Un article intéressant.
Les anglophones et les hispanophones voient le futur devant, le passé derrière, comme, je pense, tous les locuteurs de langues européennes. Pour les locuteurs de l'Aymara, c'est l'inverse.
Les anglophones voient le temps comme une ligne allant du passé vers le futur, de la gauche vers la droite, les hispanophones le voient comme un volume, et les sinophones voient le passé en haut et le futur vers le bas. Chez les Chinois, le temps descend. Chez les francophones et les anglophones, il passe.
Ce que je remarque, toutefois, c'est que, quelle que soit la façon dont on se représente le temps, c'est toujours de façon spatiale. L'avenir est devant, derrière, ou vers le bas. À la limite, peu importe, l'important c'est de pouvoir le visualiser.
Ce qui montre, à mon avis, que chez les humains, la perception de l'espace est antérieure à la perception du temps. Un jeune enfant est d'abord conscient de l'espace autour de lui, puis il prend conscience du passé, et enfin, nettement plus tard, il apprend à se projeter dans l'avenir.
De même, les langues créent d'abord un passé, et ensuite un futur. C'est particulièrement évident en allemand, où le prétérit est très ancien (d'où ses formes souvent irrégulières), mais où le futur est une création récente, d'où son aspect un peu "bricolé" :
Souvent, le présent suffit à exprimer le futur, surtout lorsqu'il est suggéré par un adverbe de temps. Sinon, on utilise aussi les auxiliaires de mode wollen (vouloir) et sollen (devoir) :
Ich will euch nur eine einzige Sache erzählen.
[Je vais vous expliquer seulement une seule chose.]
Littéralement : je veux vous expliquer seulement une seule chose.
La forme composée avec werden est relativement peu employée.
Ich werde gehen = j'irai. Littéralement : je deviens aller.
En latin, amabo, "j'aimerai", est une ancienne forme composée, où l'on reconnaît le verbe indo-peuropéen *bhu "croître, devenir".
Idem pour le français j'aimerai, qui est la contraction de ego amare habeo, "j'ai à aimer".
C'est comme si le futur était réinventé chaque fois que la langue se métamorphose au fil des siècles. L'expression du passé est plus stable : au latin sum/fui, venio/veni, correspond le français je suis/je fus, je viens/je vins.
Les humains expriment de façon différente des notions qu'ils ont en commun, par exemple le futur. Ce qui est important, c'est d'avoir ces notions en commun, quelle que soit la façon dont on les exprime.
Comme le faisait remarquer un anthropologue, le fait que chez les Européens le noir soit la couleur du deuil, et que chez les Chinois ce soit le blanc, ne doit pas faire oublier que les Européens et les Chinois ont en commun la notion de deuil. Il en est de même pour la notion de futur.