Plus une autocritique me concernant moi, que concernant le rémaï : j'aimerai être beaucoup plus intelligent pour anticiper plus rapidement les énormes surprises auxquelles je dois régulièrement faire face. J'ai beau savoir que c'est normal de ne pas voir venir ce qui n'existe pas encore, vu que je pense en français, tandis que les combinaisons de signes rémaï me bombardent de milliers de mots nouveaux, je suis à chaque fois presqu'autant agacé qu'émerveillé de ces surprises.
Et puis j'avoue m'alarmer quand ma calculette m'annonce que ma dernière règle grammaticale permet de générer plus d'un million de "mots" ou partie de phrases, dont il va falloir vérifier le sens et l'emploi toujours cohérent, quelque soit la position du mot dans la phrase et quelque soit la position des composantes du mot à l'intérieur du mot... Parce qu'évidemment, les nouvelles règles ont une certaine tendance à multiplier le vocabulaire et les combinaisons au lieu de les réduire.
***
Rien n'a changé en fait depuis les premiers pas du rémaï : n'importe quelle série de signes veut dire quelque chose traduisible avec certitude en français, le problème étant quoi, et selon quelles règles. Si j'applique à mes anciens textes en rémaï les règles de la dernière version (37.1 !), j'obtiens encore un texte signifiant et certain, mais beaucoup plus fin, tout en étant toujours doté de toutes les qualités transformatives que je visais depuis le début. Quel dommage que les règles de décodage et d'encodage aient changé, elles, mais je ne vois pas comment j'aurais pu faire autrement et atteindre mes objectifs.
La version 37 est incroyablement plus stable et plus puissante que toutes les versions précédentes. Mais à chaque fois que j'étais arrivé à une version "stable", je n'imaginais pas encore à quel point la version "stable" suivante le serait davantage. C'est là que je réalise que le langage est vraiment la dernière montagne à franchir quand, comme moi, on s'intéresse à la construction d'un récit et à la communication sous toutes ses formes - et quelle montagne !
***
- Anoev a écrit:
- Quand je sors un texte ici, près de 8 fois sur 10, je dois aller chercher un des mots dans le dico :
En fait, c'est précisément le recours au dictionnaire des mots rémaï déjà relié au français qui, en ce qui me concerne, est souvent le signe avant-coureur d'un nouveau séisme : si je dois trop réfléchir ou si la combinaison a un sens trop difficile à expliquer avec certitude, c'est que je me suis planté dans les règles de combinaisons ou le sens des briques élémentaires.
Or, dès que je corrige la possible erreur - et hop, comme un jeu de culbute de dominos, tout le vocabulaire se déplace (heureusement, il y a des masses lexicales qui restent acquises, mais il faut le vérifier), avec le risque que l'erreur ait été mal corrigée. Tout ça parce que, en rémaï, la partie est le tout et le tout est la partie, et depuis le début : n'importe quel texte en rémaï contient vraiment tous les autres, et dans ce cas de figure, c'est terriblement frustrant
***
En revanche, si la correction est efficace (je ne peux pas le savoir à l'avance, faut tester point barre, et tester à tous les niveaux de ce que le rémaï peut faire), tout devient plus clair et je découvre une nouvelle masse de vocabulaire traduisant avec beaucoup plus de clarté et de certitudes des nuances ou du vocabulaire qui existent en français ou existent dans d'autres langues.
...Et c'est à ces moments-là que je me maudis de n'avoir pas imaginé plus tôt les significations ou les règles nouvelles, qui paraissent alors complètement évidentes.
A ces moments là, je suis obligé de rédiger un nouveau dictionnaire (d'abord des mots à une syllabe, puis à deux, puis à trois), et si j'ai de la "chance", j'ai confirmation que la correction était la bonne...
...quand justement, je n'ai plus besoin de dictionnaire pour traduire à la volée du vocabulaire naturellement azimuté, c'est à dire du genre que nous employons tous les jours en français alors que les composantes du mot sont tellement malmenée historiquement, que le sens devrait être impossible à deviner avec certitude, par exemple "stade de foot" (le lieu où l'on célèbre les pédicures ? l'arène des coups de pieds ?) ou "gare routière" (celle de la route du Rhum ? celle où un autre moyen de locomotion comme l'avion ou le train, accède à la route ? et pourquoi une voie ferrée serait-elle différente d'un autre couloir de circulation ? Si c'est à cause des rails, doit-on considérer le rail de Coke (à Colas) comme étant une route comme une autre ?).
Matière à rédiger des sketchs à la Devos, en fait.
Mais toute cette panique lexicale vient bien du français.
Et en anglais, même combat. En latin et en japonais, c'est déjà beaucoup mieux ordonné.
Donc à nouveau, difficile de blâmer le rémaï, qui gravit finalement plutôt bien la montagne jusqu'à présent, même si l'ascension peut me paraître longue.
***
Et puis, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais qu'est-ce que ça mange du temps de construire une langue, et je m'en veux souvent de ne pas faire avancer à côté des projets moins inventifs, mais qui avanceraient plus vite.
La seule consolation de ce point de vue est le rémaï me permet déjà d'avancer spectaculairement dans le domaine de l'enseignement des langues - j'enseigne le FLE et le principe de combinaison des idées et les tactiques d'isolement grammatical du rémaï sont particulièrement payantes (littéralement...) quand on applique la même logique pour bâtir un cours de français ou pour corriger des erreurs d'étudiants étrangers liées à la barrière des langues.
Je vois aussi à la traduction vers le latin des cours de rémaï qu'il y a bien un énorme bénéfice à utiliser le rémaï comme interface pour apprendre une autre langue, en tout cas aux niveaux A1/A2/B1 - mais à partir du moment où j'atteins le niveau du cadre européen d'utilisateur indépendant, je sais que la langue étrangère est acquise et opérationnelle, donc tout ce temps déjà investi à créer une langue pour apprendre les autres n'aura pas été perdu, c'est déjà certain de mon point de vue.
Mais je voudrais avancer plus vite et ne pas être retenu par une nouvelle règle ou un nouveau glissement de terrain linguistique, qui fait s'écrouler les montagnes et les fait se reconstruire immédiatement, certes, mais cela retarde quand même encore de plusieurs semaines la traduction des cours de rémaï dans les langues qui me tiennent à cœur.