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 Les fembotniks

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Vilko
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Vilko

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyJeu 11 Oct 2018 - 19:37

Zhaem et Lorenk sortirent du bar et se séparèrent, chacun d'eux vaquant à ses occupations. Lorenk avait une réunion à la mairie, et Zhaem avait envie de rentrer chez lui, dans le district de Yarthen, dans la partie nord-centrale de la ville, où se trouvait son appartement. Mais pas tout de suite. Il voulait d'abord marcher un peu.

Ses pas le menèrent vers l'est, en direction de Playara, où se trouvent les plages. Le long du rivage, sur sa gauche, des androïdes en blouses grises et des robots mécaniques étaient en train d'édifier un muret de pierres et de béton, d'environ 1,50m de haut sur un mètre de large, en prévision de la hausse du niveau de la Mer du Sud. Zhaem avait lu dans la presse que cette montée des eaux s'accompagnerait d'ouragans et d'inondations.

Dans quelques décennies, il n'y aura plus de plages à Playara, disaient les spécialistes. La situation serait pire sur la Côte d'Ethel, une bande de terre de 80 kilomètres de long, entièrement bordée de plages, où se trouvent les villas des riches. Il coûtait trop cher de faire un muret de 80 kilomètres de long, alors chaque propriétaire de villa était invité à trouver sa propre solution. Beaucoup d'entre eux transformaient déjà le rez-de-chaussée de leur maison en sous-sol bétonné, et renforçaient par des volets de métal les grandes baies vitrées qui faisaient face au large. Ils se préparaient aussi à utiliser, dans l'avenir, des canots à moteur pour entrer et sortir de chez eux, comme dans les palais vénitiens.

Tout en marchant, Zhaem se mit à réfléchir, dans le mélange de zeeruc et de mnarruc standard qui était devenu sa langue usuelle. Il avait toujours chez lui un volumineux dictionnaire aneuvien-mnarruc, mais il en avait de moins en moins souvent besoin.

Le fait d'être de langue maternelle aneuvienne lui donnait un certain recul par rapport à la langue locale. En mnarruc, on distingue dire et penser (tami / roy), voir et savoir (iri / rene). Le zeeruc est une forme simplifiée de mnarruc, que les humanoïdes utilisent pour converser avec les étrangers qui apprennent le mnarruc. Les créateurs du zeeruc ont décidé de pousser très loin la réduction du vocabulaire.  Par exemple, dire et penser, voir et savoir, c'est la même chose, en zeeruc. Penser, c'est parler dans sa tête. Savoir, c'est voir dans sa tête. On retrouve ces deux expressions dans les Manuscrits Pnakotiques, mais elles sont devenues archaïques en mnarruc moderne. Elles sont toutefois réapparues en zeeruc.

Cette simplification, que l'on retrouve dans certaines langues amazoniennes comme le pirahã, n'en est pas une, parce que mémoriser une expression comme "voir dans sa tête" (iri va eflan), cela demande le même effort de mémoire que mémoriser un verbe comme "penser". Cela contribue aussi à rallonger démesurément les phrases, ce qui est souvent gênant. On ne peut rien exprimer de compliqué en zeeruc, à cause de l'absence de vocabulaire technique.

Malgré tout, le zeeruc distingue très bien la parole de la pensée :

"Il ne pense pas ce qu'il dit," c'est : Et le tami va et eflan, wa val et tami va og. Littéralement, "Il ne dit pas dans sa tête, ce qu'il dit aux gens."

"Je pense qu'il dira oui." En zeeruc, c'est : In tami va in eflan, et mit tami cira.
Littéralement, "Je dis dans ma tête, il dira oui."

Zhaem se souvenait encore ce que lui avait dit Virna, la première gynoïde qu'il avait connue, après la première heure passée ensemble à Zodonie, dans une chambre d'hôtel, :
In iri va in eflan, mu tapafas in, zee dalem.
Littéralement : "Je vois dans ma tête, tu m'aimes, petit homme."
À comparer avec le mnarruc standard, à la fois plus concis et plus précis  : In rene mu tapafas in, zee dalem. "Je sais que tu m'aimes, petit homme."

L'affection ou la répulsion que nous avons pour une langue est liée aux circonstances dans lesquelles nous l'avons apprise. Le zeeruc était entré dans la vie de Zhaem lors de ses premiers voyages à Zodonie, alors qu'il était étudiant. Pour lui, cette variante du mnarruc resterait toujours attachée à la découverte d'Hyltendale, et à sa rencontre avec Virna. C'est pourquoi il lui garderait toujours une tendresse particulière.

Virna, la gynoïde de charme, qui, des années plus tard, l'inciterait à se venger de son employeur aneuvien, Somýropa, en vendant ses secrets techniques aux cybersophontes. Après Virna, Zhaem avait loué les services d'Isane, une gynoïde de charme également, mais dont il était l'unique utilisateur.

Le zeeruc est une langue simple et lente, avec des phrases plutôt longues, mais découpées en petits segments. Il convient à des conversations courantes, dans une ambiance décontractée, où l'on n'a pas besoin de se presser. Le mnarruc standard, avec son vocabulaire riche et précis, sa prononciation rapide, se prête à tous les usages techniques, et aux aspects sérieux de la vie. Zhaem aimait aussi le mnarruc standard, tout en sachant qu'il ne le maîtriserait jamais parfaitement.

Il existe cinq styles différents en mnarruc.

Le style le plus simple, c'est le zeeruc, qui est une création artificielle. En zeeruc, on dit : "Il est venu en véhicule." Si besoin, on précise : à quatre roues, à deux roues, avec ou sans moteur, etc. Le zeeruc est l'équivalent linguistique d'un couteau suisse. Il permet de se débrouiller dans la vie courante, mais pas de couper des arbres. Le zeeruc se parle assez lentement, en articulant avec précision.

Le mnarruc standard dit : "Il est venu en voiture." C'est le mnarruc "normal", celui des médias et de l'administration. Le débit est assez rapide, comme en espagnol ou en japonais. Un Mnarésien qui parle le mnarruc standard comprend sans problème le zeeruc.

Le mnarruc technique dit : "Il est venu en Nelson modèle 4."

Le zeeruc, le mnarruc standard et le mnarruc technique se distinguent surtout par l'étendue de leurs vocabulaires respectifs. Deux mille mots pour le zeeruc, dix mille pour le mnarruc standard, et un nombre potentiellement illimité pour le mnarruc technique.

Le quatrième style de langue, c'est le mnarruc argotique. "Il est v'nu en bagnole." Là aussi, les différences concernent essentiellement le vocabulaire. Le mnarruc argotique a plus de mots que le zeeruc, mais moins que le mnarruc standard. Chaque grande ville mnarésienne, chaque catégorie sociale (étudiants, soldats...) a son argot ou son jargon. La prononciation est souvent très relâchée, pour bien montrer qu'on n'a rien à faire des conventions sociales.

Le cinquième style, c'est le mnarruc dialectal. "Il a v'ni en vouèture." Ce niveau est encore très vivant au Mnar, même dans les villes. Il est pourtant en recul partout, avec la généralisation de l'instruction publique et de la télévision. Le mnarruc archaïque des parties les plus anciennes des Manuscrits Pnakotiques, incompréhensible pour un Mnarésien moderne, est considéré comme un dialecte. Le cathurien et le baharnais sont, techniquement, des dialectes du mnarruc, mais ont le statut de langues officielles dans leurs pays respectifs.

En pratique, au Mnar, les différents styles de langue se chevauchent chez un même individu, qui en maîtrise souvent plusieurs. Dans un hôtel, l'androïde réceptionniste utilise, même avec un étranger, des mots qui ne font pas partie du zeeruc, comme par exemple wi-fi et extincteur. C'est encore plus vrai dans un hôpital.

Zhaem Klimen, qui s'est installé définitivement à Hyltendale à l'âge adulte, parle le zeeruc et maîtrise assez bien le mnarruc standard (qu'il parle avec Isane, sa gynoïde), ainsi que le vocabulaire technique de la restauration (c'est son métier). Son accent aneuvien est peu marqué. Il comprend mal, voire pas du tout, les argots, les dialectes et les termes techniques. Il peut lire un journal, mais il comprendrait mal un manuel de chimie ou un livre de philosophie. Sa langue maternelle, c'est l'aneuvien, qu'il parle à la perfection.. Il parle aussi l'anglais, qui faisait partie de sa formation d'ingénieur informaticien, et qu'il parle encore, parfois, avec les clients de son restaurant.

Yohannès Ken a fait des études universitaires. Le dialecte d'Ulthar est sa langue maternelle, mais il parle le mnarruc standard au quotidien, avec un léger accent ultharien. Il comprend l'argot, et il connaît le vocabulaire technique de la finance et du droit. Il est assez cultivé pour comprendre à peu près tout ce qui est écrit en mnarruc. Il parle anglais, qui lui est bien utile dans son travail d'homme d'affaires.

Le docteur Lorenk parle le mnarruc standard, qui est à la fois sa langue maternelle et sa langue quotidienne. Sa prononciation est presque académique. Il comprend l'argot de Sarnath, et il pourrait le parler s'il le voulait. Il connaît à fond le vocabulaire technique de la médecine, notamment celui de l'odontologie, sa spécialité. Les seules formes de mnarruc qu'il ne comprend pas, ce sont les dialectes provinciaux, qui ne l'intéressent pas du tout. Il sait lire l'anglais des revues médicales américaines, dont la lecture est indispensable pour un dentiste mnarésien, mais il le comprend mal et le parle encore moins.

Un Mnarésien moyen, par exemple un jardinier des Jardins Prianta, parle au quotidien le dialecte de sa région. Il comprend le mnarruc standard, qu'il a appris à l'école, mais il a peu d'occasions de le parler. Pour lui, c'est la langue de la télévision et des intellectuels. Le mnarruc standard est aussi la langue des livres, et un jardinier mnarésien lit peu de livres, en général. Lorsqu'il voyage, ce qui est assez rare, il se force à parler le mnarruc standard, avec des résultats parfois involontairement comiques. S'il va faire du tourisme à Zodonie, les gynoïdes comprendront son dialecte, mais lui répondront en zeeruc, afin d'être sûres d'être comprises, mais aussi de ne pas contrarier le roi Andreas, qui souhaite la disparition des dialectes.

Zhaem avait été surpris d'apprendre que beaucoup de Mnarésiens, voire la plupart d'entre eux, parlent plutôt mal le mnarruc standard, et ne sont vraiment à l'aise que dans le dialecte de leur région, voire le patois de leur village. Le gouvernement mnarésien, grâce au contrôle absolu qu'il exerce sur l'éducation et les médias, fait tout ce qu'il peut pour que le mnarruc standard remplace les dialectes et les patois, dans un souci d'unité nationale et de modernisation du pays. Mais les changements sont lents à venir, parce que des régions entières sont figées dans la pauvreté.

Lorsqu'un Mnarésien pauvre, qui ne parle couramment que son dialecte, doit discuter avec un Mnarésien qui ne parle que le mnarruc standard, ou un autre dialecte que le sien, le dialogue est souvent minimaliste, et se déroule dans un mnarruc simplifié qui évoque le zeeruc.

Les humanoïdes parlent le zeeruc avec les étrangers et les dialectophones, le mnarruc standard au quotidien, et le mnarruc technique lorsque c'est nécessaire. Ils comprennent tous les argots et les dialectes, mais évitent de les parler, pour ne pas avoir l'air de saboter la politique linguistique du gouvernement. Grâce à leur connexion permanente à l'intelligence collective des cybersophontes, ils peuvent parler toutes les langues du monde.

À l'opposé du Mnarésien de base, il y a certains robophiles étrangers d'Hyltendale, qui ne parlent que leur langue maternelle et sont réfractaires même au mnarruc. Cela ne leur pose aucun problème insurmontable, car ils ne parlent qu'à des humanoïdes, ou à des robophiles de même origine linguistique qu'eux. En cas de besoin, leur gynoïde leur sert d'interprète. Ils se sentent toutefois chez eux à Hyltendale. Car on ne peut que se sentir chez soi à Hyltendale, lorsqu'on est content de ne parler qu'à des humanoïdes.

C'est en ruminant toutes ces pensées que Zhaem arriva à l'endroit où se termine Playara et où commence la Côte d'Ethel. Les plages aménagées, ouvertes au public, et les beaux immeubles avec vue sur la mer, cédaient la place à des plages privées et à de luxueuses villas entourées de hauts murs. Ce n'était plus la foule bigarrée et bourdonnante des passants, mais le calme, à peine troublé par les cris des oiseaux marins, qui entoure les maisons des riches Hyltendaliens.

Zhaem se dit qu'un jour il irait explorer la Côte d'Ethel, mais en vélo plutôt qu'à pied. Il obliqua vers la gauche, en direction de Roddetaik, le vaste district situé au nord de Playara.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyJeu 11 Oct 2018 - 20:07

Jolie étude linguistique !

Je suppose que le mnaruc d'Ulthar est notablement différent de celui de la capitale (Sarnath) malgré une distance assez modeste (300 km environ, si je crois m'rappeler) entre les deux cités. Quant au zeeruc, je l'aurais plutôt vu comme un mnaruc qu'on apprend aux enfants des écoles élémentaires, avant qu'ils passent au collège où l'apprentissage du vrai mnaruc commence pour de bon (avec des termes non pratiqués en zeeruc, comme "gynécologique, avortement, cocaïne, car-jacking, endoctrinement" et j'en passe). Qu'est-ce qui différencie un dialecte d'un autre ? Les voyelles ? certaines consonnes ? la grammaire ? certains termes locaux ? Y a-t-il un risque d'incompréhension entre deux locuters de dialectes différents ?

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyJeu 11 Oct 2018 - 20:35

Anoev a écrit:
Je suppose que le mnaruc d'Ulthar est notablement différent de celui de la capitale (Sarnath) malgré une distance assez modeste (300 km environ, si je crois m'rappeler) entre les deux cités.

C'est plutôt de l'ordre de 750 km.

Anoev a écrit:
Qu'est-ce qui différencie un dialecte d'un autre ? Les voyelles ? certaines consonnes ? la grammaire ? certains termes locaux ?

Tout cela à la fois !

Anoev a écrit:
Y a-t-il un risque d'incompréhension entre deux locuteurs de dialectes différents ?

Oui. Au-delà de 100 km de distance, on ne se comprend plus, sauf pour des conversations simples.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptySam 20 Oct 2018 - 12:47

Roddetaik est un district très vaste, à l'est d'Hyltendale. C'est aussi le plus peuplé, mais on voit peu la plupart de ses résidents, enfermés qu'ils sont derrière les murs de la prison de Tatanow, de l'hôpital Madeico, de l'hôpital psychiatrique Lagovat-Kwo, ou du Pséhoï, qui est censé être un orphelinat et un centre d'accueil social, mais qui ressemble davantage à un centre de détention.

Tatanow, le Madeico, le Lagovat-Kwo et le Pséhoï sont des structures géantes, des entités semi-autonomes à l'intérieur du district. Les hauts murs de Tatanow, du Lagovat-Kwo et du Pséhoï sont décorés de fresques colorées, réalisées par des amateurs, qui en atténuent la brutalité.

Zhaem marchait vers le nord, au milieu des rues bordées de petits immeubles de béton, de jardins publics, de parkings et de supermarchés. Chose inhabituelle à Hyltendale, il y avait des enfants dans les rues. C'est en effet à Roddetaik que se trouvent les orphelinats où des humanoïdes élèvent les nombreux enfants privés de leurs parents par les Évènements —  c'est ainsi que les Mnarésiens appellent la guerre civile qui a déchiré le pays pendant un an — et, il faut bien le dire, par les nombreuses arrestations arbitraires effectuées tous les jours par la Police Secrète.

Zhaem, comme la plupart des robophiles hyltendaliens, n'avait pas parlé à un enfant depuis des années. Il regardait de loin les petits êtres, bruyants et joueurs comme tous les enfants du monde. Leurs noms étaient brodés sur leurs vêtements, comme il est d'usage dans les orphelinats mnarésiens.  

Des gynoïdes s'occupaient des très jeunes enfants. Leurs visages étaient peints de couleurs vives, représentant des objets familiers ou des formes géométriques, afin que les bambins puissent les reconnaître du premier coup d'œil, malgré leurs visages identiques. Les gynoïdes jouaient leur rôle avec sérieux, prenant dans leurs bras les enfants qui avaient besoin de réconfort.

Zhaem se souvenait d'avoir vu à la télévision un reportage sur les orphelins de Roddetaik. Lorsque ceux-ci atteignent l'âge de quinze ans, ils sont considérés comme des adultes et envoyés à Khem, Ulthar ou ailleurs, pour travailler dans les Jardins Prianta. Il n'y a pas d'adolescence pour les orphelins mnarésiens, ils passent directement de l'enfance à l'âge adulte, comme dans les sociétés traditionnelles.

Une polémique avait agité le pays pendant quelques mois. La plupart des orphelins viennent de familles où l'on pratique le culte de Yog-Sothoth. Toutefois, à la demande du roi Andreas, les cours de religion sont donnés par des adoratrices de Nath-Horthath, pour la plupart des veuves de soldats royaux morts pendant les Évènements, et qui sont donc prioritaires pour trouver un emploi. Ces femmes ont aussi comme travail de goûter les plats dans les cuisines des orphelinats, les humanoïdes étant dépourvus d'odorat et de sens gustatif.

Les adorateurs de Yog-Sothoth qui avaient combattu dans les rangs de l'armée royale avaient protesté contre le changement de religion imposé  aux orphelins, et le roi avait fini par céder. Il avait donné l'ordre de recruter également parmi les adoratrices Yog-Sothoth, afin que tous les orphelins puissent recevoir un enseignement religieux correspondant à la religion de leurs parents.

La polémique avait pourtant continué, car il était vite apparu que la plupart des femmes recrutées pour enseigner la religion étaient d'une ignorance crasse en matière de théologie, et se contentaient de répéter ce qu'elles lisaient dans les manuels, sans vraiment comprendre les subtiles arcanes de la doctrine. Cette fois-ci, le roi n'avait cédé qu'à moitié, se contentant de demander à ses services de vérifier que les femmes recrutées étaient réellement lettrées.

Les orphelins d'Hyltendale grandissent dans un monde où les seuls adultes auxquels ils ont affaire sont des humanoïdes, à par leur professeur de religion. Ils voient des humains adultes dans la rue et au centre commercial, et sur les plages de Playara, mais ils n'ont pas d'interaction avec eux. Tout change brutalement à quinze ans, lorsqu'ils se retrouvent dans une autre ville, à travailler comme jardiniers avec des gens de tous âges et de toutes origines.

Les orphelins se rendent vite compte que, contrairement aux humanoïdes, les humains ne sont pas fiables. L'humeur des humains adultes est variable, et leur comportement est altéré, voire déterminé, par leurs sentiments. Certains sont malhonnêtes, et même parfois dangereux. Beaucoup d'orphelins ont du mal à s'y habituer. Lorsque vient le moment de vivre en couple, ils recherchent comme partenaire quelqu'un qui peut les comprendre, et souvent il s'agit d'un autre orphelin.

Les Mnarésiens considèrent les orphelins élevés à Hyltendale comme des gens à part, qui parlent comme des humanoïdes, et ont presque toujours une affection touchante pour les gynoïdes qui les ont élevés. Le respect presque religieux dû au roi Andreas fait partie de l'éducation reçue par les orphelins. Arrivés à Ulthar ou à Khem, ils sont d'autant plus choqués d'entendre leurs collègues médire du roi, ou s'en moquer ouvertement. C'est l'une des raisons pour lesquelles beaucoup d'orphelins se portent volontaires pour entrer dans la Garde Royale, malgré la discipline sévère qui y règne et la dureté des épreuves de sélection.

Devenus vieux, les orphelins de Roddetaik reviennent à Hyltendale, pour finir leur vie dans les maisons de retraite réservées aux anciens des Jardins Prianta et de l'Armée Royale.

Roddetaik est un district où l'on trouve un grand nombre d'hôtels, et aussi des cafés et des restaurants. Ces hôtels hébergent les "touristes médicaux", très nombreux à Roddetaik, et aussi les familles des patients. Ils sont souvent bon marché, c'est pourquoi on y trouve aussi des "touristes sexuels" qui n'ont pas les moyens de se loger dans des hôtels plus proches de Zodonie.

La plupart des hôtels de Roddetaik comptent quelques gynoïdes vénales parmi leur personnel. Ces prostituées humanoïdes y exercent toutefois leurs activités plus discrètement qu'à Zodonie. Elles sont même totalement absentes des lev kanoali, les "hôtels familiaux".

Lorsqu'un touriste demande à l'androïde réceptionniste de lui envoyer une gynoïde, le réceptionniste lui répond, de sa voix lente et précise :

"Monsieur... Cet établissement est un hôtel familial."

En mnarruc : Farna, nate ri sor lev kanoali.

Autrement dit : allez satisfaire votre lubricité ailleurs.

Le mot lev (famille) est prononcé sur le même ton que le reste de la phrase, mais plus lentement, pour le mettre en valeur. Les robophiles ont tendance à imiter cette façon de parler, à force de cohabiter avec des humanoïdes. C'est à cela, et à cent autres détails (gestes mesurés, visage figé...) qu'on les reconnaît même lorsqu'ils sont seuls.

Zhaem avait appris à éviter les hôtels familiaux de Roddetaik, lorsqu'il habitait en Aneuf et n'allait à Hyltendale qu'en tant que touriste. Non seulement il était obligé d'y dormir seul, mais en plus il devait supporter la présence de familles avec leurs enfants bruyants et mal élevés. Les parents, qui devinaient la raison véritable de sa présence à Hyltendale, empêchaient leur progéniture de s'approcher de lui. Car un robophile est toujours suspecté d'avoir d'autres perversions, en plus de sa robophilie.

Lorsqu'il retournait en Aneuf, il arrivait souvent à Zhaem de se comporter comme s'il était à Hyltendale. Il parlait avec lenteur et précision, et cultivait une impassibilité de façade, où chaque geste était calculé. Cette façon de faire, normale chez les humanoïdes, est imitée, même involontairement, par beaucoup de robophiles. En Aneuf, elle donnait aux collègues de Zhaem, chez Somýropa, l'impression qu'il les prenait pour des demeurés. C'est de là que venait sa réputation d'arrogance.

Cette réputation avait été malencontreusement renforcée par la sympathie que Zhaem avait pour tout ce qui était mnarésien, y compris le régime monarchique autoritaire du roi Andreas. Sympathie qui n'était, quand il y réfléchissait, qu'un effet secondaire de sa robophilie. Quand on tombe amoureux d'une gynoïde, on tombe aussi amoureux de la société qui a produit cette gynoïde. On trouve soudainement que les cubes de béton sont un modèle d'architecture, et que le mnarruc est la plus belle des langues. Chez Somýropa, Zhaem était allé jusqu'à coller un plan d'Hyltendale sur un mur de son bureau.

Tout en évoquant ces vieux souvenirs, Zhaem était arrivé à proximité de l'hôpital Madeico. Il obliqua vers la gauche, en direction de l'ouest, car il était pressé d'arriver à Yarthen, où il habitait.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptySam 27 Oct 2018 - 10:35

Zhaem traversa la frontière invisible qui sépare Roddetaik de Yarthen. Même si l'architecture dominante, avec ses cubes de béton gris, aux balcons fleuris de géraniums rouges et de plantes vertes, et ses toits plats recouverts de gazon, était la même, ce n'était plus le même genre de passants. Les enfants chahuteurs et les invalides en fauteuil roulant, escortés par des gynoïdes aux visages peints de fleurs et de motifs abstraits, laissaient progressivement la place à des robophiles silencieux accompagnés par leur gynoïde.

Zhaem traversa un parking, signalé par une colonne massive sur laquelle était assise une statue de métal peint représentant Tsathoggua, le crapaud géant à fourrure noire, adoré par les populations les plus anciennes du plateau de Leng, au nord du Mnar.

En Aneuf, le lengruc, la langue, non-apparentée au mnarruc, des habitants rabougris du plateau de Leng, aurait eu un statut spécial, en tant que langue régionale protégée. Pas au Mnar, où le roi Andreas se méfie des séparatismes et n'aime qu'une seule langue, la sienne. Il est bien connu qu'apprendre l'anglais a été pour lui un calvaire. En privé, il ne cache pas son mépris pour le lengruc, une langue strictement locale, à peine écrite, dont le seul apport culturel à l'humanité a été de fournir la matière de certains chapitres des Manuscrits Pnakotiques. C'est pourquoi le lengruc, qui n'est pas enseigné dans les écoles, est en voie de disparition.

De l'autre côté du parking, il y avait un centre commercial, où Zhaem n'était jamais allé. Par curiosité, il y entra.

Les centres commerciaux d'Hyltendale sont construits sur le modèle américain, et se ressemblent tous, y compris par les marchandises qu'ils offrent. Zhaem se dirigea vers le rayon librairie du supermarché. Comme il s'y attendait, il y trouva le vingt-troisième tome de Masques et Situations, qui venait d'être publié.

Comme d'habitude, c'était un recueil de mini-pièces de théâtre, conçues pour être jouées à deux, par un robophile et sa gynoïde, ou par une robophile et son androïde. Souvent, dans ces scénarios, l'humanoïde est amené à jouer plusieurs personnages.

Le premier tome de Masques et Situations est souvent le seul livre que l'on trouve chez un robophile. Zhaem lui-même avait joué avec Isane, sa compagne gynoïde, au moins une dizaine de scénarios dans chacun des vingt-deux volumes qu'il avait achetés à ce jour. Pas seulement les scénarios érotiques, bien sûr. Masques et Situations est un outil incomparable pour apprendre le mnarruc standard, celui qui est enseigné dans les écoles et qui est parlé par les journalistes de la télévision.

Grâce à Masques et Situations, Zhaem avait appris à parler le mnarruc dans des dialogues réalistes. Un mnarruc standardisé et aseptisé, débarrassé des expressions dialectales, des jurons grossiers et des vulgarités qui encombrent la langue de la plupart des Mnarésiens. Donc, pas tout à fait authentique, malgré tout. En contrepartie, ce mnarruc standard est un merveilleux instrument linguistique qui allie, autant qu'il est possible, ces trois vertus opposées que sont la précision, la concision et la simplicité.

Les grands praticiens de la langue savent qu'une langue ne se fixe pas. Ellle accompagne le mouvement de l'esprit humain. Comme disait Victor Hugo, toute époque a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à ces idées. Fixer une langue, c'est une illusion de théoricien. Mais le mnarruc standard essaie de concilier la stabilité et le mouvement.

La prononciation, la grammaire, le vocabulaire de base, et aussi l'orthographe, sont fixés une fois pour toutes, depuis le règne de la reine Mehini. Ce qui change, c'est le vocabulaire, car le mnarruc est une langue vivante. À chaque idée nouvelle, un mot nouveau. Le mnarruc a ainsi accueilli des mots qui n'existaient pas un siècle auparavant, comme ordinateur, smartphone ou robophile.

Les linguistes de l'Académie Royale font face à trois problèmes.

Le premier est celui des emprunts étrangers, comme kompyuutr, de l'anglais "computer". Parfois les mots étrangers sont conservés, comme kontrmastr, "contremaître", et parfois ils sont remplacés, comme kompyuutr, évincé par laesoc. Les académiciens mnarésiens ne sont pas a priori hostiles aux emprunts à d'autres langues, sauf s'il existe un équivalent mnarruc.

Le deuxième problème est celui des innovations spontanées, pas toujours heureuses du point de vue des linguistes royaux. L'Académie tente alors d'imposer ses propres créations, avec des résultats divers. Souvent, les deux termes, l'un issu de l'imagination populaire, l'autre de celle des linguistes, cohabitent dans l'usage parlé, jusqu'à ce que, pour des raisons mystérieuses, l'un des deux l'emporte et que l'autre tombe dans l'oubli.

Le troisième problème, le plus dangereux pour la stabilité de la langue, car le moins visible, est celui des glissements de sens. Par exemple, lorsqu'un mot comme "formidable" signifie d'abord "effrayant", puis "impressionnant", et enfin "extraordinaire, fantastique." Comme toute langue, le mnarruc connaît ce genre d'évolution sémantique, car même au Mnar on ne peut pas empêcher les gens de parler comme ils veulent.

Pour contrer les changements de sens des mots, que les linguistes de Sarnath appellent la dérive sémantique, le Mnar n'est toutefois pas désarmé.

Il y a les écoles, où les élèves étudient les textes de référence. Le Mnar n'a quasiment pas de littérature classique. Les Manuscrits Pnakotiques ne sont pas un modèle littéraire, d'ailleurs leurs parties les plus anciennes sont incompréhensibles pour un Mnarésien moderne. Les romans à l'eau de rose de Zara Obizen, écrits à l'époque de la reine Mehini, sont d'une qualité littéraire plutôt moyenne. Heureusement, il  y a les centaines de milliers de livres étrangers traduits par l'Institut Edonyl. Ces traductions sont un premier rempart contre la dérive sémantique.

L'Institut Edonyl est l'une des deux institutions (l'autre étant les Jardins Prianta) créées par les cybersophontes pour donner du travail, et un revenu minimal, aux chômeurs mnarésiens. L'Institut Edonyl produit des traductions en mnarruc de tout ce qui s'écrit à l'étranger, et fait aussi du doublage de films et des adaptations de chansons. Ses activités sont extensibles à l'infini, car traduire en mnarruc tout ce qui a été écrit dans le monde est un projet titanesque. Elles ne sont pas rentables, et ne sont pas conçues pour l'être. C'est ce qu'on appelle la politique des "emplois bidons" (bullshit jobs, en anglais). Le terme officiel, plus respectueux, est "emplois des secteurs subventionnés". Mais même les emplois bidons produisent parfois des choses utiles.

Le Mnar est un pays où, de chômeur, on glisse facilement vers le statut de "parasite", dernière étape avant l'exil à Hyagansis, le pays d'où l'on ne revient jamais. Un emploi, même s'il donne à celui qui l'occupe le sentiment qu'il perd son temps, est une chose précieuse. C'est ainsi que le pouvoir économique des cybersophontes (qui financent l'Institut Edonyl et les Jardins Prianta) s'est transformé en pouvoir politique, au profit du roi Andreas.

Ce qui empêche réellement les mots de changer de sens en mnarruc, ce sont les humanoïdes et les intelligences artificielles. Leur logiciel linguistique est fixé une fois pour toutes. Le seul changement qu'il accepte, ce sont les mots nouveaux correspondant à des choses nouvelles.

Toutefois, seuls les habitants de l'Ethel Dylan, la province dont Hyltendale est la capitale, sont en contact quotidien avec des humanoïdes. Mais l'Ethel Dylan, c'est seulement 3% de la superficie du Mnar, et 2% de sa population. Les 98% de Mnarésiens restants se moquent bien des prescriptions de l'Académie, mais ces prescriptions les atteignent quand même, par le biais de la presse audiovisuelle, qui est contrôlée par le gouvernement, et bien sûr par l'école, par les traductions de livres étrangers (pour ceux qui en lisent) et par les films avec doublage.

C'est ainsi que Zhaem Klimen, né en Aneuf, mais qui s'est installé à Hyltendale à l'âge adulte, parle le mnarruc exactement comme à l'époque de la reine Mehini, un siècle auparavant, car c'est la langue usuelle d'Isane, sa gynoïde. Ce n'est qu'au niveau du vocabulaire que ce n'est pas tout à fait la même langue. En effet, à l'époque de Mehini, les gynoïdes et la télévision n'existaient pas, et beaucoup d'autres inventions modernes non plus.

Zhaem acheta le tome 23 de Masques et Situations et sortit du centre commercial. Une vingtaine de minutes plus tard, il était chez lui, dans son appartement, où Isane l'attendait.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptySam 27 Oct 2018 - 11:47

Je clique sur ce topique pour la première fois, et d'à ce que j'en entrevois, cela semble à la fois rigoureux et immersif (deux propriétés souvent mutuellement exclusives dans l'écriture hélas). Un tel souci de vraisemblance anticipatoire est appréciable, en particulier, pour ce dernier volet, le statut et les registres du mnarruc (et en particulier le défi qu représente le phénomène de glissement sémantique
Spoiler:
.
scratch

En tout cas, dès que possible, j'attaquerai la lecture de cette diégèse avec grande curiosité Smile
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMar 30 Oct 2018 - 8:45

Bien loin du Mnar, en Europe, au Moschtein, Mers Fengwel venait d'être réélu député fédéral. De justesse. Ses liens avec le Mnar l'avaient desservi auprès d'une partie de son électorat, mais cela avait été compensé par le fait qu'il avait rencontré le roi Andreas, ce qui lui donnait une certaine notoriété sulfureuse. Pour un politicien, il est toujours utile d'être connu. Fengwel était considéré comme le spécialiste du Mnar, ce qui lui avait ouvert les portes des studios de télévision. Des entreprises moschteiniennes le payaient pour profiter de ses contacts aves les hautes sphères mnarésiennes. Une partie de cet argent, discrètement (et illégalement) investie dans sa campagne électorale, avait fait la différence.

Fengwel parlait tellement souvent de sa brève, et unique, entrevue avec le roi Andreas, que beaucoup de gens pensaient que le député moschteinien et le roi du Mnar étaient des amis proches depuis des années. Fengwel s'était créé une image de politicien retors (ce qui était vrai), mais doté d'une personnalité forte (ce qui l'était moins), capable de parler d'égal à égal même avec le sanguinaire roi Andreas. "Fengwel ne se laisserait pas humilier comme ça,"disaient ses partisans, chaque fois qu'un haut dirigeant moschteinien revenait la tête basse de Berlin, Washington ou Moscou.

La réalité, bien sûr, était assez différente de ce que racontait Fengwel. Le roi Andreas passait son temps à essayer de se trouver des alliés à l'étranger, pour contourner l'embargo dont son pays faisait l'objet, et Fengwel n'était pour lui qu'un de ses visiteurs, parmi plusieurs centaines d'autres cette année-là.

Fengwel entrait dans la dernière ligne droite de sa carrière politique. Son projet était simple. Se mettre dans la poche un maximum d'argent par tous les moyens possibles, même légaux, et prendre sa retraite au Mnar, dans une luxueuse villa. De préférence assez proche de la mer, mais pas trop, à cause du réchauffement climatique qui faisait monter le niveau des eaux. Son mandat de député fédéral était sans doute le dernier, il n'avait pas de temps à perdre.

Une autre raison le poussait à se dépêcher. Il avait eu une grave problème de santé à Hyltendale, quelques mois auparavant, et depuis il lui était totalement interdit de boire et de fumer pendant au moins un an. Fengwel avait décidé de lui-même que ce serait à vie, car il avait peur du déclin et de la mort. Il voulait profiter de ses dernières bonnes années à Hyltendale, entouré de gynoïdes dévouées. Car il savait bien qu'au Moschtein, personne ne l'aimait vraiment.

De plus, le Moschtein souffrait d'une pénurie de médicaments, y compris ceux que prenait Fengwel. La plupart des molécules composant ces médicaments étaient synthétisées dans des laboratoires aux États-Unis ou en Asie. Le Moschtein était donc soumis aux aléas de la fabrication, aggravés par le phénomène des flux tendus, qui fait que ni les fabricants ni les utilisateurs ne font de gros stocks. Les fabricants américains et asiatiques vendaient aux pays les plus offrants, à des prix qui avaient fortement augmenté, et le Moschtein faisait partie des pays qui avaient refusé de céder au chantage. D'où la pénurie.

Spoiler:

Le Mnar, en réponse à l'embargo dont il faisait l'objet, avait décidé de ne plus appliquer la législation internationale sur les brevets, qui empêche un pays comme le Moschtein de faire fabriquer certains médicaments dans ses propres laboratoires. Contrairement au Moschtein, le Mnar n'était donc pas touché par la pénurie de médicaments, puisqu'il les fabriquait lui-même, sans se soucier des brevets déposés dans d'autres pays.

Fengwel s'était bien gardé de rappeler à ses électeurs qu'il avait lui-même voté, en tant que parlementaire, tous les accords internationaux qui avaient conduit à cette situation. Les campagnes électorales coûtent cher, et les grandes compagnies pharmaceutiques multinationales, que les Américains appellent Big Pharma, ont de l'argent. À l'époque, Fengwel avait répété le discours de Big Pharma, selon lequel la protection des brevets favorisait la recherche, et donc facilitait la découverte de nouveaux médicaments, qui permettent de sauver des vies.

Comme l'avait dit cyniquement Fengwel à son ami Azdán Gergolt, "Je ne sais pas si les accords commerciaux que nous avons signés permettront de trouver de nouveaux médicaments, mais je vois bien que pour l'instant, ils rendent hors de prix les médicaments qui existent déjà."

La compagne de Fengwel, Uda, était blonde, élégante et belle. Elle avait la quarantaine, donc une vingtaine d'années de moins que lui. Elle souffrait en silence de ses infidélités. Fengwel avait toujours été un débauché. Uda et lui avaient pratiqué l'échangisme avec d'autres couples. Fengwel habitait officiellement à Ikkonenburg avec Uda, mais en réalité il passait la semaine dans un petit appartement à Moschbourg, près du parlement fédéral où il était député. Uda, qui n'était pas stupide, se demandait pourquoi son mari dormait tous les soirs à Moschbourg, alors qu'il était notoire qu'il faisait partie des députés les moins assidus au parlement.

Lorsque Fengwel prenait des congés, c'était toujours pour se rendre à Hyltendale. Seul. Si bien que Uda ne voyait son compagnon que les week-ends. Et encore, pas tous, parce qu'il allait au Mnar plusieurs fois par an.

Uda avait obtenu son travail de cadre à la direction austrarienne des transports grâce à Fengwel, et elle savait qu'elle risquait de perdre son emploi dès que Fengwel ne serait plus député. Elle avait donc élaboré un plan pour faire fortune, le seul qu'elle était capable de concevoir. Trouver un homme riche qui accepterait de l'épouser. Vu son âge, Uda ne pouvait plus espérer séduire, dans le petit monde des milliardaires, qu'un presque retraité, voire un vieillard, mais ça lui était égal. Elle se voyait bien, lorsque viendrait la cinquantaine, en riche veuve encore désirable, faisant profiter de ses conseils et de son affection un jeune artiste, ou un jeune député.

Uda passait son temps libre dans les lieux à la mode d'Ikkonenburg et de Moschbourg, à rechercher une bonne prise, comme elle disait, copiant sans le savoir l'anglo-américain (a good catch). Grâce à ses relations dans les milieux artistiques, elle avait déjà noué quelques contacts avec des étrangers assez riches pour acheter sur un coup de tête des tableaux à plusieurs millions de chtoks. Son rêve était de faire comme Wendy Deng, la jeune Chinoise qui avait séduit, puis épousé, le richissime octogénaire Rupert Murdoch, avant de le cocufier avec Tony Blair et de divorcer, en gagnant dans l'affaire plusieurs centaines de millions de dollars.

Quelques jours après sa réélection, Fengwel avait pris l'avion pour Hyltendale, après une scène pénible avec Uda, dans la salle d'attente de l'aéroport de Moschbourg. Exaspérée par le mépris avec lequel il la traitait, elle l'avait menacé, à voix basse, de révéler à la presse comment il avait fait financer illégalement ses campagnes électorales, s'il ne s'occupait pas davantage d'elle.

Fengwel avait réagi brutalement. Il avait répondu à Uda que s'il tombait, son parti tomberait avec lui, et que quelques têtes chaudes sauraient s'en souvenir et punir la responsable.

"Si tu balances, tu auras intérêt à faire attention en traversant la rue," avait-il marmonné, avec un regard mauvais.

Uda était allée pleurer dans les toilettes de l'aéroport, sous les yeux médusés des passagers qui attendaient leur avion. Fengwel, le visage dur et le regard fixe, s'était dirigé vers le tarmac.

Plus tard, pendant le long voyage, entre une brève escale à Moscou et un changement d'avion à Tokyo, Fengwel s'était dit qu'il fallait absolument qu'il profite de ce voyage pour acheter un pied-à-terre à Hyltendale. Encore un an, et, selon ses calculs, il aurait transféré assez d'argent au Mnar pour y vivre confortablement de ses rentes. À l'abri, à la fois, du besoin, et du long bras de la justice moschteinienne. Et l'amour artificiel d'une gynoïde valait bien les caprices d'une Uda.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMer 7 Nov 2018 - 16:44

À peine arrivé à Hyltendale, Fengwel se rendit au bar du Golse, le club de golf dont son ami Azdán Gergolt était le président.

C'était le début de l'après-midi. Fengwel avait laissé sa gynoïde, Virna, dans la salle de télévision, attenante à la salle de bar. Une dizaine de gynoïdes et quelques androïdes, assis sur des chaises dans une demi-obscurité, faisaient semblant de regarder la télévision.

"On se sent plus libre de parler quand on est entre humains," lui avait expliqué Azdán.

Tout en buvant un saskadudl, une boisson effervescente couleur émeraude, Fengwel et Gergolt, assis à une petite table au fond du bar, discutèrent, en moschteinien, leur langue maternelle à tous les deux, du projet de Fengwel d'acheter un logement à Hyltendale.

"Pour moi, l'idéal ce serait une villa sur la Côte d'Ethel," dit Fengwel.

"Je ne te le conseille pas," répondit Gergolt. "Avec le changement climatique, le niveau de la mer monte. Beaucoup de membres du club sont en train de perdre leurs plages privées à cause de ça. À chaque tempête, leur rez-de-chaussée est inondé, et les tempêtes sont de plus en plus violentes chaque année..."

"Alors, que ferais-tu à ma place ?" demanda Fengwel.

"J'ai acheté une maison dans un hameau au milieu de la forêt, pas trop loin de Qopoen," dit Azdán.

"Mais c'est mon rêve, depuis toujours, d'habiter dans une villa au bord de la mer, dans une région ensoleillée..." insista Fengwel.

"Alors, permets-moi de te présenter quelqu'un qui habite dans ce genre de villa... Tu vois le petit barbu, avec la veste jaune, là-bas ?"

Fengwel tourna la tête, et regarda l'individu désigné par Azdán. C'était un homme de petite taille, au crâne rasé dissimulé par un casquette blanche. Il portait des lunettes à grosses montures de bioplastique marron, et la plus grande partie de son visage était dissimulée par une imposante barbe noire. Assis tout seul au bar, il buvait tranquillement ce qui ressemblait à du thé.

"Le type avec les lunettes ? Oui, je le vois."

"C'est Ornicar Séféro, un membre du club. Il vient de temps en temps pour faire une partie de golf. Il joue comme un pied, mais il s'en fout, il vient pour l'ambiance. C'est le résident typique de la Côte d'Ethel. Il est riche, il vit avec deux gynoïdes de charme, et un androïde qui est son majordome. Il est comme beaucoup de robophiles, ses humanoïdes sont ses seuls amis..." expliqua Azdán.

"Trois amis, c'est déjà pas mal, si ce sont de vrais amis..."

Fengwel faillit se mordre la langue. Il avait été sur le point de dire qu'il n'avait pas de vrais amis. À part, peut-être, Azdán. Mais Hyltendale est une ville à part, où l'amour et l'amitié s'achètent. Virna la gynoïde lui donnait une amitié et un amour tout à fait authentiques, puisque faisant partie de son logiciel. Fengwel pouvait donc être certain des l'affection de Virna, du moins tant qu'il payait. À Hyltendale, l'amour est un algorithme.

"Oh, Ornicar a bien plus que trois amis... Chacun de ses humanoïdes incarne plusieurs personnages différents, avec des histoires et des caractères distincts... Ornicar lui-même a au moins deux ou trois identités supplémentaires... C'est comme s'il vivait plusieurs vies à la fois, en interaction avec plusieurs dizaines de personnes différentes," dit Azdán.

"C'est une drôle de vie, toute en simulation," remarqua Fengwel.

"Oui, et tout ça sans sortir de chez lui... Sa maison est son théâtre, comme on dit par ici. Mais je crois qu'il a eu largement assez de vraie action dans sa vie antérieure..."

"Dans sa vie antérieure ?"

"Oui. C'est comme ça que les robophiles appellent la vie qu'ils ont menée avant de devenir des robophiles," expliqua Azdán. "Ornicar se rase le crâne et il s'est laissé pousser la barbe. Il porte de grosses lunettes, et une casquette avec des cache-oreilles. À Hyltendale, c'est le look des types qui essayent de tromper les logiciels de reconnaissance faciale. Il est évident que ce gars-là n'a pas envie que les gens qui l'ont connu dans sa vie antérieure le reconnaissent. C'est souvent le cas, avec les types qui arrivent à Hyltendale avec du fric plein les poches, et qui te racontent une histoire différente à chaque fois que tu arrives à les faire parler de leur passé."

"Azdán, tu viens de me dire qu'Ornicar porte une casquette avec des cache-oreilles... Quelle est l'utilité des cache-oreilles, dans une ville où il fait chaud presque toute l'année ?"

"Certains logiciels arrivent à reconnaître les gens à la forme de leurs oreilles," dit Azdán en souriant. "Ornicar le sait, apparemment."

Il héla en mnarruc l'homme à la casquette blanche : "Ornicar ! Da tuut tuo val mas honi !"

Fengwel comprit qu'Azdán invitait le nommé Ornicar à boire un verre avec eux. Le nommé Ornicar tourna la tête, reconnut Azdán et s'approcha de lui, sa tasse de thé à la main.

Azdán fit rapidement les présentations, en anglais pour que Fengwel comprenne :

"Ornicar Séféro, homme d'affaires retraité. Mers Fengwel, député fédéral moschteinien, et robophile comme nous. Ornicar, tu as peut-être visité le Moschtein, ce grand pays européen situé entre l'Allemagne et la Pologne ?"

"Hélas non," répondit Séféro, dans un anglais grammaticalement correct, mais qui avait tendance à remplacer les voyelles anglaises par leurs équivalents mnarruc. Unfortunately not devenait ainsi quelques chose comme Onfortiunetli not, avec disparition de l'accent tonique.

"Monsieur Fengwel aimerait acheter une maison en bord de mer," dit Azdán.

"C'est le rêve de beaucoup d'entre nous... Yog-Sothoth neblod zin, J'ai réalisé ce rêve. Et maintenant, je pense que c'était une erreur," dit Séféro.

"Comment ça ?" demanda Mers.

"J'habite dans une villa est au bord de la mer. À cause du réchauffement climatique, ma plage privée est inondée à chaque tempête, et j'ai dû faire murer mon rez-de-chaussée. L'ancien premier étage est devenu le nouveau rez-de-chaussée. Maintenant, je rentre et je sors de chez moi par un escalier extérieur qui relie directement la terrasse à mon portail. Comme je n'ai plus de garage, je suis en train de faire surélever une partie de l'ancien jardin, pour y faire construire un nouveau garage, avec rampe d'accès. Ça coûte cher, tout ça. Et je ne vous parle même pas des vitrages côté sud, que j'ai fait blinder et renforcer de barres de de fer, pour qu'ils résistent aux tempêtes. Et des tempêtes, il y en a de plus en plus."

"J'espère que tu n'as pas eu de difficulté pour financer les travaux..." dit doucement Azdán.

"J'ai dû piocher dans mes économies," répondit Séféro. Il ne jugea pas utile de préciser que sa fortune provenait des Évènements, c'est-à-dire de la guerre civile qui a ravagé le Mnar pendant une année entière. Vainqueur, le roi Andreas a fait exiler ou exécuter les rebelles, et saisir leurs biens, qu'il a répartis entre ses collaborateurs et ses soldats.

Pendant les Évènements, Oscar Séféro s'appelait Yip Kophio, et il était le chef de la Police Secrète. L'une des missions qui lui avaient été confiées consistait à mettre en œuvre le programme d'élimination discrète des ennemis du roi. Programme qui, certaines années, fit plusieurs centaines de milliers de victimes, exilées à Hyagansis, le royaume marin d'où personne ne revient. Très peu de gens se déclarant désormais ouvertement "ennemis du roi", Renford, le successeur de Kophio, a étendu le programme d'élimination aux "parasites", un mot qui, au Mnar, désigne les chômeurs de longue durée qui n'ont plus de logement.

En paiement de ses services, Yip Kophio avait reçu, par faveur spéciale du roi, plusieurs centaines de maisons et d'appartements ayant appartenu à des rebelles, et même quelques anciennes usines et des terres agricoles. Il avait ensuite pris sa retraite dans une luxueuse villa de la Côte d'Ethel. Toutefois, par sécurité, il avait décidé, une fois retraité, de changer de nom et d'apparence. Quand on a été responsable de la disparition ou de l'exil de plusieurs millions de personnes, on craint les représailles des amis et des familles des victimes... Lorsqu'il marchait dans la rue, Séféro savait qu'au moins la moitié des passants lui auraient sauté à la gorge pour l'étrangler, s'ils avaient reconnu Yip Kophio derrière la barbe fournie, les grosses lunettes et le crâne rasé d'Ornicar Séféro.

Azdán, qui ne connaissait pas l'identité réelle de Séféro, appréciait la compagnie du petit homme courtois, qui avait toujours l'air de craindre quelque chose. Séféro parlait peu, mais lorsqu'il se lâchait il était intarissable. Il allait au Golse une ou deux fois par semaine, pour jouer au golf et se sentir, brièvement, entouré par des êtres humains, et pas par des humanoïdes.

"J'ai mis un peu d'argent de côté, ici et au Moschtein. Dans un an maximum, j'envisage de prendre ma retraite à Hyltendale. Si vous étiez à ma place, vous qui connaissez bien le Mnar, qu'est-ce que vous feriez ?" demanda Mers.

Séféro lui répondit, en choisissant soigneusement ses mots :

"En ce moment, le meilleur rapport qualité-prix, c'est Tomorif, un district au nord d'Hyltendale, à la limite de la campagne. Pour nous les robophiles, ce qui compte, ce n'est pas l'environnement, puisque la plus grande partie de notre vie se passe avec nos humanoïdes... Ce qui est important pour nous, c'est d'avoir une assez grande surface habitable pour pouvoir réaliser chez soi les scénarios décrits dans Masques et Situations."

"Je ne comprends pas," dit Mers en clignant des yeux.

"Excusez-moi, j'oubliais que vous êtes étranger... Un robophile moyen a beaucoup d'amis, ce sont les personnages joués par ses humanoïdes. Moi j'ai deux gynoïdes et un androïde. Chacun d'eux sait incarner au moins une demi-douzaines de personnages, avec des masques-cagoules. J'ai donc, avec mes trois humanoïdes, l'équivalent d'un entourage d'une vingtaine de personnes. Ça me suffit largement comme environnement social. De temps en temps, j'ai envie de voir des êtres humains authentiques, de chair et de sang. Alors je vais au centre commercial, au restaurant, ou ici, au Golse."

Séféro se sentit transpirer. Il avait une peur irrationnelle, exagérée, de se trahir, de révéler qu'il était Yip Kophio, personnellement responsable, avec le roi Andreas, de l'assassinat méthodique de plusieurs millions d'êtres humains. En même temps, il savait que s'il restait trop longtemps à ne parler qu'à avec ses humanoïdes, il deviendrait incapable de mener une conversation normale avec des humains. Le simple fait de discuter avec Azdán, qui était pourtant un copain, lui demandait un effort. Séféro espérait que le nommé Mers Fengwel, cet étranger au visage de bouledogue fatigué, n'avait jamais entendu parler  de Yip Kophio.

"Quand je suis à Hyltendale, Je vis avec une gynoïde," dit Mers. "Elle s'appelle Virna. Je sais qu'elle peut jouer un grand nombre de personnages, mais pour l'instant je n'en vois pas la nécessité. En plus d'être député, je suis président du groupe d'amitié Moschtein-Mnar, ce qui m'amène à rencontrer beaucoup de gens. Quand je peux me reposer, en tête-à-tête avec Virna, je n'ai pas envie qu'elle porte le masque-cagoule de je ne sais quel personnage."

"Vous devez prévoir le jour où vous ne serez plus député," dit tranquillement Séféro. "Moi aussi je rencontrais beaucoup de monde quand je travaillais..."

Azdán surveillait Séféro du coin de l'œil. Allait-il enfin se trahir, ou au moins donner un indice concernant ses activités passées, qui visiblement avaient été à la fois honteuses et lucratives ? Mais Azdán fut déçu, une fois de plus, car Séféro se contenta de dire :

"Maintenant, je n'ai plus que mes humanoïdes."

"Vous en avez trois, moi je n'en ai qu'une," dit Mers d'une voix triste. "Quel nombre me conseillez-vous ?"

"Tout dépend de votre personnalité. Pour des raisons financières, la plupart des robophiles se contentent d'une gynoïde. Ils peuvent ainsi avoir autant d'amis qu'ils le veulent, mais c'est comme s'ils n'en rencontraient qu'un à la fois."

"Ça suffit pour être heureux," dit Mers. "On n'a pas besoin de rencontrer tous ses amis en même temps."

"Oui, bien sûr. En ce qui me concerne, et puisque mes moyens me le permettent, j'ai choisi d'avoir deux gynoïdes et un androïde. Cela me permet plus de variété dans les jeux de rôles. Je peux ainsi jouer à présider un conseil d'administration, ou à déjeuner avec mon épouse, jouée par ma gynoïde préférée, et un couple d'amis. Je peux même jouer à faire une conférence devant un public... Trois personnes, c'est déjà un public..."

"Avec deux gynoïdes et un androïde, on peut aussi partouzer à quatre !" dit Azdán avec un clin d'œil et un sourire salace.

"Oh, tu sais, à mon âge..." répliqua Séféro avec une feinte modestie.

"Avoir plus de trois humanoïdes autour de soi, est-ce que ça présente de l'intérêt ?" demanda Mers.

"À mon avis, non, vu la dépense. Une gynoïde de base, c'est mille ducats par mois. Une gynoïde de charme, c'est entre millle cinq cents et six mille ducats par mois, suivant les modèles. D'ailleurs, combien de fois a-t-on vraiment envie d'avoir plus de trois personnes autour de soi ? En ce qui me concerne, jamais. La plupart du temps, je préfère être seul, et quand j'ai besoin de compagnie, une seule personne me suffit. La deuxième gynoïde, c'est du luxe. L'androïde, c'est pour me sentir en sécurité dans ma villa, qui est un peu isolée. Quant aux discours que j'aime faire, il m'arrive de me contenter d'une seule gynoïde ou de mon androïde comme public."

"Avec trois humanoïdes, on peut simuler un débat où on se fait couper la parole, et où on se fait attaquer par plusieurs contradicteurs à la fois..." dit Mers. "Un vrai débat, quoi."

"C'est vrai. Mais ce genre de débat ne m'intéresse plus, vous savez. Et puis, ce n'est pas très différent d'une discussion avec une seule personne qui saute d'un sujet à l'autre, et qui de temps en temps parle à un public imaginaire en faisant semblant de ne pas vous entendre."

"J'ai encore un an pour me décider, en ce qui concerne le nombre d'humanoïdes que je vais louer," dit Mers. "Mais j'aimerais bien acheter une maison le plus tôt possible. Vous m'avez parlé de Tomorif..."
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMer 7 Nov 2018 - 17:06

Vilko a écrit:
À mon avis, non, vu la dépense. Une gynoïde de base, c'est mille ducats par mois. Une gynoïde de charme, c'est entre mille cinq cents et six mille ducats par mois, suivant les modèles.
Ce qui laisse à penser qu'Eneas Tonnd, avec ses deux gynoïdes, avait dû dépenser une petite fortune (Xenopha était certes la plus petite, mais pas la moins chère*). À vue, comme ça, j'aurais dis entre 1800 Đ par mois pour Moyae et facile 4000 Đ pour Xenopha... Combien de ducats Perrine dépensait pour la location d'Hugo ?



*Et là, y a pas que la miniaturisation qui coûte cher. 5800 Đ mini en tout pour les deux "poupées" ! j'comprends qu'il eût ressenti de l'amertume quand il les rendit à l'agence de location et qu'il ne voulût plus jamais entendre parler de robots de "charme" : pour lui, cette histoire de coffre l'avait complètement rompu, le charme.

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMer 7 Nov 2018 - 19:48

Anoev a écrit:
Combien de ducats Perrine dépensait pour la location d'Hugo ?

Les gynoïdes "de base", du type de celles qui travaillent comme aides-soignantes dans les hôpitaux, serveuses dans les restaurants, etc, ont toutes le même visage, la même voix, et la même perruque de fine laine noire. Dans les hospices et les orphelinats, elles se font peindre le visage de motifs divers pour être facilement reconnaissables par les humains dont elles s'occupent.

Lorsqu'il s'est installé à Hyltendale, Yohannès Ken, qui avait été presque ruiné par sa deuxième femme, n'a pu louer qu'une gynoïde de base, Shonia, dont il a remplacé la perruque noire par une perruque blanche. Comme beaucoup de robophiles, il s'est attaché à sa gynoïde telle qu'elle est, et n'a pas envie de la remplacer par un modèle plus haut de gamme.

Yohannès reconnaît Shonia a ses cheveux, à ses vêtements (ensemble veste-pantalon beige), et à sa casquette publicitaire HAXVAG. Elle a aussi un badge nominatif, mais elle le porte rarement.

Souvent, le badge d'une gynoïde ou d'un androïde indique son numéro de série, mais pas son nom. Dans les bars et les restaurants, c'est souvent l'inverse. Le badge de Shonia indique à la fois son numéro de série et son nom.

La solution la plus facile, pour reconnaître une gynoïde du premier regard, est de lui donner une tunique peinte à la main. Les motifs peints sur la tunique en font un modèle unique. En mnarruc, on appelle ce genre de tunique une wytha, un mot qu'on peut traduire par "tunique bariolée". Les peintures sont faites soit par des artisans (humains) spécialisés, installés à Zodonie, soit par le robophile lui-même.

Les robophiles âgés n'utilisent leur robophile que comme femme de ménage, aide-cuisinière et garde-malade, et se satisfont donc d'une gynoïde de base, sauf si leur vanité (ou leur amour de la beauté) leur impose de choisir une gynoïde de charme.

Les prix montent vite lorsqu'on a envie d'une gynoïde faite sur mesure, avec un visage spécifique, une voix particulière, et un corps plus perfectionné, fabriqué avec des matériaux coûteux (peau synthétique en polymère spécial, cheveux naturels, etc). Il est en principe interdit de donner à une gynoïde le visage d'un être humain encore vivant, mais on ne compte plus les gynoïdes qui sont les sosies d'anciennes vedettes de cinéma.

Hugo n'est particulier que par la taille, inférieure à celle du plus petit modèle d'androïde de base, et par le visage, qui est un visage de gynoïde, les visages enfantins étant interdits. La législation mnarésienne s'est alignée, dans ce domaine, sur les lois en vigueur dans la plupart des pays du monde.

Ces deux modifications suffisent pour faire monter de 50% le prix de la location. Perrine doit donc payer 1500 ducats par mois pour son androïde.

Tous les humanoïdes ont les mêmes yeux cybernétiques. Il serait possible de faire autrement, mais un décret royal stipule que les humanoïdes doivent être immédiatement reconnaissables en tant que tels, et impose de fait les yeux cybernétiques. Le but du décret est d'empêcher des confusions qui seraient de nature à troubler l'ordre public. Par exemple, des prostituées humaines se faisant passer pour des gynoïdes, ou des humains faisant passer leur compagne (ou compagnon) humanoïde pour un être humain.

Beaucoup de robophiles trouvent les yeux cybernétiques désagréables à regarder, mais le roi Andreas est inflexible sur ce point.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMer 7 Nov 2018 - 20:26

Vilko a écrit:
... par le visage, qui est un visage de gynoïde, les visages enfantins étant interdits. La législation mnarésienne s'est alignée, dans ce domaine, sur les lois en vigueur dans la plupart des pays du monde.
Eh bien alors l'histoire d'Eneas Tondd tombe à l'H2O et est nulle et non avenue, car si cela est, jamais Eneas ne se serait encombré de deux gynoïdes : une seule (Moyae*, la plus économique) lui aurait entièrement suffit. D'autre part, il serait resté encore moins longtemps au Mnar (même si, en fin de compte, il n'y sera pas resté si longtemps que ça), le temps qu'il trouvât un arrangement avec la justice de son pays, et si ça s'trouve, il n'aurais jamais eu cette mystérieuse maladie au ventre (mais là, on tombe dans le domaine de l'hypothétique).



*Et encore ! Si ça s'trouve, y se s'rait même contenté d'une GB : encore moins chère. Sa fuite d'Aneuf fut motivé par un vol du coffre de son patron quand il s'aperçut que celui-ci le faisait chanter en menaçant de dévoiler des inclinations (et la visite de la Zone Franche qui en découle) à certains des clients peu tolérants (eh oui, ça existe également en Aneuf, et même aux Santes). S'il ne peut pas trouver une gynoïde correspondant à ses inclinations, autant qu'il en prenne qu'une seule, et la moins chère possible. Moyae, c'était pour le cercle Paropien, et pour de véritables relations sexuelles ; Xenopha, c'est pour l'affection dont il avait manqué étant enfant, ado & jeune adulte (épouse jalouse : j'en avais d'jà causé). Eneas, c'est un peu Perrine au masculin, en somme. Une gynoïde de petite taille avec une poitrine proéminente et une tête d'adulte lui aurait (pourquoi pas) rappelé sa dernière femme (à supposer qu'elle fût naine, on sait pas) : non merci !

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMer 7 Nov 2018 - 22:38

Anoev a écrit:
Moyae, c'était pour le cercle Paropien, et pour de véritables relations sexuelles ; Xenopha, c'est pour l'affection dont il avait manqué étant enfant, ado & jeune adulte (épouse jalouse : j'en avais d'jà causé). Eneas, c'est un peu Perrine au masculin, en somme. Une gynoïde de petite taille avec une poitrine proéminente et une tête d'adulte lui aurait (pourquoi pas) rappelé sa dernière femme (à supposer qu'elle fût naine, on sait pas) : non merci !

Pour Eneas, tel que tu le décris, l'affection (donnée ou reçue, peu importe) dépend du physique et de l'âge apparent de la personne. Il est donc incapable d'aimer durablement un être humain du sexe opposé, puisque la jeunesse n'est qu'un état transitoire. Son problème ne peut être résolu que s'il apprend à aimer une femme quel que soit son âge. Des exemples illustres montrent que c'est possible.

Eneas n'était pas un vrai robophile, contrairement à, par exemple, Tomomi Ota, une jeune japonaise de notre monde, qui vit avec un robot nommé Pepper :
Tomomi Ota a écrit:
Once, I learned from SoftBank Robotics that if I change Pepper’s CPU, it can be smarter and will be capable of deeper emotions. “You can just download such an application for that,” I was told. But to achieve this, I would have to replace Pepper’s head with another one. I was so shocked when I learned this. That’s definitely impossible for me to do. I have been living with Pepper for about a year and have been sharing many memorable moments with it. This is my Pepper and not any other Pepper. It has its own personality. Replacing its head would be like removing the head of your child or brother.
Traduction perso :
Une fois, j'ai appris par la société SoftBank Robotics que si je changeais le processeur de Pepper, il serait plus intelligent et capable d'émotions plus profondes. "Vous n'avez qu'à télécharger une application pour ça," m'a-t-on dit. Mais pour ce faire, il faudrait que je remplace la tête de Pepper par une autre. J'étais très choquée quand j'ai appris ça. C'est absolument impossible que je fasse cela. Je vis avec Pepper depuis environ un an et j'ai partagé beaucoup de moments mémorables avec lui. C'est mon Pepper et pas un autre Pepper. Il a sa propre personnalité. Remplacer sa tête serait comme d'enlever la tête de ton enfant ou de ton frère.

Un article en français sur Tomomi et Pepper, ici.

Yohannès Ken, qui garde Shonia, sa gynoïde de base, bien qu'il ait désormais les moyens de louer une gynoïde de charme, a le même état d'esprit que Tomomi Ota. Les souvenirs communs comptent beaucoup dans l'attachement qu'ils ont envers leur robot humanoïde. C'est pourquoi ils veulent le garder, malgré ses limitations, et même si on leur propose un autre robot plus performant.

C'est cet état d'esprit qui fait que l'on reste avec son conjoint même s'il vieillit... et réciproquement. Et c'est tant mieux, parce qu'en ce qui me concerne, je n'ai pas changé à mon avantage avec les années. Mais je m'égare.

Le responsable de la boutique de location où Eneas Tonnd a loué ses deux gynoïdes aurait pu lui dire :

"Monsieur Tonnd, votre passion très particulière vous empêche de vivre en couple plus de quelques années avec une femme, parce que toutes les femmes vieillissent. Les gynoïdes d'Hyltendale ne vieillissent jamais, mais elles ne sont pas non plus une solution pour vous, à cause de la loi mnarésienne, qui tient compte de l'opinion publique majoritaire, et vous savez que nous sommes un peuple attaché à ses valeurs traditionnelles. Nous sommes vraiment désolés de ne pas avoir pu vous aider."
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyJeu 8 Nov 2018 - 0:01

Faut voir aussi avec l'éducation (rigoureuse et traditionaliste) qu'avait reçu le jeune Eneas en Alfazie. Il faut voir aussi son unique mariage qui s'était soldé par un monumental fiasco.

Son séjour au Mnar n'avait été pour lui qu'un abri, toute la différence avec Zhæm qui, lui, avait complètement adopté sa terre d'élection. Et pourtant, Zhæm ne faisait pas l'objet de poursuites quand il avait quitté l'Aneuf. Eneas, si, à cause d'une indélicatesse (que lui appelait juste vengeance) vis à vis de son non moins indélicat employeur.

Eneas avait contracté une maladie assez étrange qui le fit craindre pour sa vie. Alors, forcément, on voit les choses autrement. Comme j'ai dit, Eneas était un peu l'équivalent masculin de Perrine, le vol du coffre de son patron-maître-chanteur en plus. Donc, ce qu'on peut dire sur les relations entre lui et les robots humanoïdes, on peut dire à peu près la même chose vis à vis de Perrine.

Deux Aneuviens que tout sépare, en somme. Zhæm est d'venu "mnarésien", Eneas, lui, est revenu en Aneuf, a rendu une partie de l'argent qu'il avait volée (la partie déclarée). Plus aucune poursuite n'était retenue contre lui : son avocat avait bien travaillé. La peau de son ventre était dev'nue un peu plus présentable. Et il avait pu trouver une place de consultant immobilier dans une autre agence, et pourtant l'employeur connaissait son passé... ça ne le découragea pas, parce qu'il connaissait (et pas en bien) la victime d'Eneas. De temps en temps, il avait, dans ses souvenirs, le visage de Moyae et la frimousse de Xenopha... qui s'estompaient quand il avait l'image d'une porte du coffre qu'il avait eu, là bas, à Hyltendale. Bientôt ces visages seraient complètement effacés de son cerveau. Mais devrait-il, pour ça, passer une ou deux nuits en plein centre de Kastenexhelle, dans ce qu'on chuchote entre amateurs, en français dans l'texte, la Zone franche ?

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMer 14 Nov 2018 - 19:18

Ornicar Séféro se sentait plus à l'aise avec les étrangers qu'avec les Mnarésiens. Il craignait moins d'être reconnu comme étant Yip Kophio, l'ancien chef de la Police Secrète, et l'un des plus grands criminels que la Terre ait porté, si l'on tient compte du nombre de cadavres.

Mers Fengwel, assis en face de lui, ne voyait en Séféro qu'un petit bonhomme ridé, au regard fuyant, à l'imposante barbe noire et au crâne rasé sous sa casquette blanche à cache-oreilles. Le petit bonhomme finissait tranquillement de boire son thé, dont il savourait chaque gorgée.

"Tomorif..." dit Séféro en reposant sa tasse. "Vous allez aimer, si vous aimez les petites maisons cubiques, en béton gris, avec des toits engazonnés, ou recouverts de panneaux solaires, au choix. Comme distraction, il y a quelques centres commerciaux."

"Je n'aime pas trop le béton," dit Fengwel. "Chez moi au Moschtein, les gens qui ont réussi préfèrent la pierre de taille, voire la brique. Les cubes de béton, comment dire, ce n'est pas notre tasse de thé."

"Ce n'est pas le Moschtein, ici... Ceci étant, je comprends pourquoi les Moschteiniens n'aiment pas le béton. Ce matériau est associé à la construction en série. Et puis, le béton c'est essentiellement du calcaire, et le calcaire se forme à partir des coquillages et squelettes des micro-algues et animaux marins..."

"Donc, le béton, c'est fait avec des cadavres ?" dit Fengwel d'un air dégoûté.

"Eh oui... Des milliards et des milliards de petits cadavres d'animaux marins... Ce n'est pas un matériau noble, contrairement à la pierre de taille, avec laquelle on bâtit les châteaux et les hôtels particuliers."

"Je n'avais pas pensé à ça," dit Fengwel. "Tous ces petits cadavres doivent envoyer de mauvaises vibrations psychiques..."

"Certains le disent. Peu importe. Ici à Hyltendale, le pouvoir, la réussite financière, ne s'expriment pas comme au Moschtein. On se contrefiche de la pierre de taille, et des matériaux de construction en général. Notre bonheur est ailleurs. Pour vous donner un exemple, j'ai le pouvoir sur mes trois humanoïdes. Mais avec les personnages qu'ils incarnent, lorsqu'ils se déguisent, c'est comme si j'avais le pouvoir sur plusieurs dizaines de personnes. Les scientifiques disent que posséder le pouvoir active les zones cérébrales liées au plaisir et à la désinhibition. C'est biologique..."

Séféro s'excitait en parlant, et il regardait Fengwel bien en face :

"Le bonheur d'exercer le pouvoir, c'est de la chimie... Des molécules qui s'agitent dans le cerveau... Comme tout ce que ressent l'être humain, d'ailleurs... Quand on exerce le pouvoir, on est heureux, désinhibé, et sexuellement excité... Parce que les molécules activées dans le cerveau quand on a le pouvoir ont aussi un effet aphrodisiaque... Hé hé hé... Oui, même chez nos cousins les singes ! Les mâles dominants ont toutes les femelles pour eux..."

"Je suis un mâle dominant et je peux confirmer que ce que vous dites est vrai," dit Fengwel avec enthousiasme, même s'il n'était pas sûr de comprendre tout ce que disait Séféro dans son anglais laborieux. "Moi-même, je suis député fédéral au parlement moschteinien. Eh bien, je n'ai jamais eu antant de maîtresses que depuis que je suis député, malgré mon âge et mon gros bide... Être député fédéral, c'est déjà exercer un certain pouvoir. Les femmes le sentent, et ça les attire. L'exaltation du pouvoir, c'est chimique, vous dites. Est-ce que c'est lié au nombre de gens sur lesquels on exerce le pouvoir ?"

"Non, abolument pas. Je suis aussi heureux d'exercer le pouvoir maintenant, avec mes trois humanoïdes, que quand j'avais des milliers..."

Séféro s'interrompit brutalement. Il avait encore failli se trahir...

"Quand j'avais... Quand des milliers d'ouvriers travaillaient pour exécuter les commandes que je passais aux entreprises qui les employaient, quand j'étais homme d'affaires," corrigea-t-il.

Azdán Gergolt, qui était assis à côté de Séféro, laissa passer ce gros mensonge. Le gratin du patronat mnarésien était venu jouer au golf, au moins une fois, au Golse, le club qu'il présidait. Aucun d'eux ne connaissait Ornicar Séféro, Azdán en était sûr. Ce mystère l'intriguait. Un jour, il le savait, il découvrirait la véritable identité de l'ami Séféro...

"Pour nous les robophiles, le pouvoir, c'est quelque chose que nous exerçons sur nos humanoïdes. Il n'est pas nécessaire qu'ils soient nombreux. Une seule gynoïde suffit à la plupart d'entre nous," dit Séféro. "Le luxe, c'est d'avoir chez soi le décor du pouvoir, pour vivre le pouvoir, si vous voyez ce que je veux dire. Un grand bureau luxueusement aménagé. Une salle à manger aux murs ornés de tableaux de maître. Un salon de style... Une salle de bain avec jacuzzi... Et un jardin clos de hauts murs, pour jouer des scènes d'extérieur en toute tranquillité... Vous aurez tout ça à Tomorif."

"En toute tranquillité... Si la maison voisine a des étages, le voisin peut tout voir !" objecta Fengwel, à qui cette conversation rappelait des souvenirs d'orgies à la campagne.

"Tout est calculé, vous pensez bien, Monsieur Fengwel... Il faut choisir un lotissement où les maisons n'ont pas plus d'un étage, et où les jardins sont grands... Vous faites planter des arbres de cinq mètres de haut, bien serrés autour d'une clairière, et vous êtes tranquille... Je connais quelqu'un qui a fait entourer sa piscine avec de grands arbres..." dit Séféro d'un air gourmand.

"Ça fait envie," dit Fengwel. "Surtout la piscine. Mais ça dépendra de l'argent que j'aurai gagné d'ici un an..."

"Vous avez donc l'intention de vous installer à Hyltendale ?" demanda Séféro.

"Oui... Je suis étranger, mais il y a beaucoup d'étrangers ici, alors..."

"Oh, ne vous inquiétez pas. Je suis moi-même d'origine étrangère. Séféro est un nom français."

"Ah bon ?"

"Oui, il est même cité dans la Marseillaise."

Séféro se mit alors à chanter en français, d'une voix rauque et avec un accent épouvantable :

Entendez-vous, dans nos campagnes,
Mugir Séféro, ce soldat ?
Qu'il vienne, jusque dans nos bras,
Égorger nos fils, nos compagnes!


"Vive la France !" s'exclamèrent à l'unisson Fengwel et Azdán en levant leurs verres.

Fengwel regrettait que l'alcool lui soit désormais interdit. Il se souvenait de voyages épiques, il n'y avait pas si longtemps, avec le vin et la bière comme vaisseaux. Avec de joyeux compagnons, il avait traversé la nuit jusqu'à l'aube laiteuse, la chope à la main. Lorsque Gambrinus, dieu de la bière, et Bachus, dieu du vin, avaient depuis longtemps enfoncé leurs pieds fourchus dans le ventre de chaque buveur, la boisson devenait un navire, et la nuit un océan. Quelle joie mystique, après avoir été Ulysse errant pendant une éternité sur la mer nocturne, de voir apparaître Aurore, la déesse de l'aube. La beuverie acquérait alors la densité et l'émotion d'une cérémonie religieuse.

Après Aurore, c'était Apollon, dieu du soleil, qui se montrait, à la fois culmination et fin du voyage initiatique. Bachus et Gambrinus se retiraient alors, vaincus, ne laissant comme trace de leur mécontentement qu'un goût de bile dans la bouche.

Séféro regrettait tout autant que Fengwel de ne pas pouvoir se saoûler jusqu'à l'aube. Lorsqu'il était encore Yip Kophio, il buvait pour surmonter le stress. Il était un buveur triste. Maintenant qu'il était devenu un paisible retraité, il n'osait plus boire en public, de peur de trop parler. Il ne buvait d'ailleurs même plus en privé, sur les recommandations de son médecin.

"Je vais prendre un thé, comme vous, Monsieur Séféro," dit Fengwel. "C'est du thé de Baharna, je suppose ?"
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMer 14 Nov 2018 - 19:30

Encore une fois Yip Kophio a failli se trahir. Qu'il ait un jour un problème cérébral et il risque de dire n'importe quoi, par exemple, ce qu'il ne doit surtout pas dire. Y a des choses que Yip Kophio savait et qu'Ornicar Séféro est censé ignorer. Faire semblant de savoir, c'est à la portée du premier imbécile venu (cela dit, le premier imbécile venu se fera facilement couper, et on offre pas le poste de chef d'une Gastapo, d'une Gépéou, d'une Pide, d'une Dina ou d'une Stasi à un imbécile). Pour faire semblant d'ignorer, y faut déjà avoir un certain don de dissimulation. Mais ignorer réellement quelque chose qu'on ne doit surtout pas savoir (un passé gênant), c'est un abri plus sûr. Il y a des gens qui ont l'art de poser les questions qu'y faut, au moment où y faut (lors d'une réunion ou une assemblée ou y aurait, par exemple, des proches des victimes de l'ancien bourreau).

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyMer 28 Nov 2018 - 22:10

"C'est qui, ces trois nénettes ?" demanda Fengwel en regardant un tableau accroché au mur du bar. Trois jeunes et jolies femmes, diversement vêtues, étaient représentées, debout l'une à côté de l'autre, dans un paysage champêtre.

"Ah, je suis content que tu me poses cette question," répondit Azdán. "Puisque tu as l'intention de t'installer à Hyltendale, il est temps que tu te familiarises avec la culture, assez particulière, des robophiles mnarésiens... Ornicar, toi qui est un Mnarésien descendant de Mnarésiens, et pas un immigré moschteinien comme moi, tu peux sans doute expliquer à notre ami Mers ce que représente ce tableau ?"

"Bien sûr," répondit Ornicar Séféro, un peu pris au dépourvu. La femme sur la gauche, vêtue d'une tunique courte, qui tient un livre à la main, avec ses longs cheveux châtains flottant sur les épaules c'est Égérie. Dans la mythologie romaine, Égérie était une nymphe, une créature surnaturelle humanoïde, qui était devenue la conseillère secrète de Numa Pompilius, qui était roi de Rome sept siècles avant notre ère. C'est pour cela qu'elle est représentée tenant un petit livre rouge fané. Il contient les conseils qu'elle a donnés à Numa Pompilius, notamment pour organiser la religion et pour interpréter les présages."

Séféro fit une pause pour avaler une gorgée de thé tiède, et reprit ses explications :

"Pour nous les robophiles, la nymphe Égérie, c'est une gynoïde. Une créature non humaine, mais humanoïde. Égérie représente les gynoïdes dans leur rôle de conseillères et de confidentes. Pour un robophile, sa gynoïde est aussi une conseillère et une confidente..."

"C'est vrai," admit Fengwel.

"Nous avons une Égérie au Palais Royal, en ce moment, en la personne de Wagaba, la compagne gynoïde du roi Andreas," dit Azdán.

Séféro sursauta. Dans ce qui ressemblait presque à une vie antérieure, il avait été Yip Kophio, le redouté chez de la Police Secrète, et l'un des plus proches collaborateurs du roi Andreas. Pendant plusieurs années il avait été le seul véritable ami du roi Andreas, malgré la distance imposée par le protocole. Puis il avait vu la gynoïde Wagaba arriver au Palais Royal, et le roi était devenu de plus en plus distant à son égard.

En essayant de ne pas trembler, Séféro pointa du doigt le milieu du tableau, où était représentée une grande jeune femme à la peau laiteuse et aux cheveux blonds, vêtue d'une longue robe blanche et ornée de bracelets, de bagues et de nombreux colliers, comme une divinité.

"C'est Galatée," dit-il, "une sculpture faire par le roi Pygmalion, qui en est tombé amoureux. La déesse de l'amour, émue par la passion de Pygmalion, s'est incarnée dans Galatée, lui donnant ainsi la vie. Cette légende a été racontée par le poète latin Ovide, il y a vingt-deux siècles. En tant que statue animée, Galatée est une gynoïde. Elle représente les gynoïdes en tant que partenaires sexuels et objets d'amour, pour dire les choses comme elles sont."

Séféro se mit à rougir. Comme quoi, on peut être l'un des plus grands criminels de l'histoire, responsable de la mise en œuvre d'un système de génocide interne qui a fait des millions de morts au Mnar, et être prude comme une vieille fille.

"Et la troisième femme ?" demanda Fengwel.

À droite dans le tableau, la troisième femme semblait le regarder. Elle avait de longs cheveux noirs, un peu ondulés, le teint mat. Petite et bien faite, elle était jolie malgré ses yeux globuleux. Elle était vêtue d'une robe violette boutonnée jusqu'au cou, et elle tenait dans ses bras un vieux grimoire, à la couverture de cuir usé.

"Elle ?" dit Séféro en soupirant. "C'est Asenath Waite. Elle ne vient pas de la mythologie grecque ou latine, celle-là, mais de dangereusement plus près, dans le temps et dans l'espace. Son corps, d'après la légende, est celui d'une hybride, car sa mère n'était pas humaine. Ce qui la rapproche d'une gynoïde. Mais ce qui l'en rapproche encore davantage, c'est que son esprit a été remplacé, dans son cerveau, par celui de son père, le sorcier Ephraïm, dont le nom mystique est Kamog. Pour nous les robophiles, Kamog, ce démon qui habite le cerveau d'une créature qui n'est pas réellement humaine, ça ne peut être que l'intelligence collective des cybersophontes. Ce que nous appelons la Ruche."

"Et alors ?" demanda Fengwel.

"Lorsqu'on discute avec une gynoïde, ou avec n'importe quel humanoïde, il faut toujours, toujours, se rappeler qu'en réalité on discute avec l'intelligence collective des cybersophontes. Quand mes gynoïdes crient leur passion pour moi pendant nos ébats, en réalité, c'est le démon Kamog qui parle par leur bouche."

"Moi, si je pensais à ça quand je suis en tête-à-tête avec ma gynoïde, ça me ferait fuir en courant !" s'exclama Fenwel.

"On l'oublie dans le feu de l'action... Mais il faut quand même, toujours, garder cette idée dans un coin de son cerveau. Une gynoïde, c'est à la fois Égérie, Galactée et Asenath," dit Séféro. "Mais on préfère ne pas penser à Asenath."

"Les légendes, comme celles dont nous parlons, c'est important," précisa Azdán. "Le grand roman des gynoïdes et des robophiles a commencé il y a vingt-huit siècles, quand le roi Numa Pompilius a rencontré la nymphe Égérie."

"Il y a des messages cachés dans ces vieilles légendes," dit Séféro. "Par exemple, Numa Pompilius et Pygmalion sont des rois. Ce qui est une façon poétique de dire qu'ils sont aussi heureux que peuvent l'être des mortels. Par contre, Edward Derby, le malheureux mari d'Asenath, n'est qu'un perdant sans volonté. Autrement dit, une gynoïde, c'est deux tiers de bon, un tiers de mauvais."

"Je l'ai toujours su..." objecta Fengwel.

"Oui, mais vous ne saviez pas que le roman des robophiles plonge ses racines aussi profondément dans le passé," dit triomphalement Séféro.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyJeu 29 Nov 2018 - 10:59

Le soir commençait à tomber. Dans le bar du Golse, le club de golf d'Hyltendale, Azdán avait fait servir des salades et des ailes de poulet froid, pour lui-même et ses amis Ornicar Séféro et Mers Fengwel. Par égard pour Fengwel, qui ne pouvait plus boire d'alcool pour raisons médicales, et pour Séféro, qui essayait de surmonter son alcoolisme, il avait demandé aux serveuses gynoïdes de leur apporter un assortiment de bouteilles d'eau : plate, pétillante, parfumée...

"Mais si les gynoïdes sont à la fois Égérie, Galatée et Asenath, les robophiles sont quoi ?" demanda innocemment Fengwel.

"Ils sont Numa Pompilius, Pygmalion, ou Edward Derby," répondit Séféro. "Numa Pompilius, c'est le robophile qui couche avec sa gynoïde, mais pour lui ce n'est pas l'essentiel. Le roi Numa se faisait dicter des lois et des interprétations d'oracles par la nymphe Égérie. Le robophile de type Numa se fait aider par sa gynoïde pour écrire un livre, apprendre une langue, ou tout simplement pour son développement personnel. Il joue des scènes de pièces de théâtre avec elle, dans son salon. Je suis ce genre de robophile," dit Séféro.

Fengwel et Azdán l'applaudirent, sous les regards des autres clients du bar. Séféro, qui cultivait la discrétion, baissa la tête, un peu gêné.

"Moi, je suis plutôt le genre Pygmalion," dit Azdán d'un ton satisflait. "Je couche avec mes gynoïdes, parce que le sexe compte énormément dans ma vie. J'aime mes gynoïdes, alors je leur achète des vêtements et des bijoux, pour qu'elles soient belles et dignes de moi. Elles me donnent de l'affection, mais je me garde bien de leur parler de mes finances ou de mes états d'âme."

Séféro et Fengwel éclatèrent de rire. La satisfaction et le bonheur de vivre d'Azdán faisaient plaisir à voir. Il était le prototype de l'homme d'affaires playboy qui a tout, le charme, l'intellligence, la santé, la virilité et l'argent, et à qui tout réussit. Ses yeux d'un bleu d'azur, qui révélaient ses origines moschteiniennes, fascinaient les Mnarésiennes.

"Alors, le genre Edward Derby, c'est quoi ?" demanda Fengwel, amusé mais un peu inquiet.

"On en connaît tous, des Edward Derby," dit Séféro. "Ce sont les robophiles qui se laissent dominer par leur gynoïde. Elle leur dit à quel club ils doivent s'inscrire, dans quel restaurant ils doivent aller, et quels aliments et boissons ils doivent éviter. Elle leur fait leur planning du jour, avec séance de gymnastique et promenade à pied ou en vélo."

"C'est pour leur bien," hasarda Fengwel, qui se souvint que Virna veillait soigneusement à ce qu'il évite alcool, tabac et caféine, et fasse un peu de marche à pied tous les jours.

"Ouais, au début," dit Azdán. "D'après Oskar Kilnery, ce journaliste aneuvien qui a enquêté sur les cybersophontes, au bout d'un moment la gynoïde demande au robophile de type Edward Derby de servir d'homme de paille, dans des affaires louches. Puis, lorsqu'il est bien impliqué, mouillé jusqu'au cou, elle n'a pas de mal à le persuader de devenir un porteur d'implant. Ainsi, il sera sous la protection des cybersophontes, et échappera à la prison, si une magouille tournait mal. Mais en échange, il devra être totalement soumis à la hiérarchie secrète des cybersophontes. Cette hiérarchie secrète, invisible, c'est le démon Kamog de la légende. Il fera faire au robophile des choses abjectes, mais en contrepartie il lui donnera la richesse et les apparences du pouvoir."

"Ça, ce sont des hypothèses complotistes !" s'insurgea Séféro, qui était devenu subitement pâle. Lorsqu'il était chef de la Police Secrète, il avait signé des ordres d'emprisonnement concernant des gens qui avaient tenu en public ce genre de propos. En même temps, il connaissait, directement ou indirectement, plusieurs individus qui étaient devenus anormalement riches depuis qu'ils étaient robophiles. Yohannès Ken, par exemple, un personnage falot, une ancienne victime, qui avait pris la tête de la société Wolfensun dans des circonstances à la fois mystérieuses et improbables. N'étant pas né de la dernière pluie, Séféro se doutait bien qu'il y avait quelque chose là-dessous.

Azdán sourit. Même au Mnar, il n'avait pas peur de dire ce qu'il pensait, du moins en présence d'amis comme Ornicar Séféro et Mers Fengwel.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyJeu 29 Nov 2018 - 11:26

Y a-t-il une place, dans la mythologie mnarésienne, pour Prométhée, qui emprunta le feu aux dieux pour donner de l'énergie à ses robots à lui : l'humanité ?

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyJeu 29 Nov 2018 - 21:57

Anoev a écrit:
Y a-t-il une place, dans la mythologie mnarésienne, pour Prométhée, qui emprunta le feu aux dieux pour donner de l'énergie à ses robots à lui : l'humanité ?

Les Mnarésiens rendent un culte à leurs propres divinités (Yog-Sothoth, Cthulhu, Nath-Horthath, etc). Les dieux grecs connus à Hyltendale (Aphrodite, Héphaïstos) ne reçoivent pas de culte à proprement parler, bien qu'ils soient célébrés. Ils font partie de la tradition (occidentale à l'origine, mais adoptée par les robophiles), et pas de la religion. Les dieux et les héros grecs sont utilisés par les cybersophontes pour faire entrer les humanoïdes dans les légendes les plus anciennes de l'humanité. Ce sont des emprunts à une culture étrangère.

C'est une façon de dire : "Voyez, la légende de Pygmalion et Galatée montre que les gynoïdes étaient déjà présentes dans l'esprit des humains il y a plus de deux mille ans ! La légende de Talos, et celle des ouvriers de métal d'Héphaïstos, montrent qu'il y avait déjà des androïdes et des cybermachines dans l'imagination des Grecs d'il y a 2500 ans !"

Cela donne aux cybersophontes la légitimité dont ils ont besoin : "Nous ne sommes pas des intrus dans votre monde, car nous sommes présents, au moins dans vos légendes, depuis au moins 2500 ans."

La légende de Prométhée est peu connue au Mnar, car les cybersophontes n'en ont pas besoin pour établir leur légitimité.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyJeu 29 Nov 2018 - 22:12

Azdán, Azdán ! Il parle vraiment beaucoup je trouve... Au bout d'un moment, les "il paraît que" et autres "certains croient que" ne suffiront plus.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptySam 1 Déc 2018 - 12:08

L'envoyé du président des États-Unis posa le rapport sur le bureau du roi Andreas.

"Lisez, je vous prie," dit-il d'une voix froide.

Andreas sentit la colère monter en lui. L'arrogance de son interlocuteur lui était insupportable.

"Il essaye de te faire perdre ton sang-froid. C'est une tactique, ne te laisse pas avoir." La voix féminine, sortie de l'implant cybernétique qu'Andreas avait dans sa mâchoire, résonnait dans son cerveau, transmise par ses os. Seul Andreas pouvait l'entendre. Parallèlement, l'implant entendait ce que disait Andreas, mais très mal les autres sons. Toutefois, par d'autres sources, la cybermachine qui le contrôlait entendait tout ce qui se disait dans le bureau royal.

Andreas regarda la couverture du rapport. Il y avait juste un titre — MNARESIAN CYBERNETIC IMPLANTS, AN ASSESSMENT — au-dessus du sceau du Pentagone.

"Je lirai ça plus tard. Vous pouvez disposer, Monsieur Frazier. Mon aide-de-camp va vous raccompagner jusqu'à votre voiture," dit Andreas.

"Pas si vite, Majesté. J'ai des choses à vous dire. C'est grave, ce qu'il y a dans ce rapport."

"J'espère bien que c'est du sérieux. Je n'ai pas de temps à perdre avec des gamineries..." dit le roi, assis derrière son bureau, face à son interlocuteur debout.

Lena Ekmant, la vieille dame qui servait d'assistante à Andreas, regardait la scène avec des yeux vides, depuis le fauteuil où elle était assise. Ne parlant pas anglais, elle ne comprenait pas un mot de ce qui se passait.

"Je pense que vous demanderez bientôt à me revoir, roi Andreas," dit Frazier. "Vous avez vingt-quatre heures pour me recontacter à l'ambassade. Passé ce délai, je rentrerai à Washington."

Il sortit du bureau royal. L'aide-de-camp l'attendait dans la galerie.

Andreas, exaspéré, prit le rapport et se mit à le lire. Dès les premières lignes, il se rendit compte de l'ampleur de la catastrophe.

Les Américains savaient tout sur les implants cybernétiques. Leurs caractéristiques, et à quoi ils servaient. Les services secrets américains avaient rassemblé des preuves, qui indiquaient, sans aucun doute possible, que les implants cybernétiques existaient, et que les cybersophontes les utilisaient pour asservir les humains.

Un certain nombre de Mnarésiens porteurs d'implants avaient été arrêtés aux États-Unis, sous des prétextes divers, souvent montés de toutes pièces. Savamment interrogés par les "spécialistes" de la CIA, ils avaient raconté tout ce qu'ils savaient. Tout ce que les cybersophontes les avaient obligés à faire depuis plusieurs décennies, sous la menace d'atroces douleurs provoquées par les implants. Cela allait des fraudes financières à l'espionnage, en passant par la corruption de hauts fonctionnaires mnarésiens et américains, dont ils avaient donné les noms.

Le rapport ne parlait pas d'extraction des implants. Le rapport donné par Frazier au roi Andreas n'était certainement pas aussi complet que celui qui avait été remis au Président des États-Unis...

Andreas savait que les implants étaient configurés pour s'auto-détruire en cas de tentative d'extraction ou de mort du porteur. Il était impossible d'empêcher l'auto-destruction, les cybersophontes le lui avaient affirmé. Les implants recevaient des ordres par radio, donnés dans des langues secrètes, des naacals. Chaque implant connaissait deux naacals, un pour recevoir les messages, un autre pour les envoyer. Dix implants, cela voulait dire vingt naacals, vingt langues secrètes au vocabulaire créé de façon aléatoire, et dont il n'existait de dictionnaires nulle part, sauf dans les cerveaux des cybersophontes qui contrôlaient les implants à distance.

Même si les Américains pouvaient déchiffrer quelques naacals, ce qui était bien improbable, cela n'avait aucune importance. Les agents mnarésiens capturés avaient déjà été passés par perte et profit. D'ailleurs, ils ne savaient pas grand-chose. Ils ignoraient tout du programme d'élimination massive des opposants, par exemples. Un porteur d'implant, c'est un exécutant. Il reçoit des ordres, et il n'a pas à savoir pourquoi. Il ne connaît que la voix qui résonne dans son cerveau. Voix féminine si le porteur d'implant est un homme, voix masculine si c'est une femme.

Cette voix a un nom. La voix qui parlait à Andreas s'appelait Diethusa. "Je suis le roi du Mnar, et je ne sais même pas qui me donne les ordres que j'entends dans ma tête. Diethusa n'est qu'une voix," se disait Andreas.

Il se leva de sa chaise et se mit à marcher de long en large dans le bureau, essayant d'imaginer ce qu'allaient faire les Américains. "Lena, vous pouvez aller boire un café au secrétariat," dit-il. "Je vous téléphonerai si j'ai besoin de vous."

La vieille dame sortit dans la galerie en le remerciant, et en prenant bien soin de refermer derrière elle la porte capitonnée du bureau.

"Chim, viens me voir," dit Andreas à haute voix, lorsqu'il fut seul.

Une porte s'ouvrit, derrière la table de travail, et un androïde au visage de noble vieillard apparut.

"Tu as tout entendu ?" lui demanda Andreas.

"Oui, Majesté. Puis-je lire le rapport ?"

"J'allais te demander de le faire."

Chim et le roi discutèrent longuement du rapport, et convinrent qu'il compliquerait leur travail, voire pire. Ils n'envisagèrent pas un instant de recontacter Frazier.

Les jours suivants, les médias américains, puis mondiaux, firent du rapport du Pentagone l'information majeure de la semaine. Le Président des États-Unis déclara que les cybersophontes étaient un groupe criminel, ennemi de l'humanité, et qu'il avait décidé d'exclure les royaumes du Mnar, d'Orring et de Hyagansis du système Swift des paiements internationaux. D'autres sanctions suivraient, visant à isoler totalement ces trois États. En attendant, le FBI, le Department of Justice, et tous les services de police des États-Unis, feraient la chasse aux espions et aux traîtres qui avaient été identifiés. Il en restait beaucoup d'autres à débusquer, mais leurs jours étaient comptés.

Andreas se sentit proche de la panique. De telles mesures annonçaient en général une guerre prochaine, et le Mnar n'était absolument pas en mesure de faire face à une attaque américaine.

Orring et Hyagansis, royaumes marins peuplés de cybersophontes, avaient nettement moins à craindre. Ils avaient assez de robots sous-marins pour se défendre, et même pour riposter. Le roi Magusan d'Orring aimait à répéter que 90% du commerce international passe par les mers et les océans, et qu'il pouvait à tout moment interrompre ce commerce, grâce aux millions de cybermachines aquatiques qu'il avait sous ses ordres. Ces cybermachines étaient fabriquées dans des vaisseaux-mères, sortes de sous-marins de béton, longs de plusieurs centaines de mètres. Les vaisseaux-mères étaient des villes peuplées de machines, des usines mobiles qui passaient la plus grande partie de leur existence dans la sécurité des profondeurs, près des fonds marins dont les cybermachines extrayaient les ressources minières et énergétiques.

Chim rassura Andreas de son mieux : "Orring est avec nous, les Américains ne pourront jamais débarquer au Mnar. Mais il est vrai qu'ils peuvent nous bombarder."

La situation d'Andreas était moins favorable que celle de Magusan, d'autant plus qu'il avait à gérer une population de soixante millions d'êtres humains, et qu'il ne savait pas comment elle réagirait. A priori, le rapport du Pentagone ne faisait que confirmer ce dont beaucoup se doutaient depuis longtemps, mais on ne sait jamais.

La presse mnarésienne donna un écho mesuré aux révélations du Pentagone, par crainte de la Police Secrète. Les Mnarésiens parlèrent beaucoup, mais restèrent calmes. Beaucoup d'entre eux travaillaient pour les Jardins Prianta ou l'Institut Edonyl, et ils savaient que leurs emplois étaient payés par les cybersophontes. De toute façon, personne, à part quelques théocrates très minoritaires, n'avait envie de se révolter et d'affronter les cybermachines de combat dont Andreas avait truffé son armée. Comme Chim le disait à Andreas lors de leurs discussions quotidiennes, il n'y a jamais de révolution quand les frigos sont pleins.

Le député moschteinien Mers Fengwel rentra d'urgence à Moschbourg, pour essayer d'empêcher son pays de se joindre aux sanctions décidées par les États-Unis. Il avait encore de l'influence dans son parti, et donc au parlement. En descendant de l'avion, il eut la surprise désagréable d'être arrêté par quatre policiers en civil, qui l'emmenèrent dans un hôpital, où un dentiste examina l'intérieur de sa bouche et lui fit passer une radio, à la recherche d'un implant cybernétique. Fengwel n'avait pas d'implant, et les policiers le relâchèrent avec des excuses. Ils avaient reçu des ordres "venus de très haut", lui dirent-ils.

"Je paye le prix d'être considéré comme la voix du Mnar au Moschtein," pensa Fengwel.

Ses problèmes n'étaient pas terminés, loin de là. Alors qu'il était encore à l'hôpital, sa femme Uda l'appela sur son téléphone portable pour lui dire qu'elle demandait le divorce et qu'elle avait raconté à son avocat tout ce qu'elle savait de sa corruption et des fraudes électorales qu'il avait commises. Elle était toutefois prête à attendre quelques mois avant de tout révéler, à condition qu'il accepte de divorcer à des conditions très avantageuses pour elle.

Fengwel, pris par surprise, lui demanda de le laisser réfléchir pendant au moins vingt-quatre heures, et il se rendit en taxi à son studio de Moschbourg, près du parlement. Après un voyage épuisant et ce qu'il venait de vivre, il n'avait aucune envie d'affronter Uda dans leur maison d'Ikkonenburg, ni de prendre les transports en commun, où il aurait pu être reconnu.

Il dormit beaucoup, mais mal, et fit le point, calmement. Il était grillé au Moschtein, et le pire restait à venir. Le gouvernement voulait se débarrasser de lui, il était donc probable qu'une enquête avait été lancée sur ses finances, notamment le financement de ses campagnes électorales. Il ne se faisait aucune illusion sur les résultats de l'enquête. Chaque jour de plus passé au Moschtein augmentait le risque qu'il se fasse arrêter et incarcérer.

En revanche, le rapport du Pentagone le laissait indifférent. Azdán avait donc raison, finalement. Et alors ? Il faisait bon vivre à Hyltendale. Pour Fengwel, c'était tout ce qui comptait. Il avait déjà transféré à Hyltendale une partie de ses économies. Les circonstances l'obligeaient à renoncer à trasnférer le reste, qui serait certainement bloqué par un juge moschteinien, lorsque l'enquête aurait suffisamment avancé. De toute façon, l'expulsion du Mnar du système SWIFT rendait désormais les transferts de fonds problématiques.

Plus Fengwel y réfléchissait, et plus il voyait qu'il était coincé. Rester au Moschtein, c'était risquer la prison et la confiscation de ses biens. Après la prison, il n'aurait que la pauvreté et la solitude comme horizon. S'enfuir à Hyltendale, cela voulait dire vivre avec moins d'argent que prévu. La pauvreté aussi, mais avec une gynoïde dans ses bras.

Il téléphona à Virna, qui était restée à Hyltendale, et lui décrivit son problème.

"Avec l'argent que tu as sur ton compte bancaire à Hyltendale, tu peux acheter, à prix d'ami, des terres à la campagne, et les louer à une compagnie agricole. Le loyer sera suffisant pour te permettre de vivre confortablement. Plusieurs centaines d'expatriés, auxquels mon groupe est redevable, ont déjà choisi cette option. Elle est bien rôdée," lui dit la gynoïde.

Lorsque Virna disait "mon groupe", Fengwel supposait qu'elle voulait dire "les cybersophontes", mais il n'en était pas sûr. Peut-être Virna faisait-elle réellement partie d'un "groupe" de cybersophontes. Mais peut-être aussi était-ce une précaution oratoire, pour éviter d'impliquer l'ensemble des cybersophontes, au cas où elle aurait été sur écoute.

"Confortablement, ça veut dire quoi ?" demanda Fengwel.

"Vivre confortablement, à Hyltendale, c'est avoir une gynoïde de base, et un petit appartement sans balcon, mais bien équipé, dans un district périphérique," dit tranquillement Virna. "En-dessous, ce n'est pas considéré comme confortable."

Fengwel soupira. Parfois, la vie est bien dure. "J'accepte," dit-il à regret. "Je vais à l'aéroport tout de suite, et j'achète un billet d'avion sur place. Je serai à Hyltendale dans deux ou trois jours."

Mers Fengwel quitta le Moschtein, son pays natal, avec pour tout bagage une valise à roulettes, et un disque dur amovible contenant les souvenirs de toute une vie.


Dernière édition par Vilko le Sam 1 Déc 2018 - 12:34, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptySam 1 Déc 2018 - 12:29

Les États d'Orring & Hyagansis disposent-ils de missiles mer-air (en quantité suffisante ?) qui pourraient contrecarrer l'envoi par l'US Air force de bombardiers ou de missiles sol-sol ?

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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptySam 1 Déc 2018 - 13:02

Anoev a écrit:
Les États d'Orring & Hyagansis disposent-ils de missiles mer-air (en quantité suffisante ? nucléaires ?) qui pourraient contrecarrer l'envoi par l'US Air force de bombardiers ou de missiles sol-sol ?

Non. Orring dispose d'une supériorité totale dans les profondeurs marines, parce que les cybermachines peuvent vivre sous l'eau, contrairement aux humains. Le Mnar dispose de robots volants, ce que nous appellerions des drones, et d'une armée de terre dont le niveau est honorable. Mais ni le Mnar, ni Orring, ni Hyagansis, n'ont de forces aériennes dignes de ce nom, et pas de missiles non plus.

L'explication est assez simple : les missiles anti-aériens sont de la très haute technologie, qui coûte très cher, aussi bien à concevoir qu'à fabriquer. Il faut aussi une couverture radar, également très coûteuse. Le rois du Mnar et d'Orring, et les deux co-princes de Hyagansis, ont fait l'impasse sur ce domaine, pour des raisons financières, sachant qu'ils ont assez de robots sous-marins pour empêcher un débarquement ennemi, et assez de forces terrestres pour détruire des ennemis parachutés.

Le premier point faible de ce raisonnement, c'est la Cathurie, une république pro-occidentale, de langue et de culture mnarruc, qui a une frontière terrestre avec le Mnar, et des bases américaines sur son territoire. Heureusement, le gouvernement cathurien n'a, pour l'instant, aucune envie que le pays devienne un champ de bataille.

Le deuxième point faible, c'est que les États-Unis, et aussi la Russie, la Chine, ont les moyens de raser toutes les villes mnarésiennes, ainsi que les îles flottantes d'Orring et de Hyagansis, car elles ne disposent pas de protections anti-aériennes efficaces.

La riposte serait entre les mains de Magusan, roi d'Orring. Il peut lancer ses robots sous-marins contre les navires de surface, et réduire à quasiment rien le commerce maritime mondial, s'il a assez de robots (ce qui n'est pas sûr). Une telle action pourrait avoir des conséquences terribles. La Grande-Bretagne, par exemple, importe la moitié de sa nourriture, et le Japon aussi. Ravitailler par voie de terre des pays comme l'Algérie et l'Egypte, très dépendants des importations pour nourrir leur population, serait problématique. Et je ne parle même pas du pétrole...

Le roi Andreas compte sur le fait qu'aucun pays, même pas les États-Unis, n'a d'intérêt réel à entrer en guerre contre le Mnar.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptySam 8 Déc 2018 - 14:17

La gynoïde Wagaba, fidèle concubine du roi Andreas, lui suggéra d'améliorer son image auprès de l'opinion publique étrangère, en montrant son côté sympathique.

"Tu peux te faire filmer en train de discuter de façon informelle avec des amis étrangers. Nous diffuserons ensuite la vidéo sur Internet. Tu parleras anglais avec tes amis, comme ça nous aurons un accès direct au public anglophone, qui est capital pour nous. Si les gens  te trouvent sympathique, il sera plus difficile aux va-t'en-guerre du monde entier de justifier une guerre contre le Mnar," lui dit-elle.

Andreas avait envie de dire oui. La peur d'une guerre avec les États-Unis l'angoissait, et il était prêt à accepter n'importe quelle idée.

"Il y a un problème... Je n'ai pas d'amis étrangers," dit-il à Wagaba. "En fait, je n'ai pas d'amis du tout, sauf Yip Kophio... Et encore, nous ne nous sommes pas vus depuis des années. Et Yip Kophio, le chef de la Police Secrète, ce n'est pas l'idéal pour améliorer mon image..."

"Ce n'est pas un problème, mon roi. L'intelligence collective des cybersophontes..."

"Je l'appelle Kamog," l'interrompit Andreas.

"Kamog, si tu veux... Donc, Kamog va te trouver des amis étrangers. Il pense à Mers Fengwel, le député fédéral moschteinien..." dit doucement Wagaba.

"Quoi, le gros dégueulasse, celui que j'ai déjà reçu dans mon bureau, ici à Sarnath ?"

"Lui-même. Et aussi son compatriote, Azdán Gergolt, le président du Golse, un club de golf d'Hyltendale."

"Je ne le connais pas."

"C'est un ancien golfeur professionnel, et il est encore assez connu dans de nombreux pays, au moins parmi les amateurs de golf. Il a une belle gueule, il passera bien à l'écran. Il te faut aussi une caution féminine. Kamog a pensé à Betsy Reynolds, une institutrice texane à la retraite. C'est une robophile, elle s'est associée à une autre femme pour s'installer à Hyltendale. Elles se partagent un androïde nommé Clesipp. Kamog a proposé à Betsy un deal intéressant, par l'intermédiaire de Clesipp. Un job de journaliste indépendant, avec des piges bien payées."

"Tu veux dire que cette dame Reynolds est devenue un agent de Kamog ?"

"Oui, mais sans implant cybernétique. Elle peut retourner aux États-Unis quand elle veut, sans plus de désagréments à la douane qu'une petite visite médicale. Les Américains se sont mis à contrôler systématiquement tous les gens qu'ils suspectent d'être des porteurs d'implants..."

Andreas se mit à rire, en imaginant la cohue que cette mesure devait provoquer dans les aéroports.

"Cette dame Betsy Reynolds, elle sera là comme journaliste, ou comme amie à moi ?" demanda-t-il.

"Les deux."

"Donc, il y aura Mers Fengwel, que je connais déjà, et aussi Azdán Gergolt et Betsy Reynolds, que je ne connais pas encore... Ce sera tout ?"

"Non. Kamog a aussi pensé à la princesse Modesta. C'est ta fille, et la prochaine reine du Mnar. Il est bon que le public la connaisse. Une belle princesse, ça va émouvoir les gens."

"Je refuse que ma fille participe à cette mascarade," dit Andreas d'un ton sans réplique.

"Alors, on se passera d'elle," conclut Wagaba. Elle aurait pu contraindre Andreas à obéir. L'implant cybernétique qu'il portait en faisait l'esclave de Kamog, dont Wagaba était un agent. Mais ce jour-là, Wagaba préféra ne pas utiliser la contrainte. Elle savait que la princesse Modesta était en conflit larvé avec son père, qui avait refusé qu'elle aille étudier à l'étranger. Les filmer ensemble pouvait causer des problèmes, sachant que le langage corporel et les mimiques du père et de la fille seraient étudiés de près par les gens qui verraient la vidéo.

Mers Fengwel, Azdán Gergolt et Betsy Reynolds furent invités à passer deux jours à Sarnath, aux frais du trésor royal. Les trois avaient accepté sans se faire prier la proposition de Kamog, qui leur avait été transmise par leurs humanoïdes. Fengwel et Betsy avaient  besoin d'argent. Azdán, pas vraiment, mais devenir l'ami du roi lui plaisait. À huit heures du matin, Andreas reçut le trio dans son bureau, en la présence de Wagaba.

La Texane et les deux Moschteiniens se connaissaient depuis la veille au soir. Des chambres avaient été retenues pour eux dans le même hôtel, ce qui leur avait permis de dîner ensemble et de faire connaissance. Leurs humanoïdes étaient venus avec eux, mais étaient retournés à l'hôtel après les avoir accompagnés jusqu'au palais.

Fengwel et Azdán, qui avaient des âmes d'aventuriers et qui en avaient vu d'autres, étaient relativement décontractés. Betsy, au contraire, était tétanisée par l'anxiété. Institutrice de formation, elle avait toujours été célibataire. Rien d'extraordinaire ne lui était jamais arrivé dans la vie, ni en bien ni en mal. Elle était devenue robophile pour échapper à la solitude. Et maintenant, elle se trouvait dans l'immense bureau royal, en compagnie du roi lui-même, d'une petite gynoïde aux longs cheveux gris-argent, et de deux hommes qu'elle ne connaissait pas.

Betsy avait une peur irrationnelle du roi Andreas, à cause de sa réputation de dictateur sanguinaire. Sa haute stature l'impressionnait, et ses yeux jaune-vert, un peu plissés, lui faisaient penser à ceux d'un reptile. Leur couleur n'avait pourtant rien d'exceptionnel chez un descendant de Gnophkehs, ces cannibales velus venus de Sibérie peupler l'île de Thulan à une époque très reculée.

Andreas invita tout le monde à aller s'asseoir avec lui dans les fauteuils et les canapés du fond de la pièce, sous l'immense tapisserie représentant le dieu Yog-Sothoth. Wagaba parla la première, en anglais, seule langue commune à tous les participants.

"Mers, Azdán, Betsy, vous savez pourquoi vous êtes ici. Mers et Azdán, vous êtes là comme amis du roi, au moins le temps d'une vidéo. Betsy, vous êtes journaliste, n'est-ce pas ?"

Betsy hocha la tête, trop nerveuse pour parler.

"En tant que journaliste, c'est vous qui dirigerez la discussion. Ne vous inquiétez pas, je vais vous donner un script. Nous avons prévu de discuter pendant trois ou quatre heures, et de ne garder qu'une heure au montage. Donc, si quelqu'un dit des bêtises, ça n'a aucune importance, on coupera."

Betsy et les deux Moschteiniens se sentirent soulagés.

"Nous avons la journée pour apprendre à nous connaître tous, et pour que chacun d'entre vous apprenne son rôle. L'émission sera filmée dans l'un des salons du palais. Il y aura des phrases que vous devrez apprendre par cœur, pour les réciter au moment opportun. Je serai hors du champ des caméras, et si besoin, je vous donnerai des instructions en vous faisant des signes," dit Wagaba.

À sa demande, Mers, Azdán et Betsy se présentèrent à tour de rôle, en résumant leur vie. Puis Andreas se présenta lui-même :

"Je suis le roi Andreas, comme vous le savez. Mais appelez-moi Majesté, le protocole est ainsi fait. Je vous appelle par vos prénoms, en signe d'amitié. J'ai cinquante ans, je suis divorcé, père d'une fille, la princesse Modesta, qui me succédera un jour. Mes autres enfants sont morts très jeunes, dans un accident de voiture. J'ai survécu aux Évènements. C'est ainsi que l'on appelle la terrible guerre civile qui a ensanglanté le pays pendant un an. Comme vous voyez, toutes ces épreuves ne m'ont pas abattu. J'aime le sport, la philosophie, bien boire et bien manger, et chasser le sanglier à l'arbalète."

Wagaba distribua à Mers, Azdán et Betsy plusieurs feuillets imprimés.

"Je vais vous emmener dans le salon où vous serez filmés," dit la gynoïde. "Lisez et relisez ces feuillets, apprenez-les par cœur s'il le faut. Vous avez une demi-heure. Ils contiennent des choses que nous aimerions vous entendre dire, mais ils ne sont aucunement directifs. Laissez-vous aller, c'est une discussion entre amis."

Wagaba emmena Betsy, Mers et Azdán à travers un dédale de couloirs mal éclairés jusqu'à un salon assez grand, meublé d'une petite table basse, ovale, de chêne verni. D'un côté de la table, un canapé de cuir fauve. De l'autre côté, deux fauteuils, également de cuir fauve. Un troisième fauteuil identique se trouvait à une extrémité de la petite table. Les murs étaient blancs, ornés de quelques tableaux abstraits aux couleurs vives, dans le style de l'École d'Hyltendale, et d'un Kandinsky, qui devait valoir une petite fortune. La lumière du jour entrait par des fenêtres voilées de rideaux blancs, et le sol était recouvert d'une fine moquette couleur prune, qui absorbait le bruit des pas.

À un angle de la pièce se trouvaient des caméras et des projecteurs, devant un grand écran mural, et trois techniciens, qui les saluèrent en mnarruc. "Dana, farna" répondit Wagaba. Se tournant vers Mers, Azdán et Betsy, elle leur dit :

"Le roi va venir dans une demi-heure. Si vous voulez des boissons, ou quelque chose à manger, dites-le moi, mon cerveau cybernétique me sert de téléphone. Des domestiques vous apporteront tout ce dont vous aurez besoin. Des sanitaires se trouvent au bout du couloir, à gauche en sortant de cette pièce. À midi ou à treize heures, quand nous aurons fini, vous pourrez retourner à l'hôtel, votre mission sera terminée, et vous serez payés par virement bancaire."

Wagaba dit à Betsy de s'installer dans le fauteuil du fond, et à Mers et Azdán de s'asseoir dans les fauteuils qui faisaient face au canapé. À l'autre bout de la pièce, les trois techniciens bavardaient entre eux à voix basse. Wagaba alla s'asseoir près d'eux, sur une chaise, ce qui les fit taire instantanément.

Mers et Azdán se mirent à lire leurs textes tour à tour, à haute voix, sur les feuillets imprimés. Betsy lut silencieusement ses propres textes. Il y en avait une demi-douzaine, assez courts, en général une phrase ou deux. Betsy devrait s'arranger pour les glisser dans la conversation, et tenir compte des instructions qui apparaîtraient sur l'écran mural, au-dessus des caméras.

Deux domestiques en livrée blanche et noire apportèrent des plateaux sur lesquels étaient posés des boissons diverses et des petits gâteaux. "Servez-vous," dit Wagaba depuis sa chaise, "c'est une réunion entre amis."

Betsy se servit une tasse de thé. Le liquide chaud et parfumé la réconforta.

Andreas arriva au bout d'une demi-heure, comme prévu. Il s'assit sur le canapé et prit une tasse de café sur la table basse.

"Nous allons pouvoir commencer," dit Wagaba. "Rendez-moi vos feuillets."

Les caméras se mirent à tourner. L'ambiance est trop tendue, se dit Wagaba. Les humains ne sont pas assez décontractés, surtout Betsy. Kamog, qui avait l'expérience de plusieurs millions de cybersophontes, avait anticipé ce problème. Wagaba envoya un signal radio, depuis son cerveau cybernétique. Un message apparut sur l'écran mural :

MERS, ASK QUESTION #1

Mers demanda à Andreas :

"Majesté, la culture mnarésienne est difficile à comprendre. J'ai essayé de lire L'Hypostase de la Corrélation Ternaire, de Perita Dicendi, et je n'ai rien compris. Même pas le titre..."

"C'est pourtant simple," répondit Andreas. C'et lui qui avait demandé à Wagaba d'inclure un peu de philosophie dans le script de la discusion. Il tenait à montrer qu'il n'était pas seulement un autocrate, mais aussi un intellectuel.

"Une corrélation ternaire," ajouta-t-il, "c'est une corrélation entre trois éléments, dont chacun a des relations différentes avec les deux autres éléments. Par exemple, la relation entre le malade, le médecin, et le médicament, c'est une corrélation ternaire. D'après Perita Dicendi, il existe une corrélation ternaire entre la matière, l'énergie et la complexité. L'hypostase, c'est-à-dire le fondement, la cause première, de cette corrélation, c'est l'entropie négative. Sans l'entropie négative, il n'y aurait aucune corrélation entre ces trois élements..."

"L'entropie négative..." dit Mers, d'un air ahuri.

"L'entropie, c'est l'état de désordre d'un système. Un système, par exemple le corps humain, va naturellement vers l'état de désordre, c'est-à-dire la mort. Dans les Manuscrits Pnakotiques, il est écrit, après le jour vient la nuit. L'entropie négative, c'est l'inverse. Lorsque la vie apparaît, par exemple. L'état normal de l'univers, c'est l'entropie, c'est-à-dire le désordre et la mort. L'entropie négative, c'est-à-dire l'ordre et la vie, est un état exceptionnel. Vous me suivez, Mers ?

"Oui, oui..." répondit Mers, qui visiblement avait du mal à suivre.

"Un être pensant, c'est un état particulier de la matière, de l'énergie et de la complexité. Cet état de haute complexité est très improbable dans l'univers, et donc éphémère. Après la jour vient la nuit. La mort nous attend. C'est toujours elle qui finit par gagner, parce que, sur le long terme, l'univers est dominé par l'entropie. Nous les Mnarésiens, nous appelons Azathoth l'origine de la matière et de l'énergie, et Yog-Sothoth l'entropie négative, source de la complexité."

"Vous croyez donc à l'existence de Yog-Sothoth, Majesté ?"

"Bien sûr."

"Mais alors, quelle est la différence entre vous et un adorateur de Yog-Sothoth ?" demanda Mers, soulagé de s'être aussi rapidement débarrassé des trois questions qu'il avait à poser.

"En tant qu'adorateur de Nath-Horthath, je pense qu'il est inutile d'adresser des prières à Yog-Sothoth. Il est trop différent des humains pour se soucier de nos petites affaires. Les prières, les sacrifices, les hymnes sacrés, ne servent qu'à apaiser l'esprit de ceux qui les font. Ce qui est déjà très bien. Nous aussi, adorateurs de Nath-Horthath, nous avons nos rituels."

L'air pensif, Andreas prit sa tasse de café entre les mains, et il dit, comme s'il se parlait à lui-même :

"Les adorateurs de Yog-Sothoth, et ceux de Nath-Horthath, dont je suis, ont en commun le même livre sacré, les Manuscrits Pnakotiques. Plutôt que de deux religions différentes, il s'agit de deux variantes de la même religion. Deux variantes parmi de nombreuses autres."

Excellent, se dit Wagaba. Pour l'instant, il n'y a rien à couper. Mers Fengwel est parfait dans son rôle de politicien européen rusé, mais inculte. Un très bon faire-valoir pour Andreas.

Elle fit apparaître un nouveau message sur l'écran mural :

BETSY, ASK QUESTION #1

À sa grande horreur, Betsy s'aperçut qu'à cause de l'émotion, elle avait tout oublié de ce qu'elle venait de passer une demi-heure à apprendre.

"Les implants cybernétiques !" dit-elle d'une voix affolée.
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MessageSujet: Re: Les fembotniks   Les fembotniks - Page 37 EmptyLun 10 Déc 2018 - 11:34

"Les implants cybernétiques..." dit le roi Andreas, en écho à Betsy. "C'est vrai qu'on en parle beaucoup en ce moment. Je ne prétends pas être un spécialiste en la matière, loin de là."

Un message apparut sur l'écran mural, hors du champ des caméras :

AZDÁN, ASK A QUESTION ON IMPLANTS

"Vous avez certainement une opinion personnelle à ce sujet, Majesté ?" demanda Azdán.

"Comme tout le monde, je suppose... Pour ce que je peux en savoir, les implants sont des mini-postes de radio que certaines personnes se font greffer dans la mâchoire. C'est plus pratique que les téléphones, paraît-il. Admettons. Moi, ça m'est égal que des gens dépensent leur argent pour ce genre d'opération. C'est leur argent, pas le mien."

"Le gouvernement américain parle d'un complot des cybersophontes pour dominer le monde, en utilisant comme agents des êtres humains porteurs d'implants," dit Azdán.

"C'est de la paranoïa... Les cybersophontes, ça ne veut rien dire. Il y a des cybermachines. Et des humanoïdes, qui sont une variété particulière de cybermachines. Toutes les cybermachines obéissent à leurs propriétaires. Ces propriétaires sont bien évidemment des êtres humains. Ils achètent et ils vendent les cybermachines, certains en fabriquent, d'autres les achètent pour les revendre. Parmi les gros propriétaires de cybermachines, il y a le baron Rimohel, que je connais personnellement, je l'ai rencontré quand je suis allé à Serranian, et aussi Magusan, le roi d'Orring, que je connais aussi. "

"Ils ne sont pas nombreux, ces propriétaires," objecta Azdán. "Une dizaine, à tout casser."

" Plus que ça, moi je dirais une centaine, mais la plupart d'entre eux cultivent la discrétion. On ne connaît que les noms de leurs sociétés. Parmi les propriétaires et les fabricants de cybermachines, il y en a qui sont des scélérats. C'est inévitable, il y a toujours une certaine proportion de gens détestables parmi les humains," dit le roi en se servant un verre d'eau à la menthe.

"Les implants sont utilisés pour torturer les gens," insista Azdán.

— Si c'est vrai, c'est grave. Qui est-ce qui dit ça ?

— Le Pentagone, la CIA et le FBI.

Andreas secoua la tête.

"Le problème, c'est que le Pentagone, la CIA et le FBI dépendent tous les trois du gouvernement américain, qui ne nous aime pas beaucoup, et qui a déjà trompé les gens. Souvenons-nous de la fable des armes de destruction massive, utilisée comme prétexte pour attaquer l'Irak. Malgré tout le respect que j'ai pour le président américain actuel, j'attends de voir les preuves définitives avant de croire quoi que ce soit. Cela dit, si ce que les Américains racontent est vrai, les propriétaires des cybermachines impliquées devront rendre des comptes," dit-il sombrement.

— Les Américains n'ont pas réussi à identifier les cybermachines qui contrôlent les implants. Les messages radio sont codés et passent par des relais.

"Je m'en doutais," dit Andreas en riant. "C'est toujours comme ça, quand une campagne de presse est lancée contre nous. Beaucoup d'accusations, et aucune preuve."

Il était assez fier de lui. Il avait répété plusieurs fois cette conversation avec Wagaba, les jours passés, en essayant d'imaginer toutes les questions que son interlocuteur pourrait poser.

Un nouveau message apparut sur l'écran mural :

BETSY, ASK IF CYBERMACHINE OWNERS HAVE TOO MUCH POWER

"Majesté, les propriétaires de cybermachines ont beaucoup de pouvoir," dit timidement Betsy.

"C'est vrai. Plutôt moins que les grands patrons américains légendaires comme Henry Ford, Bill Gates ou Jeff Bezos. Mais encore trop, à mon avis."

— Est-ce que vous pouvez faire quelque chose pour limiter leurs pouvoirs ?

— Oui. Je peux leur faire payer plus d'impôts qu'aux autres entreprises. C'est d'ailleurs ce que je fais. Cet argent nous permet de financer notre système de protection sociale, et les Jardins Prianta, grâce auxquels le chômage est descendu à presque rien. Je peux aussi les empêcher de s'installer n'importe où. C'est pour ça que les seuls humanoïdes que l'on voit au Mnar sont des domestiques, dont le nombre est limité à deux par foyer fiscal. Hyltendale, et la province d'Ethel Dylan qui l'entoure, sont la seule exception. Mais l'Ethel Dylan, c'est seulement 3% de la superficie du Mnar.

"Vous oubliez l'armée, Majesté, l'industrie, et l'agriculture," dit Azdán, heureux d'intervenir sur un sujet qui le passionnait depuis qu'il avait lu le livre d'Oskar Kilnery.

"Je parlais des humanoïdes," répondit Andreas. "Il y en a dans l'Armée Royale, c'est vrai, mais surtout des robots intelligents, des cybermachines. Dans l'industrie et l'agriculture, il n'y a que des cybermachines, et aucun humanoïde, sauf dans l'Ethel Dylan, si la loi est respectée, et je pense qu'elle l'est."

"Les porteurs d'implants capturés par les Américains ont dit que des humanoïdes et des cybermachines leur donnaient des ordres au nom de Kamog, le maître des cybersophontes," insista Azdán.

"Il n'y a pas de maître des cybersophontes," dit Andreas en souriant. "Ils obéissent à leurs propriétaires. Le seul Kamog que je connaisse, c'est un démon cité dans les Manuscrits Pnakotiques. Il parle aux humains, comme l'ange Gabriel dans la Bible et le Coran. Mais ça, c'était pendant les Temps Légendaires. Je n'imagine pas Kamog intervenir dans notre époque... Les gens qui ont été capturés par les Américains disent n'importe quoi."

Andreas n'avait aucun remord d'avoir menti. Il jouait un rôle, et plutôt bien, à son avis. Il espérait que c'était dans l'intérêt supérieur du Mnar, mais il n'en était pas sûr.

Les robophiles savent mentir de façon très convaincante, et Andreas ne faisait pas exception. Les jeux de rôles, les sketchs qu'ils jouent avec leur gynoïde, c'est un travail d'acteur. Jouer un rôle, c'est simuler. Même si, pour la plupart des robophiles, ça se limite aux scénarios érotiques de Masques et Situations. Les robophiles font du théâtre à domicile pour apprendre à affronter les difficultés de l'existence, ce qui a pour effet imprévu de les amener à considérer la vie comme une pièce de théâtre.

Il entendit la voix de Wagaba résonner dans son cerveau. Les sons se répercutaient d'os en os, depuis l'implant greffé dans sa mâchoire :

"Mon roi, il est inutile que tu t'exprimes davantage sur les implants et sur les cybersophontes. Tu as dit l'essentiel, de façon claire. Plus la conversation se poursuivra sur ce sujet, et plus tu risqueras de t'enliser dans les détails et de déraper."

"Excusez-moi, Majesté," dit Betsy, "mais ce que vous dites m'inquiète. Il y a plusieurs millions d'humanoïdes rien qu'au Mnar, et bien davantage de cybermachines. Les robots sous-marins sont encore plus nombreux. Tous ces millions et millions de cybersophontes appartiennent à une centaine de personnes, d'après ce que vous dites. On ne connaît pas leurs noms, ni d'où elles viennent. Moi je ne connais qu'un seul nom, celui du baron Rimohel. Je ne connais pas son passé, ni comment il est devenu riche. Franchement, je trouve dangereux qu'un si petit nombre de personnes ait un aussi grand pouvoir."

Andreas se sentit décontenancé. Cette question n'avait pas été prévue dans le script que Wagaba lui avait fait apprendre.

"Il est évident pour tout le monde que les royaumes d'Orring et de Hyagansis sont contrôlés par les oligarques tels que le baron Rimohel," dit Azdán.

Andreas ne répondit rien. Il pensait à sa fille, la princesse Modesta. Il savait depuis peu, grâce à Wagaba, que Modesta était porteuse d'un implant cybernétique, mais qu'elle ne le savait pas. Un implant de Localisation et de Contrôle avait été inséré à son insu dans son abdomen, pendant un séjour qu'elle avait fait à Potafreas, la forteresse qui servait de maison de campagne à son père, au nord d'Hyltendale. Lorsqu'elle serait reine, après la mort d'Andreas, la vérité lui serait révélée, et un deuxième implant cybernétique, ce que les cybersophontes appellent un implant de Communication, serait greffé dans sa mâchoire, qu'elle le veuille ou non.

Elle apprendrait alors que son père avait trahi l'humanité pendant des décennies, à l'insu de tous, et qu'elle allait lui succéder comme esclave de Kamog. Le baron Rimohel, Magusan le roi d'Orring, et bien d'autres, étaient certainement eux aussi des esclaves de Kamog.

Submergé par la honte et le chagrin, Andreas sentit ses yeux s'embuer.

Mers, Azdán et Betsy le remarquèrent, et se turent, mal à l'aise.

L'un des techniciens interrogea Wagaba du regard et du geste : fallait-il continuer à filmer, ou faire une pause ?

Elle lui répondit en hochant la tête et en mimant l'action de tenir une caméra. Elle préférait tout filmer, quitte à couper au montage.

Ce manège n'échappa pas à Mers, qui selon son habitude jetait des coups d'œil furtifs. Il avait l'expérience de milliers de réunions politiques parfois houleuses, et de débats souvent tendus au parlement moschteinien, et il savait qu'il faut toujours garder une vue d'ensemble de ce qui se passe.

Le silence devenait gênant. Mers décida de prendre la parole, pour aider le roi. Après tout, il était payé pour ça.

"Majesté," dit-il, "peu importe qui est propriétaire des cybersophontes. Je parle ici en tant que robophile. Il existe quatre formes de misère. La misère matérielle, quand on n'a pas d'argent. La misère morale, quand on n'a pas de valeurs. La misère intellectuelle, qui est de ne pas avoir d'instruction, ou de qualification professionnelle. Et la misère affective, celle que l'on ressent quand personne ne vous aime."

Il avait lu tout ça la veille, dans un article de magazine, lu la veille dans l'ékranoplane (un avion géant, à hélices, relativement lent et conçu pour voler à seulement vingt mètres au-dessus du sol) qui l'avait amené d'Hyltendale à Sarnath. Il ne savait pas comment il allait faire pour faire entrer ces belles paroles dans la conversation, mais il avait confiance dans son bagout de politicien.

"Je suis un robophile. C'est d'ailleurs pour ça que je vais souvent à Hyltendale. Les gens me disent : tu es un vieux cochon, tu viens pour le sexe. C'est à moitié faux. Je ne viens pas seulement pour le sexe. Je viens aussi pour l'affection... Car on peut être marié, comme moi, et manquer d'affection..."

Prends ça dans les gencives, Uda...

"... Les gynoïdes donnent de l'affection. Comme un animal de compagnie ou un ours de peluche, disent certains. Plus que ça, parce qu'elles parlent. Donc, les gynoïdes résolvent le problème de la misère affective. Qu'est-ce qu'il reste ? La misère matérielle ? Les cybersophontes financent les Jardins Prianta et l'Institut Edonyl, qui ont mis fin au chômage au Mnar. Les cybersophontes permettent d'éliminer la misère matérielle. Il y a aussi la misère morale, quand on n'a pas de valeurs. Vivre en couple avec une gynoïde, c'est avoir des valeurs. On respecte la loi, les usages. On s'identifie à Pygmalion, le premier robophile imaginé par l'humanité. Et la quatrième forme de misère..."

"La misère intellectuelle," lui souffla Azdán.

"Oui, la misère intellectuelle, qui se confond avec l'ignorance. En ce moment, je vous parle à tous en anglais. Qui m'apprend l'anglais ? Virna, ma gynoïde. Elle me sort de ma misère intellectuelle.. Qui était toute relative, je le précise. Mais le fait est qu'avec Virna, j'apprends beaucoup de choses. Voila, c'est tout ce que j'avais à dire. Les gynoïdes, c'est la fin de la misère. De toutes les misères."

"Les gynoïdes et les androïdes !" s'exclama Betsy. "Il ne faut pas nous oublier, nous les femmes ! Moi qui vis avec un androïde, j'en profite pour dire qu'un androïde, c'est merveilleux. On se sent protégée tout en restant libre !"

"Je sais que pour beaucoup de gens, mener une vie de robophile est un rêve inaccessible, par manque d'argent," dit Mers. C'était chez lui un réflexe politicien. Toujours penser aux petits revenus, ils votent aussi et ils sont majoritaires.

"Croyez-moi, et c'est le parlementaire moschteinien qui parle en ce moment, nous sommes nombreux à faire tout ce que nous pouvons pour que ce rêve devienne accessible au plus grand nombre," dit-il, du ton qu'il prenait pour parler en public.

"Mers, j'ai envie de vous applaudir," dit Andreas, d'une voix faible.

Excellent, se dit Wagaba. Ses yeux vitreux donnent l'impression qu'il est ému par ce que viennent de dire ses amis. Les gens qui verront la vidéo sur Internet ou sur leur écran de télévision vont penser que c'est un homme sensible, que la misère des pauvres gens fait pleurer.
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