- Sab a écrit:
- Et pour reprendre ces idées de dialogues écrits, en oral spontané personne ne s'exprimerait en mélant ainsi flux oraux, contextes et incises descriptives. On est bien là dans une scénographie autonome et non "oralisable" telle quelle.
Bien sûr que si ! Cela arrive sans arrêt chez les gens à la conversation brillante, lorsqu'on raconte spontanément ce qui nous est arrivé, lorsqu'on fait de l'humour ou de l'ironie improvisée etc.
Les gens se mettent constamment en scène et mettent constamment en scène leur expérience du monde... à la condition bien sûr que la richesse de leur langue le leur permette. Par exemple : prenons en note les conversations souvent assez forte de quelqu'un qui parle au téléphone dans un bus, un train ou dans un lieu public : je garantis que les flux oraux, contextes et incises descriptives non seulement abondent mais constituent l'essentiel de l'intérêt de la conversation pour celle ou celui qui la mène ou l'écoute.
Le problème est que lorsque nous basculons ce genre de conversation "sophistiquée" dans une langue construite, nous perdons toute intuition liée à notre connaissance intime et habituelle de notre langue maternelle : la langue construite fait le ménage et de l'information se perd. C'est trop facile de dire après qu'elle n'a jamais existé : comme cela le problème est classé, et les lacunes de la langue construite n'ont pas à être résolues. Mais si on cerne ce qu'on a perdu à la traduction, on a au moins une chance de remédier au problème et améliorer la langue construite.
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- Citation :
Et si le Latin et autres langues anciennes n'avaient pas de ponctuation, c'est bien parce que ces signes apparus au fil du temps appartiennent consubstantiellement au domaine de l'écrit.
C'est nier le fait que n'importe quel langue peut utiliser à l'oral un mot, un ton ou un accent ou une pause pour remplir le même rôle, la même fonction de séparateur ou d'indication d'émotion ou de jugement qu'une ponctuation écrite - et au-delà.
De plus la ponctuation (codage des points de départ et de fin des parties du discours et des émotions associées à ces parties) des conversations orales est étudiée dans le détail depuis au moins les années 60 pour comprendre comment fonctionne la communication, et cette ponctuation-là n'a pas changé depuis des millénaires, puisqu'on retrouve des exemples de systèmes actuels dans des œuvres antiques Cf. Une Logique de la communication :
http://www.amazon.fr/Une-logique-communication-Paul-Watzlawick/dp/2020052202/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1327011537&sr=8-1
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Par ailleurs on ne peut pas dire que la Latin ignorait le domaine de l'écrit et le dissociait complètement du domaine de l'oral, l'écrit précède largement : cf. Gilgamesh, dont l'épopée sert de manuel d'écriture tout autour de la Méditerranée et est plagié au mot près pour rédiger l'Ancien Testament (le passage de l'Arche de Noë), les murs de la Rome antique sont pleins de graffitis et d'inscriptions et de symboles. Personne ne pouvait les ignorer, tout le monde était obligé de s'y référé, quand il n'était pas déjà obligé d'apprendre à lire et à compter donc de commenter tout ce qu'il faisait en cours.
Gardons-nous de supposer nos ancêtres moins habiles ou moins loquaces ou moins clairvoyants que nous, qui ne maîtrisons même pas leur langue, et qui héritons de maîtres si vains et si incompétents que ceux-ci n'ont jamais été capables de restituer et transmettre avec la plus grande certitude la simple prononciation des mots les plus anciens.