'on doit vouvoyer et qui vous tutoie en retour.

*

Enfin, on peut "deviner" à partir d'une simple phrase la totalité d'un roman : certaines citations sont emblématiques ("être ou ne pas être") et peuvent représenter la totalité de l’œuvre, ou encore être détournée ou pastichées. C'est le principe de la partie pour le tout, et aussi lorsqu'une chanson devient très populaire, ou un slogan ou un meme se propage (devient viral), le principe de l'accroche.

Pour visualiser le phénomène, on trace des ensembles : un mot ou une phrase peut faire partie d'un grand nombre d'ensemble (dans notre cas, le roman ou l'intrigue complète, qui a tué qui ou si on a tué quelqu'un). Tant que le mot ou la phrase n'exclue pas fondamentalement un ensemble, l'hypothèse que ce mot ou cette phrase fait partie d'un ensemble spécifique (untel a tué untel, on a tué quelqu'un) est toujours valide.

Or, les ensembles, l'appartenance ou la non appartenance à un ensemble sont essentiels à n'importe quelle structure linguistique : impossible de ne pas y recourir, sans quoi tous les éléments seraient indissociables et personne ne pourrait dire quelque chose qui ait du sens.

***
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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyVen 1 Mar 2019 - 15:19

Chapitre 3 : L'Harmonie des mots

L'abbé Moreux a écrit:
L'art d'écrire s'apparente à l'art musical.

Et de fait, parler, c'est chanter - le même appareil vocal énonce et vocalise, c'est-à-dire fait varier le son en hauteur et pourrait être transcrit avec la notation musicale appropriée.

Moreux n'est pas le seul à avancer la musicalité de la parole et par voie (voix !) de conséquence l'impact d'un style qui ne serait pas musical sur le goût d'écouter ou de lire un texte, donc une langue - sachant que lorsque nous lisons un texte, nous le subvocalisons (= nos muscles de la parole se mobilisent électriquement pour pouvoir sur commande produire à l'oral le texte que nous lisons).

Moreux cite alors les rythmes prétendus latins et grecs (voyelles longues et courtes alternées), puis évoque en français les "lettres douces et fortes" et la "variété de sons" des voyelles, semblant ignorant qu'avant la révolution, l'ouverture des voyelles françaises étaient équivalentes à leur longueur (par exemple une diphtongue ou un ê autrefois écrit "es" étaient des voyelles "longues", au sens musical où une note blanche dure plus longtemps qu'une note noire qui dure plus longtemps qu'une note croche.)

D'où l'hypothèse de Moreux concernant le "bon" style : il suppose que les mots, les phrases soient agréables à prononcer par leur variété, leur dynamique, dans leurs enchaînements - et non fatigante, lassante, ou déplaisante - littéralement au goût que l'on retient dans la bouche à force de faire des mouvements organiquement déplaisant.

Bien sûr, cela suppose que les personnages du roman - et le narrateur le premier - s'expriment eux-mêmes dans un style "harmonieux", ce qui est souvent invraisemblable : un personnage vulgaire pourra avoir de la gouaille (à la Arletty), mais un ivrogne à deux secondes du coma éthylique ne pourra parler façon comédie française avec tous ses jurons censurés par un bip sans faire grossièrement mentir l'auteur.

Voici quelques contre-exemples cités par Moreux :

Il faut éviter selon Moreux les assonances et les répétitions, qui en gros, rappelleront les bêtisiers où un intervenant qui ne cesse de répéter "que, queux" tandis que le présentateur suggère les "files d'attentes".

Citation :
Le Bois est alors envahi d'amateurs de lumières. C'est à présent le temps du silence. Pourquoi le silence n'a-t-il pas d'amateurs ? Le croit-on frère de la nudité blanche que janvier avec cruauté propose et impose.

Pas de gemmes. Collées au gazon, des feuilles rouillées, mouillées, clairsemées... Un friquet [i]vient de s'agiter, de gazouiller... Une feuille rousse vient de râcler le tronc couché d'un hêtre. Et glisse lente, luisante, sereine, la première auto.

Le lac, il est de laque...

(c'est Moreux qui souligne)

... et effectivement, les répétitions et assonances de cet extrait me paraissent à moi désagréables parce qu'elles causent une espèce de bruit parasite, qui fait échouer l'objectif du texte, apparemment évoquer une certaine scène.

*

Conséquence pour la création de langue :

*Les répétitions pertinentes de mots et de sons doivent être possibles, sans quoi l'auteur ne peut utiliser ces répétitions à des fins dramatiques (un personnage qui bégaye, qui insiste etc.) ou à des fins de bruitage (le son des mots miment les sons que l'on entendrait dans la réalité) ou encore rythmique (des paroles de chanson qui doivent pouvoir se caler sur une musique d'accompagnement voire une danse identifiable, par exemple une valse avec son temps fort et ses deux temps faibles composant une mesure en trois temps de durées égales).

*Lorsque l'auteur veut réellement dire "un lac de laque", la langue crée devrait lui proposer un éventail de solution pour éviter les répétitions de sons s'il n'en veut pas. Cela supposerait que pour chaque objet la langue ferait correspondre non pas un seul mot exact pour le décrire, mais plusieurs, chacun permettant un emploi qui permet d'éviter l'assonance non désirée. Et pour y arriver, il y a deux principes à contourner : les racines qui se prononcent à l'identique portent en général le même sens ; les terminaisons grammaticales (mais possiblement aussi les suffixes ou les préfixes) ne doivent pas sonner à l'identique, non seulement quand il s'agit d'exprimer un idée grammaticale différente, mais aussi quand elles expriment des idées grammaticales différentes.

Cela explique pourquoi l'apparence complexité du français correctement prononcé (jonglant à la fois avec les suffixes et préfixes et racines grecques et latines) permet des styles profondément variés et harmonieux, à l'opposé d'un espéranto qui à force de tout simplifier produit des traductions stylistiquement catastrophiques du point de vue des assonances ou de la variété ou encore de l'alternance de voyelles plus longues ou plus courtes à prononcer.

*Certaines langues artificielles qui vont imposer un ordre des mots ou une seule manière de décrire les choses vont forcer l'auteur à employer un style possiblement grossier : l'expression "un lac de laque", voulait probablement dire "un lac comme un miroir". L'auteure (autrice) du texte original a sans doute cru bien faire en forçant dans sa description une métaphore pourtant toxique (littéralement, la laque c'est un vernis de Chine noir ou rouge, puis c'est devenu de la colle pour cheveux en bombe). Mais elle pouvait tourner sa phrase autrement pour éviter l'expression malvenue à la condition que reformuler soit grammaticalement et sémantiquement, et du point de vue de la syntaxe, possible dans la langue construite.

***

Plus loin dans le même chapitre, Moreux écrit :

Citation :
Un autre défaut, rencontré chez les auteurs qui écrivent à main levée, pour ainsi dire, consiste à ne pas éviter les hiatus, c'est dire le choc de deux voyelles dont la première finit un mot tandis que la seconde commence le mot suivant. Les hiatus sont radicalement proscrits dans la poésie et c'est une règle de la versification française que respectent généralement les auteurs. Pourquoi les tolérer dans la prose ?

Deux exemples :

Citation :

Ici près, est un endroit sinistre.
A en croire... comme cela était...
J'ai à faire à Abbeville... Je voudrais vous voir voué à l'apostolat.

Ce qui fait ajouter à Moreux que :

Citation :
il ne faut pas assembler des mots présentant les mêmes consonnes et les mêmes voyelles, et ceci pour éviter toute fatigue au lecteur.

Ce que Moreux illustre par des citations de Voltaire et de Victor Hugo.

Citation :
Non, il n'est rien que Nanine n'honore.
Là, je rêve et rôdant dans le champ léthargique.
Là, l'ombre... l'idylle naturelle rit.

...ce qui ressemble à des délires ponctuels d'auteurs, qui tournent effectivement au vire-langue limite de l'incitation à la dyslexie.

Et Moreux de remarquer que certains écrivains s'appliqueraient à commettre ces "fautes de goûts" pour avoir l'air d'une originalité puissante. Donc un jeu d'égo, une tendance des auteurs à jouer les clowns de la classe de littérature - du défoulement, voire une stratégie de publicitaire à coller des slogans et autres meme dans leur texte dans l'espoir d'être cité à nouveau dans la presse, forcer un sourire ou provoquer un mini-scandale. Mission réussie apparemment pour bon nombre d'auteurs des années 1930, mais également pour Victor Hugo.

*

Côté langue construite, le problème des hiatus rejoint celui plus vaste de comment l'on reconnait le début de la fin d'un mot et comment ils s'enchaînent.
Ce problème peut se régler dès que l'on fixe la construction des mots ou le choix des sons limités aux radicaux par opposition à ceux limités aux terminaisons grammaticales (suffixes, préfixes, particules etc.). Le problème revient à la charge lorsque la langue construite est parlée pour de vrai, et doit survivre à des contractions, à son adaptation pour des paroles de chansons - et toutes les langues naturelles affrontent quotidiennement ce genre de test de robustesse, et développent en conséquence toute une panoplie de solutions. Ces solutions se déduisent souvent des règles d'orthographes et de la manière dont les mots s'organisent en liste et en emploi dans les dictionnaires citant en contexte lexical et grammatical l'emploi de chaque mot de la liste, dans une phrase réellement utilisée par les locuteurs.

***

***
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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyVen 1 Mar 2019 - 15:39

À comparer la poésie germanique ancienne, où les poètes recherchaient justement l'allitération dans un but esthétique : poésie allitérative. Par ce procédé, le récitant retient plus facilement les vers qu'il a dû apprendre par cœur ; tandis qu'en latin et en grec, c'était le respect d'un rythme de syllabes longues et courtes qui servait de moyen mnémotechnique.
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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyVen 1 Mar 2019 - 21:10

Autant ta conclusion comme ta critique de l'espéranto vis-à-vis d'une langue naturelle comme le français, j'adhère.
De même, effectivement soit dans leur forme (est-ce de la phonotactique?) soit directement par phonologie dans une idéolangue, faire en sorte que racines et infixes diffèrent. Pour avoir plusieurs mots de sens proche interchangeable.
Mon ex avait un livre de linguistique comparant français et allemand et clairement le nombre de mot était très différent d'une langue à l'autre.
Les procédés de création de mot et de variation et souplesse dans les termes, ainsi que d'effet de style sont variables, c'est à dire adapté selon les langues, mais toutes langues vivantes est capable de ccréer de nouveaux mots.
Mais je crois en l'approche fonctionnelle des langues : il existe un nombre de langue humaine fantastiquement divers, mais n'importe laquelle permettra toujours de parler de la pluie et du beau temps, colporter des ragots, s'insulter, être poétique et possédera des virelangues.

Autant comme Mardikhouran, l'allitération me parait être un procédé poétique, littéraire, stylistique recherché comme un autre, car, quand :
- on s'est laissé seriné sans cesse : "Mais qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes."
Il me semble que l'allitération peut être recherchée.
Tout dépend de la construction de cette allitération au travers des sens de chaque mot, ce qui pourrait expliquer que certaines puissent être malvenues.
D'ailleurs "lac de laque" ou "flaque de lac" ou "marre de marre", si on entendait la fin de "J'en ai vraiment marre de marre" voire lui adjoindre "et m...! Il redémarre."
Mais il en faut vraiment peu pour qu'elles passent :
"un lac, deux lacs" à comparer à "un lac de laque" une pause ou longueur décalée, un phonème vocalique qui a varié d'un seul cran, tout comme
"Marre de marre" et "une mare, deux mares"
(genre comptine enfantine ou même autre : un scientifique qui compterait les lacs d'une zone, etc...).

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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyDim 3 Mar 2019 - 15:12

Mardikhouran a écrit:
À comparer la poésie germanique ancienne, où les poètes recherchaient justement l'allitération dans un but esthétique : poésie allitérative. Par ce procédé, le récitant retient plus facilement les vers qu'il a dû apprendre par cœur ; tandis qu'en latin et en grec, c'était le respect d'un rythme de syllabes longues et courtes qui servait de moyen mnémotechnique.

Velonzio Noeudefée a écrit:
l'allitération me parait être un procédé poétique, littéraire, stylistique recherché comme un autre

Comme déjà dit, les allitérations comme les jeux de mots ou les rimes ou les rythmes ne posent aucun problème linguistique tant qu'ils sont eux-mêmes porteurs d'un sens cohérent, qu'il s'agisse d'un procédé mnémotechnique, d'un bruitage (orchestration de sons imitant ceux de la scène réelle) etc. Le problème d'un point de vue stylistique est quand les effets (et surtout effets de manche) n'ont aucun sens et détruisent la bonne expérience du texte, la transmission du message principal.

Plus l'auteur peut volontairement saboter le texte pour reproduire les sabotages du narrateur ou d'un personnage dans un dialogue. Les constructeurs de langue connaissent bien le paradoxe de vouloir faire parler un personnage, voire le narrateur, dans une langue que le lecteur ne comprend pas : ce "sabotage" est alors volontaire, mais il sera admis parce qu'il ne vise pas à transmettre le message incompréhensible, mais illustrer le roman et permettre au lecteur d'expérimenter le merveilleux ou l'étonnement ou la curiosité de celui qui sait que ce qu'il ne comprend pas a un sens, voire une beauté et tout un monde étrange à décrire. C'est exactement le même paradoxe que de faire parler des personnages en alexandrins par exemple au milieu d'une scène de bataille, comme si c'était naturel et s'ils n'avaient pas autre chose à faire de leur cervelle au pire moment de leur vie que de gérer des rimes et des pas.

***

Chapitre quatre : l'harmonie des phrases

Sans les définir, l'Abbé Moreux commence par évoquer le rythme et la cadence (des phrases).

J'ai l'impression qu'il s'agit des notions musicales : le rythme correspond à la manière dont se succèdent comme des notes de musique les syllabes courtes et longues (valeur des notes : blanche, noire, croche) et la cadence serait la manière dont se succèdent les mesures, c'est-à-dire les blocs de phrases ou mots équivalent en longueur au total, ce qui produit forcément un accent principal ou mise en avant sur le premier mot de la mesure (partie du texte équivalente en longueur) et des accents secondaires, qui, si l'auteur est cohérent à tous les niveaux, correspond à un soulignement au niveau du sens du texte (mise en avant d'un mot, d'une portion de la phrase, d'une phrase etc.).

La cadence correspondrait alors à l'oral au débit (nombre de mots que vous débitez d'une seule traite avant de devoir respirer, ou de faire une pause pour respecter les ponctuations et éviter les contre-sens ou la dénaturation du propos en laissant par exemple en suspens une phrase qui ne l'est pas (procédé qui peut vite devenir comique ou menaçant).

Puis Moreux parle de "période et de balancement = l'équilibre de la phrase". Là, par contre, il donne des définitions :

Moreux a écrit:
La phrase constitue ce que l'on appelle une période et le sens en demeure suspendu jusqu'à la fin

Voici l'exemple (correct) :

Citation :
Quelle que soit l'indifférence de notre siècle pour les talents qui l'honorent, -- il rend du moins justice à ceux qui ne sont plus (Thomas).

Moreux a écrit:
Les deux propositions énoncées forment les deux membres de la période, mais on peut aller jusqu'à quatre membres et, à ceux-ci, ajouter encore des incidentes (= des relatives).

Second exemple d'une période à trois membres tirée de l'Oraison funèbre de Condé par Bossuet.

Citation :
Il tenait encore pour maxime -- qu'un habile capitaine peut bien être vaincu -- mais qu'il ne lui est pas permis d'être surpris.

Troisième exemple : à quatre membres avec incidentes :

Citation :
Celui qui règne dans les cieux, | et de qui relèvent tous les empires, (1)
à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance (2)
est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, (3)
et de leur donner | quand il lui plait | de grandes et terribles leçons (4)
(oraison funèbre de la reine d'Angleterre)

Moreux fait alors allusion au principe d'unité : si l'on raccourcit les membres ou les incidentes, l'équilibre serait rompu, "l'oreille n'est plus satisfaite".

Exemple :

Citation :
C'était un nouveau déluge de sang dont votre justice se servait pour la punir et la purifier encore.

Contre-exemple selon Moreux, qui reproche outre le déséquilibre, la finale brusque en "ait" et voudrait "une chute plus assourdie" :

Citation :
C'était un nouveau déluge de sang dont votre justice se servait.

Le contre-exemple est ensuite "amélioré" comme suit :

Citation :
C'était un nouveau déluge de sang dont se servait votre justice.

*

Moreux avait ouvert son chapitre en déclarant qu'il n'y a avait pas de règles d'harmonie des phrases. Il décrit ensuite "l'art d'écrire" comme une série de tentative d'aboutir à la combinaison parfaite des mots en essayant toutes les possibilités. Selon moi, ce n'est pas de l'art, mais de l'ignorance : un tâtonnement aveugle jusqu'à aboutir à une intime conviction qui semble d'abord dépendre de tout ce que l'on a lu avant que les maîtres dont prétendus "parfaits", historiquement à coups de trique.

Et pourtant, l'équilibre, les rythmes etc. tout cela existe, et il s'agit probablement d'un langage musical, mais en musique (en danse, en chant) cette organisation des phrases n'est pas aléatoire : si le musicien se plante, les danseurs trébuchent, les auditeurs n'arrivent pas à se balancer agréablement et encore une fois, quand la phrase semble tourner court à l'oreille, l'inconscient ou la conscience de l'auditeur se charge de la compléter, et pas à l'avantage de l'auteur. Cf. tous ces sketchs d'imitateurs d'hommes et de femmes politiques à l'époque où l'on osait encore en France les ridiculiser, de Le Luron à Foresti en passant par les Nuls.

*

Moreux dégage cependant une règle d'harmonie des phrases claires : ne pas abuser des phrases courtes, car elles provoquent l'endormissement à cause de leur monotonie. J'ajouterais que plus les phrases sont courtes et disjointes, plus il est facile d'en zapper une ou plusieurs, voire de ne pas se rendre compte que l'on a tourné deux pages au lieu d'une seule, surtout que la règle typographique d'autrefois qui consistait à répéter le premier mot de la page suivante en bas de page, et le dernier de la phrase précédente en haut de page n'existe plus.

*

Jusqu'à présent, question langues construites, tout ce qui a été décrit relève de l'articulation des phrases : d'abord il faut que le locuteur sache quand commence et finit la phrase, et toute manière de d'en développer les différents éléments. Ensuite, nous retombons sur la progression (logique, temporelle, géographique etc.) qui relève toujours de l'articulation des phrases et propositions, et sur les règles de ponctuations. Enfin, se pose le problème de l'économie et des reprises : les mots les plus courants doivent être les plus courts pour éviter de rendre les phrases interminables, et les mots les plus importants pour comprendre la phrase ne doivent pas être trop court pour éviter d'être zappé à la lecture, à l'oral ou à l'écriture. Par exemple si la phrase change complètement de sens à cause d'une seule voyelle ou consonne un peu mal prononcée, ou oubliée, il doit y avoir un système de redondance ou une convention qui alerte le locuteur et l'auditeur qu'il vient de dire une énormité - ou en tout cas, que ses mots trahissent sa pensée.

***

Moreux visiblement écrit comme ça lui vient, et à partir du moment où il relève une première règle d'harmonie d'éviter les répétitions de phrases courtes, il lui en vient d'autres, alors qu'au début du chapitre il prétendait qu'il n'y avait aucune règle.

Citation :
Il n'existe jamais de raison pour enfreindre la clarté.

(sauf encore une fois le cas où le narrateur et/ou le personnage sont à ce point du texte à la ramasse, ou encore lorsqu'il s'agit de manipuler le lecteur auditeur, alors c'est la règle strictement inverse qui s'applique - et je doute que l'abbé Moreux n'ait jamais entendu un politicien malhonnête déverser sa logorrhée sur un public "cible")

Conséquence :

1°) La clarté prime sur l'harmonie (le style).
2°) Respectez l'ordre naturel (sic) des mots : sujet, verbe, complément.
3°) Encadrez les incidentes et les parenthèses (les relatives et les parenthèses ne doivent pas terminer la phrase).
4°) Ne pas prolonger l'idée principale par des explications (car, comme, à cause de, par suite, par conséquent, puisque, parce que)
5°) Il faut satisfaire l'esprit, favoriser la respiration et flatter l'oreille.

Pour la règle numéro 2°)

Exemple correct :

Citation :
La plupart portent* l'orgueil sur leur front.

Exemple incorrect

Citation :
La plupart portent* sur leur front l'orgueil.

*eh oui, la plupart est bien un sujet pluriel.

Exception : si le complément d'objet direct "orgueil" est lui-même complété, comme dans "orgueil de leur origine".

***

Là encore, c'est dans la musique que l'on retrouve le pourquoi du comment de ces règles ou conseils : par exemple, la fin de la phrase dans un texte a la même valeur que la dernière note ou parole chantée avant respiration : c'est celle qui reste dans l'oreille. Si vous la plantez, ou si elle détonne, elle va détourner l'esprit et de la musique, et des paroles - du sens comme du plaisir de comprendre et d'imaginer à partir du texte et des bruits musicaux.

*

Côté langue construite, il y a un passage qui m'a frappé : l'harmonie des phrases doit respecter la simplicité, l'ordre basique de la phrase sujet verbe complément. Seulement toutes les langues naturelles ou construites ne définissent pas cet ordre-là comme le plus simple, le plus basique ou le plus clair. Et cela signifie qu'en construisant votre langue, vous construisez en réalité un grand nombre de styles - corrects / incorrects, tous liés intimement à la manière dont on va comprendre agréablement et clairement ce que vous exprimez dans telle langue. Et il y a forcément un style dans une langue, équivalent à un autre dans une autre langue en terme de clarté et d'efficacité : il est plus clair en japonais de rejeter le verbe à la fin de la phrase, parce que le verbe décrit l'action principale qui ne devient claire qu'une fois son contexte établi. Donc une phrase aussi simple que "C'est l'été" en français sera plus claire en japonais dans l'ordre "l'été c'est" (ce qu'un français entendrait d'abord comme "l'été sait".

Et cela implique qu'en réalité l'harmonie des phrases visent à éviter qu'en employant même correctement les mots de votre langue, votre interlocuteur comprenne complètement autre chose parce que votre phrase sonne comme une autre qu'il serait plus logique de comprendre dans ce cas de figure des mots, phrases, relatives etc. Cela expliquerait aussi pourquoi l'abbé Moreux est si soucieux d'organiser son texte en phrases articulées, et d'encadrer ses relatives et ses parenthèses : tous les mots qui servent à articuler et reprendre (déterminer etc.) sont des jalons qui permettent à l'oreille, voire à l’œil, d'éliminer des significations possibles mais improbables, voire plausibles mais incorrectes (du point de vue de la grammaire, syntaxe, étymologie, style etc.). Et nous en arrivons du coup à ce qui explique comment et pourquoi un correcteur est capable de repérer des erreurs dans un texte, ou de corriger des erreurs qui n'en sont pas, quand l'auteur par exemple fait un jeu de mots ou a construit un univers où certaines combinaisons de mots qui n'existent pas aujourd'hui (ou n'existent plus) ont du sens, et sont absolument nécessaires pour expliquer ce qui se passe en réalité dans l'histoire (ou dans la réalité).

Cf. qui a peur de Virginia Wolf

Edward Albee a écrit:
Mais s’il y a une chose dans ce bas monde en train de sombrer, dont je reste sûr et certain, c’est de notre partenariat […] chromosologique dans la… création de cet être aux… cheveux bleus, aux yeux blonds… notre fils.

*

Et du coup, troisième conséquence : l'harmonie des phrases est en fait l'outil qui permet à l'auteur de suggérer des "chapitres fantômes" (ce que le lecteur imagine de l'histoire avant que l'auteur ne l'ai racontée, ou ce que l'auteur ne racontera jamais et que le lecteur doit déduire).

Donc en terme de langue construite, se pose le problème des règles de l'implicite : à partir de quel moment une phrase est "complète" et a du "sens". Par exemple, une phrase d'un seul mot, même en français, est en général comprise, non seulement en contexte, mais grammaticalement, en rétablissant certains éléments plutôt que d'autres, et c'est seulement à partir de là que le locuteur devient responsable d'expliciter ce qui doit l'être.

Spoiler:

***

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MessageSujet: Re: Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue   Le bon style d'un roman du point de vue du créateur de langue EmptyDim 3 Mar 2019 - 20:14

Greenheart a écrit:
J'ajouterais que plus les phrases sont courtes et disjointes, plus il est facile d'en zapper une ou plusieurs, voire de ne pas se rendre compte que l'on a tourné deux pages au lieu d'une seule, surtout que la règle typographique d'autrefois qui consistait à répéter le premier mot de la page suivante en bas de page, et le dernier de la phrase précédente en haut de page n'existe plus.
J'ignorais totalement que ce fût une règle, et je me demandais pourquoi c'était le cas dans l'ouvrage du XVIIᵉ que je suis en train de transcrire. Merci !
Bon comme c'est de la lecture lente sur fichier pdf je ne peux pas juger de l'aide que ça apporte à la compréhension. Par contre, il m'est déjà arrivé de sauter des lignes au milieu de la page et d'une phrase longue.
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