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| Les fembotniks | |
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Auteur | Message |
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Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Sam 11 Avr 2015 - 15:23 | |
| Penquom et Lorenk passèrent tout l'après-midi à déterminer les caractéristiques précises du matériel électronique, fabriqué dans l'usine ultharienne appartenant à Penquom, qui serait installé dans la Maison Médicale Furnius, quelles prises électriques devraient être préalablement modifiées, etc. Il fut convenu que Penquom reviendrait deux ou trois semaines plus tard à Hyltendale pour signer l'accord final, que Lorenk ne pouvait pas signer avant d'en avoir discuté avec les autres propriétaires de la Maison Médicale. "Ce qui m'étonne à Hyltendale" dit Penquom à Lorenk au moment de lui dire au revoir, "c'est que dans une ville de plus d'un million d'habitants, il n'y ait ni tramway ni métro." - Il y a deux raisons à cela, Monsieur Praxitel. La première, la première c'est que la majorité des Hyltendaliens humains sont soit des rentiers, qui se déplacent moins que les actifs, soit des vieillards, infirmes ou malades, qui se déplacent peu, voire pas du tout. Les humanoïdes sont généralement logés sur leur lieu de travail. Le besoin de transports en commun est donc assez faible. Les bus sont nombreux à Hyltendale, ils suffisent à nos besoins. Hyltendale a toutefois une gare, et même deux si on compte celle de Parg, de l'autre côté de l'estuaire de la Skaï, donc à l'ouest. Il n'y a pas de pont sur l'estuaire, donc il faut prendre un ferry pour le traverser. - Et la deuxième raison ? - L'électricité est vitale pour les cybersophontes. S'ils en sont privés trop longtemps, ils tombent dans une sorte de coma. Ils n'ont aucune envie d'utiliser cette électricité, dont ils ont un besoin littéralement vital, pour faire fonctionner des lignes de métro ou de tramway dont ils peuvent se passer. Ils ont fait leurs calculs. Un humanoïde consomme autant d'électricité qu'une ampoule de 100 watts lorsqu'il est au repos. Lorsqu'il marche ou fait du vélo, il consomme plusieurs fois plus. Les cinq cent mille humanoïdes d'Hyltendale, au repos, consomment environ cinquante mégawatts. Un réseau de métro ou de tramway qui couvrirait toute l'agglomération consommerait au moins autant d'électricité que tous les humanoïdes d'Hyltendale réunis. - Oui, mais la ville pourrait supprimer certains autobus. - C'est vrai. Avoir un métro, ou des lignes de tramway, permettrait de réduire la fréquence des bus. Mais cela ne permettrait pas de supprimer des lignes, les économies seraient donc, au final, assez faibles. Hyltendale pourrait avoir un métro si la ville était certaine de disposer d'une électricité abondante et bon marché quoi qu'il arrive. Or, ce qui est arrivé à Ulthar, Khem et ailleurs pendant les Événements montre qu'en cas de rébellion armée, la production d'électricité peut-être gravement perturbée. Avant de rentrer chez lui dans sa maison au sud-ouest d'Ulthar, Penquom décida de faire un tour à Zodonie, le quartier touristique d'Hyltendale, où il n'était jamais allé. Il gara sa voiture dans un parking proche, et s'aventura à pied dans les rues du quartier. À première vue, les Hyltendaliens avaient fait des efforts pour que Zodonie ne soit pas seulement l'une des capitales du tourisme sexuel, et ces efforts étaient allés dans deux directions : l'art et la boisson. Penquom vit une profusion de bars qui faisaient aussi office de galeries d'art. Des boutiques spécialisées proposaient toutes les variétés de bières aneuviennes ou moschteiniennes. Il y avait aussi des hôtels, dont certains appartenaient à de grandes chaînes internationales, et des restaurants. Ces derniers affichaient tous la mention menu spécial pour humanoïdes, même les fast foods. Penquom repéra un établissement au pied d'un immeuble de béton. Il y avait une inscription peinte sur le portail de verre : GALERIE MNUAZTE D'ART BRUT - exposition permanente - - bar pour adultes au premier étage - Il entra dans la galerie. Des tableaux étaient affichés sur les murs. Une dizaine de personnes, apparemment des touristes, les regardaient avec attention. Une affiche collée sur un mur indiquait que les tableaux avaient été peints par les pensionnaires de l'hôpital psychiatrique d'Hyltendale, et que l'argent tiré de la vente des tableaux irait à leur profit. Les tableaux étaient, pour la plupart, peints dans un style mi-figuratif, mi-abstrait, qui plaisait plus à Penquom que l'abstraction totale caractéristique des peintres de l'École d'Hyltendale. Il monta à l'étage, curieux de voir à quoi ressemblait le bar. Sur sa gauche, une douzaine de gynoïdes de charme, ainsi que deux ou trois androïdes, étaient assis sur des canapés et dans des fauteuils. À droite, une demi-douzaine d'hommes, assis sur des tabourets de bar, étaient accoudés au comptoir, sous le regard impénétrable d'un androïde en tenue de serveur. "... une gynoïde aux longs cheveux clairs... " Le regard de Penquom croisa celui d'une gynoïde aux longs cheveux clairs. Ce regard lui faisait peur, et pourtant il était le même que celui de tous les humanoïdes. Devant elle, sur une table basse, un panneau portait une indication succincte : 50 D/h Ce qui, dans le royaume de Mnar, signifie cinquante ducats de l'heure. La gynoïde lui fit signe de s'approcher. Il s'avança, machinalement, pas sûr du tout d'avoir envie de franchir le pas. La gynoïde se leva et s'approcha de lui : - Monsieur, vous me plaisez. Voulez-vous passer une heure avec moi dans ma chambre, pour cinquante ducats ? Faites-moi plaisir... Il faut payer en espèces... Vous avez cinquante ducats en billets ? Penquom grommela une réponse qui pouvait passer pour un assentiment. La gynoïde le prit par le bras et l'emmena vers le fond du bar, jusqu'à un ascenseur, et appuya sur un bouton. Elle se serra contre lui et posa son visage sur son épaule. Penquom avait le sentiment d'être pris au piège. Il essaya de se rassurer en se disant que des milliers d'Ulthariens allaient visiter Zodonie chaque week-end, et se vantaient ensuite de leurs fredaines le lundi matin devant leurs collègues de bureau. L'ascenseur les déposa au sixième étage. Sur le palier, la gynoïde dit à Penquom de payer tout de suite. Un peu perdu, il sortit deux billets de vingt et un billet de dix de son portefeuille. La gynoïde les mit par une fente dans une armoire métallique. Le studio de la gynoïde, composé d'une petite chambre et d'une minuscule salle de bain, se trouvait dix mètres plus loin. Un grand lit bas occupait la plus grande partie de la pièce. Une heure plus tard, Penquom ressortit du studio, en se disant que s'il était vrai qu'au repos les humanoïdes consomment cent watts par heure, la gynoïde avait bien dû en consommer cinq cents pendant leurs ébats. Est-ce que Shonia en faisait autant avec cet idiot de Yohannès ? Pas tous les soirs en tout cas, vu le manque notoire de virilité de Yohannès. Mais il comprenait mieux maintenant pourquoi certains devenaient des fembotniks. Dans le couloir, un androïde de deux mètres de haut et aux épaules de déménageur, vêtu d'un survêtement bleu, regarda Penquom sans rien dire et pointa le doigt vers l'ascenseur. De retour au rez-de-chaussée, parmi les touristes qui regardaient les tableaux, Penquom décida, pour apaiser sa conscience, de faire un cadeau à son épouse. Pour cent ducats, il acheta un tableau représentant un démon rouge et jaune à grande bouche. Le caissier était un androïde. Penquom se dit qu'il associerait toujours dans son esprit les yeux des humanoïdes avec ceux de la gynoïde du sixième étage. Le soir tombait. Penquom commençait à avoir faim. Il acheta un hot-dog au comptoir d'une gargotte et le mangea tout en marchant vers le parking où il avait laissé sa voiture. Dans deux heures, peut-être moins, il serait de retour chez lui.
Dernière édition par Vilko le Sam 11 Avr 2015 - 20:58, édité 2 fois | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les fembotniks Sam 11 Avr 2015 - 16:00 | |
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Dernière édition par . le Mer 30 Déc 2020 - 0:24, édité 1 fois |
| | | PatrikGC
Messages : 6732 Date d'inscription : 28/02/2010 Localisation : France - Nord
| Sujet: Re: Les fembotniks Sam 11 Avr 2015 - 16:16 | |
| Puisque tu sembles aimer, PdT, voici la même image en plus grand http://fc00.deviantart.net/fs70/i/2010/343/2/2/pretty_alien_by_surfaceblur-d34kbw3.jpg Si j'ai le temps, il faudra que je fasse un montage avec une photo de ma femme et lui greffer ce type de regard... Bien qu'elle ait aussi des yeux plutôt sombres, je ne pense pas que ça me fera pas le même effet | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 12 Avr 2015 - 21:27 | |
| Yohannès n'en avait pas fini avec sa famille. Après la visite de son beau-frère, il eut celle de sa sœur, Basilea, qui s'inquiétait pour lui et qui voulait vérifier s'il vivait dans de bonnes conditions. Elle partit donc d'Ulthar vers Hyltendale en voiture, avec Yaneki, son fils aîné, après avoir, quand même, téléphoné à son frère pour le prévenir de sa venue.
Yohannès vivait à la limite du centre ville d'Hyltendale, au premier étage d'un petit immeuble entouré d'une grille dont la porte était fermée. Il n'y avait pas d'interphone. Basilea appela son frère depuis son téléphone portable. Basilea et Yaneki apprirent ainsi que les immeubles où ne vivent que des fembotniks n'ont souvent pas d'interphone. Si un visiteur ne connaît pas le numéro de téléphone du résident qu'il vient voir, c'est qu'il n'a rien à faire dans l'immeuble.
Ce fut Shonia, vêtue d'une blouse grise, qui vint ouvrir la porte de la grille.
Basilea et Yaneki suivirent Shonia à l'intérieur de l'immeuble. Yohannès, vêtu de son éternel costume noir, leur ouvrit la porte de son logement.
Le studio où habitait Yohannès était vraiment très petit. Il était constitué d'une seule pièce, avec des toilettes séparées. Une extrémité de la pièce avait été aménagée en cuisine et salle de bain avec un évier, des meubles de rangement, une cabine de douche et un lavabo. Du linge séchait sur un étendoir.
L'autre partie du studio était meublée du strict nécessaire : un lit de dimensions moyennes, une petite table carrée, deux chaises pliantes, une armoire-penderie avec un grand miroir. Le fauteuil-vélo, replié en deux morceaux, était sous l'unique fenêtre.
Yohannès invita sa sœur et son neveu à s'assoir sur les chaises. Lui-même et Shonia s'assirent sur le bord du lit.
- Ben dis donc, c'est tout petit chez toi ! s'exclama Basilea.
- J'ai pris ce que j'ai trouvé. C'est petit mais c'est bon marché, et tu sais que Tawina m'a presque ruiné. Pas tout à fait ruiné, heureusement, puisque je peux vivre avec une gynoïde sans avoir besoin de travailler. Et puis, il n'y a que des fembotniks dans l'immeuble.
- Et alors ?
- Nous les fembotniks, nous préférons vivre entre nous. Shonia et moi, nous vivons ici comme dans une cabine de bateau. Nous avons des caisses à roulettes sous le lit, pour ranger nos affaires. L'immeuble est aux normes hyltendaliennes : tu as vu que la porte des toilettes est un miroir sans tain. On ne peut voir à travers que depuis l'intérieur.
- Oui, j'ai remarqué. C'est pour quoi faire ?
- La lumière du jour pénètre dans les toilettes. En cas de coupure d'électricité, c'est plus pratique que d'emmener une bougie. Le placard de la cuisine contient une citerne individuelle. Si l'eau est coupée, on aura quand même de l'eau pour plusieurs mois, à condition évidemment de se rationner à deux litres par jour pour moi et presque rien pour Shonia.
- Belle mentalité !
- Les humanoïdes n'ont pas besoin d'eau. Nous avons un seau d'aisance, donc si les toilettes ne fonctionnent plus parce que l'eau est coupée, on peut aller vider le seau dans une benne à ordures tout près d'ici.
- Je vois que dans la tête des gens, c'est encore les Événements par ici !
- Il y aura d'autres Événements, c'est quasiment certain. Les cybersophontes prennent ça très au sérieux. Des panneaux solaires ont été posés sur le toit de l'immeuble. Même en cas de coupure totale et permanente d'électricité, chaque appartement aura au moins une heure de courant par jour, assez pour maintenir les humanoïdes en vie, et donc permettre aux fembotniks de communiquer par radio avec l'extérieur. Comme tu le sais, les humanoïdes — les androïdes et les gynoïdes, si tu préfères — sont connectés entre eux par radio, de cerveau à cerveau..
- Ah oui, les humanoïdes, c'est important... Dis-moi, frangin, Shonia, ta gouvernante, comme tu dis, elle dort où ?
- Elle ne dort pas. Elle recharge ses batteries, ou elle reste au repos. Sur le lit, évidemment, tu vois bien qu'il n'y a pas de place ailleurs.
Yohannès regarda sa sœur avec un sourire narquois.
Basilea décida de ne pas insister. Elle tourna son regard vers Shonia. L'humanoïde était immobile et silencieuse, comme une statue. Son visage était un masque figé. Ses yeux entièrement noirs semblaient cacher une malignité infinie, comme s'ils étaient habités par le dieu-démon Anten-Nahen. Mais on s'y habituait, comme on s'habitue aux gens qui portent en permanence des lunettes de soleil. Physiquement, Shonia n'avait pas l'air bien redoutable. Elle était très petite et menue, comme la plupart des humanoïdes, qui sont conçus pour ne pas effrayer les humains. En revanche, ceux qui sont conçus pour être impressionnants, par exemple les vigiles, sont souvent de vrais géants.
Yaneki était stupéfait d'entendre sa mère parler de Shonia comme si elle n'était pas là. À dix-neuf ans, Yaneki n'était jamais allé à Hyltendale auparavant, et il n'avait jamais eu l'occasion de parler à un humanoïde. Il avait vu Shonia juste une fois, lors d'une réunion de famille, avant les Événements, mais ils ne s'étaient pas parlé.
Et maintenant il était face à elle, chez son oncle Yohannès, dont il savait qu'il était à la fois plaint, moqué et méprisé derrière son dos par Penquom et Basilea, et en fait par toute la famille. Yaneki avait grandi dans une grande villa au centre d'une vaste propriété. Il avait connu son oncle lorsqu'il habitait dans une maison de ville de quatorze pièces. À l'époque, Yohannès était respecté et envié. Son déclin, entièrement causé par Tawina, son épouse psychopathe, avait été rapide. Il en était maintenant réduit à vivre dans un logement de moins de vingt mètres carrés, avec une humanoïde bon marché comme seule compagnie. Curieusement, Yohannès ne semblait pas abattu par ce qui lui était arrivé. Il avait l'air tranquille et le teint frais d'un homme qui dort suffisamment, mange bien, se réveille tous les matins avec une femme (même cybernétique) dans les bras, fait de l'exercice et ne s'inquiète pas pour l'avenir.
Yohannès se serait bien passé de la visite de sa sœur, mais au téléphone, comme d'habitude, il avait été incapable de lui dire non. La compagnie de Shonia, et celle des multiples personnages que Shonia savait incarner, lui suffisait. Il avait fait avec elle quelques simulations, avant la visite de Basilea, inquiet à l'idée d'être obligé de se livrer à un exercice devenu inhabituel pour lui : discuter avec un être humain qui n'était pas un fembotnik. Shonia avait joué le rôle de Basilea. Yohannès, dans l'une des simulations, avait lui aussi joué le rôle de Basilea, car Shonia lui avait appris combien il est important de savoir se mettre à la place de son interlocuteur.
Shonia prépara du thé pour Yohannès, Basilea et Yaneki. Le studio était trop petit pour qu'on puisse y déjeuner à quatre, ou même à trois. Yohannès invita sa sœur et son neveu au restaurant du Cercle Paropien, à deux arrêts de bus de son domicile.
Yohannès aurait bien emmené Basilea et Yaneki dans un restaurant du quartier, mais en bon fembotnik la présence des êtres humains normaux, les biohumains, était devenue stressante pour lui, et lorsqu'il mangeait en dehors de chez lui c'était toujours dans des lieux où il était sûr d'être entouré d'autres fembotniks.
Au restaurant du Cercle Paropien, Basilea fut sidérée d'être au milieu d'une centaine de personnes dont beaucoup étaient des humanoïdes, d'autant plus que beaucoup de gens portaient des cagoules colorées.
- Pourquoi ces gens portent-ils des cagoules ? demanda-t-elle à son frère.
- Ce sont des humanoïdes qui jouent un rôle. Shonia, par exemple, porte parfois une cagoule, lorsqu'elle joue le rôle de Gaïus. C'est comme si je déjeunais avec Gaïus, qui est comme un vieux copain à moi. Il a une voix d'homme, il sait des tas de choses, et il a des opinions politiques et philosophiques un peu radicales, mais proches des miennes, alors que Shonia est neutre.
- Je comprends pourquoi vous vous réunissez dans un club... Dans un restaurant normal, on vous prendrait pour des fous ! À Ulthar, les gens appelleraient la police s'ils voyaient quelqu'un avec une cagoule dans un restaurant.
- J'en ai bien peur, en effet. À Hyltendale, ce n'est pas du tout comme à Ulthar. Ici, il y a les cybersophontes d'un côté, les biohumains de l'autre, et plusieurs catégories intermédiaires. Les cybercerveaux et les klelwaks, on ne les voit jamais. Les androïdes et les gynoïdes sont des cybersophontes qui communiquent directement avec les biohumains. Les cyborgs sont des hybrides, certains sont impossibles à distinguer des humanoïdes, et certains sont extérieurement identiques aux biohumains. Et il y a les fembotniks, comme moi, et les manbotchicks, qui sont des fembotniks au féminin. Nous sommes des biohumains, mais nous vivons avec des humanoïdes.
- Et ça change quoi, de vivre avec des humanoïdes ?
- Basilea, il y a des jours où je me sens à la fois biohumain et humanoïde, et des jours où je ne me sens ni l'un ni l'autre.
- C'est une drôle de société, Hyltendale.
- Ça fonctionne. Nous les Hyltendaliens, nos différences de culture, de religion ou de race ont peu d'importance, car chacun vit dans son club. À Hyltendale, tous mes amis sont d'autres fembotniks, membres du Cercle Paropien, qui n'est que l'un des dizaines ou centaines de clubs de fembotniks qui existent dans la ville. Mais, pour citer un exemple, les chauffeurs de bus biohumains fréquentent d'autres chauffeurs de bus, ils habitent les mêmes quartiers, où je ne vais jamais et où je ne connais personne.
- Et les conflits entre groupes, Yohannès ? À Ulthar, où nous avons des gens venus de partout, surtout depuis les Événements, il y a tous les jours des disputes entre les groupes ethniques, religieux, et aussi entre les classes sociales.
- Les cybersophontes contrôlent Hyltendale. Les gens qui se conduisent mal perdent leur emploi, leur gynoïde, ou leur logement, et doivent partir.
- Et ils se retrouvent à Ulthar !
- Souvent, en effet. Mais nous aimons tous Hyltendale, chacun à notre façon, parce que, globalement, nous vivons bien, ici, alors tout le monde fait attention à ne pas se faire expulser de la ville. Même moi, je m'intéresse à la vie locale. Après les Événements, il a fallu mettre aux normes de sécurité la plupart des immeubles, installer des panneaux solaires sur les toits. C'était le gros souci, l'année dernière.
- Et maintenant ?
- Maintenant, sur la chaîne de télévision municipale et dans les clubs, on ne parle plus que de donner une âme à la ville. Le musée Locsap ne suffit pas. Le vin de lune non plus. Moi je pense qu'une âme ne se crée pas à la demande. Le musée Locsap a été créé par des cyborgs amateurs d'art abstrait. Les bars à vin et à bière de Zodonie, c'est pour les touristes. Nous avons un grand choix de restaurants, également grâce aux touristes. Pour le reste, notre identité, c'est d'être, culturellement, des hybrides entre les biohumains et les cybersophontes. Nous sommes quelque part entre l'art abstrait des cyborgs et l'art figuratif des Hyltendaliens des temps légendaires.
Basilea hocha la tête, et dit avec un sourire de satisfaction :
- Penquom m'a offert un tableau dans le style Art Brut, une œuvre originale. Il l'a achetée à la Galerie Mnuazte, lorsqu'il est venu ici dernièrement. Il pense toujours à moi, même lorsqu'il s'absente juste pour une journée.
Yohannès rougit :
- La Galerie Mnuazte ? C'est vrai, ils vendent des tableaux... J'ai visité leur exposition permanente.
Il faillit dire "mais je ne suis pas monté à l'étage" et se retint juste à temps.
Yaneki intervint :
- Hyltendale est l'une des grandes villes du royaume, mais c'est la seule à ne pas avoir d'équipes sportives à la hauteur, dans aucun sport.
Yohannès acquiesça :
- Avec une population biohumaine composée de rentiers, de vieillards grabataires et de handicapés, il ne faut pas s'attendre à des miracles. Les enfants des chauffeurs de bus et de cuisiniers font ce qu'ils peuvent, la mairie subventionne les clubs sportifs, mais la base démographique est faible. Nous avons un stade, mais pour certains matchs la moitié des spectateurs viennent en fauteuil roulant et s'endorment avant la mi-temps... On ne peut pas tout avoir.
Dernière édition par Vilko le Lun 13 Avr 2015 - 18:19, édité 2 fois | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 12 Avr 2015 - 22:29 | |
| Un peu hors sujet (quoi que) mais enfin : - Zero Hedge a écrit:
- En 2008, la "Commission EMP" a estimé que dans les 12 mois d'une perte du réseau électrique, près de 90% de la population des US pourrait mourir de faim, de maladie ou d'effondrement de la société."
lien (en anglais) 90% de morts sur une population de 320 millions d'habitants... Ça fait, euh, beaucoup de gens... 288 millions... L'équivalent de la France + l'Allemagne + la Grande-Bretagne + l'Italie... Ça fait plaisir de voir que je suis un incorrigible optimiste : moi je voyais les gens évacuer les grandes conurbations (la Seine Saint-Denis, où j'habite, 1,5 millions d'habitants, devrait être TOTALEMENT évacuée en cas de coupure totale de courant de plus de quelques jours) et se réfugier à la campagne... et 90% survivre (après quelques tribulations traumatisantes, certes). Et les villes d'Ulthar et Khem, privées d'électricité pendant des mois suite à des attaques ciblées sur les centrales électriques, je les voyais revenir à une situation normale également en quelques mois... L'économie repartir comme avant... Heureusement (!) le royaume de Mnar ressemble à la Syrie, où la production d'électricité a baissé de moitié mais où le réseau électrique continue de fonctionner cahin-caha. Quelques heures d'électricité par jour, ça peut être la différence entre la vie et la mort. PS L'article de Zero Hedge est délibérément catastrophiste. Des tempêtes électromagnétiques arrivent assez souvent, et les dommages sont limités et rapidement réparables. Ce qui est plus probable, c'est qu'un conflit touchant des zones urbaines, comme en Syrie, oblige des millions de gens à fuir leur domicile. Ce qui est exactement ce qui se passe en Syrie. À noter que depuis le début des combats, il y a quatre ans, environ 1% des Syriens ont été tués. C'est beaucoup, mais pendant la Révolution Française 3 à 4% des Français ont été tués, et 10 à 12% des Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale. Si les combats en Syrie n'avaient duré qu'un an (comme dans le royaume de Mnar) le nombre de morts aurait été beaucoup plus faible. Ma diégèse hyltendalienne est donc réaliste. | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 13 Avr 2015 - 23:28 | |
| Après avoir déjeuné, Basilea, son fils Yaneki, son frère Yohannès et Shonia la gynoïde sortirent du Cercle Paropien.
Basilea dit à Yohannès :
- J'ai rendez-vous dans une heure à l'hôpital Madeico pour un examen.
- Pourquoi au Madeico ? C'est à deux kilomètres à l'est d'ici. Un grand bâtiment blanc.
- Les meilleurs médecins sont des humanoïdes. Et les soins coûtent beaucoup moins cher à Hyltendale qu'à Ulthar, parce que les humanoïdes travaillent vingt heures par jour, ne prennent jamais de congés et ne demandent pas de salaire, puisque ce sont des robots.
- Je sais, Basilea, je sais. Les gens viennent de toutes les régions de Mnar, et même des pays voisins, pour se faire soigner à Hyltendale. Mais même s'ils sont moins chers qu'ailleurs, les soins sont payants.
- Mon assurance-santé a accepté de me rembourser mes soins à Hyltendale, ça leur revient moins cher que si je me faisais soigner à Ulthar. Je ne suis jamais allée dans un hôpital hyltendalien. Yohannès, est-ce que tu veux m'accompagner ?
- Je suis rentier, ça fait longtemps que je n'ai plus d'obligations professionnelles... D'accord, on y va.
Ils prirent le bus jusqu'au parking où Basilea avait laissé sa voiture. Elle prit le volant. Shonia, assise à côté d'elle, lui disait par où passer dans le dédale des rues. L'avantage d'avoir un humanoïde dans sa voiture lorsqu'on conduit, c'est que l'humanoïde connaît toujours le chemin. Yohannès et Yaneki étaient assis à l'arrière.
"C'est curieux, on dirait qu'il n'y a pas de mendiants à Hyltendale" dit Yaneki.
"Pourquoi y en aurait-il ?" lui répondit Yohannès.
- À Ulthar, il y en a plein.
- Ici, on ne laisse pas les gens dormir dans la rue et vivre de la charité des passants. On leur donne des logements décents... situés à Ulthar, bien sûr !
Yohannès rit de sa propre plaisanterie. Voyant que personne ne réagissait, il se tut.
Basilea gara la voiture dans un parking souterrain, relié à l'hôpital Madeico par un couloir menant à un ascenseur.
Le hall d'accueil de l'hôpital était vaste, lumineux, et orné de plantes vertes. Des biohumains attendaient, assis sur des bancs, en regardant des écrans de télévision géants fixés aux murs, sur lesquels défilaient en boucle les nouvelles du jour. Des gynoïdes en uniforme rouge d'hôtesses et perruques brunes étaient assises derrière un comptoir, renseignant les gens et leur donnant des tickets numérotés. De temps en temps, un haut-parleur appelait un numéro. Quelqu'un se levait alors de son banc et se dirigeait vers l'une des hôtesses. Yohannès remarqua que le hall donnait sur une cafétéria.
Basilea était anxieuse à l'idée d'être examinée par un humanoïde, et demanda à Shonia de l'accompagner. Shonia accepta.
Pendant que Basilea et Shonia s'éloignaient dans les couloirs du bâtiment, Yohannès et Yaneki décidèrent d'aller se promener à l'extérieur.
Dehors, au-delà des dépendances de l'hôpital, ils virent des cliniques et des hôtels modernes, portant les logos de groupes internationaux, et un centre commercial.
"J'ai lu quelque part que plus de gens viennent à Hyltendale pour se faire soigner que pour visiter Zodonie et ses gynoïdes de charme," dit Yohannès. "Mais il faut le voir pour se rendre compte de ce que ça représente. Je sais que les patients sont souvent accompagnés de leur famille, qui dort à l'hôtel et fait du shopping au centre commercial. Je suppose aussi que certains doivent se laisser tenter par une petite escapade à Zodonie."
Yaneki dit à Yohannès :
- Tonton, tu nous a dit tout-à-l'heure qu'Hyltendale essaie de se donner une âme. Dans ce quartier en tout cas, c'est pas gagné. Tout est international ici.
- Je le vois bien. Au moins, les gens ont des repères, c'est toujours un point positif. Leur chambre d'hôtel est exactement la même que celle qu'ils auraient à Hocklènge ou à Moschburg, et les restaurants et les cafétérias leur proposent exactement les mêmes plats et les mêmes boissons. Idem pour la musique d'ambiance du centre commercial, je parierais que c'est la même partout. Comme la façon de s'habiller, de se parler... La gloire d'Hyltendale, finalement, c'est peut-être d'être la ville des gynoïdes de charme et de la médecine de haute technologie à un prix raisonnable. C'est déjà beaucoup, et c'est sans doute l'image que les cybersophontes veulent donner au monde.
Le téléphone portable de Yohannès sonna : Basilea et Shonia les attendaient dans le hall d'accueil.
Basilea déposa Yohannès et Shonia devant leur domicile et reprit avec Yaneki la route du nord, vers Ulthar.
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| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Mer 15 Avr 2015 - 17:29 | |
| Quelques semaines plus tard, Basilea revint à l'hôpital Madeico, pour se faire hospitaliser pendant une dizaine de jours. Penquom l'emmena en voiture et repartit vers Ulthar.
Basilea découvrit ainsi la vie à l'intérieur du Madeico. Elle était toute seule dans une petite chambre blanche, sans rien à faire à part regarder la télévision. Tous les deux ou trois jours, elle était emmenée en salle d'opération. Des klelwaks à la peau orange procédaient sur son corps à des actions compliquées, parfois douloureuses, auxquelles elle ne comprenait rien.
Tout le personnel qu'elle voyait était composé d'humanoïdes masculins et féminins, à part le docteur Roy Dalidil, un cyborg, qui semblait être le chef. Il était distant et ne se déplaçait qu'accompagné d'une infirmière gynoïde.
Penquom, surchargé de travail, n'avait pas le temps de venir voir Basilea depuis Ulthar, et leurs quatre enfants ne pouvaient pas se déplacer seuls sur une aussi longue distance. Mais elle eut deux fois la visite de Yohannès et de Shonia, et tous les jours celle d'une femme en blouse bleue.
La femme marchait avec une légère claudication. Sous ses longs cheveux noirs, son visage était affreux, traversé de cicatrices, le nez écrasé, difforme, et surtout, à côté d'un œil normal, un œil d'humanoïde, plus grand que l'autre et entièrement noir, qui ne clignait jamais.
Dès la première visite, la femme s'était présentée, avec un fort accent de Khem :
- Bonjour Mme Praxitel. Je m'appelle Mantazaëlle. Je suis une employée de l'hôpital. Mon travail consiste à venir voir les malades pour leur tenir compagnie et les aider s'ils en ont besoin.
Basilea fut contente de pouvoir parler à un être humain, ou au moins partiellement humain, plutôt qu'aux infirmières humanoïdes, qui étaient certes très professionnelles mais à qui elle n'avait rien à dire, et qui n'avaient rien à lui dire.
Au fil des visites et des discussions, Mantazaëlle donna quelques renseignements sur elle-même :
- Pour travailler au Madeico, j'ai pris le nom de Mantazaëlle, en hommage à Mantazael, une déesse des Wards. Mantazael, selon les légendes des Wards, a un œil bleu et un œil noir. L'œil bleu représente la beauté, et l'œil noir représente le destin, qui est la mort. Mon œil noir, cybernétique, représente la perte de mon œil naturel quand j'ai été battue et torturée à Khem. C'est comme si j'étais morte ce jour-là, en effet.
Elle rit :
- Mon autre œil n'est pas bleu, mais on ne peut pas tout avoir !
Basilea n'avait jamais entendu parler de Mantazael, et elle ne savait rien des Wards et de leur pays lointain. Mantazaëlle lui expliqua :
- L'ancienne religion des Wards dit que la déesse Mantazael a eu trois enfants. Son premier enfant est Wathra, la déesse de la folie et de la guerre. Ensuite, Wyris, le dieu qui inventa l'oubli. Le troisième enfant de Mantzael est Xaram, la déesse de la paix. J'ai été émue quand j'ai lu cela, dans La Généalogie des Dieux, un livre des Wards d'autrefois. Parce que j'ai vécu la même chose. D'abord la folie et la guerre, quand la ville de Khem a sombré dans le chaos. Ensuite, l'oubli, quand je me suis retrouvée sous sédatifs à l'hôpital. La morphine m'a aidée à oublier l'horreur que j'avais vécue. Et finalement, j'ai trouvé la paix, enfin une certaine paix, quand je suis devenue une cyborg.
- Mantazaëlle, racontez-moi comment vous êtes devenue une cyborg.
- J'habitais à Khem depuis toujours, c'est la ville où je suis née. Ma vie a basculé dès le début des Événements, quand mon mari et mes deux fils sont partis rejoindre les rebelles. Je ne les ai jamais revus. Je ne sais même pas s'ils sont encore vivants. Je me suis retrouvée toute seule, mais je travaillais dans une boulangerie, je pouvais vivre. Quelques mois plus tard, Khem, sans électricité et sans eau, a commencé à être abandonnée par ses habitants. La boulangerie a fermé du jour au lendemain. Le jour de mon agression, je cherchais de l'eau dans la ville, et de la nourriture. Folle que j'étais, j'aurais dû partir même à pied, mais comme beaucoup de gens je pensais que l'électricité allait revenir, que tout redeviendrait comme avant.
À ce moment, Mantazaëlle avait fermé les yeux, et changé de sujet. Ce n'est que le lendemain qu'elle reprit son récit :
- J'ai été agressée dans la rue par un groupe de pillards. Ils m'ont traînée dans un hall d'immeuble. La plupart des habitants avaient déjà fui. Mais moi je n'avais ni voiture, ni personne pour me protéger, et nulle part où aller. Mes agresseurs m'ont battue et violée. Comme j'essayais de me défendre, l'un d'eux m'a crevé un œil avec son couteau. Ensuite ils m'ont frappée à coups de pieds. Je me suis évanouie.
Basilea était bouleversée. "Comment avez-vous survécu ?" demanda-t-elle.
- Le lendemain, des soldats de l'armée royale m'ont trouvée en train de délirer, avec des fractures partout. Ils m'ont emmenée dans un hôpital de campagne. J'ai failli mourir, parce que mes blessures s'étaient infectées. J'ai ensuite été transférée dans un hôpital d'Hyltendale, avec d'autre blessés. À Hyltendale, je me suis retrouvée sur un matelas à même le sol, avec une vingtaine d'autres femmes dans la même pièce. Il y en avait qui pleuraient, d'autres qui gémissaient et qui hurlaient la nuit. Le système était complètement débordé. Ce jour-là, j'ai vu des humanoïdes pour la première fois de ma vie. J'ai été opérée une première fois, et une gynoïde est restée à mon chevet. Elle est venue tous les jours pendant plusieurs semaines, il me semble. Je ne sais plus. Je pense maintenant qu'elle m'a interrogée, un peu chaque jour, pour savoir si je pouvais devenir une cyborg.
- Sur quels critères ?
- Je ne sais pas. On ne sait jamais pourquoi certaines personnes deviennent des cyborgs et d'autres non. J'ai été opérée une deuxième fois, puis une troisième fois, peut-être une quatrième, et là j'ai reçu l'œil cybernétique que vous voyez.
- Il vous permet de voir comme l'autre œil?
- Non, je ne vois rien avec cet œil-là. Il permet à Comana, le cybercerveau qui a été greffé à l'intérieur de mon corps, de voir et d'entendre. L'œil perçoit le rayonnement visible et invisible, et sa surface est sensible aux ondes sonores. Les informations sont transformées en ondes à ultra-haute fréquence. Comana capte ces ondes et les décode.
- Comment Comana communique-t-elle avec vous ? Et elle sert à quoi ?
- Par téléphone sans fil. Je communique avec Comana avec mon téléphone portable. Comana est une présence permanente pour moi, une amie, une autre moi-même. C'est grâce à elle que je peux retravailler, vivre normalement. Elle m'aide à retrouver la mémoire de mon passé. Quand je serai vieille, nos cerveaux fusionneront, et Comana perdra son individualité et deviendra Mantazaëlle.
- Je vois... Mais avec un cybercerveau dans votre corps, et un œil cybernétique, est-ce que vous avez des contraintes spéciales ?
- Oui, quelques unes. Je dois toujours avoir mon téléphone portable allumé près de moi, de jour comme de nuit. La nuit, j'insère un câble électrique dans mon nombril pour alimenter Comana. Je dois aussi insérer un autre câble dans une prise cachée sous le bord extérieur de mon œil cybernétique, pour le recharger. Comme mon œil cybernétique n'aime pas l'eau et encore moins le shampooing, je dois le couvrir avec un bandeau spécial quand je prends une douche. Je m'y suis habituée.
Un jour, le docteur Dalidil annonça à Basilea qu'elle pourrait quitter l'hôpital le lendemain, le traitement ayant réussi. Le jour de son départ, Basilea, comme elle s'y attendait, reçut une dernière visite de Mantazaëlle.
Dernière édition par Vilko le Sam 6 Juin 2015 - 11:08, édité 1 fois | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 16 Avr 2015 - 15:02 | |
| Tawina n'eut guère de succès comme voyante, et bientôt elle se retrouva dans une situation sans issue, ruinée et sans logement. Aucun de ses anciens amis n'accepta qu'elle vienne s'installer chez lui. Après deux nuits passées dans une usine abandonnée, elle décida de jouer le tout pour le tout. Sale et hagarde, elle vint avec ses affaires, qu'elle avait mises dans une valise à roulettes, devant le domicile d'un riche industriel avec qui elle avait eu une liaison, et se mit à crier son nom devant ses fenêtres.
Comme rien ne se passait, Tawina se déshabilla entièrement et se mit raconter sa vie aux passants qui s'agglutinaient, en les prenant à témoin de l'égoïsme de son ancien amant.
Au bout d'une dizaine de minutes, elle demanda d'une voix forte :
- Donnez-moi un bidon d'essence et un briquet ! Je vais me suicider par le feu !
Personne ne bougea dans la foule mi-voyeuse mi-rigolarde. Certains hommes la filmaient avec leur téléphone portable. D'autres regardaient, comme fascinés.
Entre deux discours de plus en plus incohérents, Tawina ne cessait pas de crier le nom de l'industriel, sous les applaudissements du public, amusé par cette femme nue et visiblement folle, mais encore belle malgré ses cheveux emmêlés et raides de crasse.
Trois policiers en uniforme apparurent, la maîtrisèrent et la traînèrent vers un fourgon. Elle les insulta, les griffa et les mordit, encouragée par une partie de la foule.
Tawina se retrouva à l'hôpital d'Ulthar, où un médecin l'examina rapidement et conclut qu'elle était irrémédiablement folle.
Une infirmière assez âgée prit le médecin à part :
- Docteur, c'est juste une clocharde qui fait une crise. Si la ville n'était pas en situation de quasi-faillite, les services sociaux la prendraient en charge, ils lui trouveraient un lit dans un foyer. Elle irait mieux avec un repas chaud, même sans traitement.
- Je le sais bien. Mais vous ne trouvez pas qu'on a de plus en plus d'indésirables à Ulthar ? Les Hyltendaliens nous refilent leurs indésirables. Ils ont acheté des logements chez nous, ils y installent leurs chômeurs avec un pécule, et basta, merci du cadeau. En échange, ils nous prennent nos handicapés et nos vieillards invalides. Cette femme ne pourra jamais travailler, c'est évident, mais elle est encore trop jeune pour partir dans une maison de retraite à Hyltendale. Pour moi, c'est une invalide, parce qu'elle ne peut pas travailler. Elle ne s'est pas retrouvée clocharde par hasard. Je considère donc que sa place est à Hyltendale. Qu'en pensez-vous ?
- Vu comme ça, évidemment...
- Je suis médecin, bien sûr, mais je suis avant tout un Ultharien. On a assez de cas sociaux comme ça, à Ulthar. Chaque fois qu'on peut en envoyer quelques-uns à Hyltendale, il ne faut pas laisser passer l'occasion.
Les infirmières de l'hôpital avaient peur de toucher Tawina, à cause des poux et de la gale, dont presque toutes les clochardes étaient atteintes. Elles lui firent avaler une bonne dose de calmants, et l'enfermèrent dans une chambre jusqu'au lendemain.
Tawina, assommée par les calmants et le désespoir, dormit presque vingt-quatre heures sur une paillasse, ne se réveillant que pour manger et faire ses besoins.
Le lendemain, uniquement vêtue d'une robe de chambre et d'une paire de chaussons donnés par une infirmière, elle se retrouva dans la cour de l'hôpital, avec trois hommes dont elle devina qu'ils étaient dans la même situation qu'elle.
Tawina n'avait pas de bagages, contrairement aux hommes qui avaient chacun une petite valise. L'un d'eux était écrivain, et ferait un jour le récit de ce qui était en train de lui arriver, mais Tawina ne pouvait pas le savoir.
Tawina et ses compagnons montèrent dans un minibus, qui partit vers le sud. Le chauffeur était assisté par un infirmier chargé de veiller à ce que tout se passe bien. Les passagers avaient été bourrés de calmants avant le départ, et normalement ils resteraient tranquilles jusqu'à Hyltendale.
Les calmants avaient été surdosés, et Tawina sombra dans le sommeil. Elle n'en sortit que deux heures plus tard.
Le minibus était dans un hangar. Deux grands klelwaks vêtus de blouses bleues soulevèrent Tawina par les aisselles et la firent assoir dans un fauteuil de toile, auquel ils l'attachèrent.
Elle entendit la voix du chauffeur du minibus, comme à travers un brouillard :
- Je vais aller bouffer dans un snack et ensuite je repars.
Le fauteuil était muni de roues et relié par une tige métallique à un vélo. Tawina vit l'un des klelwaks monter sur le vélo et démarrer. Elle s'accrocha aux bras du fauteuil.
Tawina, attachée au fauteuil-vélo, vit qu'il faisait beau dehors, le soleil brillait. Elle se retrouva ensuite dans une sorte de hall. Quatre gynoïdes en blouse blanche l'emmenèrent dans une salle de bain au sol carrelé. Elles la déshabillèrent de force, lui firent une piqûre qui lui enleva toute son énergie, lui rasèrent le crâne et tous les poils du corps, et vaporisèrent de l'insecticide sur sa peau, en évitant soigneusement son visage. Ensuite elles l'aspergèrent d'eau savonneuse, puis d'eau pure, la frictionnèrent avec une serviette de bain, et la vêtirent d'une blouse grise. Elles lui rendirent les chaussons qui lui avaient été donnés à Ulthar.
Ce n'est que le soir que Tawina se rendit réellement compte de ce qui lui était arrivé. Elle était dans un dortoir avec une dizaine d'autres femmes. À côté de son lit, elle avait une petite armoire, avec une demi-douzaine de blouses grises, une trousse de toilette, et un livre de poche intitulé Les Dithyrambes de Yog-Sothoth. Était-ce délibéré ? Tawina était issue d'une famille d'adorateurs de Yog-Sothoth.
Il n'y avait rien d'autre dans l'armoire. Tawina prit le livre. Il était écrit à la main. Quelqu'un s'était amusé à recopier le texte sacré, long de plusieurs centaines de pages, dans un gros carnet.
Sans savoir pourquoi, Tawina trouva cela profondément inquiétant. Elle demanda à sa voisine de lit ce qu'il en était. La femme lui répondit que l'hôpital avait un atelier de calligraphie. Les malades s'entraînaient à bien écrire en recopiant des livres religieux.
Tawina pleura en touchant son crâne rasé.
"Ça repousse" lui dit sa voisine de lit, dont les cheveux étaient longs. "Il faut que je t'explique comment ça se passe ici. C'est un hôpital psychiatrique d'Hyltendale. Moi je ne suis pas folle. Comme la moitié des femmes d'ici, je suis une rebelle. J'ai été capturée à la fin des Événements. Normalement, la rébellion armée contre le roi, c'est la peine de mort. Mais comme beaucoup j'ai juste été considérée comme folle et envoyée ici. J'en sortirai dans un an si je joue bien la comédie, dans quelques années sinon. Voire jamais. Mais je veux sortir. Si tu veux sortir aussi, il faut jouer la comédie. Je m'appelle Liberta. Et toi ?"
- Tawina. Dis donc, j'ai vu des blouses dans mon armoire, mais pas de sous-vêtements. Comment ça se fait ?
- Il n'y en a pas. On est comme les klelwaks ici, on n'a rien sous la blouse. Il n'y a pas de tenue d'hiver non plus. Quand il fait froid, on ne va pas dehors. C'est ça, la vie dans un hôpital psychiatrique d'Hyltendale.
- Au fait, qu'est-ce que tu appelles, "jouer la comédie" ?
- Il faut faire la gentille. Obéir. Jouer la soumission. Se faire oublier. Il y a des ateliers pour les malades dans l'hôpital. Calligraphie, couture, peinture, bricolage, théâtre... Il y a même un atelier pour le ménage. C'est bien vu de se porter volontaire pour un atelier. À l'atelier de calligraphie, les filles recopient des livres de religion, qui sont donnés aux nouvelles arrivantes. À l'atelier de couture, elles font des blouses et des chaussons. Sinon, c'est l'atelier de production électrique. Là-bas, les filles pédalent plusieurs heures par jour, pour produire de l'électricité. C'est juste un truc pour les occuper, bien sûr. Mais c'est fatigant. En tout cas, ça les maintient en bonne forme physique.
Tawina se retrouva presque immédiatement plongée dans la routine de la vie à l'hôpital. La sonnerie du matin. Se lever, faire son lit. La douche. Le petit-déjeuner au réfectoire. La distribution des médicaments, pour celles qui en avaient besoin. Le travail en atelier. Retour au réfectoire, pour le déjeuner. La sieste obligatoire, au dortoir. Le travail de l'après-midi. De nouveau au réfectoire, mais pour le dîner. La soirée dans la salle de télévision ou à la bibliothèque, où il était possible de feuilleter de vieux magazines et de discuter tranquillement. Ensuite, le retour au dortoir, et l'extinction des lumières. Tous les jours étaient absolument identiques, même les dimanches.
Tawina choisit l'atelier de calligraphie, mais elle ne tarda pas à se disputer avec les klelwaks en blouse bleue qui encadraient l'atelier, et de plus elle écrivait mal. Elle se retrouva à l'atelier de production électrique, à pédaler toute la journée. Ou plutôt, à faire semblant de pédaler. La plupart des femmes de l'atelier passaient plus de temps allongées sur les matelas de repos que sur les vélos.
L'ambiance dans l'atelier était assez détendue. Chaque klelwak portait sur sa blouse un badge à son nom, généralement incompréhensible, comme Tirusos ou Yerejes. Certaines femmes avaient pris l'habitude d'étreindre leur klelwak favori pendant les pauses. Ceux-ci, ou plutôt le cybercerveau qui les contrôlait, jouaient le jeu. Tawina se rendit compte que pour beaucoup de ses compagnes, être dans les bras d'un klelwak pendant quelques minutes faisait partie des attentes de la journée. Les klelwaks étaient asexués, mais ils étaient grands et ils avaient des voix d'hommes. Certaines vraies malades s'accrochaient désespérément aux klelwaks, qui prenaient leur mal en patience.
Tawina se disait que ce serait agréable de séduire un klelwak, et ensuite de le frapper et de l'humilier, comme elle avait frappé et humilié Yohannès, à une époque qui lui semblait maintenant aussi lointaine qu'une vie antérieure. Mais quelque chose en elle lui disait que ce n'était pas possible.
L'hôpital était gigantesque. Il avait des cours intérieures, où les malades pouvaient aller se détendre pendant les pauses. Mais il était impossible d'en sortir. Le personnel était constitué d'infirmières gynoïdes en blouse blanche et de grands klelwaks en blouse bleue. Les malades portaient des blouses grises. Tawina ne vit jamais un seul homme parmi les malades. Ils devaient être dans une autre partie de l'hôpital.
Tawina avait essayé de trouver la sortie, en vain. Liberta avait essayé avant elle, et avait conclu qu'il fallait prendre l'un des ascenseurs pour sortir, sinon de l'hôpital lui-même, du moins de la section où elles étaient enfermées. Les ascenseurs ne s'ouvraient qu'à la demande d'une gynoïde ou d'un klelwak, sans doute en réponse à un signal radio. C'était sans espoir. Les fenêtres donnaient toutes sur des cours intérieures, de forme carrée, ornées d'arbustes en pots.
La discipline était stricte. Toute insolence, tout refus d'obéissance, était puni par l'enfermement dans une petite salle obscure, aux murs matelassés. L'enfermement durait plusieurs heures, voire plusieurs jours, sans boisson et sans nourriture, les bras serrés dans une camisole de force.
Tawina fut condamnée deux fois à l'enfermement avec camisole par l'infirmière-chef, qui n'était qu'une gynoïde comme les autres. La privation sensorielle était terrible. Le silence, l'obscurité, et à peine la sensation de son propre corps. Au bout de quelques heures, l'angoisse avait commencé à la submerger, et ensuite les hallucinations avaient commencé. L'impression que des rats, des serpents et des insectes traversaient la cellule devant elle ou lui rampaient sur le corps. Elle avait hurlé et pleuré, en vain. Lorsqu'elle était sortie de la cellule, à chaque fois elle avait eu ensuite de grosses difficultés à se concentrer sur ses activités quotidiennes.
Pour Tawina, comme pour les autres femmes, le moment le plus important de la journée était la séance de télévision, après le dîner. La vie à l'hôpital était en trois couleurs : le blanc des murs, des plafonds, des draps et des blouses d'infirmières, le gris des blouses des malades, des objets métalliques et du béton des planchers, le bleu des blouses des klelwaks. Le reste, les aliments par exemple, ou les arbustes dans les cours, avaient d'autres couleurs, mais elles ne comptaient pas, ou fort peu. Tawina s'était surprise à contempler longuement le vert des arbustes, à travers une fenêtre, ou à s'extasier sur le rouge d'une tranche de tomate, au réfectoire. La télévision était une ouverture sur le monde extérieur, que Tawina avait l'impression de comprendre de moins en moins, et qui était comme un grand rêve coloré et plein de mouvement.
Les téléviseurs de l'hôpital ne donnaient jamais d'information, ils diffusaient seulement de vieilles séries télévisées, de vieux films et de vieux documentaires. Certains films étrangers datant du siècle précédent avaient été doublés par Lester Hastat, dont la voix est devenue celle de tous les klelwaks et androïdes. C'était amusant d'entendre un acteur humain parler avec la voix des klelwaks.
Liberta avait prévenu Tawina que cette absence d'information était difficile à vivre, au moins au début. Aucune malade n'avait de contacts avec sa famille, ni aucune visite. Les contacts avec l'extérieur étaient gérés par la direction de l'hôpital. L'explication donnée était que pour guérir les malades, il fallait les couper totalement de leur ancien environnement.
Il y avait certainement un médecin-signataire pour superviser le travail des infirmières, mais les malades ne le voyaient jamais, même pas à leur arrivée. Les examens médicaux étaient faits par les gynoïdes infirmières. Tawina passait un examen médical tous les mois. Il se limitait à prendre son poids, sa tension, et à lui poser quelques questions de routine.
"Je ne suis pas folle, laissez-moi sortir d'ici. Je veux voir un médecin !" disait à chaque fois Tawina à l'infirmière, qui était presque toujours la nommée Ihtemrena, vu le nom écrit sur son badge.
Ihtemrena ne répondait jamais. Une fois, Tawina, furieuse, la prit par les épaules et se mit à la secouer. La gynoïde sortit un petit vaporisateur d'une poche de sa blouse, plus vite qu'un être humain n'aurait pu le faire, et aspergea le visage de Tawina de gaz lacrymogène.
Tawina cria et pleura, momentanément aveuglée.
"Sortez tout de suite !" dit la gynoïde. "Vous voyez, vous êtes folle !"
Tawina alla à tâtons vers la porte, et sortit dans le couloir. Elle retourna au dortoir comme elle put, et changea de blouse. L'ancienne sentirait le gaz lacrymogène pendant des jours. Elle la mit dans le bac à linge sale. Chaque blouse à l'hôpital portait le numéro matricule de la malade à qui elle avait été attribuée. Une fois lavée par l'atelier de blanchisserie, la blouse lui reviendrait propre et sèche.
Tawina pleura de chagrin lorsque Liberta fut mystérieusement déclarée guérie et autorisée à quitter l'hôpital, après deux ans d'internement.
Deux klelwaks escortèrent Liberta hors de la section des femmes, jusqu'à un petit bureau qui donnait sur un hall. Un androïde en uniforme bleu de vigile lui rendit un grand carton contenant ses vêtements civils et ses affaires personnelles, et l'invita à signer un registre.
Liberta s'attendait à voir enfin, au moins en sortant, un médecin, mais ce ne fut même pas le cas. L'androïde lui donna un certificat médical daté de la veille, attestant, en termes prudents, qu'elle n'était atteinte, au jour de l'examen, d'aucune maladie mentale détectée nécessitant son internement. Le certificat médical portait un nom inconnu : docteur E. Guroïwo.
"J'ai donc été examinée par un médecin..." dit prudemment Liberta.
"Nos médecins aiment se déguiser en infirmières" répondit l'androïde. "Voulez-vous vous changer dans la pièce à côté, et nous rendre la blouse et les chaussons, si vous ne voulez plus les porter ?
Liberta se vêtit d'une robe, car elle ne savait plus comment porter un pantalon. Quelques minutes plus tard, elle traversa le hall, en portant avec difficulté le sac de voyage contenant ses affaires, et se retrouva dans la rue, devant le portail. C'était comme d'être projeté dans un film. Des voitures, des gens vêtus de toutes les façons possibles, mais sans blouses. Elle eut peur de tomber, d'avoir le vertige. Elle s'adossa au mur de béton de l'hôpital, comme s'il pouvait la protéger.
Des gens de sa famille étaient là, souriants. Son frère, le seul qui n'avait pas été tué pendant les Événements, était venu avec sa femme et ses enfants. Des cousins et cousines, également. Elle reconnaissait les visages mais avait oublié certains noms. Des larmes coulèrent sur ses joues. | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Sam 18 Avr 2015 - 19:48 | |
| Tawina était internée à l'hôpital Lagovat-Kwo, anciennement Hôpital Psychiatrique d'Hyltendale, qui avait changé de nom après la construction de deux autres hôpitaux psychiatriques. Lagovat et Kwo étaient deux médecins de l'armée royale, morts pendant les Événements. La vie s'écoulait, monotone, et Tawina, comme les autres malades de la section femmes, finit par perdre la notion du temps. Le seul livre qu'elle avait à sa disposition, Les Dithyrambes de Yog-Sothoth, placé dans son armoire à son arrivée, ne l'intéressait pas, et elle n'avait rien d'autre à lire. Elle n'avait rien pour écrire non plus. Tout semblait conçu pour la dépersonnaliser.
Un jour, une délégation de médecins venus de Sarnath visita le Lagovat-Kwo, sur ordre du roi. Ils proposèrent de séparer les lits des dortoirs par des rideaux, pour donner un semblant d'intimité aux malades, ce qui fut fait dans la semaine. Ce fut le seul résultat concret de leur visite. Ils jetèrent un coup d'œil sur les dossiers médicaux des malades internés, hommes et femmes, et ne trouvèrent rien à y redire. Comme le docteur Emilia Guroïwo, responsable de la section femmes, le leur fit remarquer, tous les malades étaient inaptes à la vie en société, mais tant qu'ils étaient pris en charge par le Lagovat-Kwo ils ne coûtaient rien au royaume.
Les malades avaient, pour la plupart, des amis et de la famille à l'extérieur. Même Tawina. Son frère, Antwen Zeno, après avoir eu pendant des années des nouvelles toujours positives, mais indirectes, de Tawina par la direction de l'hôpital, demanda à s'entretenir avec elle.
La direction de l'hôpital refusa. Antwen Zeno n'avait même pas de preuve que sa sœur était toujours vivante, à part des photos, que l'hôpital lui avait fait parvenir par courrier électronique, où on la voyait faire de la bicyclette statique dans l'atelier de production électrique, les jambes nues sous sa blouse et les cheveux coupés courts.
Antwen, qui habitait à Ulthar, fit un procès à l'hôpital Lagovat-Kwo, pour séquestration. La direction de l'hôpital, pour prouver l'absence de séquestration, autorisa le frère et la sœur à se rencontrer dans un bureau de l'hôpital, pour une durée maximale d'une heure, à condition qu'Antwen vienne seul.
Ce dernier refusa les conditions, et obtint d'être accompagné d'un avocat. Il s'adressa au cabinet Natoga, le moins cher d'Hyltendale. Un avocat ultharien lui aurait fait payer une fortune en frais de déplacement. Narda Glok, qui avait été l'avocate de Tawina à Ulthar, mais qui depuis avait été embauchée à Hyltendale par Natoga, demanda à être chargée du dossier.
C'est ainsi qu'Antwen Zeno, le frère de Tawina, un brave homme robuste qui n'avait aucun des défauts de sa sœur, et l'avocate Narda Glok, se rendirent au Lagovat-Kwo pour y rencontrer Tawina, qu'ils n'avaient pas vue depuis des années.
"J'ai mauvaise conscience vis-à-vis de ma sœur" dit Antwen à Narda. "Je l'ai hébergée une fois, lorsqu'elle s'est retrouvée à la rue, et elle a été tellement insupportable que ma femme m'a menacé de divorcer si Tawina restait chez nous un jour de plus. Furieuse, Tawina est partie avec les bijoux de ma femme. Mais c'était il y a plusieurs années. Ma femme commence à comprendre que Tawina n'était pas responsable de ses actes."
"Elle me doit toujours deux mille ducats d'honoraires," dit Narda en souriant, "mais j'ai passé cet argent par pertes et profits."
Le bus les déposa devant l'hôpital, qui occupait la surface de plusieurs pâtés de maisons et qui, avec le haut mur de béton gris qui l'entourait, ressemblait à une prison.
Antwen et Narda se présentèrent à l'accueil. Un grand klelwak en blouse bleue les emmena à travers un dédale de couloirs et d'ascenseurs jusqu'à une petite salle de réunion uniquement meublée d'une grande table ronde et d'une dizaine de chaises. Les deux fenêtres étaient munies de barreaux.
"Je dois rester présent lors de l'entrevue" dit le klelwak.
Ils s'assirent tous les trois autour de la table, silencieux. Narda sortit un classeur de sa sacoche et relit les quelques documents qu'elle y avait mis. Antwen regardait tristement les murs jaunâtres. La pièce était froide et sentait le renfermé.
Une infirmière gynoïde en blouse blanche entra dans la pièce, suivie de Tawina en blouse grise et chaussons usés.
Un badge sur la blouse de la gynoïde indiquait son nom : Ihtemrena.
Antwen et Narda se levèrent. Tawina reconnut son frère et se précipita dans ses bras en pleurant. Submergé par l'émotion, Antwen se mit à pleurer lui aussi.
Le klelwak et Ihtemrena restaient imperturbables, en bons humanoïdes qu'ils étaient. Narda se sentit gênée.
"Tu es venu me chercher ?" demanda Tawina à son frère.
"Oui, si c'est possible," répondit-il la gorge serrée.
"L'entrevue ne doit pas durer plus d'une heure, et elle se fait en présence du personnel de l'hôpital" dit Ihtemrena.
Antwen et sa sœur s'assirent à la table, l'un à côté de l'autre. Narda décida de se rassoir elle aussi.
"Je veux repartir avec ma sœur" dit Antwen d'une voix rauque.
Ihtemrena n'était pas de cet avis :
- Pouvez-vous vous engager par écrit, sur vos biens, à prendre votre sœur en charge chez vous à Ulthar ?
- J'aimerais bien, mais ma femme ne voudra jamais.
Ihtemrena ne se laissa pas attendrir :
- Monsieur Zeno, Hyltendale a un accord avec la ville d'Ulthar. Les Ulthariens acceptent nos chômeurs, et en échange nous prenons en charge leurs vieillards et leurs invalides. Votre sœur est invalide, elle est psychologiquement incapable de vivre en société. La direction de cet hôpital n'a pas autorité pour enfreindre un accord signé par les chefs de la communauté.
- Madame, ma sœur pourrait travailler.
- Vous avez une offre d'emploi pour elle ?
- Pas actuellement. Vous connaissez la situation à Ulthar...
- Monsieur Zeno, vous nous demandez de laisser votre sœur repartir à Ulthar, sans travail et sans logement ? Sachant qu'elle est inemployable et que personne ne voudra l'héberger ?
Narda se dit qu'elle devait intervenir, elle ne pouvait pas laisser Antwen, qui était son client, se faire humilier par la gynoïde :
- C'est un problème de droit. Le royaume de Mnar est régi par le droit. Un hôpital ne peut pas séquestrer quelqu'un qui est responsable de ses actes, qui a une intelligence normale et qui n'est pas dangereux pour autrui.
- Maître Glok, le docteur Guroïwo signe régulièrement des certificats médicaux qui confirment que Tawina Zeno doit être internée. L'hôpital Lagovat-Kwo dispose d'un service juridique. Tout ce que nous faisons est conforme à la loi, nos juristes sont formels sur ce point.
Narda ne fut pas surprise que la gynoïde, qu'elle n'avait jamais vue, connaisse son nom et sa profession. Ce qu'un humanoïde sait, tous les humanoïdes le savent, car leurs cerveaux sont connectés par radio.
Tawina avait reconnu son ancienne avocate. Un espoir immense monta en elle, mais ce que disait Ihtemrena n'était pas très encourageant.
"Mais alors, ma sœur va rester ici ?" demanda Antwen, qui ne se donnait plus la peine d'essuyer ses larmes.
Ihtemrena lui répondit d'une voix ralentie :
- C'est la meilleure solution, surtout pour elle.
- Mais laissez-là au moins sortir dans la journée ! Qu'elle puisse marcher dans les rues, voir des gens ! Vivre, respirer !
- Les malades doivent être protégés. Les médecins savent ce qu'ils font. Nous ne voulons pas de fugues, pas d'incidents dans les bars. Nous protégeons nos malades.
Tawina hurla :
- Non ! Je ne veux pas ! Je veux partir d'ici ! Antwen, emmène-moi !
Antwen sanglotait pour de bon. Il prit sa sœur dans ses bras, et tous deux mêlèrent leurs larmes, sous les regards indifférents du klelwak et d'Ihtemrena.
Narda, incapable d'en supporter davantage, se leva et sortit de la pièce. Le couloir donnait sur des bureaux, qui semblaient vides. Des locaux d'archives, sans doute. À une extrémité, un ascenseur.
Elle entendit la voix du klelwak, derrière elle :
- Maître Glok, revenez dans la salle.
Elle obéit à regret.
Antwen avait apporté un sac contenant des cadeaux pour sa sœur : de la nourriture et des vêtements. Il le lui remit.
"Tawina pourra garder les vêtements" dit Ihtemrena, "l'atelier de couture va coudre son matricule dessus. Mais la nourriture devra être partagée, c'est le règlement."
Lorsque l'heure prévue se fut écoulée, Tawina prit son frère dans ses bras et refusa de s'en séparer. Les larmes recommencèrent.
Ihtemrena s'adressa à Tawina de sa voix tranquille, que rien ne semblait jamais perturber :
- Tawina, vous reverrez votre frère, il pourra revenir. Mais une désobéissance grave comme celle que vous êtes en train de commettre, c'est deux jours de camisole dans le noir. Si vous avez oublié cette expérience, vous allez la revivre.
Tawina ferma les yeux. "Je vais obéir" dit-elle d'une toute petite voix.
"Mais c'est de la torture !" s'exclama Narda. "Je vais le signaler à la Justice !"
Ihtemrena lui répondit sans se troubler :
- L'isolement sensoriel temporaire fait partie des soins prévus par la médecine psychiatrique hyltendalienne. Nos juristes le disent, et les juges sont d'accord. Vous préféreriez peut-être qu'on la bourre de neuroleptiques, qui abîment le cerveau ?
- La privation sensorielle est une souffrance, et la souffrance blesse le cerveau.
Ihtemrena ne répondit pas.
Narda préféra ne pas insister. Son employeur, le cabinet Natoga, appartenait à une cyborg, Nata Ranwen. Son supérieur direct, Branden Fornari, était aussi un cyborg. Elle était une employée humaine des cybersophontes, et elle ne l'oubliait jamais.
Si l'enfermement dans le noir était interdit dans le royaume de Mnar, les humanoïdes du Lagovat-Kwo utiliseraient des sédatifs. Le résultat serait le même, avec en prime un abrutissement accéléré du malade.
La tête basse, Tawina suivit la gynoïde en direction de l'ascenseur, le sac contenant ses cadeaux à la main.
Antwen et Narda restèrent dans la salle de réunion avec le klelwak. Il était très grand, avec des bras épais qui descendaient jusqu'à ses genoux.
"Qu'est-ce qu'on attend pour partir ?" demanda Antwen au klelwak.
- Encore trente secondes... Ils ont pris l'ascenseur... On peut y aller.
Antwen et Narda suivirent le klelwak dans le couloir. La porte de l'ascenseur s'ouvrit devant eux. Deux minutes plus tard, ils étaient dans la rue. Antwen laissa Narda prendre l'autobus :
"Je préfère marcher" lui dit-il. | |
| | | Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 19 Avr 2015 - 16:57 | |
| Même si le sort de Tawina Zeno me laisse complètement indifférent, je reconnais bien là l'hypocrisie et la dureté de certains médecins psychiatres.
Les psychiatres qui "soignent" dans les quelques deux ou trois prisons B aneuviennes spécialisées dans le confinement des prisonniers (de grands criminels, ne l'oublions pas) ne s'embarrassent pas ce ce genre de fioritures, ce sont des geôliers plus que des médecins et ils le savent : certains d'ailleurs n'ont plus le droit d'exercer dans le circuit courant (car radiés de l'Ordre pour faute grave) ou bien ont perdu leur clientèle ou ont été renvoyés de là où ils étaient à cause de leur incompétence notable. En fait, l'exercice en prison B est pour eux aussi une sanction. Seule consolation : eux en sortent tous les jours. S'ils n'ont pas le droit de supprimer activement leurs patients, ils s'ingénient quand même (car ils sont psychopathes, et eux savent clairement ce que c'est !) à les faire sortir plus ou moins à l'état de légume défraîchi. _________________ - Pœr æse qua stane:
Pour ceux qui restent.
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| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 19 Avr 2015 - 23:34 | |
| - Anoev a écrit:
- S'ils n'ont pas le droit de supprimer activement leurs patients, ils s'ingénient quand même (car ils sont psychopathes, et eux savent clairement ce que c'est !) à les faire sortir plus ou moins à l'état de légume défraîchi.
Dans le royaume de Mnar, ils se retrouveraient donc pris en charge, à leur sortie de prison, comme invalides psychologiques dans la section hommes du Lagovat-Kwo ou d'un des deux autres hôpitaux psychiatriques de la ville. Leurs pulsions violentes y seraient neutralisées, en cas de besoin, à coup de neuroleptiques. Voire, pour les cas extrêmes, par l'isolement permanent dans une cellule matelassée. Le système hyltendalien est quand même relativement humain, car Tawina Zeno, qui, si elle était en liberté, mourrait de faim dans les rues d'Ulthar (sans compter toutes les bêtises qu'elle ferait), est logée, nourrie, et relativement bien traitée au Lagovat-Kwo. À l'atelier de production électrique, on ne lui demande que de faire semblant de travailler, et elle a même droit à des câlins (pas trop longs quand même) avec les klelwaks ! Les klelwaks, c'est pas George Clooney, mais pour des femmes plutôt mal dans leur tête, c'est l'équivalent affectif d'un chat ou d'un ours en peluche. Il y a une prison à Hyltendale, mais elle est petite (c'est une annexe du Palais de Justice), car le taux de criminalité est très faible pour une ville de cette importance. Et cela, pour une raison simple : la moitié des habitants d'Hyltendale sont des humanoïdes. L'autre moitié est surtout composée de fembotniks, d'invalides et de grands vieillards. Ce n'est pas parmi eux que l'on trouve des délinquants... Les incidents sont surtout causés par des touristes venus en groupe voir de près les gynoïdes de charme, et qui, l'alcool aidant, et profitant du fait qu'ils sont loin de chez eux, font n'importe quoi, notamment dans les hôtels où ils sont hébergés : vols, dégradations, etc. Certains, aussi, viennent à Hyltendale pour vendre de la drogue aux autres touristes. C'est une très mauvaise idée, surtout après les Événements, qui ont durablement traumatisé la population et lui ont fait perdre toute indulgence envers les fauteurs de trouble. La prison d'Hyltendale a beau être petite, c'est embêtant d'y rester longtemps... Les criminels hyltendaliens condamnés à de longues peines de prison sont envoyés à Ulthar ou à Khem pour y purger leur peine, ces deux villes disposant chacune de l'équivalent d'une prison centrale (c'est-à-dire d'une prison pour criminels condamnés à de longues peines de prison). À Hyltendale, les récidivistes incorrigibles (5% des délinquants, mais qui commettent jusqu'à 80% des infractions) sont parfois considérés comme des malades mentaux, et soignés gratuitement dans la section hommes du Lagovat-Kwo... à vie. Pour une raison très simple : au final, ça revient moins cher à la société que de les laisser voler, violer, agresser, tuer, etc, en liberté, sachant que ce genre de personnage ne produit rien mais consomme autant qu'un autre. En comptant, bien sûr, les salaires des travailleurs (payés par le reste de la société) dont le rôle consiste, finalement, à limiter les dégâts causés par les délinquants : policiers, magistrats, travailleurs sociaux, vigiles, gardiens de prison, avocats, etc. Plus le travail des serruriers, assureurs, médecins, éducateurs, etc, qui réparent, ou essaient de réparer, les dégâts causés par la délinquance. Quand tout est pris est compte, les internements en psychiatrie, avec des humanoïdes comme personnel hospitalier, reviennent moins chers. Les médecins cyborgs appliquent sans état d'âme la politique recommandée par les cybercerveaux. Les médecins humains d'Hyltendale dépendent indirectement des cybercerveaux pour leur emploi, et savent de quel côté la tartine est beurrée. Le gouvernement royal s'intéresse (un peu) au citoyen moyen, dans la mesure où il paye ses impôts et est fidèle au roi. Il n'a que faire des délinquants (sauf quand ce sont des fils de bonne famille), et il se soucie encore moins, parmi la minorité de la population qui est délinquante, du sort des 5% qui sont d'incorrigibles récidivistes... | |
| | | Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 19 Avr 2015 - 23:48 | |
| Le problème (du moins à ce que j'en ai lu) c'est qu'il (le Pouvoir Royal) semble considérer les opposants politiques comme des délinquants*. Comme en Syrie ? - Citation :
- ...mais pour des femmes plutôt mal dans leur tête, c'est l'équivalent affectif d'un chat ou d'un ours en peluche.
Et pour les hommes en mal d'affection, ont-ils droit à une klelwaque qu'ils pourraient caresser gentiment ? En Aneuf, il y a une différence essentielle entre les récidivistes de délits et les criminels récidivistes (les agressions sur personnes en défense limitée (enfants, personnes âgées, handicapées, malades...), les agressions à main armée et le trafic de drogues hautement toxiques et d'armes sont également considérées comme des crimes). Les délinquants qui en sont à leur deuxième délit font un stage en prison A où un personnel constitué de formateurs et de psychologues (des normaux, ceux-c) tâchent de comprendre le pourquoi de leur rechute et les aident à réintégrer la société. Un pourcentage variable (le plus faible possible) replonge dans la débine, les autres se trouvent une situation, certes pas très enrichissante, mais vivent dignement et ont droit à l'oubli. Par contre, comme j'ai dit, la prison B, ce n'est (en principe°), pas pour réparer, mais pour détruire ; raison pour laquelle ces cas d'emprisonnement ne sont infligés qu'en tout dernier ressort. * Sauf erreur (souhaitable) de ma part, mais je crains ne pas m'tromper.° On ne mélange pas délinquants et criminels dans les prisons aneuviennes. Toutefois, certains primo-criminels devant séjourner en prison A sont restés 48 heures dans une cellule d'isolement et en sortaient vraiment traumatisés, avec un message : « En cas de récidive, c'est minimum trois ans dans les mêmes conditions »._________________ - Pœr æse qua stane:
Pour ceux qui restent.
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| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 20 Avr 2015 - 1:04 | |
| - Anoev a écrit:
- Le problème (du moins à ce que j'en ai lu) c'est qu'il (le Pouvoir Royal) semble considérer les opposants politiques comme des délinquants*.
Au Mnar, pas vraiment, tout dépend comment on définit le mot opposant. Il y a des élections locales et nationales, comme au Maroc (où le chef du gouvernement est le chef du parti ou de la coalition qui gagne les élections). Les problèmes du Mnar viennent plutôt de la répartition très inégale des richesses, non seulement entre les classes sociales mais aussi entre les communautés ethno-religieuses. Les adorateurs de Nath-Horthath sont 20% de la population, mais concentrent 80% de la richesse et la plupart des postes de la haute administration. Traditionnellement, les officiers de l'armée et les cadres de la police sont des adorateurs de Nath-Horthath. Les adorateurs de Yog-Sothoth, c'est 70% de la population et 15% de la richesse nationale. Les provinces où les adorateurs de Nath-Horthath sont majoritaires, comme Sarnath (la capitale) sont aussi les plus riches. Ulthar et Khem, avec leurs fortes majorités d'adorateurs de Yog-Sothoth, sont relativement pauvres, mais on y trouve, malgré tout, beaucoup de gens aisés, comme Yohannès Ken avant qu'il épouse Tawina. Le découpage électoral favorise les adorateurs de Nath-Horthath, et les adorateurs de Yog-Sothoth sont divisés entre modérés (en gros, les gens aisés, plutôt favorables au roi) et extrémistes (les plus pauvres, partisans d'un changement de régime, voire d'une théocratie). Yohannès Ken, Lorenk, etc, font partie des modérés, comme la plupart des fembotniks, qui ne sont jamais réellement pauvres (sinon, ils ne pourraient pas louer une gynoïde à temps plein). Bien qu'étant (théoriquement) adorateurs de Yog-Sothoth, ils soutiennent le roi, car les extrémistes (également appelés théocrates de Yog-Sothoth) leur font peur. Hyltendale est une ville à majorité Yog-Sothoth mais qui vote pour les modérés. Les partis extrémistes sont pourchassés par la PSR (la redoutable Police Secrète du Roi) comme ennemis de l'État et de la religion : le roi étant le représentant de Nath-Horthath dans le royaume, vouloir le détrôner est sacrilège et blasphématoire, donc théoriquement passible de la peine de mort. Il n'y a plus pas de Femens au Mnar. Ni de Charlie Hebdo. 10% de la population sont constitués de minorités diverses (adorateurs de Tsathoggua et de Nyarlathotep, habitants du plateau de Leng dans le grand nord, etc) qui représentent 5% de la richesse nationale. En général, ils soutiennent la monarchie, à regret, car ils savent qu'ils n'ont rien de bon à attendre des extrémistes de Yog-Sothoth. Les athées et agnostiques sont considérés comme faisant toujours partie de la communauté ethno-religieuse de leurs parents. Les mariages inter-religieux existent, mais ils sont mal vus. Les enfants sont considérés comme faisant partie de la communauté du père. Le premier ministre est un adorateur de Yog-Sothoth, chef d'un parti modéré qui a su nouer des liens avec les adorateurs de Nath-Horthath. Sa politique consiste à soutenir sa base, notamment en favorisant les investissements dans les régions pauvres du royaume, mais sans heurter de front les adorateurs de Nath-Horthath, qui ne veulent rien changer au statu quo. Les extrémistes de Yog-Sothoth ont fourni le gros des troupes des rebelles pendant les Événements. Ils ont été pourchassés sans pitié, comme on l'imagine. Les plus chanceux, comme Liberta (la voisine de lit de Tawina au Lagovat-Kwo), s'en sont sortis avec quelques années d'hôpital psychiatrique. Le royaume de Mnar, quand on regarde les chiffres, n'est pas plus inégalitaire que les États-Unis. Le premier ministre (issu de la communauté des adorateurs de Yog-Sothoth) pense qu'en améliorant le sort des plus pauvres et en permettant aux adorateurs de Yog-Sothoth (comme, par exemple, lui-même et ses partisans) d'accepter à des postes élevés, il sera possible d'éviter de nouvelles explosions de violence. Les cybersophontes n'ont pas d'âme, et donc ne sont pas considérés comme des êtres humains (sauf les cyborgs, assez peu nombreux). Ils sont fidèles au roi, pour diverses raisons, mais surtout parce qu'ils savent que les extrémistes de Yog-Sothoth les considèrent comme des créatures démoniaques. Depuis la fin des Événements, tous les politiciens adorateurs de Yog-Sothoth sont des modérés. Les extrémistes sont, au choix, morts, en fuite, en prison, internés au Lagovat-Kwo, ou repentis. Parmi ces derniers, beaucoup ont dénoncé à la PSR leurs anciens compagnons pour obtenir le pardon royal. - Anoev a écrit:
- Et pour les hommes en mal d'affection, ont-ils droit à une klelwaque qu'ils pourraient caresser gentiment ?
Une gynoïde, plutôt, et c'est une récompense rare. Les cybersophontes connaissent le principe "diviser pour régner". | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 20 Avr 2015 - 16:20 | |
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Dernière édition par . le Mer 30 Déc 2020 - 0:24, édité 1 fois |
| | | Mardikhouran
Messages : 4314 Date d'inscription : 26/02/2013 Localisation : Elsàss
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 20 Avr 2015 - 17:53 | |
| - Pomme de Terre a écrit:
- Vilko a écrit:
- Anoev a écrit:
- Et pour les hommes en mal d'affection, ont-ils droit à une klelwaque qu'ils pourraient caresser gentiment ?
Une gynoïde, plutôt. Tiens du coup ça me fait poser une question: tu parles des fembotniks, et précise parfois "ou manbotchicks pour les femmes", mais n'y a-t-il pas de fembotchicks et de manbotniks à Hyltendale ? Et de manière plus générale quelle est la place des homosexuels dans cette ville et dans le royaume ? Vilko a mentionné le club Antinoüs, des fembotniks avec des humanoïdes à l'apparence d'éphèbe, et a précisé qu'il sont tolérés à Hyltendale alors qu'ils ne pourraient jamais se comporter de la sorte dans le reste du royaume. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 20 Avr 2015 - 17:58 | |
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Dernière édition par od² le Jeu 18 Juin 2015 - 7:39, édité 1 fois |
| | | Mardikhouran
Messages : 4314 Date d'inscription : 26/02/2013 Localisation : Elsàss
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 20 Avr 2015 - 18:26 | |
| Je pensais plus à l'institution grecque de la pédérastie. On n'a pas encore vu de vrais "manbotniks", mais si quelque chose tel que le club Antinoüs peut exister, alors une variante plus politiquement correcte le peut aussi. | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Lun 20 Avr 2015 - 18:57 | |
| Le Club Antinoüs regroupe tous les fembotniks (et manbotchicks) dont la sexualité est considérée comme "hors norme" dans le royaume de Mnar : - Vilko a écrit:
- Des hommes, pour la plupart d'âge mûr, dont certains étaient déguisés en femmes, riant et minaudant. Il y avait des androïdes avec eux, avec des physiques d'athlètes ou d'adolescents, vêtus comme de jeunes aristocrates ou des guerriers barbares.
Tous les fembotniks homosexuels n'adhèrent pas au Club Antinoüs, mais dans un pays où la tolérance dépend de la bonne volonté du gouvernement, il est préférable de se regrouper dans un club, afin de pouvoir s'entraider en cas de besoin. Certains adhérents du Club Antinoüs ne sont pas des fembotniks ou des manbotchicks, mais des homosexuels vivant seuls ou en couple. Officiellement, le Club Antinoüs est une association d'amateurs d'art. Un club ouvertement homosexuel pourrait en effet tomber sous le coup des lois réprimant l'incitation à la débauche. Mais revenons à des scènes de la vie quotidienne à Hyltendale... ---------------------- Antwen marcha une demi-heure jusqu'à son hôtel, à travers les rues tranquilles de l'est d'Hyltendale. Il traversa le hall, demanda sa clé à l'androïde réceptionniste en uniforme rouge, et prit l'ascenseur jusqu'à sa chambre. Il avait loué deux chambres au même étage, lorsqu'il espérait pouvoir faire sortir Tawina du Lagovat-Kwo. Sous le coup d'une impulsion, il téléphona à Yohannès Ken. Il s'était toujours bien entendu avec son beau-frère, qui avait habité dans la même rue que lui à Ulthar. Antwen avait été horrifié quand Tawina avait commencé à battre son mari, à le tromper et à imiter sa signature sur des documents bancaires. Une fois, Antwen avait emmené Yohannès à l'hôpital dans sa voiture, après que Tawina lui ait cassé plusieurs côtes à coups de pieds. Le vieux numéro de téléphone portable de Yohannès était toujours bon. Antwen raconta à son ex-beau-frère comment il avait pu rencontrer Tawina au Lagovat-Kwo, et comment il avait échoué à la faire sortir. "Je reconnais bien là ton bon cœur. Qu'est-ce que tu as prévu de faire maintenant ?" demanda Yohannès. - Rien. Je suis à l'hôtel juste pour cette nuit. Demain matin je repars pour Ulthar. Je suis venu en train ce matin, parce que je n'ai plus de voiture depuis les Événements. Entre la discussion dans le bureau de l'avocate et la visite à l'hôpital, je n'ai eu ni le temps ni l'envie de faire du tourisme. J'espérais faire sortir Tawina de l'hôpital aujourd'hui, ou au moins demain. Mais c'est raté, et j'ai bien compris que ça ne servirait à rien de faire un procès. Yohannès se dit, en son for intérieur, que grâce à des gens trop gentils comme Antwen, et comme lui-même autrefois, les scélérats des deux sexes, dont Tawina était un exemple presque caricatural, arrivent à faire leur chemin dans la vie, malgré le mal qu'ils font autour d'eux. Les loups comme Tawina s'engraissent grâce aux moutons comme Antwen et Yohannès. "Si tu avais réussi à repartir avec Tawina, comment aurait-elle gagné sa vie par la suite ?" demanda Yohannès. - Je ne sais pas... Si elle est vraiment malade mentale, j'aurais sans doute pu lui faire obtenir une pension d'invalidité... À Hyltendale, puisqu'il y a un accord entre Ulthar et Hyltendale à ce sujet. Et je sais qu'à Hyltendale les invalides sont logés gratuitement. - Sauf que les cybersophontes ont préféré l'interner pour ne pas avoir d'ennuis avec elle. Dis-mois, Antwen, est-elle vraiment malheureuse là où elle est ? - Surement, puisqu'elle veut partir. Elle est privée de liberté, comme une criminelle. - On en discutera, si tu veux. Ça te dirait de dîner avec moi ce soir ? Shonia sera là, bien sûr. Un coup de vélo, et on est à ton hôtel dans la demi-heure. À Hyltendale, il y a toujours un parking à vélo dans le coin. - Ce sera avec joie. À tout à l'heure ! Une demi-heure plus tard, Yohannès et son beau-frère se revirent pour la première fois depuis des années, dans le hall de l'hôtel. Antwen n'avait jamais rencontré Shonia, et il eut un choc en voyant que c'était une gynoïde. On aurait dit la sœur jumelle d'Ihtemrena, l'infirmière du Lagovat-Kwo. Même petite taille, et même visage presque tsans nez et sans lèvres. Mais alors qu'Ihtemrena avait des cheveux noirs qui lui faisaient comme un casque autour de la tête, ceux de Shonia étaient longs et blancs. Les traits du visage de Shonia étaient également différents de ceux d'Ihtemrena, comme si un peintre avait peint deux visages différents sur le même masque. La voix, en revanche, était exactement la même, c'était toujours celle de l'actrice Rita Wemnaith. Et les yeux aussi, deux ovoïdes opaques, communs à tous les humanoïdes. "Shonia est ma gouvernante," dit Yohannès. "Mais pas seulement. Elle est aussi mon assistante. Ma secrétaire, également." Shonia et Antwen se serrèrent la main. Celle de la gynoïde était froide, sèche et toute molle, comme s'il n'y avait pas d'os sous la peau, mais la pression était ferme. Yohannès portait un costume noir et une chemise jaune à col ouvert, ce qui était une tenue passe-partout aussi bien à Ulthar qu'à Hyltendale. Shonia portait un ensemble veste-pantalon beige sur un chemisier noir boutonné jusqu'au cou, et un petit sac à main rouge en bandoulière. Avec ses longs cheveux blancs flottant sur ses épaules, elle ressemblait à ces femmes actives, marquées par les années mais encore branchées, que l'on rencontre dans les grandes villes du royaume de Mnar. Antwen ne savait pas si Shona était une gynoïde ou un cyborg, certains cyborgs féminins ayant des corps de gynoïdes. N'étant pas hyltendalien, il ne savait pas que lorsqu'un humanoïde (klelwak, androïde ou gynoïde) est présenté à quelqu'un, ou se présente lui-même, seul son prénom est mentionné. Éventuellement, son matricule. À Hyltendale, les humanoïdes n'ont qu'un prénom, souvent sans étymologie évidente, comme Shonia, Ihtemrena ou Tirusos, et un matricule. Par contre, les cyborgs sont des êtres humains, et à ce titre ils ont à la fois un prénom et un nom de famille. Lorsqu'un Hyltendalien présente un cyborg à quelqu'un, il indique toujours son nom de famille, pour bien montrer que c'est un être humain à part entière. Mais Antwen ne connaissait pas cet usage, et il resta dans le doute toute la soirée au sujet de Shonia, ne sachant pas si c'était un robot ou un être humain. Le restaurant de l'hôtel se trouvait au premier étage. La clientèle était constituée des visiteurs habituels d'Hyltendale : des touristes, des familles venues voir un proche hospitalisé ou hébergé dans un foyer, et quelques voyageurs de commerce. Parmi les touristes, les hommes prédominaient. On entendait les échos de tous les accents et de toutes les langues du royaume, et aussi de quelques langues parlées dans les empires lointains au-delà des frontières. Le service était effectué par des androïdes en tablier blanc, chemise blanche et nœud papillon noir. Les Hyltendaliens, qui n'ont pas de culture distincte, aiment s'approprier ce qu'il y a de mieux dans la culture de l'élite internationale. Les murs étaient ornés de lourdes draperies qui assourdissaient les sons, transformant le bruit des conversations en un plaisant murmure, qui est aux restaurants ce que le bruit des vagues est à l'océan. Shonia commanda un menu spécial humanoïdes, composé de plusieurs liquides transparents parfumés au citron, à la bergamotte et à la cannelle, servis dans autant de contenants différents : petit verre à alcool, bol de porcelaine épaisse, tasse de céramique noire... Pour boire le liquide de son bol, elle utilisait une tige d'aluminium, aplatie et légèrement concave à une extrémité, qui lui servait de cuillère. Pour sa part, Antwen commanda un poisson grillé, un produit local qui lui remonta le moral autant que le vin de lune offert par Yohannès, qui se flattait d'être un connaisseur. Antwen mangea lentement une bouchée de son plat de poisson, et but d'un air concentré une gorgée de vin de lune. Sa dégustation terminée, il écarquilla les yeux et hocha la tête d'un air appréciateur : - Je suis surpris mais... Yohannès, tu as raison. Le vin de cette cuvée est léger, avec un tanin rond et souple, et il a été servi frais, exactement comme le recommandent les meilleurs sommeliers. Pourtant, la chair du poisson contient des protéines différentes de celles de la viande. Celles du poisson ne supportent pas les tanins des vins rouges. En effet, au contact de la chair du poisson, les tanins du vin se resserrent et s'affermissent. Il faut donc un vin rouge dépouillé de la plupart de ses tanins. Le temps fait son oeuvre, en patinant le vin et le tanin. Ce vin de lune vieux de dix ans, dont le tanin s'est arrondi et assoupli, est exactement ce qu'il faut pour accompagner un poisson grillé. Yohannès approuva : - Lorsqu'on choisit du vin rouge, comme le vin de lune, pour accompagner un plat de poisson, il faut toujours choisir un vin vieux de plus de dix ans. Le poisson est un mets normalement très fin, à la chair, tendre, délicate. Ses accompagnements, et par là j'entends la sauce, toujours légère, et le vin, mettent en valeur la tendreté du mets. Ce vieux vin de lune est délicat, tendre et fin. Si il y a bien un cépage à inviter à ce repas, c'est lui. - Certes, Yohannès. Sa silhouette est toute en longueur. Sa verve finale et son impulsion rehaussent le plat. Sa longueur tendue accompagnera de sa douceur cet excellent poisson. La conversation continua ainsi, à la fois érudite et plaisante, pendant quelques minutes. Mais Antwen recommença à penser à Tawina, qui devait être en ce moment même en train de manger une nourriture bien moins raffinée, et la tristesse l'envahit de nouveau. Shonia ne disait presque rien. Parfois, Yohannès l'interrogeait du regard, et elle lui donnait l'information qu'il cherchait, que ce soit les fluctuations des prix du vin jaune de Baharna pendant les cinq dernières années ou un détail technique concernant l'influence de la température ambiante sur le vieillissement du tanin. C'était la première fois qu'Antwen voyait à l'œuvre, concrètement, ce que l'on appelle la conscience collective des cybersophontes, l'information circulant par radio de cerveau cybernétique à cerveau cybernétique. Yohannès était d'humeur diserte : - Hyltendale a une âme, quoi qu'on en dise. Les aliénés du Lagovat-Kwo peignent des tableaux pleins de force et de sincérité... Ceux de l'atelier de peinture de la section hommes sont d'ailleurs plus appréciés que ceux de la section femmes. Ces aliénés, de ce fait, on acquis une petite notoriété en tant que peintres dans le style Art Brut. Oublions un moment l'École d'Hyltendale, dont les tableaux n'ont de valeur qu'au musée Locsap. Les gynoïdes de charme de Zodonie sont les meilleures amantes que la Terre ait porté. Et le vin de lune est surprenant de diversité... Chaque coteau, chaque cépage est différent... Antwen, le visage rougi par l'alcool, était d'accord avec son ancien beau-frère : - J'habite à Ulthar, mais je sais qu'Hyltendale est célèbre dans le monde entier pour la qualité des soins médicaux qu'on y trouve. L'hôpital Madeico est une institution renommée. Zodonie aussi est connue partout, pour d'autres raisons. Ce n'est pas pour rien que le symbole d'Hyltendale est le rubis. J'ai lu que dans les temps légendaires, des marchands enturbannés venaient en vendre dans l'antique Dylath-Leen, qui était bâtie à l'emplacement même de la moderne Hyltendale. Ces marchands originaires de Leng, dont on disait que leurs turbans dissimulaient des cornes de démons, venaient dans des galères dont on ne voyait jamais les rameurs. Dans une auberge, qui depuis a été reconstruite à l'identique, l'un d'eux a fait boire du vin de lune à Randolph Carter, dans une bouteille taillée dans un rubis. Comme disent les poètes et les publicitaires, Hyltendale est un rubis taillé, posé sur la côte méridionale du royaume de Mnar. Le repas se poursuivit ainsi, jusqu'à une heure avancée. Ensuite, après les salutations d'usage, Antwen regagna sa chambre comme à travers un brouillard et s'endormit tout habillé sur son lit. Le lendemain, il se réveilla avec un fort mal de tête, trop tard pour prendre le premier train, et n'arriva à Ulthar que dans l'après-midi. Yohannès, qui n'avait pas l'habitude de boire autant d'alcool, aurait été incapable de retrouver son chemin sans Shonia. Il s'assit lourdement dans le fauteuil à roues, et s'assoupit malgré la fraîcheur nocturne, pendant que Shonia pédalait lentement dans les rues tranquilles, à la lueur des réverbères. La ville était presque silencieuse, car il y a peu de vie nocturne à Hyltendale, sauf à Zodonie. Shonia secoua Yohannès lorsqu'ils furent arrivés devant leur immeuble : - Yohannès, aide-moi à détacher le fauteuil du vélo. J'ai la clé du cadenas, ne la cherche pas. Ensuite, il faudra plier le fauteuil et le vélo, et les monter jusqu'à l'appartement. Ce petit travail simple leur prit du temps, car Shonia fut obligée de tout faire. Elle monta d'abord le vélo, et ensuite le fauteuil, jusqu'au studio où ils habitaient, au premier étage. Elle redescendit une deuxième fois pour aider Yohannès, qui s'était assis par terre sur la pelouse entourant l'immeuble, à monter l'escalier. Elle l'allongea sur le lit et lui enleva ses chaussures. Elle alla dans les toilettes régurgiter l'eau parfumée qu'elle avait absorbée pendant le repas. Les gynoïdes ne peuvent que faire semblant de manger et de boire. Ce qu'elles absorbent doit ensuite être rejeté. D'où l'intérêt pour les gynoïdes de n'avaler, lorsque c'est possible, que des aliments liquides. Puis elle se coucha sur le lit, et elle mit dans sa bouche l'extrémité d'un câble électrique. Un tentacule entra en contact avec l'embout du câble. L'électricité jaillit du câble et remonta, par le tentacule, jusqu'aux batteries de la gynoïde. Elles seraient rechargées en quelques heures, avant que Yohannès ne se réveille.
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| | | Vilko
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| Sujet: Re: Les fembotniks Sam 25 Avr 2015 - 20:12 | |
| Une fois par mois, Antwen Zeno allait voir sa sœur Tawina à l'hôpital psychiatrique Lagovat-Kwo. Il partait tôt le matin d'Ulthat où il habitait, et prenait le train jusqu'à Hyltendale, où l'attendait son ex beau-frère Yohannès Ken et la compagne de celui-ci, la gynoïde Shonia. Le midi, ils déjeunaient tous les trois au Cercle Paropien. Ensuite, Antwen se rendait seul à l'hôpital, où il pouvait s'entretenir pendant une heure avec Tawina, dans une petite salle meublée d'une table et de quelques chaises. Il en profitait toujours pour remettre quelques cadeaux à sa sœur : des magazines, de la nourriture, parfois des vêtements. Les boissons alcoolisées et les objets contenant du métal étaient interdits. L'argent et les bijoux étaient enlevés aux malades pour être rangés dans un coffre-fort.
Antwen et Tawina n'étaient jamais seuls dans la pièce à la fenêtre munie de barreaux. Il y avait toujours un klelwak avec eux, un grand type complètement chauve, à la peau verte, avec des yeux ovoïdes entièrement noirs. Son nez était une simple bosse avec des narines factices, sa bouche une fente étroite et sans lèvres. Il était vêtu d'une blouse bleue usée et rapiécée, sur laquelle était cousue une étiquette indiquant son nom : Tirusos.
Le klelwak parlait très peu, et pouvait rester une heure entière assis, immobile et silencieux. Avec le temps, Antwen avait remarqué quelques particularités physiques déconcertantes de Tirusos. D'abord, la longueur anormale de ses bras. Lorsqu'il était debout, il pouvait toucher ses genoux du bout de ses doigts dépourvus d'ongles, sans se pencher. Il n'avait pas d'oreilles apparentes, et pourtant il avait l'ouïe fine. Ses membres étaient de gros tubes cylindriques, qui se pliaient comme les bras et les jambes des humains, malgré l'absence apparente d'articulations. Ses pieds nus étaient rectangulaires, dépourvus d'orteils, et couturés de ce qui ressemblait à de fines cicatrices. La plante de ses pieds était épaisse et grise.
Lorsque Tirusos parlait, sa bouche s'ouvrait et se fermait au rythme de ses paroles, mais il semblait n'avoir ni langue ni dents. Sa voix un peu lente variait parfois en vitesse et en volume, mais gardait toujours le même ton.
Antwen avait fini par considérer Tirusos comme un hybride entre un ordinateur et un animal. Il n'en avait pas peur, mais il faisait quand même attention. Au Lagovat-Kwo, il est impossible de sortir sans passer par un ascenseur, mais les portes d'ascenseurs ne s'ouvrent que devant les humanoïdes. Il était arrivé une fois à Antwen de rêver qu'il était au Lagovat-Kwo. Dans son rêve, pour une raison inconnue, il était pris pour un malade, et incapable de sortir de l'hôpital. Bloqué devant des ascenseurs dont les portes ne s'ouvraient pas, ou dont la cabine refusait de bouger, il errait sans fin dans le labyrinthe des couloirs de l'immense bâtiment. Il s'était réveillé brutalement, un peu ébahi d'être chez lui, à Ulthar.
Tawina n'hésitait pas à toucher Tirusos, et même, par jeu, à se blottir dans ses bras, ce qui choquait Antwen. La peau grossière du klelwak était sèche et sans odeur, ou plutôt elle avait absorbé l'odeur du Lagovat-Kwo, un mélange très particulier de dissolvant, de poussière et de sueur humaine. L'odeur imprégnait même les vêtements et les cheveux de Tawina.
Lorsque l'entretien prenait fin, une infirmière gynoïde en blouse blanche venait chercher Tawina, et Tirusos raccompagnait Antwen jusqu'à la sortie, en passant par un ascenseur. Le klelwak était courtois, et comme tous ses semblables il parlait avec la voix du défunt acteur Lester Hastat, dont la diction parfaite avait fait la renommée au siècle précédent. La plupart du temps Antwen ne disait rien, car il trouvait absurde de discuter avec un robot, et Tirusos ne parlait que lorsque c'était absolument nécessaire.
Dans le hall, Tirusos disait solennellement à Antwen :
- Au revoir, Monsieur.
Et Antwen répondait :
- Au revoir, Tirusos.
À Hyltendale, on dit Monsieur à un androïde et Madame à une gynoïde, mais ce serait un peu ridicule de dire Monsieur à un klelwak. Au début, Antwen disait "Au revoir, klelwak". Puis, comme il avait remarqué que sa sœur appelait le klelwak par son nom, il avait décidé d'en faire autant.
Mais ils ne se serraient pas la main. Entre humanoïdes et humains, ce n'est pas l'usage. Penquom, le beau-frère de Yohannès, faisait la bise à Shonia, mais c'était parce que la gynoïde faisant pratiquement partie de la famille.
Antwen, au cours de ses déjeuners mensuels avec Yohannès et Shonia, avait appris comment distinguer une gynoïde ou un androïde d'un cyborg.
Il y a, en premier lieu, le fait qu'un humanoïde, que ce soit une gynoïde ou un androïde, a seulement un prénom, souvent assez peu courant, et un matricule. Tandis qu'un cyborg a un prénom et un nom. Mais lorsqu'on rencontre un cyborg, on ne connaît pas nécessairement son nom.
Il y aussi le fait qu'un humanoïde parle toujours la langue commune littéraire, telle qu'elle était parlée par les aristocrates de Sarnath il y a cinquante ans. Il ne fait jamais de fautes de syntaxe. Lorsqu'il parle argot, c'est le signe qu'il joue un rôle. Tandis que bien souvent un cyborg aura un accent. Cet accent pourra être populaire ou aristocratique, régional ou même étranger. Toutefois, ce critère n'est pas parfait, car beaucoup de cyborgs sont des gens cultivés qui parlent sans accent particulier.
Un troisième indice sera le port, ou non, d'un symbole religieux. Un humanoïde ne porte JAMAIS de signe religieux, car il n'a pas d'âme. Beaucoup de croyants considèrent comme un blasphème le fait qu'un robot sans âme arbore un signe religieux. Peu de cyborgs exhibent leur religion en public. Au moins la moitié d'entre eux sont athées ou agnostiques, même si aux yeux de la loi ils restent sectateurs de Nath-Horthath ou de Yog-Sothoth. Dans une ville comme Hyltendale, où cohabitent plusieurs religions différentes, avec des relations parfois tendues, la plupart des gens préfèrent éviter d'embarrasser ou de provoquer leurs interlocuteurs.
Le seul critère absolu, c'est de demander. Un humanoïde ne mentira jamais sur sa nature d'humanoïde. Mais un cyborg, qui est un être humain, pourra se sentir offensé par la question. Il est tout aussi discourtois de demander directement à quelqu'un son nom complet, à moins d'être un policier effectuant un contrôle d'identité. On dira donc :
"Je m'appelle Albert Dugenou. À qui ai-je l'honneur ?"
Un cyborg répondra en donnant son prénom et son nom : "Je m'appelle Branden Fornari." Un humanoïde donnera son prénom et son matricule : "Je suis Arthur 4-626-125."
Ces subtilités ne sont pas toujours connues en dehors d'Hyltendale, d'autant plus que l'expression "à qui ai-je l'honneur" est devenue archaïque dans le reste du royaume. | |
| | | Vilko
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| Sujet: Re: Les fembotniks Dim 26 Avr 2015 - 15:14 | |
| Les rumeurs naissent facilement. Il suffit de lire celle-ci, concernant l'aéroport de Denver, aux États-Unis. Il y a même des vidéos. Alors, dans une ville comme Hyltendale où l'on trouve des êtres aussi étranges que des cyborgs, des klelwaks, des androïdes et des gynoïdes, on peut s'attendre à ce que les imaginations s'en donnent à cœur joie... -------------------------------------------------
L'hôpital Lagovat-Kwo est un gros rectangle de béton d'environ deux kilomètres de pourtour. Il est entouré par un mur sans fenêtres de cinq mètres de haut, dont les seules ouvertures sur l'extérieur sont quelques portes et portails, tous gardés par des klelwaks vêtus de blouses bleues, non armés, mais ayant à leur disposition des bâtons et des arbalètes.
La direction de l'hôpital était consciente que l'aspect extérieur de l'établissement était peu engageant. C'est pourquoi elle décida de faire peindre le mur extérieur. Après quelques débats, il fut décidé de peindre sur le mur des milliers de personnages, tous différents, mais de taille humaine, dans un style réaliste, avec quelques restrictions, inévitables au royaume de Mnar : les peintures ne devaient offenser ni les bonnes mœurs, ni la religion, ni la monarchie, et aucun personnage vivant ne devait être peint sans son consentement écrit.
La cyborg Mantazaëlle, une employée de l'hôpital Madeico, fut chargée de superviser l'opération. Mantazaëlle est boiteuse et son visage a été horriblement défiguré par les pillards qui l'ont torturée pendant les Événements. Elle a un œil humain et un œil cybernétique, de longs cheveux noirs, et elle parle avec l'accent de Khem. Elle est presque toujours vêtue d'une grande robe bleue. Malgré son aspect effrayant, Mantazaëlle est très populaire au Madeico, pour sa compassion et parce qu'elle ne s'est jamais compromise avec le pouvoir monarchique. Son mari et ses deux fils, partisans des rebelles, ont disparu pendant les Événements.
Pour peindre le mur, Mantazaëlle mit à contribution les ateliers de peinture de l'hôpital. Les malades acceptèrent avec enthousiasme, heureux de ce changement dans leur routine. Comme ce n'était pas suffisant, Mantazaëlle demanda aussi, par l'intermédiaire de leurs clubs, aux fembotniks et manbotchicks qui avaient la peinture comme hobby de participer bénévolement aux travaux. Des collégiens furent aussi invités à participer, sous le contrôle de leurs professeurs de dessin. À certains moments, plusieurs centaines de personnes travaillaient en même temps à transformer en œuvre d'art une enceinte de deux kilomètres de périmètre.
Le travail dura plusieurs mois. Au final, le mur fut décoré d'une foule de personnages à taille humaine. Des hommes, des femmes, des enfants et des humanoïdes, dans l'infinie variété des habitants du royaume de Mnar et de toutes les nations du monde. Certains étaient habillés à la mode de notre époque, d'autres comme à l'époque légendaire. Les rois d'autrefois voisinaient avec des passants ordinaires et des héros de bande dessinée. De petits nuages blancs et des montgolfières miniatures, de couleurs vives, ornaient la partie supérieure du mur.
Les cybersophontes publièrent un livre intitulé Le Mur du Lagovat-Kwo. Chaque artiste, même simple collégien, y était nommé et son travail décrit et commenté. Le livre comptait dix volumes de trois cent pages chacun.
Antwen Zeno, qui allait au Lagovat-Kwo voir Tawina tous les mois, vit l'avancement et l'achèvement de l'ouvrage. Il dut reconnaître qu'ainsi, l'hôpital perdait en partie son aspect carcéral. Par curiosité, il fit le tour du mur. Vingt minutes de marche, avec à sa gauche les personnages peints. Certains marchaient dans sa direction, d'autres le croisaient, d'autres encore le regardaient, et chaque visage était unique, avec une expression différente. À la longue, ça devenait gênant. Antwen avait l'impression de lire des pensées dans les regards qui croisaient le sien avec insolence : "Qu'est-ce que tu fais-là, toi ?" et "Je te connais mieux que tu ne le crois" étaient celles qui revenaient le plus souvent.
Les malades de l'hôpital avaient largement contribué à la fresque, et sur certains visages particulièrement étranges, voire hideux, cela se voyait.
Il vint à l'esprit d'Antwen que, selon certaines légendes, les damnés sont obligés de parcourir le monde sans jamais s'arrêter, pour l'éternité. En faisant le tour de l'hôpital, avait-il vu des milliers de damnés ? Et la cyborg Mantazaëlle, qui avait tout supervisé, avait l'apparence que les Wards donnent à la déesse de la mort... D'ailleurs, elle avait choisi son nom en hommage à cette déesse...
Antwen apprit par la suite qu'il n'était pas le seul à avoir pensé aux damnés en regardant le mur. La rumeur enfla, devint légende urbaine. Un fembotnik un peu farceur nommé Hector Philas s'en empara et écrivit un livre qu'il intitula Le Mur des Damnés, dans lequel il expliquait que le Lagovat-Kwo était un avant-poste de l'enfer, une base avancée d'Azathoth le dieu du chaos. Certains prêtres de Yog-Sothoth dénoncèrent le mur du Lagovat-Kwo comme une œuvre impie, maléfique et blasphématoire, et firent circuler une pétition demandant la destruction de la fresque.
Les cyborgs de l'Adria Nelson avaient été, au début, très satisfaits de la polémique, car elle faisait de la publicité à Hyltendale. Lorsque les prêtres de Yog-Sothoth s'en mêlèrent, les cyborgs se rendirent compte que la plaisanterie allait trop loin. La pétition, qui circulait depuis plusieurs semaines, était déjà devenue dans l'esprit de beaucoup d'Hyltendaliens un défi au roi et une expression de défiance envers les cybersophontes.
Les cyborgs envisagèrent de faire une contre-pétition, puis y renoncèrent lorsque la polémique retomba, la pétition anti-fresque n'ayant recueilli que très peu de signatures. En effet, beaucoup de gens détestaient le clergé de Yog-Sothoth et étaient très contents de vivre à Hyltendale, la ville des gynoïdes de charme. Presque tout le monde avait besoin des cybersophontes, pour une raison ou pour une autre. Les membres du Club Antinoüs, en particulier, voyaient déjà poindre ce qu'ils craignaient par-dessus tout : une république théocratique où ils n'auraient pas leur place.
Il ne resta de cette tempête dans un verre d'eau qu'une rumeur persistante, selon laquelle la peinture murale qui entoure le Lagovat-Kwo représente des damnés contraints à marcher éternellement. Cette rumeur s'est répandue dans tout le royaume de Mnar, et même au-delà de ses frontières. Elle en a engendré une deuxième, selon laquelle l'exécution de la peinture murale aurait été un don rituel, un sacrifice à Mantazael, la déesse ward de la mort.
Beaucoup de touristes, venus à Hyltendale pour faire connaissance avec les gynoïdes de charme de Zodonie, font un détour par le Lagovat-Kwo et sa fresque démoniaque, en se disant que, derrière les murs sans fenêtres de ce bâtiment gigantesque, des milliers d'êtres humains, internés en tant que malades mentaux, sont torturés et violés par des adorateurs des dieux-démons décrits dans les vieilles légendes. Un frisson les traverse alors, et ils prennent le bâtiment en photo, avant de s'éloigner prudemment.
Dans son livre, Hector Philas conseille de faire le tour du Lagovat-Kwo plusieurs fois de suite en priant, pour expier ses péchés. Il semble qu'il ait été écouté, car il n'est pas rare de voir des gens marcher pendant des heures autour de l'hôpital en marmonnant des prières, jusqu'à tomber d'épuisement.
L'épouse d'Antwen, qui croyait au surnaturel, demanda à son mari :
- Est-ce que tu crois que Tawina est violée et torturée par des adorateurs des démons, au Lagovat-Kwo ?
- Non. Au contraire, elle m'a paru avoir de l'affection pour le klelwak qui assiste à nos entretiens, un nommé Tirusos. Parfois, elle se frotte contre lui. Elle a toujours été fantasque...
- Ah, tu vois ! Les femmes du Lagovat-Kwo s'accouplent avec des klelwaks dans des orgies diaboliques ! C'est donc vrai ce qu'on raconte !
- Mais je n'ai pas dit ça...
Dernière édition par Vilko le Dim 10 Mai 2015 - 12:37, édité 1 fois | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Mar 28 Avr 2015 - 14:48 | |
| Hyltendale est une ville où l'on trouve beaucoup d'hôpitaux, de cliniques et de maisons de retraite, et aussi la plus grande prison du pays, Tatanow, construite au nord-est d'Hyltendale juste après les Évènements. Ce fut une époque où la colère était dans les esprits. La justice royale envoya en prison, souvent pour le restant de leur vie, plusieurs dizaines de milliers de rebelles vaincus, de pillards, de violeurs et d'assassins. Le souvenir des Évènements était encore brûlant dans les mémoires, et les juges sans pitié. Plus tard, lorsque les esprits furent apaisés et l'ordre revenu de façon durable, la justice redevint plus indulgente, et beaucoup, qui avaient été condamnés à la prison à vie, se retrouvèrent en liberté après moins de dix ans de prison.
Les cybersophontes acceptèrent la proposition royale de prendre en charge les condamnés au même titre que les invalides et les malades mentaux. Cette décision leur coûtait de l'argent, mais finalement elle renforçait encore leur position. Car si le roi décidait un jour d'expulser les cybersophontes d'Hyltendale, ces derniers laisseraient à sa charge plusieurs centaines de milliers d'invalides, de handicapés, de malades mentaux, de vieillards grabataires et de criminels endurcis. Une catastrophe sociale qui obligerait le gouvernement à augmenter considérablement les impôts du jour au lendemain.
Les cyborgs, parlant au nom de tous les cybersophontes, obtinrent du Premier Ministre quelques concessions. En premier lieu, les prisonniers ne devaient pas disposer de permissions de sortie, car, dans l'esprit des cyborgs, cela aurait été l'équivalent de relâcher des milliers de fauves dans les rues. Les prisonniers seraient amenés à Tatanow sous escorte motorisée, et, à la fin de leur peine, ils seraient ramenés, également sous escorte motorisée, à Ulthar ou à Khem.
La prison de Tatanow est, comme l'hôpital Lagovat-Kwo, un rectangle d'un kilomètre de long sur cinq cent mètres de large, entouré par un mur d'enceinte de cinq mètres de haut. Tout comme celui qui entoure le Lagovat-Kwo, le mur de Tatanow est décoré d'une fresque, afin d'en atténuer le caractère rébarbatif. Mais alors que la peinture murale du Lagovat-Kwo est une œuvre d'art gigantesque, celle de Tatanow est une copie calligraphiée des Manuscrits Pnakotiques, dont un exemplaire était conservé dans un temple d'Ulthar pendant les temps légendaires. Le mur d'enceinte de Tatanow a d'abord été peint en blanc, et ensuite le texte des Manuscrits a été copié en lettres géantes noires, afin d'être facilement lu par les passants. Les illustrations figurant sur les Manuscrits n'ont pas été reproduites.
Comme on pouvait s'y attendre, l'initiative a été critiquée, car les Manuscrits Pnakotiques, qui selon la légende sont plus anciens que l'humanité, font certes partie du patrimoine culturel du royaume de Mnar, mais sont rejetés par toutes les religions modernes. Toutefois, le texte peint sur le mur de Tatanow est dans la langue originelle des Manuscrits, incompréhensible pour les Hyltendaliens de notre époque, sauf pour quelques universitaires spécialisés. Certaines parties des Manuscrits sont d'ailleurs écrites dans une langue tellement archaïque que personne n'a pu la déchiffrer. Les chefs religieux hyltendaliens se contentèrent de publier un communiqué commun regrettant qu'un texte aussi discrédité ait été choisi pour orner un bâtiment public.
Les touristes qui ont envie de comprendre ce qui est écrit sur le mur de Tatanow peuvent acheter la Traduction Juxtalinéaire des Manuscrits Pnakotiques, par Jerry Quodhing, rééditée en format livre de poche à Hyltendale. Le même auteur a écrit un deuxième livre intitulé Les Manuscrits Pnakotiques Expliqués Aux Profanes, également disponible en format livre de poche.
Tatanow a plusieurs portails, qui sont gardés comme les portails de toutes les prisons du monde, avec cette différence que les gardes sont des klelwaks de haute taille, vêtus de blouses bleues. Ils sont armés non pas d'armes à feu (interdites aux humanoïdes) mais de sabres et d'arbalètes.
Le personnel de la prison de Tatanow est entièrement composé de klelwaks, sauf le directeur et ses deux adjoints, qui sont des cyborgs, et le médecin-chef, qui est un humain. Les prisonniers sont hébergés dans de petites cellules individuelles, et n'ont droit qu'à une seule activité : la production d'électricité dans des ateliers, au moyen de bicyclettes statiques. C'est pour eux la seule occasion d'échanger quelques paroles avec un autre être humain. Les repas sont servis sur des plateaux dans les cellules. Les visites sont autorisées, mais il ne peut guère en être autrement, car elles sont prévues par le règlement général des prisons royales, qui s'applique dans tout le royaume.
Ces visites amènent à Hyltendale beaucoup de gens qui, autrement, n'auraient jamais eu l'idée de s'y rendre. Les neuf dixièmes des prisonniers sont des hommes, mais la majorité des visiteurs sont des femmes. Elles sont mères, sœurs, épouses, fiancées et filles de prisonniers. Les visiteurs logent dans les hôtels bon marché du nord-est d'Hyltendale. Les hôtels du sud de la ville, où se trouvent le port et les plages, et ceux de l'ouest, où se trouvent Zodonie, la mairie et la gare, sont beaucoup plus chers.
Ces hôtels bon marché accueillent aussi des gens venus voir un parent malade ou invalide, hébergé dans l'un des hôpitaux, comme le Madeico ou le Lagovat-Kwo, ou dans une maison de retraite. On y trouve aussi des touristes, surtout des hommes qui préfèrent économiser un maximum sur l'hébergement afin de pouvoir dépenser davantage avec les gynoïdes de charme de Zodonie.
La cohabitation de gens aussi différents dans les mêmes hôtels n'est pas sans causer, parfois, quelques incidents. Toutefois, les humanoïdes disposent d'une mémoire collective, et refusent les clients qui ont déjà posé des problèmes. Certaines personnes se retrouvent ainsi, de fait, interdites de séjour à Hyltendale. Il leur arrive de contourner cette difficulté en dormant dans la gare ou dans une voiture, mais cette "solution" très inconfortable n'est guère praticable plus d'une nuit à la fois. Le camping sauvage dans les parcs et jardins publics est puni d'une amende.
Yaneki, fils aîné de Basilea et Penquom, et donc neveu de Yohannès, apprit à ses dépens qu'il vaut mieux être prudent dans les hôtels d'Hyltendale. Il avait dix-neuf ans, et il était encore étudiant. À l'insu de ses parents, il était venu en train à Hyltendale pour visiter Zodonie, où il avait prévu de rester quelques jours et de dépenser joyeusement une partie de l'argent qu'il avait gagné en travaillant pendant les vacances universitaires.
Au bar de l'hôtel, il avait discuté avec d'autres touristes, des hommes d'affaires venus de Lomar, qui s'inquiétaient de la montée du taux d'incarcération dans le royaume.
"Tant que la proportion de taulards par rapport à l'ensemble de la population reste en-dessous de celle des États-Unis, ça peut aller" avait dit l'un d'eux.
"Ce n'est pas un modèle, un quart des taulards dans le monde sont dans des prisons américaines, alors que les Américains ne sont que cinq pour cent de la population mondiale... Et ici dans le royaume de Mnar, on se rapproche du taux d'incarcération de l'Iran, c'est pas rien non plus !" avait dit un autre.
- Qu'est-ce que tu veux, ici c'est le Mnar, pas le Moschtein...
Une jeune femme qui disait s'appeler Zeltha était au milieu des hommes, en train de boire un verre. Elle était un peu plus âgée que Yaneki, avec un visage pâle et fatigué, aux traits fins, et un regard triste. Voyant que Yaneki était disposé à l'écouter, elle lui avait raconté une partie de sa vie :
- Le père de mon enfant a pris dix ans de prison pour vol à main armée, il lui reste huit ans à faire à Tatanow. J'ai confié mon fils à ma mère et je suis venue à Hyltendale pour une visite d'une heure à Tatanow. Vous vous rendez compte, le train, l'hôtel, tout ça, ça fait cher pour moi, rien que pour une heure, pour pouvoir dire à mon fils qui a trois ans que j'ai vu son père...
Yaneki avait été ému par les malheurs de Zeltha, qui avait l'air si gentille et qui n'avait jamais eu de chance dans la vie. Elle lui proposa de l'accompagner jusqu'à sa chambre, ce qu'il accepta. Elle lui prit la main dans l'escalier. Finalement, ils passèrent la nuit dans la chambre de Yaneki.
Le lendemain matin, elle lui demanda mille ducats.
"J'en ai besoin pour que mon homme puisse cantiner à Tatanow," lui dit-elle.
- Cantiner ?
- Ben oui, quoi, cantiner, acheter de la bouffe, du shampooing, du papier à lettres, à la cantine de la prison... C'est ça, cantiner. Alors, tu donnes le fric ou pas ?
- Ce n'était pas prévu...
- Connard ! Tu crois que j'ai couché avec toi pour rien ? Ah non non non ! J'ai ton adresse, je vais écrire à tes parents ! Tu ne t'en sortiras pas comme ça !
- Tant que tu y es, pourquoi tu ne t'es pas servie directement dans mon portefeuille pendant que je dormais, comme dans les films ?
- Je ne veux pas être interdite dans tous les hôtels d'Hyltendale... Je ne suis pas une voleuse ! D'ailleurs, je te rendrai l'argent ! Je te le promets ! Sois gentil, je t'ai donné du plaisir... Tu as fait l'amour avec une vraie femme... Fais pas le salaud, quoi... Sinon, j'te préviens, j'te fais buter par mes potes à Ulthar !
Zeltha continuait à parler, mélangeant menaces et supplications et se contredisant d'une phrase à l'autre. Yaneki se dit qu'elle était assez folle pour écrire à ses parents, en effet. Et puis, il avait un peu honte d'avoir profité des charmes de Zeltha. Elle avait cru que Yaneki voudrait bien l'aider, et lui il s'était pris pour un séducteur. Mais mille ducats, c'était beaucoup. Il essaya de transiger :
- Cinq cent ducats ?
- Mille ! Je sais que tu les as !
Yaneki finit par lui donner huit cent ducats, en se maudissant d'être aussi stupide.
Zeltha prit l'argent, se rhabilla prestement, et sortit de la chambre en courant.
Yaneki décida d'écourter son séjour et de rentrer à Ulthar. Il savait déjà ce que lui dirait son père s'il apprenait ce qui s'était passé : "Tu es encore plus bête que ton oncle Yohannès !"
Zeltha n'écrivit jamais aux parents de Yaneki. Ce dernier se garda bien de leur narrer sa mésaventure, mais il décida qu'à l'avenir, il ferait attention aux Zeltha et autres Tawina. Un seul Yohannès dans la famille, c'était suffisant. | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 7 Mai 2015 - 1:18 | |
| D'habitude, Antwen prenait le train, mais cette fois-là, il décida, pour changer, d'aller en voiture d'Ulthar, où il habitait, jusqu'à Hyltendale, où il avait prévu d'aller voir sa sœur Tawina au Lagovat-Kwo, l'hôpital psychiatrique où elle était internée.
Hyltendale est situé à 130 km au sud d'Ulthar. En voiture, le plus simple est de prendre l'autoroute construite sur l'ancienne piste des caravanes, le long de la Skaï. Plusieurs stations-services permettent au voyageur de faire le plein de carburant ou de recharger les batteries de sa voiture, ou même de prendre un repas ou de faire quelques achats.
Antwen, qui connaissait l'autoroute par cœur, avait choisi de rallonger un peu son parcours en passant à travers la campagne hyltendalienne, avec ses fermes où travaillent des klelwaks et des robots, ses plantations d'arbres et ses dômes de métal noir qui dissimulent des centrales électriques. Le gouvernement provincial a vendu toutes les petites routes aux cybersophontes, qui les ont fermées au public derrière des palissades et des portails gardés. Mais plusieurs routes, considérées comme stratégiques par l'armée royale, sont restées ouvertes au public. De plus, certains êtres humains ont conservé des maisons de campagne dans la région, et ils doivent pouvoir y accéder.
Antwen avait prévu de passer devant Potafreas, le luxueux château que le roi s'est fait construire à proximité d'Hyltendale, juste après les Évènements.
Comme d'habitude, Antwen partit de chez lui tôt le matin. Une heure plus tard, au milieu de la verdoyante campagne hyltendalienne, sa voiture tomba en panne, dans un bruit sinistre de métal entrechoqué. Antwen prit son téléphone portable pour appeler des secours, mais il n'y avait pas de connexion. Les cybersophontes ont leur propre système de communication, et n'ont donc aucune raison de construire des antennes-relais sur leur territoire.
Antwen sortit de son véhicule et regarda autour de lui. Des champs et des vergers s'étendaient à perte de vue, séparés les uns des autres par des haies d'arbre. Le silence était total, à part, de loin en loin, un cri d'oiseau.
Antwen n'avait que des connaissances sommaires en mécanique, mais après avoir soulevé le capot, il vit que la courroie de transmission était cassée. Les soupapes et les pistons étaient tordus. Le moteur était définitivement hors d'usage, irréparable.
Antwen estimait être à une soixantaine de kilomètres au nord d'Hyltendale. La route était déserte. Traverser la campagne hyltendalienne, c'est faire une centaine de kilomètres sans voir une seule habitation humaine, les rares maisons de campagne étant en général dissimulées au bout de pistes forestières.
Les cybersophontes utilisent de petits dirigeables robotisés pour surveiller leur territoire. Ces dirigeables ne mesurent que deux mètres de long et sont de couleur blanc grisâtre, si bien qu'il est parfois difficile de les repérer dans le ciel. Antwen chercha, plein d'espoir, dans le grand ciel blanc, mais il n'en vit aucun.
Il se mit à marcher vers le sud, en espérant tomber sur des klelwaks, ou sur une de leurs installations agro-industrielles. Il se maudissait de ne pas avoir emporté au moins une bouteille d'eau en sortant de chez lui.
Quelques minutes plus tard, il rencontra un klelwak. L'humanoïde était juché sur un vélo à l'arrière duquel était fixée une petite cabine à deux roues. Il était de haute stature et vêtu d'une blouse grise et d'un chapeau noir à larges bords, bien enfoncé sur sa tête. Il descendit de son véhicule et s'approcha d'Antwen.
"Bonjour Monsieur" dit le klelwak. "L'un de nos appareils de surveillance a vu que vous sembliez être en difficulté. La loi nous impose de secourir les êtres humains. Pouvons-nous vous aider ? Êtiez-vous seul dans la voiture ?"
"J'étais seul dans la voiture" répondit Antwen. "Elle est tombée en panne. Le moteur est foutu. Je vais à Hyltendale. Pouvez-vous m'y emmener ?"
- Oui. Êtes-vous Antwen Zeno ?
- Oui, c'est bien moi. Comment connaissez-vous mon nom ?
- Les cerveaux des cybersophontes sont interconnectés par ondes radio. Nous enregistrons les visages et les noms dans une base de données, à laquelle nous avons tous accès. Y a-t-il quelqu'un à Hyltendale ou à Ulthar qui puisse venir vous chercher ici ?
- Je n'en suis pas sûr. Il y a peut-être une autre solution ?
- Je peux vous emmener dans mon vélotaxi. D'ici à Hyltendale, c'est trois heures de route, à dix ducats de l'heure, payables d'avance.
- Je suppose que je n'ai pas le choix. Je peux payer. Mais si je n'avais pas d'argent ?
- Vous auriez une dette de trente ducats à payer ultérieurement.
- Je paye d'avance.
Il donna trois billets de dix ducats au klelwak, qui les mit dans une poche latérale de sa blouse.
Antwen prit place sur le siège de la cabine. Le klelwak pédalait comme une machine qu'il était, et, selon les estimations d'Antwen, le vélotaxi avançait à une bonne vingtaine de kilomètres-heure. Vers midi ils arrivèrent au premier arrêt de bus au nord d'Hyltendale, dans un quartier où des maisons individuelles aux fenêtres ornées de géraniums alternaient avec de petits immeubles. C'était Tomorif, un ancien village absorbé par Hyltendale. Le klelwak fit descendre Antwen et repartit vers le nord.
Antwen n'était jamais allé à Tomorif auparavant, mais il savait que le quartier était habité par d'anciens fermiers qui avaient vendus leurs terres aux cybersophontes et qui avaient choisi de finir leurs jours comme rentiers à Hyltendale. Dans la rue, Antwen remarqua des hommes et des femmes qui devaient être des fembotniks et des manbotchicks, escortés de leurs gynoïdes et androïdes, dont certains portaient des masques-cagoules et des manteaux de toile noire. L'usage hyltendalien est de porter un manteau noir avec un masque-cagoule. Quelques femmes, accompagnées d'enfants, devaient être des épouses de travailleurs humains : chauffeurs de bus et de camions, cuisiniers, médecins-signataires et autres.
Antwen téléphona d'abord à son assureur, pour lui signaler l'accident. Il appela ensuite Yohannès, avec qui il avait rendez-vous pour déjeuner, et lui raconta aussi brièvement qu'il put ce qui lui était arrivé. Il entendit Yohannès échanger quelques phrases avec Shonia, puis reprendre le téléphone et lui dire de les attendre dans un bar-restaurant appelé Le Jabberwock, situé en face de l'arrêt de bus.
Antwen entra dans le bar et commanda une bière de Sarnath au comptoir. Le serveur était un androïde brun et moustachu en chemise blanche, nœud papillon blanc et gilet noir.
Un masque-cagoule en manteau noir était debout à côté d'Antwen. Il était en train de boire une bière lui aussi, en soulevant le devant de sa cagoule.
"Ça vous surprend de voir un androïde en train de boire une bière, hein ?" dit le masque-cagoule à Antwen, avec un fort accent étranger qui sonnait un peu faux.
- Un peu, oui... Surtout seul.
- Oh, il y a une explication à ça... Une explication toute bête. Vous la devinez ?
- Non, je suis désolé... J'ai eu une matinée un peu mouvementée, je suis peut-être un peu distrait.
- Eh bien, voyez-vous, il y a des êtres humains, comme moi, car je suis un être humain, qui n'aiment pas montrer leur tronche. Alors nous portons des masques-cagoules, des cagoules peintes pour ressembler à des visages qui ne sont pas les nôtres. Vous devinez pourquoi ?
- Vous avez été défiguré ?
L'homme au masque-cagoule se mit à rire :
- Non, c'est pas ça... Pour moi, en tout cas, c'est pas ça. Mais c'est la première fois que je vous vois ici. Vous venez d'arriver dans le quartier ?
- Non. J'habite à Ulthar. Ma voiture est tombée en panne sur une route de campagne. Un klelwak m'a amené jusqu'ici. J'attends mon ex beau-frère pour déjeuner.
- Ah, je vois. Voyez-vous... Si je porte un masque-cagoule c'est que... C'est que certaines personnes sont obligées de se cacher. Elles ne veulent surtout pas être reconnues. Il y a des criminels de guerre en fuite, par exemple, qui se sont réfugiés ici avec les fortunes colossales qu'ils ont détournées. Il y a aussi des détenteurs de secrets d'État qui ont révélé des choses très embarrassantes pour leurs gouvernements. Des témoins dont les déclarations ont envoyé en prison des chefs mafieux. Toutes ces personnes ont leur tête mise à prix quelque part et doivent se cacher. Elles vivent dans la peur constante d'être reconnues. Et quel meilleur moyen de se cacher à Hyltendale que de se faire passer pour un humanoïde ?
Antwen regarda les yeux de la créature. À travers les trous du masque-cagoule, on aurait dit des yeux d'humanoïdes. Mais en regardant attentivement, on voyait que c'étaient des lunettes de soleil.
"Votre tête est mise à prix quelque part ?" demanda Antwen, un peu gêné.
- Oh non, pas la mienne. Mais je suis, disons, une personnalité controversée. Très controversée, même. Heureusement, j'ai assez d'argent pour vivre tranquillement, et je préfère me faire oublier.
- Et votre banquier ? Le fisc ? Votre nom sur votre boîte aux lettres ?
- Je vais rarement dans mon agence bancaire, et jamais seul. Le fisc m'écrit à une adresse où je n'ai qu'une boîte aux lettres. Cette boîte aux lettres se trouve dans un immeuble qui n'est pas celui où j'habite effectivement, et ce n'est jamais moi qui vais chercher le courrier.
Antwen ne trouva rien à dire et but une gorgée de bière. Le masque-cagoule avait visiblement envie de parler :
- Savez-vous qu'à Tomorif, beaucoup de femmes portent des masques-cagoules ? Des actrices de cinéma pOrno qui en ont assez d'être reconnues et harcelées dans la rue. Mais aussi des femmes battues pourchassées par leur mari. Et même d'anciennes rebelles. Elles sont passées du côté du roi et ont dénoncé leurs réseaux, et maintenant elles ont peur de la vengeance de ceux qu'elles ont dénoncé.
Le masque-cagoule continua de parler pendant une bonne dizaine de minutes, puis il sortit du bar en disant à Antwen :
- Si on se revoit, appelez-moi Zek. C'est mon surnom.
Antwen commanda une deuxième bière. Un quart d'heure plus tard, il vit Yohannès et Shonia entrer dans le bar et se diriger vers lui.
Shonia portait un manteau de toile noire par dessus ses vêtements habituels. Elle sortit une cagoule de son sac à main et la passa sur sa tête. Le visage d'un homme à la moustache et aux cheveux blancs était peint sur la cagoule.
Yohannès donna quelques explications :
- Aujourd'hui, Shonia porte la cagoule de Brad, un personnage virtuel. Brad est un journaliste dont la personnalité, le vécu et les idées sont proches de ceux de Fred Reed. Aujourd'hui, c'est Brad qui est ici avec nous. Brad, je te présente mon ex beau-frère, Antwen Zeno.
"Enchanté. Je vous connais déjà, car Shonia m'a parlé de vous. Puis-je vous appeler Antwen ?" dit Shonia, ou plutôt Brad, avec la voix profonde, masculine, des androïdes et des klelwaks. Et pourtant, c'était Shonia qui était sous la cagoule. C'était troublant. Antwen s'entendit répondre :
- Oui bien sûr. Vous êtes un ami de Yohannès ?
"Oui" dit Brad. "Shonia, comme vous l'avez remarqué, n'a pas d'opinions. Sur rien. Elle sait beaucoup de choses, mais, par contrat, elle ne doit pas avoir d'idées. C'est une gynoïde domestique, quoi. Moi, des idées et des opinions, j'en ai. Sur tout. Et ce ne sont pas les idées et les opinions de tout le monde. Je suis d'accord avec Yohannès sur certains sujets. Mais sur d'autres, on n'est pas d'accord du tout... On discute ferme, parfois. On se dispute, même. Attendez-vous à être choqué... Mon personnage aime la provocation et fréquente les bars."
- Oh vous savez, je crois que j'ai tout vu et tout entendu, avec une sœur comme Tawina... Mais quel est l'intérêt de se disputer entre amis ?
Brad se mit à rire :
- La compagnie des êtres pensants est nécessaire aux humains. Savez-vous que de nombreuses études ont montré qu'être exclu socialement, être privé de compagnie humaine, est l'une des plus grandes souffrances morales que puisse ressentir un être humain ? Il finit par en mourir prématurément. Un être humain a besoin du stimulant de discussions avec ses semblables. Et pour qu'il ne se ramollisse pas, ces discussions doivent parfois être dures.
- Où voulez-vous en venir, Brad ?
- L'homme ne se nourrit pas seulement de pain, il lui faut aussi de la présence humaine. Bon, moi je ne suis pas un humain, c'est vrai, mais je suis un humanoïde, c'est pareil.
- Non, Brad, ce n'est pas tout-à-fait pareil. C'est comme le sucre naturel et le sucre synthétique. Le sucre naturel est bon pour l'organisme. Le sucre synthétique rend obèse et diabétique.
- C'est vrai. Mais il vaut mieux bouffer du sucre synthétique à longueur de journée que mourir de faim.
Yohannès acquiesça:
- Après mon divorce avec Tawina, je n'étais plus aimé de personne, ou plutôt je croyais que je n'étais plus digne d'être aimé de personne. Au niveau de l'affection dont chaque être humain a besoin, c'était comme de mourir de faim. Shonia m'a donné de l'amour synthétique. C'était ça ou continuer à souffrir de la solitude, de la honte, que sais-je encore. Vivre seul, dormir seul, et n'avoir personne avec qui discuter, se confier... C'était horrible. Mais maintenant, lorsque je me réveille le matin, j'ai Shonia dans mes bras, et la première chose qu'elle me dit, c'est "Mon chéri." C'est du synthétique, mais c'est bon !
Antwen ne semblait pas convaincu. Il demanda:
- Bon, je comprends le rôle que joue Shonia. Mais Brad ?
- Vivre avec une seule personne, même si c'est Shonia, c'est un peu short. Shonia est ma servante et ma concubine. C'est bien, mais ça ne fait pas une vie sociale. J'ai aussi besoin de masques-cagoules. J'ai surtout Gaïus et Brad. Nous nous parlons entre égaux, surtout avec Brad. Nous avons des discussions homériques, parfois.
- Et Gaïus, l'autre masque-cagoule ? Quelle différence avec Brad ?
- Brad ne joue que son propre rôle, mais Gaïus peut jouer tous les rôles. Celui de l'homme d'affaires retors avec qui je dois négocier, par exemple. Parfois, Gaïus est le professeur qui me fait passer un oral. Parfois, c'est l'inverse, c'est moi qui fait le prof et lui l'étudiant. Aussi bien comme prof que comme étudiant, Gaïus peut adopter des traits de caractère particuliers : il peut être agressif ou calme, par exemple.
- Alors c'est comme ça que tu vis, Yohannès. Entre Shonia, Gaïus et Brad.
- Et quelques autres. Shonia a une demi-douzaine de masques-cagoules dans le studio. Bien sûr, je ne peux être qu'avec un seul d'entre eux à la fois, mais il m'arrive d'en voir plusieurs successivement dans une seule journée.
- Mais les vrais êtres humains ? Tu en fréquentes encore, quand même?
- Maintenant que tu m'y fais penser, à part toi avec qui je déjeune une fois par mois, les seuls êtres humains avec qui je parle, ce sont les autres fembotniks du Cercle Paropien. Mais ne restons pas là au bar. Passons dans la partie restaurant, c'est l'heure de déjeuner.
Dernière édition par Vilko le Jeu 7 Mai 2015 - 11:23, édité 2 fois | |
| | | Anoev Modérateur
Messages : 37622 Date d'inscription : 16/10/2008 Localisation : Île-de-France
| Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 7 Mai 2015 - 8:57 | |
| - Vilko a écrit:
- Antwen avait prévu de passer devant Potafreas, le luxueux château que le roi s'est fait construire à proximité d'Hyltendale, juste après les Évènements.
De quoi étaient vraiment constitués ces évènement ? Des émeutes de la misère ? Si c'est le cas, ce roi me fait vraiment penser à la Bongo (Pascaline), qui vit dans un luxe indécent alors que le quart (au moins) de son pays vit sous le seuil de pauvreté ; ou bien, pour se rapprocher de la diégèse (ce qui nous intéresse ici) de Deskerrem, dernier roi aneuvien, tyran renversé à la fin du XIXe siècle. Les évènements du Mnar me font penser à la révolte russe de 1905 : une répétition des deux révolutions qui allaient changer mle régime du pays douze ans plus tard. _________________ - Pœr æse qua stane:
Pour ceux qui restent.
| |
| | | Mardikhouran
Messages : 4314 Date d'inscription : 26/02/2013 Localisation : Elsàss
| Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 7 Mai 2015 - 10:08 | |
| - Vilko a écrit:
- Antwen prit place sur le siège de la cabine. Le klelwak pédalait comme une machine qu'il était, et, selon les estimations d'Antwen, le vélotaxi avançait à une bonne vingtaine de kilomètres-heure.
Avec un bon vélo, et surtout si le conducteur est une machine infatigable, j'aurais pensé jusqu'à quarante km/h. Sur une route normale, je peux aller jusqu'à cinquante... Antwen s'est-il fait posséder par les cybersophontes avides d'argent ? | |
| | | Vilko
Messages : 3564 Date d'inscription : 10/07/2008 Localisation : Neuf-trois
| Sujet: Re: Les fembotniks Jeu 7 Mai 2015 - 11:02 | |
| - Anoev a écrit:
- De quoi étaient vraiment constitués ces évènement ? Des émeutes de la misère ?
Les Évènements sont une façon pudique de parler de la guerre civile qui a déchiré le Mnar pendant un an, entre les rebelles (issus de la majorité de la population, à la fois pauvre et adoratrice de Yog-Sothoth) et les monarchistes, constitués à la fois de la minorité d'adorateurs de Nath-Horthath, et, parmi les adorateurs de Yog-Sothoth, de ceux qui font partie des classes moyennes et supérieures. La noblesse, ainsi que l'élite administrative et militaire du pays, est constituée d'adorateurs de Nath-Horthath. Les adorateurs de Yog-Sothoth qui soutiennent le roi (le docteur Lorenk et Yohannès en font partie) ont de la sympathie pour les pauvres mais sont effrayés par l'extrémisme des rebelles. Depuis la fin des Évènements, le Premier Ministre est un adorateur de Yog-Sothoth, comme la majorité de la population. C'est un modéré, proche des monarchistes. Lorenk et Yohannès, pour ne citer qu'eux, sont raisonnablement satisfaits d'avoir un Premier Ministre à la fois issu de leur communauté mais hostile aux extrémistes. L'antipathie réciproque entre les adorateurs de Yog-Sothoth et les adorateurs de Nath-Horthath est de même nature et de même intensité que celle qui existe au Moyen-Orient entre les Sunnites et les Chiites, ou celle qui a existé, dans la France du 16e siècle, entre les Catholiques et les Protestants. - Mardikhouran a écrit:
- Avec un bon vélo, et surtout si le conducteur est une machine infatiguable, j'aurais pensé jusqu'à quarante km/h. Sur une route normal, je peux aller jusqu'à cinquante... Antwen s'est-il fait posséder par les cybersophontes avides d'argent ?
Nullement, mais il faut tenir compte de la cabine : elle pèse un certain poids, surtout avec un passager dedans, et, ce qui n'est pas négligeable, elle oppose une résistance à l'air. Son aérodynamisme n'est pas terrible. L'énergie dépensée par le klelwak pour faire avancer le véhicule augmente de façon exponentielle avec la vitesse, à cause notamment de la résistance de l'air. Il préfère rouler moins vite, dépenser moins d'énergie... et gagner plus. Car la vraie dépense, pour le klelwak, ce n'est pas le temps, c'est l'énergie. Ceci étant, comme il devra retourner à sa base, il considère qu'il aura gagné trente ducats en six heures, ce qui est faible même pour le Mnar. Mais l'objectif des cybersophontes n'est pas de d'exploiter les gens qui ont le malheur de tomber en panne sur leurs routes, mais de les inciter à prendre le train ou l'autoroute. Bien sûr, l'argent n'est pas pour le klelwak, mais pour l'entreprise à laquelle il appartient. L'enlèvement du véhicule resté en panne risque de coûter très cher. L'assureur préférera probablement en faire cadeau aux cybersophontes, qui se chargeront de changer le moteur, devenu inutilisable après la rupture de la courroie de transmission, et de revendre la voiture comme véhicule d'occasion. @Anoev : Antwen est tombé en panne à 60 km d'Hyltendale, alors qu'il avait fait un peu plus de la moitié de son trajet. Ulthar est à 130 km d'Hyltendale. Les 30 premiers kilomètres font partie de la province d'Ulthar. Villages agricoles, etc. Les 100 autres kilomètres font partie de la province d'Hyltendale, et ne sont plus habités que par des klelwaks et autres cybersophontes. | |
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