En 1954, le manuel de français "nouvelle méthode de langue française" de 4ème / 3ème (Lafitte et Houssat) commençait par une histoire de la langue française, et se poursuivait tout simplement par un cours d'ancien français.
Voici les citations de textes d'époque que les auteurs fournissent pour illustrer les différents "âges" du français.
Les auteurs précisent :
- Lafitte et Houssat a écrit:
- On dit couramment que le français vient du latin. Il serait plus exact de dire que le français est du latin, mais du latin qui s'est transformé au cours des siècles.
A. Formation de la langue1. Le latin.Sunt ergo mansiones quattuor per heremo, si tamen per heremum, ut cata mansiones monasteria sint cum militibus et praepositis. In eo ergo intinere, monachi ostendebant nobis singula loca, quae semper ego iuxta scripturas requiebam ; nam alio in sinistro, alio in dextro de intinere nobis erant, alia etiam longius de via, alia in proximo.
Traduction Il y a donc quatre étapes à travers le désert, mais (installées) de telle sorte à travers le désert, qu'à chaque étape il y a des couvents avec des soldats et des serviteurs. Dans ce voyage donc, les moines nous montraient un à un les endroits que je cherchais toujours d'après les Ecritures ; car les uns se trouvaient à gauche, les autres à droite de notre route ; de plus, les uns étaient loin du chemin, les autres à proximité.
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2. Le romanSerment de Strasbourg (842)
Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo, et in ajudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradre salvar dist, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit.
TraductionPour l'amour de Dieu et pour le chrétien peuple et notre commun salut, de ce jour en avant (dorénavant) en tant que Dieu savoir et pouvoir me donne, si sauverai-je ce mien frère Charles, et en aide ey en chacune chose, ainsi comme homme par droit son frère doit sauver, en ce que (à condition que) il m'en fasse autant, et avec Lothaire nul plaid ne prendrai jamais qui à mon vouloir à ce mien frère Charles soit à dommage.
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3. Le françaisLa mort de Roland.Li quens Rollant se jut desuz un pin;
Envers Espaigne en ad turnet sun vis.
De plusurs choses a remembrer li prist,
De tantes teres cum li bers conquist,
De dulce France, des humes de sun lign,
De Carlemagne, sun seignor, kil nurrit.
TraductionLe comte Roland se coucha sous un pin ;
Vers l'Espagne il a tourné son visage,
De plusieurs choses il vint à se souvenir :
De tant de terres que le chevalier conquit,
De douce France, des hommes de sa famille,
De Charlemagne son maître qui le nourrit.
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B. Transformation de la langue1. Le français au moyen-âge.Saint Louis rendant la justice.Maintes fois avint que en estei il se aloit seior au bois de Vincennes après sa messe, et se acostoioit a un chesne et nous fesoit seoir autour li ; et tuit cil qui avoient a faire venoient parler a li, sanz destourbier de huissier ne d'autre. Et lors il lour demandoit de sa bouche : "A il ci nullui qui ait partie ?" Et cil se levoient qui partie avoient, et lors il disoit : "Taisies vous tuit, et on vous deliverra l'un après l'autre."
TraductionMaintes fois il advint que, en été, il allait s'asseoir au bois de Vincennes après sa messe, et s'appuyait contre un chêne et nous faisait asseoir autour de lui ; et tous ceux qui avaient affaire venaient parler devant lui, sans empêchement d'huissier ni d'autre personne. Et alors il leur demandait lui-même : "Y a-t-il ici personne qui ait un adversaire ?" Et ceux qui avaient un adversaire se levaient, et alors il disait : "Taisez-vous tous, et on vous expédiera l'un après l'autre."
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2. Le français au XVIe siècle.L'esprit de la Renaissance.Par quoi, mon fils, je t'admoneste qu'emploies ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertu. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon, dont l'un par vives et vocales instructions, l'autre par louables exemples, te peut endoctriner. J'entends que tu apprennes les langues parfaitement : premièrement la grecque, comme le veut Quintilien ; secondement la latine ; et puis l'hébraïque pour les saintes lettres, et la chaldaïque et arabique pareillement ; et que tu formes ton style, quant à la grecque à l'imitation de Platon, quant à la latine de Cicéron ; qu'il y ait histoire que tune tiennes en mémoire présente, à quoi t'aidera la cosmographie de ceux qui en ont écrit. Des arts libéraux, géométrie, arithmétique et musique, je t'en donnai quelque goût quand tu étais encore petit, en l'âge de cinq à six ans ; poursuis le reste, et d'astronomie, saches-en tous les canons. Laisse-moi l'astrologie divinatrice et l'art de Lullius, comme abus et vanité. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes et me les confère avec philosophie.
Et quant à la connaissance des faits de nature, je veux que tu t'y adonnes curieusement, qu'il n'y ait mer, rivière ni fontaine dont tu ne connaisses les poissons ; tous les oiseaux de l'air, tous les arbres, arbustes et frutices des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tout l'Orient et Midi, rien ne te soit inconnu.
(Rabelais)
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C. Fixation de la langue1. Le français au XVIIe siècleLe bon sens.Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n'en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce que l'on nomme le bon sens, ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien.
(Descartes)
La puissance divine.Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et terribles leçon. Soit qu'il élève les trônes, qoit qu'il les abaisse, soit qu'il communique la puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d'une manière souveraine et digne lui.
(Bossuet)
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2. Le français au XVIIIe siècleLes nouvellistes.Il y a une certaine nation que l'on appelle les nouvellistes. Leur oisiveté est toujours occupée. Ils sont très inutiles à l'Etat, cependant ils se croient considérables parce qu'ils s'entretiennent de projets magnifiques et traitent de grands intérêts. La base de leur conversation est une curiosité frivole et ridicule. Il n'y a point de cabinets si mystérieux où ils ne sauraient consentir à ignorer quelque chose. IL ne leur manque que le bon sens.
(Montesquieu)
RêveriesEn sortant d'une longue et douce rêverie, me voyant entouré de verdure, de fleurs, d'oiseaux, et laissant errer mes yeux au loin sur les romanesques rivages qui bordaient une vaste étendue d'eau claire et cristalline, j'assimilais à mes fictions tous ces aimables objets, et me trouvant enfin ramené par degrés à moi-même et à ce qui m'entourait, je ne pouvais marquer le point de séparation des fictions aux réalités, tant tout concourait également à me rendre chère la vie recueillie et solitaire que je menais dans ce beau séjour.
(J-J. Rousseau).
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D. Enrichissement de la langue1. Le français au XIXe siècleLes Francs.Parés de la dépouille des ours, des veaux marins, des aurochs et des sangliers, les Francs se montraient de loin comme un troupeau de bêtes féroces. Une tunique courte et serrée laissait voir toute la hauteur de leur taille et ne leur cachait pas le genou. Les yeux de ces barbares ont la couleur d'une mer orageuse ; leur chevelure blonde, ramenée en avant sur leur poitrine et teinte d'une liqueur rouge, eszt semblable à du sang et à du feu... Tout à coup, poussant un cri aigu, ils entonnent le bardit à la louange de leurs héros : "Pharamond! Pharamond! nous avons combattu avec l'épée."
(Chateaubriand)
Un intérieur d'avare.Dans l'antichambre, six chaises de paille, un poêle en faïence et, sur les murs tendus de papier vert bouteille, quatre gravures achetées à des ventes. Dans la salle à manger, deux buffets, deux cages pleines d'oiseaux, une table couverte d'une toile cirée, un baromètre, une porte-fenêtre donnant sur des jardins suspendus et des chaises d'acajou foncé de crin ; le salon avait de petits rideaux en vieille étoffe de soie verte, un meuble en velours d'Utrecht vert,, à bois peint en blanc...
H. de Balzac.
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2. Le français au XXe siècleLe cinéma.Un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées, ne soulève aucune question, n'aborde sérieusement aucun problème, n'allume aucune passion, n'éveille au fond des cœurs aucune lumière, n'excite aucune espérance, sinon celle, ridicule, d'être un jour "star" à Los Angeles. Le dynamisme même du cinéma nous arrache les images sur lesquelles notre songerie aimerait de s'arrêter... Pas lieu de faire acte d'intelligence, pas lieu de discuter, de réagir, de participer d'une manière quelconque.
G. Duhamel.
L'auto et le cheval.L'auta avance et le cheval recule... Les cochers sentent leur disgrâce. Ils remâchent du matin au soir l'amertume, qu'ils n'avaient pas, d'appartenir à une faction vaincue. Chez le bistro, ils se rattrapent, à force d'éloquence. Ils raillent les forment d'automobile, les arrêts inopinés en pleine côte, la réparation d'un pneumatique sous une pluie torrentielle, l'homme couché sous le ventre de la voiture et qui reçoit un filet de cambouis sur le nez. Mais le chauffeur répond qu'il a fait, la veille encore, cent cinquante kilomètres aux environs de Paris sans qu'une seule bougie s'encrasse.
J. Romains.
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